Droit immobilier

Les obligations en matière de transparence administrative : le tribunal administratif consacre un « droit au brouillon »

Les obligations en matière de transparence administrative : le tribunal administratif consacre un « droit au brouillon ».

 

Nous l’expliquions dans un article antérieur[1], la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte a posé le principe de l’ouverture et du partage des documents administratifs se rapportant à une activité administrative.

 

Ainsi la loi précitée permet-elle à toute personne et en principe (c’est-à-dire sauf exception légalement prévue) de pouvoir obtenir la communication de documents administratifs sans devoir faire état d’un intérêt.

 

A ce principe il existe donc certaines exceptions, lesquelles doivent être interprétées toutefois de façon restrictive.

 

L’article 7 de ladite loi prévoit donc au titre de ces exception, entre autres, que la communication d’un document administratif peut (il s’agit, donc, dans ce cas d’une faculté de l’administration) être refusée s’il s’agit de « documents en cours d’élaboration ou de documents inachevés ».

 

Cependant, les deux notions précitées ne sont pas définies dans la législation, et les travaux parlementaires relatifs à cette exception restaient également muets sur point, de sorte qu’il se posa rapidement en pratique la question de savoir à partir de quand un document est réputé « achevé » et est partant communicable, et quand faut-il considérer au contraire que le document n’est pas « achevé ».

 

Dans le cadre d’une affaire ci-après commentée, des citoyens souhaitaient se renseigner par rapport au sort de leurs terrains. Les propriétaires concernés avaient en effet pu constater que dans le contexte de la refonte projetée du PAG d’une commune, cette dernière entendait – dans un premier temps – classer lesdits terrains dans une zone constructible soumise à lotissement (PAP nouveau quartier) et avait produit à ce titre des documents relatifs à cette intention, notamment une ébauche de schéma directeur. Ce n’était que dans un second temps que la commune s’était ravisée pour finalement classer ces terrains en zone verte (décision qui fut au surplus annulée par la Cour administrative dans un arrêt du 7 février 2019, n° 41199C et 41209C).

 

Les citoyens, souhaitant, suite à l’arrêt de la Cour, voir reclasser leurs terrains en zone constructible, sollicitèrent auprès de la commune concernée, une copie des documents – notamment le projet de schéma directeur, élaborés en interne par cette dernière pour prévoir, initialement, la constructibilité de ces parcelles.

 

La commune opposa un refus.

 

Après un passage auprès de la Commission d’accès aux documents (CAD), un recours en annulation de la décision de refus fut introduit devant les juridictions administratives.

 

 Le Tribunal administratif, vient de répondre ainsi quant à l’interprétation et aux contours à donner aux notions de « documents en cours d’élaboration » et de « documents inachevés »[2].

 

1. Sur la question de l’applicabilité de la loi du 14 septembre 2018 lorsque d’autres dispositions légales imposent la publication de certains documents

 

Appelé à répondre à cette question (la partie publique souhaitait voir s’effacer l’application de la loi de 2018 au profit de dispositions plus restrictives concernant la publication de documents, à savoir en l’espèce, une disposition de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain en matière de publication du projet de Plan d’aménagement général en cours d’élaboration ; laquelle disposition ne prévoit la publication que de certains documents précis), le Tribunal exposa que la loi sur la transparence administrative s’applique de manière générale pour tous les documents détenus par une administration lorsqu’ils se reportent à la gestion d’une activité administrative, et ce nonobstant des dispositions plus restrictives prévues dans d’autres lois et poursuivant un autre objectif (sauf si ces dernières sont des lois spéciales dérogatoires à celle de 2018, ce qui n’existe pas à ce jour).

 

Dès lors que la loi de 2004, qui prévoit la publication de certains documents, n’est pas une loi spéciale dérogatoire à celle de 2018, cette dernière n’a pas à s’effacer et trouve bien à s’appliquer.

 

2. Sur l’interprétation des notions de « document en cours d’élaboration » ou de « documents inachevés ».


Il restait encore au tribunal administratif à déterminer si les documents réclamés rentraient, ou non, dans les exceptions prévues pour justifier le refus de communication.

 

Pour ce faire, le Tribunal a procédé à une étude de droit comparé, en se référant à des décisions, notamment, des Commissions d’accès aux documents administratif étrangères (chez nos voisins français et belges).

 

Tout d’abord, les juges administratif constatèrent que les deux notions de « documents en cours d’élaboration » et  « documents inachevés » recouvraient une même réalité.

 

Ensuite, le Tribunal précisa que la notion de documents inachevés (et donc celle de documents en cours d’élaboration) n’est pas à confondre avec celle de « documents préparatoires », ceci alors que « certains documents préparatoires ont atteint leur stade définitif d’élaboration ». S’ils ne tombent pas sous le coup d’une autre exception prévue dans la loi, pareil document pourrait, en principe, être communiqué.

 

La décision sous analyse précise encore que ces notions sont également à différencier de celle de « document incomplet ». Un document incomplet – même eu égard à des exigences légales (comme par exemple en matière de rapport environnemental, ou en matière d’étude préparatoire d’un PAG, dont les contenus minimum sont chaque fois prescrits par la loi ou la règlementation grand-ducal) peut être considéré comme achevé. Toute autre solution permettrait à l’autorité administrative de se retrancher derrière le caractère incomplet du document pour en refuser la communication, alors même qu’elle eut elle-même le cas échéant considéré ledit document comme achevé.

 

Ce qui importe, explique le jugement, c’est « de vérifier que le document en question n’appelle plus dans l’esprit de l’administration de modifications, ou, au contraire, qu’il doit encore être finalisé ou validé ».

 

Ces constations faites – et ces critères d’évaluation élaborés -, la juridiction a alors procédé à une étude des documents dont la communication posait litige.

 

Constituant « une esquisse, un document de travail devant être discuté et le cas échéant complété et précisé, tout en nécessitant une décision formelle de l’autorité compétente pour l’adopter, validant, même à un stade intermédiaire de son élaboration, sa cohérence et sa complétude, ou, comme en l’espèce, devant être ultérieurement abandonné », les documents sollicités ont partant été considérés comme des documents inachevés par le Tribunal, qui a donc rejeté le recours.

 

Le tribunal de consacrer, tout en se référant aux décisions étrangères, un véritable « droit au brouillon » dans le chef des administrations « afin de préserver la sérénité du travail préparatoire et du processus décisionnel des administrations », ou plus précisément le droit pour ces dernières ne pas devoir obligatoirement communiquer « les documents destinés à circuler uniquement en interne », les « notes provisoires », ou encore les « projets de délibération ».

 

Par Me Elie DOHOGNE - Avocat liste IV.

& Me Sébastien COUVREUR - Avocat à la Cour

 

 

 

 

 

 

 

 

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