Droit immobilier

Arbres, mes très chers arbres...

Arbres, mes très chers arbres...

 

Le droit de l’environnement est en évolution constante et ce de manière exponentielle. Réchauffement climatique, efficacité énergétique des bâtiments, qualité et recyclage des matériaux de construction, protection des espèces de la faune et de la flore en péril, nécessité de préserver – fut-ce pour la qualité urbanistique des localités – des espaces verts publics et privés apportant une plus-value écologique au sein des futurs quartiers/îlots, … Nul professionnel de l’immobilier ne peut ignorer l’incidence de la législation environnementale dans la pratique. Quant à la prise en considération de l’environnement naturel dans le cadre des projets immobilier, cette nécessité ne fait pas débat.

 

Mais ce qui fait débat, c’est l’incidence de plus en plus incisive du droit de l’environnement sur le droit de la construction, les insécurités juridiques et de planification qu’il induit. Les principes régissant le droit de propriété sont clairs, et réaffirmés régulièrement par les juridictions administratives :

 

« Le caractère strict des dispositions du plan d’aménagement général faisant partie des règles de police communale signifie  que  pour les  parties  non  réglementées  le principe  de liberté doit  prévaloir  et  que  cette liberté,  notamment  par  rapport  aux  attributs  du droit de propriété, dont  le  droit  de  construire,  ne se  trouve  restreinte,  essentiellement  dans un but d’intérêt général, que dans les limites strictes de ce que prévoit la réglementation d’urbanisme afférente » (Cour adm., 26 novembre 2009, n° 25790C et 25847C du rôle, Pas. adm. 2017, V° Urbanisme, n° 31.).

 

Jugé partant que « Le bourgmestre, appelé à statuer sur une demande de permis de construire, agit dès lors en organe d’exécution et s'il refusait un permis de construire pour une construction dont la mise en place ne serait point empêchée par la réglementation communale d'urbanisme existante, il suspendrait de ce fait l’exécution même de ladite réglementation, sinon encore rendrait de fait non constructible une parcelle ayant vocation à recevoir des constructions, pareille façon de procéder n'étant pas seulement prohibée par la loi, mais encore contraire à l’essence même des attributions exécutives du bourgmestre en la matière » (T.A., 11 juin 2018, n° 39143 et les références y citées).

 

 

Or, le droit de l’Environnement implique à son tour des limitations au droit de propriété, limitations qui, elles, ne sont pas strictement encadrées, mais au contraire, qui appellent des notions aux contours flous, qui confèrent aux instances compétences en matière d’Environnement des marges d’appréciation importantes, qui, dans la pratique, tournent parfois à l’arbitraire. Ceci pose la question de la conformité de ces restrictions vis-à-vis de l’article 16 de la Constitution. Ne faut-il pas considérer que les servitudes d’utilité publique pouvant affecter certains terrains (interdiction de destruction de biotopes, sauf exceptions), sont à leur tour d’interprétation stricte en ce qu’elles portent atteinte au droit de propriété constitutionnellement garanti ?

 

Dans le contexte ci-avant tracé, l’analyse de la problématique des biotopes et des habitats d’espèce protégés revêt un intérêt tout particulier, car elle constitue une épée de Damoclès pour nombre de projets immobiliers. L’attitude fluctuante du ministère de l’Environnement dans ce domaine, l’appréciation au cas par cas, suivant le projet concerné, sa situation, les acteurs impliqués, le caractère scientifique du sujet, l’attitude des bureaux d’étude agréés, tout cela influe sur les solutions à apporter et complexifie encore grandement la compréhension de cet imbroglio législatif par les professionnels de l’immobilier.

 

Si la protection de l'environnement fait du sens, la rigidité actuelle et l'insécurité juridique qu'elle induit génère un effet pervers : il est hautement déconseillé de créer ou de laisser grandir des éléments naturels sur son terrain qui viendraient par la suite à être considérés comme des biotopes protégés. Cela revient à créer soi-même une servitude d'utilité publique sur son fond, limitant ainsi son droit de propriété...

 

Il n’est en outre plus rare que les promoteurs se voient confronté à des situations ubuesques, frôlant l’abus de droit. Un projet de lotissement, un projet de construction, néanmoins autorisés, peuvent se voir bloquer au stade de leur mise en œuvre en raison de prétendues nécessité de conserver une rangée d’arbres, une haie, de prétendus espaces de vie ou de chasse de certaines espèces protégées, un arbre prétendument remarquable, etc. A l’inverse, l’on se surprend parfois à constater les différences de traitement au niveau de l’exigence de précision des études environnementales au stade de l’élaboration des PAG (SUP), certaines communes étant astreintes au respect d’analyses globales, longues, approfondies, recouvrant de multiples espèces de la faune ou de la flore protégées, tandis que d’autres semblent échapper à cette rigueur, en pouvant se contenter de se référer à de simples études partielles, voire même à réutiliser des études environnementales sommaires et quelque peu « up to date ».

 

Si le mécanisme du paiement des points de compensation prévu par la loi du 18 juillet 2018 devait en partie apporter aux développeurs de projets immobiliers la sécurité juridique que cette activité requiert, force est cependant de constater dans la pratique que les choses ne sont pas aussi roses que sur papier. Le ministère invoque ainsi, ça et là, d’autres bases légales, telles que les articles 21 et 27 pour refuser le paiement de la taxe compensatoire dans les pools de compensation, et pour exiger des mesures alternatives, non prévues directement prévues par la loi..

 

Sans rentrer dans tous les détails juridiques de ce long sujet, il nous a paru intéressant de retracer la question des biotopes protégés au Luxembourg en plusieurs actes clefs.

 

 

1. Acte I : Le cadastre des biotopes protégés.


Suivant le ministère de l’Environnement, « le cadastre des biotopes des milieux ouverts en zone verte a été réalisé par des bureaux d'études et des experts indépendants sous contrat direct avec le Ministère en charge. La coordination des travaux de terrain a été assurée par les stations biologiques, les parcs naturels et la Fondation Hëllef fir d'Natur. Les inventaires de terrain ont été réalisés entre 2007 et 2012 »… dans la quasi-totalité des cas, à l’insu des propriétaires concernés.

 

Ce cadastre est sensé indiquer les biotopes protégés par l’article 17 de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles (respectivement de son équivalent prévu initialement par la loi du 19 janvier 2004).

 

Ledit article expose, en substance, l’interdiction de réduire, de détruire ou de détériorer les biotopes protégés, sauf exceptions strictement encadrées par la loi et moyennant le paiement de taxes de compensations environnementales.

 

Pour les zones constructibles (au sein du « périmètre d’agglomération »), l’inventaire des biotopes est réalisé en collaboration avec les bureaux d’études contractés par les communes dans le cadre de la mise à jour de leur Plan d’aménagement général (PAG).

 

Il s’est posé en justice la question de la valeur juridique de ces cadastres des biotopes protégés.

 

Les juridictions administratives ont estimé que le cadastre des biotopes ne constituait nullement une preuve de la présence sur un terrain donné d’un biotope, cette preuve devant être rapportée in concreto :

 

« Dépourvu de  valeur  juridique  propre,  le  cadastre  des  biotopes s’analyse dès  lors en un outil de  simplification administrative, librement  consultable  sur internet, qui,  en tant  que guide  de  référence, est non seulement censé permettre de faciliter l’action des agents du département  de  l’Environnement,  notamment  pour déceler   les   zones   à   risque,   mais également d’avertir  les  propriétaires  de  terrains  de  l’existence  de  zones  susceptibles de tomber dans le champ d’application des dispositions protectrices de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004. Dans  la  mesure  où  il  sert  à localiser  des  biotopes,  le  cadastre  est  encore  constitutif d’un  outil  de  travail  qui  peut  orienter  les  autorités,  et  notamment  le  ministre  ayant l’environnement dans ses attributions, dans le cadre de leurs prises de décisions. En effet, tel que cela est renseigné sur le site internet librement consultable du département de l’Environnement, l’une  des  missions  assignée  au cadastre est  celle  de servir  de  base  de planification  importante  dans  le  cadre  de  l’évaluation  des  propositions  relatives  aux modifications  de  plans  d’aménagements  généraux,  soumis  pour  approbation  au  ministre ayant l’environnement dans ses attributions, de sorte à permettre de faciliter les procédures d’autorisation tout en permettant de fonder les décisions du ministre sur des données fiables.


Si  le  ministre  peut dès  lors se  baser  sur  le  contenu  du  cadastre  pour  identifier factuellement  des  biotopes,  il  n’en  demeure  pas  moins  que,  confronté  à  une  demande spécifique d’un administré à laquelle il entend opposer que  le  terrain  concerné  constitue un biotope tombant  sous les  dispositions  protectrices de l’article 17 précité pour refuser  de  faire droit à cette demande, le ministre sera tenu à chaque fois d’analyser et de justifier in concreto l’existence d’un site ou de végétation méritant la qualification de biotope,  sans  pouvoir  se retrancher   derrière   les   seules données factuelles figurant   au   cadastre   pour   qualifier automatiquement un terrain donné de biotope. Il en découle que le cadastre des biotopes n’est pas  de  nature  à  produire  par  lui-même  des  effets  contraignants et qu’il ne peut être qualifié d’acte administratif  individuel  de nature  à  faire grief, ni d’ailleurs d’acte réglementaire à portée générale, étant à cet  égard  encore  relevé  que les sanctions prévues à l’article 64 de la loi  du 19 janvier 2004 en cas d’infraction aux prescriptions de ladite loi s’appliquent à partir du moment où l’existence d’un biotope est concrètement retenue et où il est établi in concreto que  celui-ci a  été réduit, détruit ou changé en violation de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004, et ce indépendamment de l’existence ou non d’un cadastre ayant identifié et localisé le biotope en question. D’autre part, le seul fait qu’un biotope n’a pas été localisé sur un terrain donné,  ni  matérialisé  par  le biais  du  cadastre  ne  signifie pas pour  autant  que ledit terrain ne tomberait pas dans le champ d’application des dispositions protectrices de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004 » (T.A., 3 février 2016, n° 35314 du rôle ; C.A., 16 février 2017, n° 38207C - nous mettons en évidence).

 


2. Acte II : Le principe de légalité des peines


La Cour constitutionnelle fut appelée à toiser d’une affaire dont les faits étaient les suivants :

 

Monsieur X, fut condamné à une amende de 250 € ainsi qu’au rétablissement des lieux dans leur pristin etat pour infractions aux articles 17 et 64 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 relative à la protection de la nature et des ressources naturelles pour avoir, sans disposer d’une dérogation du Ministre compétent, - réduit, détruit sinon changé un « biotope » et plus particulièrement pour avoir abattu un arbre de type noyer (juglans regia) et - détruit ou détérioré un habitat de l’espèce visée à l’annexe 2 de la loi, à savoir de l’espèce des Chiroptera (chauve-souris, Fledermäuse).

 

La Cour constitutionnelle fut saisie d’une question préjudicielle libellée comme suit :

 

« L’article 17 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 relative à la protection de la nature et des ressources naturelles est-il conforme à l’article 14 de la Constitution en ce qu’il ne définit pas le terme de « biotope » mais se limite à en illustrer la portée par une liste non limitative d’exemples ? ».

 

Dans son arrêt du 6 juin 2018, n° 00138 du registre, la Cour répondit comme suit :

 

« Considérant que le principe de la légalité de la peine consacré par l’article 14 de la Constitution a comme corollaire celui de la spécification de l’incrimination ;


Considérant que le principe de la légalité de la peine implique partant la nécessité de définir dans la loi les infractions en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire et permettre aux intéressés de mesurer exactement la nature et le type des agissements sanctionnés ;


Considérant que le terme « biotope » formé à partir des mots grecs « bios » signifiant « vie » et « topos » signifiant « lieu » pourrait a priori se rapporter à tout endroit quelconque du globe terrestre en tant que lieu de vie, tandis que dans la science biologique il vise plus restrictivement une aire prêtant un cadre de vie adéquat à des espèces animales ou végétales déterminées, au sens de « Lebensraum » ;


Considérant que l’absence de définition du terme « biotope » au niveau de la loi laisse ouverte la porte à nombre d’interprétations portant notamment sur les caractéristiques requises par la loi dans le chef de pareil lieu de vie et les espèces animales ou végétales y trouvant leur cadre de vie ;


Considérant que si cette absence de définition du terme « biotope » n’est pas une cause de difficulté d’application quant aux différents éléments naturels qui sont énumérés à titre d’exemples, l’absence de définition claire et précise reste entière pour les autres éléments naturels, lieux de vie y non énumérés en tant qu’exemples de biotope ;


Considérant qu’il s’ensuit que par rapport à la question préjudicielle posée, l’article 17, alinéa 1er, première phrase de la loi modifiée du 19 janvier 2004 est contraire à l’article 14 de la Constitution pour les lieux de vie y non énumérés en tant qu’exemples de biotope ; » (nous mettons en évidence).

 

Dans une affaire où la Cour administrative se trouvait saisie d’une décision ministérielle de refus prise par rapport à une demande d’autorisation tendant à l’abattage d’arbres composant un verger litigieux, la Cour a estimé que :

 

« Autrement dit, même si la partie étatique avait rapporté la preuve de l’existence de pareil biotope, laquelle preuve, suivant une analyse sommaire, ne résulte pas de l’ensemble des éléments développés devant la Cour, tel que les premiers juges avaient pu le retenir également en cristallisant leur analyse au moment de rendre leur propre jugement, le biotope qui, par hypothèse, aurait alors pu être retenu, aurait été constitué par le verger encore en place et se serait heurté directement au constat d’inconstitutionnalité effectué parla Cour constitutionnelle y relativement dans son arrêt précité du 6 juin 2018 » (C.A., 13 décembre 2018, n° 41111C du rôle). Autrement dit, le verger, n’étant pas visé précisément par la loi comme constituant un biotope, ne pouvait être considéré comme tel et entraîner, en cas de destruction non autorisée, des sanctions pénales.

 

 

Acte III : La loi du 18 juillet 2018 et ses règlements d’exécution

 

Afin de pallier aux inconstitutionnalités mises en évidence par la Cour constitutionnelle, le législateur a, dans le cadre de la loi précitée et de ses règlements d’exécution, tenté de préciser la notion de biotope protégé, respectivement d’habitats d’espèces protégées.

 

L’article 17 de la loi précitée énonce ainsi en son deuxième alinéa que « Un règlement grand-ducal précise les mesures à considérer comme une réduction, une destruction ou une détérioration des biotopes protégés et habitats visés par l’alinéa 1er ».

 

Le règlement grand-ducal en question se trouve être celui du 1er août 2018, établissant les biotopes protégés, les habitats d’intérêt communautaire et les habitats des espèces d’intérêt communautaire pour lesquelles l’état de conservation a été évalué non favorable, et précisant les mesures de réduction, de destruction ou de détérioration y relatives.

 

L’intention était louable, la mise en œuvre est cependant plus laborieuse.

 

En effet, force est de constater que la règlementation est repartie dans des travers justement pointés par la Cour constitutionnelle, laquelle avait conclu au caractère anticonstitutionnel des dispositions de l’ancien article 17 de la loi du 19 janvier 2004…

 

Le règlement précité laisse en effet une marge d’appréciation au ministre de l’Environnement dans l’appréciation d’un élément naturel comme biotope ou non biotope, laissant place à l’arbitraire, ce qui est contraire à l’exigence de légalité des peines prévue par l’article 14 de la Constitution. Plus loin, la compatibilité vis-à-vis de l’article 16 de la Constitution, voire encore de l’article 11 (6) de la Constitution, pourrait être débattue.

 

Par exemple, le règlement grand-ducal précité considère comme biotope protégé au sens de la loi (et donc impliquant potentiellement des sanctions pénales sévères en cas de destruction non autorisée), des « groupes et rangées d’arbres » définis comme :

« Structures  végétales  composées  d’essences  d’arbres  essentiellement  indigènes,  qui  sont remarquables par leur diamètre ou leur fonction de structure paysagère, de corridor écologique ou d’habitat d’espèces d’animaux. Les groupes d’arbres sont formés par au moins 2 arbres, dont les couronnes se touchent ou qui sont éloignés de 10 mètres au maximum. Les rangées d’arbres sont formées par au moins 3 arbres qui sont éloignés de 30 mètres au maximum ».

 

Or, le texte ne définit nullement sur base de quels critères les arbres doivent être jugés remarquables par leur diamètre, leur fonction de structure paysagère, de corridor écologique ou d’habitat d’espèce d’animaux. Le texte ne définit pas non plus ce qu’il faut entendre par les vocables « structure paysagère » ou « corridor écologique » ni même encore quelles espèces d’animaux seraient à considérer, tout arbre pouvant servir de lieu de vie à des animaux généralement quelconques.

 

 

Acte IV : Perspectives


Nous l’avons vu, la nouvelle loi du 18 juillet 2018 n’est pas de nature à mettre fin aux polémiques soulevées devant les juridictions du pays ces dernières années, tandis que la question de la protection des biotopes et des habitats d’espèces protégées est toujours plus préoccupante et insécurisante pour le secteur immobilier, et implique par ailleurs des surcoûts importants pour le développement de projets, ce qui n’arrange en rien l’envolée des prix…

 

 

 Maître Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour

 

 

 

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