Droit immobilier

Protection des sols et gestion des sites pollués : avis du Conseil d’Etat.

Protection des sols et gestion des sites pollués : avis du Conseil d’Etat.

 

Déposé le 26 janvier 2018 à la Chambre des Députés, l’ambitieux projet de loi avait pour objectif notamment de clarifier les dispositifs légaux existants en la matière, qui relevaient tantôt du champ d’application de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés, tantôt de celui de la loi modifiée du 21 mars 2012 relative aux déchets, voire de la loi modifiée du 20 avril 2009 relative à la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.

 

Les auteurs du texte avaient en effet, et à raison, épinglé le fait que « Actuellement, les dossiers de sites pollués sont gérés par le biais des législations relatives aux établissements classés et aux déchets. Ni l’une ni l’autre de ces lois n’ont cependant la finalité de gérer ce genre de dossiers et l’application de leurs dispositions à cette fin donne lieu à des incohérences et des blocages. La directive européenne relative aux déchets reconnaît que les sites pollués ne sont pas à considérer comme un déchet. Mais en l’absence de cadre juridique luxembourgeois, les sites pollués continuent à être considérés comme des déchets. Ceci mène régulièrement à des insécurités juridiques, comme témoigné par les nombreux litiges portés devant nos juridictions ».

 

Le projet de loi n° 7237 a ainsi pour objet d’introduire en droit luxembourgeois des procédures et mécanismes visant à la protection du sol, à l’instar de ce que prévoient d’autres législations sectorielles, comme en matière de protection de l’eau ou de l’air.

 

Il est ainsi prévu :

 

- L’institution d’un « plan national de protection du sol », considéré comme d’"utilité publique" et qui serait publié au journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg ;

 

- L'introduction d'un cadre pour stimuler l’assainissement de terrains (potentiellement) pollués en donnant un statut particulier à la personne ou société qui veut réaliser le projet par le biais d'une démarche volontaire qui vise à encourager la réutilisation des terrains pollués ;

 

 - La définition de devoirs (obligations de moyen renforcées ?) généraux de diligence et d'information à charge des propriétaires de terrains dans lesquels se trouvent des pollutions, respectivement des exploitants d'établissement, sinon de toute personne exerçant des activités ou des travaux sur ou dans le sol susceptible de porter atteinte à la qualité du sol, le tout sous peine de sanctions pénales ;

 

 - La constitution d'un registre d'information (sur base de l’actuel CASIPO, remanié) disponible au public, comprenant notamment les sites potentiellement pollués, les sites ayant fait l'objet d'une étude de pollution de sol et les sites ayant un certificat de contrôle du sol valide. Ledit registre devrait obligatoirement être consulté avant la réalisation de travaux d'excavation de terres d'un volume de plus de 100m3, en cas de changement de type d'usage d'un terrain (par exemple d'industriel à habitation), ou encore avant l'entrée en procédure des POS, PAG ou PAP ;


- L'obligation de reprendre, sous peine de nullité (relative ou absolue ?), dans tout acte de vente, respectivement tout compromis de vente, une section relative à la pollution du sol du terrain concerné ;

 

 - Des précisions sur les responsabilités et titulaires d'obligations en matière de gestion des sites pollués ou potentiellement pollués (le volontaire, l'auteur ou l'auteur présumé de la pollution, le propriétaire du terrain, etc.) et les possibilités d'exonération de responsabilité pour ces acteurs ;

 

 - Des mesures relatives à l'assainissement des sites pollués et la procédure à suivre.

 

 

***

 

 

Le Conseil d’Etat vient d’émettre son avis, relativement critique, le 11 février 2020, soit plus de deux ans après le dépôt de ce projet de loi à la Chambre des Députés.

 

Les sages y formulent plusieurs oppositions formelles, principalement justifiées par des considérations de sécurité juridique, respectivement de respect des dispositions constitutionnelles relatives au droit de propriété et à la liberté de commerce et d’industrie.

 

Ainsi, à titre de remarque générale, la Haute Corporation exposa ce qui suit :

 

« Le  Conseil  d’État  déplore  cependant  que  les  bonnes  intentions  des  auteurs  aient  été  concrétisées  dans un dispositif imprécis et illisible. La terminologie imprécise employée par les auteurs, la structure du texte et le manque de précision des procédures que la loi en projet entend fixer entachent la qualité et le degré de précision du dispositif. En outre, le Conseil d’État a constaté, à plusieurs endroits du texte, une délimitation imprécise, voire incohérente des pouvoirs confiés au ministre ayant l’Environnement dans ses attributions par rapport à  ceux  confiés  à  l’Administration  de  l’environnement.  Le  Conseil  d’État  s’y  oppose  d’ores  et  déjà  formellement  pour  des  raisons  de  sécurité  juridique,  à  toutes  les  occurrences  du  texte  en  projet.  Il  y  reviendra lors de l’examen des articles. ».

 

En ce qui concerne plus précisément le projet de plan national de protection du sol, la Haute Corporation releva qu’il n’était pas clair si celui-ci, respectivement les programmes d’action qui peuvent y être associés, ont un caractère normatif ou non. Pour ces raisons, le Conseil d’Etat a émit à ce sujet une opposition formelle.

 

A propos du registre d’information, le Conseil d’Etat estima, tout en formulant des oppositions formelles, que l’inscription d’un terrain dans cette base de données « risque d’entraîner pour le propriétaire des servitudes qui constituent un changement dans les attributs de la propriété qui est à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels ». Aussi, il considéra que la procédure d’établissement dudit registre devait être bien plus nettement encadrée procéduralement, dans le respect du principe de sécurité juridique et de proportionnalité.

 

Sur les obligations à respecter dans le cadre d’un acte de vente ou d’un compromis de vente, le Conseil d’Etat incita les auteurs du projet de loi à réfléchir à l’extension de celles-ci à d’autres formes de mises à disposition d’un terrain, telles le bail, l’emphytéose ou le droit de superficie.

 

Par rapport aux obligations incombant aux volontaires, aux auteurs de la pollution, respectivement aux propriétaires de terrains potentiellement pollués, en termes de réalisation d’étude diagnostique, d’étude approfondie et d’assainissement, le Conseil d’Etat formula encore plusieurs oppositions formelles basées sur le principe de sécurité juridique, en épinglant principalement les risques d’interprétation des textes projetés, dus au manque de précision de ceux-ci.

 

Au vu des nombreuses remarques présentées par la Haute Corporation, le texte de loi devra être remanié en profondeur. Toutefois, il demeure d’un intérêt majeur pour voir clarifié la situation juridique des sites et terrains (potentiellement) pollués au Luxembourg, raison pour laquelle nous suivront attentivement son évolution dans les prochains mois.

 

 Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour

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