Droit immobilier

Une réponse juridique à Madame la ministre Carole Dieschbourg

 

Une réponse juridique à Madame la ministre Carole Dieschbourg

 

 

L’affaire est médiatique. Inutile de revenir sur tous les faits. En substance, il est reproché au bourgmestre démissionnaire de Differdange (mais toujours député, allez comprendre…) d’avoir réalisé des travaux non-autorisés en zone verte, en zone natura 2000 et en zone protégée d’intérêt national « Prenzebierg », sur une espèce de « chalet » lui appartenant, nommé prudemment « abri de jardin » (tous les propriétaires de jardins pourront consulter sur les sites d’information les photos de la chose et se convaincre du qualificatif qu’il convient d’y apporter).  

 

Le 8 juillet 2019 le préposé de la nature et des forêts aurait constaté des travaux non autorisés, et sommé le maître d’ouvrage de les arrêter sur le champ. Le lendemain, une demande d’autorisation aurait été introduite et dès le 12 août 2019, l’autorisation fut accordée par Madame Dieschbourg.

 

L’autorisation en question expose notamment :

 

« Les travaux de rénovation de l’abri de jardin (…) seront effectués conformément à la demande soumise, à savoir :

- la mise en place d’un bardage en bois de douglas sur les quatre côtés de l’abri (…) 

- le remplacement de trois fenêtres existantes. Une quatrième fenêtre sur le côté sud de l’abri sera fermée à l’aide de briques ;

- le remplacement de l’ancienne toiture à l’aide d’une nouvelle toiture réalisée en tôle de couleur gris-ardoise non reluisante ».


Peu de personnes peuvent se targuer d’avoir obtenu une autorisation de Madame la ministre de l’Environnement pour la construction d’un tel « abri de jardin », avec pareil gabarit, avec fenêtres, et toiture à deux versants, et ce dans un tel délai… Peu de personnes peuvent se vanter d’avoir obtenu  des autorisations tout court – et ce même pour des ouvrages compatibles avec la zone verte, tels des constructions agricoles ou sylvicole – dans une zone natura 2000, ou dans une zone protégée d’intérêt national…

 

En revanche, beaucoup de personnes pourraient raconter comment leurs terrains, constructibles suivant le PAG de leur commune, ont du être reclassés en zone verte dans le cadre de la refonte du PAG sous l’insistance du ministère de l’Environnement. Beaucoup de propriétaires de maisons légalement existantes en zone verte pourront raconter leurs difficultés pour obtenir une autorisation de rénovation… Bref, revenons à nos moutons…

 

L’ « abri de jardin » en débat se situe dans la zone A du règlement grand-ducal du 20 novembre 1991 déclarant zone protégée la réserve naturelle Prenzebierg englobant des fonds sis sur le territoire des communes de Differdange et de Pétange. L’article 3 du règlement grand-ducal précité expose :

 

« Dans la réserve naturelle proprement dite (partie A) sont interdits (notamment) :

- toute construction incorporée au sol ou non; ».

 

Madame la ministre, pour justifier la dérogation à l’interdiction précitée, s’empare de l’article 5 du règlement grand-ducal précité qui expose :

« Les dispositions des articles 3 et 4 ne concernent pas les mesures prises dans l'intérêt de la conservation de la zone protégée et de sa gestion.

Ces mesures sont toutefois soumises à l'autorisation du ministre ayant dans ses attributions la protection de la nature et des ressources naturelles ».

 

En somme, Madame la ministre prétend que l’autorisation permettant de pérenniser l’ « abri de jardin » légalement inexistant, accordée à Monsieur Traversini a été accordée « dans l’intérêt de la conservation de la zone protégée et de sa gestion ».

 

Chaque citoyen pourra se faire sa propre opinion sur la pertinence de cette affirmation. Il faudra néanmoins que Madame la ministre explique en quoi les travaux réalisés sur l’ « abri de jardin » sont bénéfiques pour la conservation de la zone protégée et sa gestion…

 

L’ « abri de jardin » se situe également dans la zone verte, suivant la loi du 18 juillet 2018. En zone verte, la rénovation des constructions existantes qui ne sont pas compatibles avec les affectations admissibles en zone verte (seules les constructions affectées à un usage agricole, horticole, maraîchère  viticole, ou d’utilité publique, sont admises, et sous certaines conditions strictes) n’est possible que si les constructions concernées sont « légalement existantes ». On vise par là les « constructions qui ont été autorisées par le ministre et qui ont fait l’objet d’exécution conforme à toutes les autorisations délivrées par le ministre, ou qui ont été légalement érigées avant toute exigence d’autorisation du ministre, et dont tous travaux postérieurs à la première érection ont été dûment autorisés et légalement effectués » (article 7 de la loi de 2018).

 

Le chalet de Monsieur Traversini ne serait pas légalement existant. Aucune autorisation n’a pu être trouvée jusqu’alors pour justifier son existence.

 

En direct sur RTL, ce 30 septembre 2019 vers 14h30, Madame la ministre Carole DIESCHBOURG a, pour contourner le problème ci-avant exposé, prétendu que l’autorisation de rénovation accordée se serait fondée sur l’article 7 (1) de la loi du 18 juillet 2018 qui énonce :

 

« (1) Lorsqu’une construction existante située dans la zone verte compromet le caractère d’un site, le ministre peut ordonner que son aspect extérieur soit modifié de façon qu’elle s’harmonise avec le milieu environnant ».

 

Invoquer une telle base légale comme donnant prétendument la possibilité à la ministre de l’Environnement de déroger aux interdictions figurant par ailleurs dans la loi précitée, donne beaucoup de perspectives intéressantes… Comme Madame la ministre traite les dossiers de manière identique, l’on s’imaginera que chaque construction n’étant pas légalement existante en zone verte, pourra désormais être entièrement rénovée sur base la disposition que la ministre a publiquement invoqué. Beaucoup de propriétaires d’habitations non légalement existantes en zone verte, vont se réjouir de cette possibilité nouvelle...

 

Conclure en ce sens, d’une manière évidemment un brin provocatrice, serait toutefois omettre totalement la ratio legis de ce texte et validerait un pouvoir arbitraire de Madame la ministre qu’elle n’a, ne lui déplaise, en principe pas.

 

Il est clair tout d’abord que les auteurs de la loi précitée n’entendaient pas conférer à la ministre un tel pouvoir dérogatoire, pour admettre la rénovation de constructions non légalement existantes :

 

« Les auteurs du projet de loi entendent expliquer les raisons de faire une différence entre les constructions  érigées  avec  autorisation  et  les  constructions  érigées  sans  autorisation,  ou  autrement  dit  la  distinction effectuée entre les „constructions légalement autorisées“ et celles qui ne le sont pas. La logique de réflexion en matière de protection de la nature n’est pas la même logique que celle des constructions érigées ou non sans autorisation à l’intérieur du périmètre, alors qu’en zone verte par définition les constructions sont interdites, sauf autorisation. A l’intérieur du périmètre c’est le raisonnement inverse, les constructions sont permises, sous réserves du respect de certaines dimensions.


C’est dans le cadre que les auteurs du projet de loi précisent qu’il n’est pas possible de délivrer des autorisations sans avoir égard au fait de savoir si la construction a été ou non autorisée. Dans la mesure où une autorisation est une dérogation au principe général d’interdiction de construire, les auteurs du projet de loi refusent d’autoriser quelque chose qui n’a pas été autorisé, comme des maisons de week-end qui n’ont pas de lien fonctionnel avec la zone » (Doc. Parl. n° 7048, commentaire des articles, p. 59).

 

Ensuite, il convient d’observer que l’article 7 (1) de la loi du 18 juillet 2018 tire son origine de l’article 1.3 de la Loi  du  27  juillet  1978  portant  modification  de  la  loi  du  29  juillet  1965  concernant  la  conservation  de  la  nature  et  des  ressources  naturelles.

 

Or, curieusement, à notre connaissance, ce texte (ou sa reprise à l’identique dans les législations ultérieures) n’avait jamais été invoqué jusqu’alors pour justifier une dérogation aux interdictions de construction, de transformation ou de rénovation imposées par ailleurs, de sorte à s’appliquer, somme toute, en faveur de l’administré concerné. L’autorisation accordée à Monsieur Traversini ne semble donc pas si habituelle que cela, s’il faut pour la justifier, dépoussiérer un texte de 1978.

 

Les travaux préparatoires de la loi du 27 juillet 1978 exposent que « Ce texte s’applique aux constructions existantes qui compromettent plus ou moins gravement l’harmonie du paysage environnant. Le  Ministre pourra dès lors ordonner des mesures peu coûteuses (couleurs, toitures, plantations pour l’aménagement des alentours) aux fins de rétablir l‘harmonie avec le milieu naturel environnant » (Doc. Parl, n° 1729, commentaire des articles, p. 2904). Dans son avis, le Conseil d’Etat a exhorté que ce pouvoir d’ordonner aux propriétaires concernés des modifications à apporter à leurs biens situés en zone verte soit manié avec « sagesse et pondération » : « La question se  pose si  le pouvoir accordé au Ministre d’ordonner des modifications à l’aspect extérieur des constructions existantes ne peut pas conduire à des décisions trop onéreuses pour les propriétaires. L’exposé des motifs souligne qu’il ne pourra s’agir que de mesures peu coûteuses. A son tour, le Conseil d’Etat insiste sur cette restriction qui conditionne son approbation au texte. Il attend donc que le nouveau pouvoir ministériel sera manié avec sagesse et pondération » (Avis du Conseil d’Etat du 29 mai 1975, Doc. Parl, n° 1729).

 

Le verbe ordonner, signifie, dans le sens qu’il convient de lui donner ici, « commander quelque chose (à quelqu'un), donner un ordre » (Larousse.fr).

 

En l’espèce, Madame la ministre de l’Environnement n’a rien ordonné à Monsieur Traversini. Elle a répondu à une sollicitation, à une demande d’autorisation formulée le 9 juillet 2019, en délivrant une autorisation sur requête du propriétaire. L’article 7 (1) de la loi précitée n’est pas une base légale pour la délivrance de l’autorisation à Monsieur Traversini. Prétendre le contraire, revient à ouvrir la porte à l’arbitraire : quand Madame la ministre va-t-elle ordonner les travaux désirés par le propriétaire d'un bien en zone verte et quand va-t-elle lui rejetter cette possibilité ? Sur quelle base ?

 

Prétendre le contraire, revient aussi, et surtout, à prendre l’administré pour un sot, que l’on peut balader au gré des interprétations juridiques hasardeuses.

 

Au fond, dans toute cette affaire, le scandale n’est sans doute pas tant le scandale en lui-même, mais le traitement qui lui est réservé par ceux qui en sont responsables. L'on tente de mettre, à coup d'interprétation juridiques douteuses, l'affaire sous le tapis. Et l'administré n'y verra que du feu.

 

Cela dit, dorénavant, chaque citoyen devrait s’attendre à ce que son dossier soit traité de la même façon, suivant la « procédure Traversini », suivant la procédure réservée aux dossiers « normaux », avec des délais de procédure « normaux », et des facultés de dérogation « normales ». 


Tel devrait être le cas dans un Etat de droit respectant notamment le principe d’égalité de traitement. Ici cependant, rien n'est moins sûr...

 

 

 

Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour

 

 

[Les développements dans le cadre du présent article n’engagent que l’opinion de son auteur.]

 

 

 

 

 

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