Droit immobilier

Les constructions « légalement existantes » en zone verte : le tribunal administratif vient préciser les pouvoirs du ministre de l’Environnement

Les constructions « légalement existantes » en zone verte : le tribunal administratif vient préciser les pouvoirs du ministre de l’Environnement


L’article 7 de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles traite des règles s’appliquant aux constructions existantes et fournit des réponses aux propriétaires souhaitant rénover, transformer ou agrandir une construction légalement existante :

 

« (2) Les constructions légalement existantes situées dans la zone verte ne peuvent être rénovées ou transformées matériellement qu’avec l’autorisation du ministre. La destination est soit maintenue soit compatible avec l’affectation prévue à l’article 6 », c’est-à-dire des activités d’exploitation agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel.

 

Ledit article prévoit encore :

 

« (3) Les constructions légalement existantes dans la zone verte ne peuvent être agrandies qu’avec l’autorisation du ministre et à condition que leur destination soit compatible avec l’affectation prévue à l’article 6. (…) ».

 

L’article définit les constructions légalement existantes dans la zone verte comme suit : « les constructions qui ont été autorisées par le ministre et qui ont fait l’objet d’exécution conforme à toutes les autorisations délivrées par le ministre, ou qui ont été légalement érigées avant toute exigence d’autorisation du ministre, et dont tous travaux postérieurs à la première érection ont été dûment autorisés et légalement effectués ». Une construction légalement existante est donc une construction dument autorisée et conforme aux autorisations y relatives ou qui a été construite sans autorisation, à une époque où aucune autorisation n’était requise mais dont les travaux postérieurs ont bien été autorisés.

 

L’article poursuit en prévoyant que :

 

« (4) Pour les constructions situées dans la zone verte aucun changement de destination ne sera autorisé s’il n’est pas compatible avec les affectations prévues par l’article 6 ».

 

A cet égard, la Cour administrative[1] a retenu ceci :

 

D’une part, il y a les bâtiments construits sur des parcelles actuellement classées en zone verte qui, à l’époque de leur construction, ne requéraient aucune autorisation. C’est pour cela qu’en zone verte, il existe actuellement des immeubles ne répondant pas à l’affectation requise par la loi sur la protection de la nature.

 

D’un autre côté, depuis l’entrée en vigueur des premières législations en matière de protection de la nature et des ressources naturelles, il a été prévu qu’en zone verte, les immeubles à ériger doivent répondre à l’affectation visée par la loi.

 

En somme, dans la zone verte, seuls des immeubles dont l’affectation est conforme à la loi peuvent être autorisées pour l’avenir.

 

Néanmoins, les bâtiments dont l’affectation ne répond pas à ce principe peuvent être maintenus, mais un changement d’affectation pour l’avenir ne saurait être autorisé vers une nouvelle affectation non visée par la loi.

 

Pour ces constructions maintenues, un changement d’affectation vers une activité autorisable en zone verte est évidemment réalisable.

 

Plus récemment, le Tribunal administratif, dans un jugement du 1er avril 2020, n° 41534 du rôle a tranché un litige concernant une décision implicite de refus du ministre de l’Environnement pour l’agrandissement d’une étable pour vaches laitières et d’autres travaux sur des parcelles sises en zone verte dans la commune de Grosbous. Ce jugement est très intéressant en ce qu’il rend possible l’agrandissement d’une construction illégale en zone verte, sous réserve de certaines conditions.

 

Le ministre a justifié son refus (en cours de procédure) par le fait que l’étable pour vaches laitières comprenaient des éléments construits illégalement, sans autorisation ministérielle (modifications constructives substantielles, notamment à des fins de logement de personnes). Dès lors, pour le ministre, l’étable pour vaches laitières ne pouvait être considérée comme légalement existante au sens de l’article 7 de la loi du 18 juillet 2018, c’est pourquoi il aurait refusé en bloc les travaux et constructions projetés sous réserve de l’introduction de plans ne reprenant pas les éléments construits illégalement.

 

Le tribunal a retenu que :

 

« Pour ce qui est tout d’abord de la motivation invoquée par la partie étatique pour justifier la décision ministérielle de refuser d’autoriser les travaux et constructions projetés (…) et qui sont détachables de l’étable pour vaches laitières, force est au tribunal de constater que, dans la mesure où il n’est pas contesté que lesdits travaux et constructions sont, de l’aveu de l’Etat, autorisables (…), c’est à tort que le ministre a refusé de délivrer une autorisation afférente uniquement pour ne pas s’être vu remettre des plans ne contenant aucune référence aux … sur lesquelles est érigée l’étable pour vaches laitières, la partie étatique restant en défaut d’invoquer la moindre disposition légale ou réglementaire de nature à justifier un refus sur cette seule base ».

 

« (…) rien n’empêcherait le ministre d’accorder ladite autorisation, tout en mentionnant que celle-ci ne vaudrait pas régularisation de l’éventuel changement d’affectation de la partie de l’étable à vaches laitières ayant fait l’objet d’une affectation non conforme à l’autorisation ministérielle initialement accordée, ni régularisation des deux ouvertures de fenêtres litigieuses ».

 

Les juges ont ainsi décidé de réformer la décision ministérielle et d’accorder purement et simplement l’autorisation pour les travaux autorisables autres que les travaux concernant l’étable.

 

Pour ce qui est des travaux concernant l’étable litigieuse, le Tribunal a constaté que la demande d’agrandissement ne visait pas la partie de l’étable contenant les éléments mis en place illégalement mais des parties de la construction dont il n’est pas contesté que l’affectation a toujours été conforme à l’autorisation.

 

« Certes, (…) le ministre ne peut autoriser que l’agrandissement d’une construction légalement existante (…), à savoir une construction qui, au moment où le ministre est amené à prendre sa décision, (…), a été autorisée par l’autorité compétente et qui a fait l’objet d’une exécution conforme à toutes les autorisations délivrées par ladite autorité, respectivement, qui a été érigée avant toute exigence d’une autorisation et dont tous les travaux postérieurs à la première mise en place ont été dûment autorisés et légalement effectués. Ledit texte n’exclut toutefois pas que le ministre puisse régulariser une construction ne répondant pas à la définition de « construction légalement existante », si, par exemple, les conditions légales en vue d’une telle régularisation sont remplies, sinon qu’il puisse autoriser un agrandissement d’une construction qui, (…), n’est pas en tous points conforme à une autorisation ayant été accordée, en assortissant son autorisation de la condition plus particulièrement que la construction soit préalablement mise en conformité avec l’autorisation y relative, notamment par le biais d’une remise en pristin état des éléments, le cas échéant, mis en place illégalement ou de la cessation de l’affectation, le cas échéant, non conforme à celle autorisée ».

 

En l’espèce, le Tribunal a considéré qu’une remise en pristin état était aisément faisable et a dès lors accordé l’autorisation de procéder à l’agrandissement de l’étable, sous réserve toutefois que l’étable soit mise en conformité avec l’autorisation y relative et sans préjudice d’une éventuelle demande de régularisation ultérieure.

 

Cette autorisation conditionnée est parfaitement circonstanciée ; là où le ministre avait décidé de refuser tout en bloc, les juges ont opéré une analyse concrète de la situation afin d’apporter une réponse adéquate.

 

C’est là que réside tout l’intérêt pour un justiciable de bénéficier du droit d’introduire un recours en réformation, permettant au juge de substituer aux décisions administratives contestées devant lui ses propres décisions.

 

La nouvelle loi du 18 juillet 2018 a toutefois supprimé le droit au recours en réformation ; désormais, seul un recours en annulation pourra être introduit, ce qui constitue sans conteste une régression de la protection juridique accordée aux propriétaires concernés et aux tiers intéressés, eu égard aux situations complexes présentées devant les juges demandant des solutions différenciées et circonstanciées.

 

Ce triste constat est à observer également dans le cadre notamment du projet de loi relatif au patrimoine culturel.

 

Dans le cadre de l’affaire précitée, la demanderesse avait sollicité que les juges posent une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle à propos de la suppression du recours en réformation mais dans le cas d’espèce, cette demande n’était pas fondée puisque c’est la loi antérieure à celle du 18 juillet 2018 qui s’appliquait encore.

 

Il est cependant fort probable qu’une telle demande soit réitérée à l’avenir dans le cadre d’autres dossiers.

 

Affaire à suivre donc …

 

 Me Raffaela FERRANDINO - Avocat.
Me Sébastien COUVREUR - Avocat à la Cour.



[1] CA 21-6-16 (37592C); TA 10- 7-17 (37938)

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