Droit immobilier

Projet de loi portant modification de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles (suite)

Projet de loi

portant modification de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles

N° 7477 Chambre des Députés

Dépôt : 24.9.2019



Ci-après nous mettons en évidence quelques lacunes du projet de loi.


Le présent commentaire ne se veut certainement pas exhaustif, mais il propose simplement de rendre brièvement attentif à certains problèmes relevant de la pratique quotidienne qui n’ont pas été abordés dans le projet de loi, alors qu’il aurait pu être une occasion pour le faire.

 

1. Le caractère dynamique du biotope


Les lois ayant précédé celle de 2018 prévoyaient la protection des biotopes sous la forme d’une interdiction de principe, explicitée par une énumération exemplative (non exhaustive), qui nécessitait donc une appréciation in concreto au cas par cas par les experts de l’administration, avec par la suite une vérification par la jurisprudence. La loi de 2018 essaie par contre d’introduire des incriminations sur la base de définitions biologiques des biotopes.



Cet ajout est rendu nécessaire par un arrêt de la Cour constitionnelle ayant considéré que l'ancien article 17 de la loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles était pour partie contraire au principe constitutionnel de légalité des peines, en raison d'une définition trop imprécise des biotopes protégés et partant de l'interdiction de les détruire sans autorisation ministérielle préalable.

 

Mais contrairement à la plupart des autres matières du droit, où l’incrimination d’un fait est définitive et sans équivoque, les définitions biologiques ne peuvent que difficilement servir à cet effet. En établissant des incriminations sur des définitions biologiques, on peut arriver à des situations où le même fait peut être une infraction ou ne pas être une infraction.

 

Voici quelques exemples :

 

-      La destruction d’une haie peut être une infraction, parce que la haie est un habitat pour des oiseaux, alors que dans un autre cas la non-destruction de la haie constitue l’infraction, lorsqu’il s’agit de protéger la végétation herbacée d’une pelouse sèche contre l’installation spontanée de la végétation ligneuse.

 

-      L’installation d’une carrière ou d’un dépôt de déchets est  considérée comme une grave infraction à de multiples égard de la protection de la naure, mais une carrière ou un dépôt de déchet peuvent après quelques années être des biotopes d’une si grande valeur environnementale qu’ils sont classés comme réserves naturelles. Alors la remise dans l’état initial constituerait l’infraction.

 

-      Parfois la destruction d’une haie fait l’objet d’une poursuite pénale, alors qu’au moment du procès de justice la haie a repoussé.

 

-      Une  autorisation de construire peut être refusée au motif qu’à l’endroit de la construction projetée se trouve une haie ou une pelouse abritant par exemple un exemplaire d’une espèce protégée de l’avifaune, alors que le monitoring scientifique met en évidence quelques mois plus tard que les oiseaux en question se sont déplacés dans une autre haie située à quelques centaines de mètres plus loin.

 

-      La construction d’un mur en zone verte peut être une grave infraction, alors que le mur peut devenir après quelques années un biotope des plus intéressants au niveau de la diversité biologique. L’enlèvement du mur et la remise dans l’état originel serait de son côté une infraction à la loi.

 

Ce genre d’incohérences dans une législation sont très difficiles à faire accepter par les justiciables et notamment par les concernés (les exploitants agricoles, les ingénieurs, les entrepreneurs, les propriétaires, etc.), alors qu’ils n’ont nullement l’intention de contester le bien-fondé de la cause de la protection de la nature.

 

2. Les biotopes en milieu urbain


Au lieu de se focaliser sur l’interdiction des biotopes existants tels que les biotopes sur terrains à bâtir non utilisés (1) les auteurs auraient dû prévoir une flexibilité au niveau de cette règle négative et favoriser l’application des techniques nouvelles susceptibles d’engendrer l’apparition spontanée de nouveaux biotopes en milieu urbain (2).

 

2.1. Les biotopes urbains existants


La loi de 2018 a insisté à raison sur la protection des biotopes à l’intérieur du périmètre, alors qu’elle existait également déjà dans les textes précédents.

 

Alors que le principe de cette protection est favorable et pour la biodiversité que pour la qualité de vie en milieu urbain, l’interprétation excessive de l’administration a suscité des réactions négatives de la part des concernés qui étaient inconnues sous l’emprise des lois précédentes.

 

Un exemple particulièrement apparent est la végétation naturelle qui s’installe spontanément sur un terrain à bâtir non utilisé pendant des décennies. La végétation qui s’y développe peut se présenter sous différentes formes (végétations herbacée, arbustive ou ligneuse). Parfois sont apparues ainsi de véritables zones naturelles, le cas échéant d’envergure non négligeable, au milieu d’un quartier résidentiel ou dans une zone industrielle.

 

Malheureusement l’interprétation que l’administration fait de cette disposition légale est si excessive que les propriétaires ou les promoteurs immobiliers se voient obligés d’assurer un entretien intensif du terrain à bâtir pour empêcher l’installation spontanée d’un biotope au sens de la loi. Le ministère de l’environnement agit donc ici, comme dans de nombreux autres cas, à l’encontre de ses propres objectifs.

 

La solution aurait été de formuler la loi de manière à accepter le caractère temporaire de ce genre de biotopes, voire de favoriser l’existence temporaire de ces biotopes, et d’assurer que lors de l’enlèvement des biotopes le propriétaire ne se voie pas confronté à des contraintes administratives et surtout à des inculpations et des exigences de paiements compensatoires.

 

2.2. L’aménagement écologique urbain


L’idée fondamentale derrière une approche plus flexible serait que, dans sa globalité, il y aurait plus de verdure naturelle dans une agglomération, étant donné qu’en raison de l’évolution permanente du tissu urbain, les zones naturelles qui disparaîtraient (pour cause de construction), seraient remplacées ailleurs par de nouvelles zones naturelles qui se formeraient à la suite de l’enlèvement de bâtiments anciens).

 

Il existe aujourd’hui de nombreuses techniques pour introduire des éléments naturels dans les agglomérations. Elles concernent l’aménagement des alentours des constructions, mais également l’aménagement des surfaces de circulation telles que les trottoirs, les zones piétonnes, les parkings, les places publiques, les murs, etc. Elles concernent donc des surfaces relativement importantes dans les agglomérations. Au Luxembourg, ces surfaces sont toujours traitées selon des techniques très classiques, qui ne tiennent nullement compte des concepts écologiques. Pourtant leur mise en pratique pourrait aboutir à une réduction des dépenses (faire travailler la nature pour le maître de l’ouvrage), à une augmentation spontanée massive des biotopes en milieu urbain et à une amélioration de la qualité de vie.

 

Au lieu de se limiter à énoncer des interdictions dans la loi et de refuser des projets de construction, les auteurs du projet de loi auraient dû y prévoir des dispositions permettant de subordonner des autorisations à des conditions favorisant la mise en œuvre de telles interventions constructives pour la protection de la nature.

 

3. L’insécurité de planification

 

Les acteurs de la construction sont souvent supris par l'incertitude de planification qui règne depuis l'élargissement des biotopes protégés suivant le règlement  grand-ducal  du  1er  août  2018  établissant  les  biotopes  protégés,  les  habitats d’intérêt communautaire  et  les  habitats  des  espèces  d’intérêt  communautaire  pour  lesquelles  l’état  de conservation a été évalué non favorable, et précisant les mesures de réduction, de destruction ou de détérioration y relatives.



Le problème est souvent qu'un terrain constructible, situé dans un PAG récemment modifié, et lors duquel des études environnementales ont été menées, se retrouve néanmoins hypothéqué par la présence d'un ou l'autre biotope (non répertorié dans le cadre du PAG). Le constructeur devra cependant obtenir une autorisation ministérielle pour pouvoir démolir/abattre le biotope en question : il peut s'agir d'une haie, d'une rangée d'arbre, de deux arbres, de broussailles, etc. Son projet se voit alors soumis au bon vouloir ministériel et aux délais de traitement du dossier qui sont tout à fait élastiques. Pire, le projet immobilier se voit souvent freiné par des demandes d'études supplémentaires (screening pour vérifier la présence éventuelle d'espèces protégées, analyse racinaire des arbres, etc.), voir hypothéqué par un certain arbitraire (arbres subjectivement jugés "remarquables" alors qu'ils n'apparaissent classés comme tels nulle part, etc.).



L'insécurité de planification dans laquelle se retrouvent de nombreux projets de construction ou de lotissement a une incidence non négligeable sur les délais d'exécution et par conséquent aussi sur la mise à disposition de logements sur le marché, ce qui accroit les problèmes liés au coûts de l'immobilier (distortion entre l'offre et la demande).

 

4. La restauration du recours en réformation


La loi de 2018 a supprimé le recours en réformation et ne prévoit plus que le recours en annulation. Ainsi le juge administratif confronté à une décision illégale n’a pas d’autres moyen que de l’annuler et de la renvoyer devant l’autorité étatique qui a rendu la décision illégale, en l’occurrence le ministère de l’environnement, afin qu’il modifie sa décision.

 

En principe le ministère serait obligé de tenir compte des arguments qui ont amené le juge administratif à annuler la décision. Mais les ministères en général se montrent réticents à modifier leurs propres décisions et essaient de se limiter à une reformulation tout en essayant de préserver pour autant que possible le contenu initial.

 

Le justiciable, s’il constate qu’il ne lui est toujours pas fait droit par l’administration, alors que la juridiction administrative avait rendu une décision favorable à ses intérêts, n’a pas d’autres moyens que d’introduire un nouveau recours devant le juge.

 

Or les recours sont chers et mettent beaucoup de temps à aboutir.

 

La suppression du recours en réformation a engendré une injustice sociale, dans la mesure que seul le plaideur aisé peut se permettre de recommencer des recours, et une insécurité juridique dans le sens où les projets des acteurs économiques risquent de rester en suspens pendant longtemps.

 

5. Une approche purement conservatoire


Il est évident que tout projet constructif engendre la destruction de certains éléments de la nature existants.

 

Mais le plus souvent cette destruction ne concerne que des éléments isolés et de petite envergure. Ainsi par exemple dans le cadre de la construction d’une nouvelle route faut-il enlever un certain nombre de haies, d’arbres, de zones humides, etc.

 

Mais en contrepartie il devient le plus souvent possible d’envisager un réaménagement paysager sur une surface d’une étendue beaucoup plus importante (avec par exemple la mise en œuvre de projets d’extensification agricole), qui lui engendre une amélioration globale. Elle se fait par la création de valeurs nouvelles, qui peut être de loin supérieure à la somme des petites valeurs individuelles perdues. En effet l’amélioration écologique ne se limite pas à la création de valeurs nouvelles plus nombreuses, mais surtout dans la possibilité de les ancrer dans un cadre global plus cohérent au point de vue écologique.

 

Au lieu de prévoir uniquement des interdictions d’enlever des valeurs environnementales existantes, les auteurs de la loi auraient donc dû prévoir des dispositions favorisant les mesures constructives, c’est-à-dire tendant à créer des valeurs environnementales nouvelles.

 

Depuis sa création le ministère de l’environnement se focalise sur la conservation de l’existant, alors même que cette approche s’est révélée peu efficace, et cela surtout dans un pays comme le Luxembourg qui est en mutation continuelle. La protection de la nature devrait accompagner ces mutations au lieu de se fixer comme objectifs de les inhiber au moyen d’interdictions.

 

Conclusion


Les politiques devraient s’en tenir à la maxime qu’ils invoquent souvent, à savoir de vouloir développer les lois avec les concernés.

 

Dans le cadre de la protection de la nature les partenaires de discussion ne devraient pas être les seules associations écologiques , mais aussi et surtout les acteurs concrètement concernés par la loi, tels en l’occurrence les propriétaires, les promoteurs, les entrepreneurs, les architectes, les exploitants agricoles, et même les avocats.

 

La plupart de ces acteurs qui ont une emprise sur le terrain sont intéressés à la nature et ne souhaient pas lutter à son encontre. Il suffirait de les encourager sur cette voie dans les projets concrets.

 

Dans ce sens le projet de loi sous examen est une chance ratée.

 

 

Me Jean-Claude KIRPACH - Avocat
Me Sébastien COUVREUR - Avocat à la Cour

 

 


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