Droit immobilier

Le tribunal administratif annule partiellement le PAG de la Ville de Luxembourg : l’urbanisation de plusieurs hectares de terrain remise en question.

Le tribunal administratif annule partiellement le PAG de la Ville de Luxembourg : l’urbanisation de plusieurs hectares de terrain remise en question.

 

Deux affaires, deux destins semblables. La première affaire concerne l’urbanisation projetée du site « Schoettermarial » au Kirchberg, situé à l’intersection des quartiers PAFENDALL et WEIMERSKIRCH, dans le prolongement du boulevard Prince Félix. La seconde concerne l’urbanisation du site dit « Kennedy Sud », qui correspond aux terrains propriété du Fonds d’urbanisation du Kirchberg, situés entre la rue des Muguets et l’Avenue J-F Kennedy.

 

Dans ces deux affaires, la question du respect de la législation en matière d’études des incidences sur l’environnement des plans et programmes (la loi du 22 mai 2008 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement), était centrale.

 

1. En ce qui concerne le « Schoettermarial », les requérants, à savoir plusieurs centaines de riverains du site, avaient notamment fait valoir que l’évaluation environnementales réalisée pour les terrains concernés, en 2013, et reprise telle qu’elle dans le cadre de la refonte du PAG en 2016, n’était pas à jour et était largement lacunaire.

 

Ce constat était d’ailleurs dressé par la ministre de l’Environnement elle-même dans plusieurs avis relatifs à cette étude des incidences environnementales de 2013. Ainsi écrivait elle qu’ « Au niveau de l’évaluation de l’impact prévisible sur les espèces bénéficiant d’une protection stricte au sens de la loi, il convient de constater que l’évaluation se sera limité à la seule analyse des impacts potentiels pour les chiroptères à l’exclusion de toute autre espèce bénéficiant d’un même régime de protection et qui trouverait habitat sur le site en question. Le rapport environnemental ainsi que, le cas échéant, le bilan écologique devront être amendés et complétés dans ce sens. Il en est de même des mesures de gestion qui devront être clarifiées et reprise dans la partie réglementaire ».

 

La ministre de l’Environnement avait aussi retenu que :

« D'une manière générale, il convient de constater que le maitre d'ouvrage n'aura que timidement repris les mesures d'atténuation proposées par les auteurs du rapport environnemental alors que certaines, notamment celles en relation avec l'écologie urbaine auraient facilement pu être intégrées dans la partie écrite du dossier de modification. Aussi, les surfaces portant des biotopes et habitats à conserver devraient-elles être identifiées et, soit maintenues en zone verte, soit greffées d'une servitude «urbanisation» dont le détail serait à affiner avec les responsables de l'administration de la nature et des forêts, étant entendu que le classement en zone verte est à privilégier.».

 

Au cours de l’enquête publique réalisée dans le cadre de la refonte du PAG, de nombreux réclamants avaient épinglés le caractère incomplet de l’étude environnementale (SUP). Une contre-expertise avait même été diligentée, qui soulignait les défauts de la SUP reprise par la Ville de Luxembourg pour justifier le classement du site « Schoettermarial » en zone constructible. En dépit de ces oppositions et objections, le conseil communal approuva le PAG sans procéder au préalable à des analyses environnementales plus abouties.

 

Ce n’est qu’après l’adoption du PAG de la Ville de Luxembourg que les riverains apprirent que des études environnementales plus poussées étaient en cours de réalisation sur le site « Schoettermarial », à l’initiative du promoteur, en collaboration avec le ministère de l’Environnement.

 

De nombreuses demandes des riverains pour être impliqués dans ces évaluations environnementales, afin d’être informés de ses conclusions et afin de pouvoir faire valoir leurs questions ou objections dans ce cadre, sont restées sans réponses de la part de la ministre de l’Environnement.

 

Les riverains n’eurent alors d’autre choix que d’introduire une action devant le Président du tribunal administratif pour solliciter la communication de ces études environnementales non publiées, dont la communication leur était au surplus refusée.

 

Par ordonnance du Président du tribunal administratif du 9 janvier 2019 (n° 42171 du rôle)[1], l’Etat a été condamné à communiquer aux riverains du site, les études environnementales réalisées secrètement sur le site.

 

Or, suivant lesdites études, le site « Schoettermarial » comportait bien des espèces protégées au niveau européen, non identifiées au cours de la procédure d’adoption de la refonte du PAG, comme la Coronella Austriaca (coronelle lisse), la Callimorpha, trois espèces de Murins (Myotis myotis, Myotis bechsteinii, Myotis emarginatus), des espèces de lézard (lézard agile, lézard des murailles), le Muscardin, etc.

 

Finalement saisi de la question de la légalité du PAG de la Ville de Luxembourg en l’absence d’étude environnementale complète, réalisée en temps utile sur le site « Schoettermarial », les juges administratifs ont pris position comme suit :  

 

« Il ressort ainsi de ces éléments, d’une part, que la SUP réalisée sur le site litigieux ne couvrait que  les  chiroptères  et  les  lézards,  et  non  pas  la  coronelle  lisse,  ni  les  reptiles  en  général, contrairement à ce que suggèrent l’administration communale et l’Etat, le bureau d’études s’étant borné, d’une part, à affirmer de manière générale que la coronelle lisse serait difficile  à détecter, sans que l’accomplissement de quelconques recherches ou analyses afférentes ne se dégage des éléments  soumis  à  l’appréciation  du  tribunal,  et,  d’autre  part,  à  annoncer  une  future «(...)vertiefende Reptilienuntersuchung (...)», dont il n’est cependant pas établi qu’elle aurait été effectivement réalisée avant l’adoption de la décision déférée, étant encore relevé que les pièces versées en cause ne contiennent aucune trace de l’évaluation relative aux lézards, telle qu’évoquée par  ledit  bureau  d’études,  de  sorte  que  le  tribunal  est  dans  l’impossibilité  d’en  apprécier  la conformité aux dispositions de l’article 5 de la loi du 22 mai 2008. De surcroît, il se dégage de ces mêmes éléments qu’au plus tard depuis octobre 2016, soit avant le vote du conseil communal du 28 avril  2017  portant  adoption  du  projet  d’aménagement  général  et  la  décision  ministérielle d’approbation afférente du 5 octobre 2017, telles que  déférées,  la  présence,  sur  le  site  «...», d’espèces protégées autre que les chiroptères et les lézards, dont notamment la coronelle lisse, était avérée.


Il  suit  de  ces  considérations que  lors  de  la  prise  des décisions déférées,  le  rapport  sur  les incidences environnementales ne pouvait être considéré comme étant conforme aux dispositions de l’article 5 f) de la loi du 22 mai 2008, en ce qu’il n’aborde pas la question des effets notables probables de la mise en œuvre des classements projetés de ce site sur ces espèces protégées de la faune, dont la présence, sur le même site, était pourtant avérée ».

 

(…)

 

Eu égard à ces considérations et dans la mesure où d’éventuelles incidences néfastes de la mise en œuvre des classements projetés du site  «...» sur les espèces animales protégées s’y trouvant,  autres  que  les  chiroptères  et  les  lézards,  dont  notamment  la  coronelle  lisse,  sont indéniablement susceptibles d’avoir une influence sur la décision finale à adopter quant à ces classements, eu égard au caractère protégé de ces espèces, le tribunal retient que face au constat de la présence avérée de ces dernières sur le site litigieux dès octobre 2016 au plus tard, le rapport sur les incidences environnementales aurait a priori dû être complété sur ce point avant l’adoption du projet de PAG par le conseil communal en date du 28 avril 2017.


(…)

 

A  travers  cette  démarche,  lesdites  autorités  se  sont  privées  de  la  possibilité  de  décider  de l’affectation du site en connaissance de tous les éléments pertinents, de sorte qu’elles n’ont pas valablement pu apprécier si le classement projeté est compatible avec les objectifs d’intérêt général d’assurer, d’une part, une utilisation rationnelle du sol et de l’espace tant urbain que rural en garantissant la complémentarité entre les objectifs économiques, écologiques et sociaux et, d’autre part, un niveau élevé de protection de l’environnement naturel et du paysage, tels que prévus par l’article 2 a) et e) de la loi du 19 juillet 2004, objectifs dont le ministre est expressément chargé par l’article 18 de la même loi de vérifier le respect, dans le cadre de sa décision d’approbation tutélaire.


De même, les autorités  communales et de tutelle ont enlevé aux administrés la possibilité de participer en pleine connaissance de cause à la procédure d’aplanissement des différends et d’influer utilement sur la décision finale relative aux classements urbanistiques du site litigieux. Etant donné que la procédure d’adoption du PAG litigieux est ainsi viciée et que ce vice ne saurait être réparé au niveau contentieux, le tribunal conclut que sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens présentés par les demandeurs, les décisions déférées encourent l’annulation, dans la seule mesure où elles se rapportent au site  «Schoettermarial» (…) ».

 

Ce jugement étant toujours susceptible d’appel, il est toutefois à prendre en considération avec la prudence qui s’impose.

 

Il comporte cependant l’avertissement clair aux communes du pays que la volonté d’urbanisation ne peut se faire en méconnaissance des conséquences environnementales et en violation du droit de l’Environnement.

 

2. En ce qui concerne le site « Kennedy Sud ».


Entre l’avenue J-F Kennedy et la rue de Muguets, se situe une bande de terrains non urbanisés, de plusieurs hectares, appartenant au Fonds d’urbanisation du Kirchberg. Sur ces terrains, est prévue la réalisation d’un projet immobilier pour le moins dense.

 

Au cours du projet de refonte du PAG, de nombreux habitants du quartier de Neudorf-Weimershof, se sont opposés au classement de ces terrains dans une zone de construction trop dense, réclamant une meilleure prise en considération de l’environnement naturel ainsi que des espèces protégées au niveau européen (à l’instar des chauves-souris présentes sur ce site).

 

 Cette demande ne fut pas entendue par la Ville.

 

Par un jugement du 22 juillet 2020, le tribunal administratif a considéré que les évaluations environnementales réalisées sur le site Kennedy Sud étaient lacunaires – dès lors qu’elles ne tenaient pas compte de la présence d’espèces protégées, telles certaines espèces de chauves-souris et partant, que le conseil communal et par la suite la ministre de l’Intérieur n’avait pas pu statuer en connaissance des impacts environnementaux de l’urbanisation projetée. Ce faisant, et estimant que le vice de procédure ainsi créé ne pouvait être réparé à un stade ultérieur, le tribunal administratif annula le PAG pour le site Kennedy Sud.

Ce jugement étant toujours susceptible d’appel, il est toutefois à prendre en considération avec la prudence qui s’impose.

Il comporte cependant l’avertissement clair aux communes du pays que la volonté d’urbanisation ne peut se faire en méconnaissance des conséquences environnementales et en violation du droit de l’Environnement.

 

 

 Me Sébastien COUVREUR - Avocat à la Cour

 

 

 

 

 

 

Retour sommaire