Droit immobilier

Qu’est-ce qu’un biotope légalement protégé ?

Me Inès GOEMINNE


Qu’est-ce qu’un biotope légalement protégé ? 

 

 

Dans le cadre d’un recours introduit en date du 14 décembre 2016 contre des décisions rendues par la ministre de l’Environnement, les juges du fond se sont penchés sur la notion de biotope ainsi que sur la preuve de son existence à rapporter par l’administration.

 

En l’espèce, les parties requérantes contestaient une décision prise par la ministre de l’Environnement ayant refusé l’abatage d’arbres et les informant de l’existence d’un biotope sur leur parcelle cadastrale et  leur imposant un regarnissage de la parcelle, ainsi que la décision confirmative de la ministre de l’Environnement faisant suite à l’introduction d’un recours gracieux.

 

Le jugement du tribunal administratif intervenu en date du 28 mars 2018, inscrit sous le numéro 38859 du rôle, a par réformation annulé les décisions de la ministre de l’Environnement.

 

Ce jugement rappelle ainsi qu’il appartient au ministre de procéder à l’identification d’un biotope sur le fondement d’une appréciation in concreto, l’existence d’un biotope résultant d’une situation de fait, d’ailleurs susceptible d’évoluer.

 

En l’espèce, la ministre de l’Environnement avait identifié un verger comme étant un biotope en vertu de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.

 

L’appréciation faite par la ministre de l’Environnement quant à l’existence d’un biotope se fondait sur plusieurs sources : le recensement du site au cadastre des biotopes, sur le résultat d’une analyse sommaire des incidences environnementales réalisé par un bureau d’études, sur une étude réalisée dans le cadre de la Strategische Umweltprüfung (SUP) conformément à la loi du 22 mai 2008 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes  sur l’environnement, en relation avec l’élaboration du PAG de la commune concernée, cette étude ayant retenu l’existence d’une Streuobstwiese qui appartiendrait à un habitat de prédilection pour les chauves-souris, sur un avis du préposé de la Nature et des Forêts, sur un Kartierbogen établi par une botaniste, ainsi que sur des attestations testimoniales.

 

Les juges du fond ont donc analysé chacune des sources versées par la ministre de l’Environnement ayant justifié ses décisions querellées ceci afin de contrôler si le verger litigieux était susceptible d’être qualifié de biotope.

 

Le tribunal rappelle de prime abord que la circonstance que les vergers ne figurent pas parmi l’énumération des types de végétations et de sites donnée à l’article 17 de la loi précitée n’exclut pas cette qualification étant donné que la liste en question n’est pas limitative.

 

Le tribunal administratif retient encore que si un verger est susceptible d’être qualifié de biotope, il n’en reste pas moins que tout verger n’est pas ipso facto à qualifier comme tel, mais il appartient au ministre de fournir des éléments concrets de nature à justifier cette qualification compte tenu de la situation factuelle donnée.

 

En ce qui concerne l’analyse concrète de chacune des pièces versées par la ministre de l’Environnement, les juges ont retenu que :

 

- la référence au cadastre des biotopes ne constitue pas en l’espèce la base exclusive de la décision de la ministre de l’Environnement. Le tribunal rappelant que le cadastre des biotopes n’a aucune valeur juridique et ne constitue qu’un outil d’orientation ;

- la présence d’un certain nombre d’arbres fruitiers à haute tige ou d’un site qualifiée de « Streuobstwiese », ne permet, à lui seul et sans autre précision, pas de justifier la décision du ministre.

 

Sur ce point, il est important de préciser que le tribunal a retenu que le guide d’orientation élaboré par les services du ministère et intitulé « Erfassung der geschützten Offenlandbiotope nach Art. 17 des luxemburgischen Naturschtzgesetzes Kartieranleitung » n’a pas de force obligatoire à l’égard des administrés, mais est néanmoins susceptible d’être invoqué par ceux-ci à l’égard de l’autorité administrative comme constituant une ligne de conduite minimale que le ministre s’est donné et qu’il doit dès lors respecter.

 

Suivant l’analyse du tribunal, il se dégage de ce guide, que, s’agissant plus particulièrement des vergers, la qualification de biotope dépend de toute une série de critères, dont notamment la densité de la plantation, l’âge et la viabilité des arbres, ou encore la présence de certaines espèces rares ;

 

- la Kartierbogen établi en 2008 et mis en relation avec l’inscription du site au cadastre des biotopes en 2008 ne permet pas de tirer des conclusions quant à la situation actuelle ;

 

- l’avis du préposé forestier était limité au constat péremptoire qu’il s’agirait de manière incontestable d’un biotope, sans pour autant fournir une quelconque justification ou explication quant aux raisons ayant conduit à cette conclusion ou aux critères retenus ;

 

- l’étude réalisée dans le cadre du projet d’extension du PAG n’était pas en relation avec la demande des demandeurs visant à obtenir une autorisation ex post pour l’abatage des arbres sur la parcelle litigieuse située en zone verte. Le tribunal retenant ainsi que : « le seul constat effectué dans ledit rapport qu’il s’agit d’une « Streuobstwiese », est à défaut d’autres indications, insuffisant, non seulement puisque cette étude a été réalisée dans un contexte et pour un objectif tout à fait différents de l’appréciation que le ministre avait à faire par rapport à la demande des demandeurs, dans le cadre de laquelle il s’agissait de déterminer si le verger litigieux est susceptible d’être qualifié de biotope, mais encore dans la mesure où le seul constat qu’il s’agit d’un verger est, tel que cela a été retenu ci-avant, insuffisant » ;

 

- la même conclusion s’imposait s’agissant de l’analyse sommaire des incidences environnementales réalisée le 8 avril 2014 par le bureau d’études. Le tribunal ayant retenu que :  « une analyse réalisée dans le cadre de la modification d’un PAG est insuffisante pour conclure, en l’espèce, par rapport au terrain litigieux à l’existence d’un biotope, puisque cette étude a été réalisée dans l’optique particulière d’une urbanisation projetée ayant un impact tout autre que les mesures réalisées en l’espèce, à savoir l’abatage d’arbres fruitiers isolés, l’expert n’ayant au demeurant pas eu à se prononcer sur l’existence d’un biotope. » ;

 

- en ce qui concerne le rapport de septembre 2012 intitulé « Endbericht Lebensraumentwicklung von Streuobtwiesen mit der Zielartengruppe Fledermäuse », le tribunal a notamment retenu que cette pièce n’était pas de nature à confirmer le caractère in concreto que le verger de l’espèce soit à qualifier de biotope ;

 

- concernant les attestations testimoniales, le tribunal a retenu que celles-ci ne faisaient que confirmer que le site avait été inventorié en 2008 au cadastre des biotopes, constat qui, tel que cela a été retenu par le tribunal, était insuffisant pour en déduire qu’actuellement le verger serait à qualifier de biotope.

 

Sur ce point, il y a lieu de relever que le tribunal a pu constater que lors de visite des lieux effectuées par des fonctionnaires de l’administration de la Nature et des Forêts, aucune détermination exacte d’espèces n’avait été réalisée lors de ladite visite, ni d’ailleurs lors des autres visites de lieux.

 

De par une analyse détaillée de chacune des pièces versées par la ministre de l’Environnement, le tribunal a statué en ce sens :

« S’il se dégage certes des éléments à la disposition du tribunal que plusieurs fonctionnaires du ministère compétent se sont déplacé sur les lieux, le constat s’impose que la partie étatique est restée en défaut de justifier la qualification opérée par elle par rapport aux éléments concrets pris en compte, au-delà de la présence d’un certain nombre d’arbres fruitiers et d’une classification réalisée en 2008 au cadastre des biotopes, pour opérer la qualification de biotope. Cependant, tel que cela a été retenu ci-avant, tout verger ne constituant pas ipso facto un biotope, et une inscription au cadastre des biotopes ne dispensant pas le ministre, lorsqu’il prend une décision dans le contexte de laquelle la qualification de biotope se pose, d’opérer une appréciation in concreto, il aurait appartenu au ministre de justifier son analyse sur base d’éléments concerts, qui auraient été pris en compte au moment de la prise des décision litigieuses, respectivement qui seraient susceptibles d’être pris en considération actuellement et pouvant être vérifiés par le tribunal dans le cadre du présent recours en réformation 


À cet égard, le tribunal relève qu’il ne saurait être supplée à cette carence par une visite des lieux, suggérée par la partie étatique. En effet, force est de relever que même si le tribunal est saisi d’un recours en réformation, il appartient à la partie étatique de justifier les éléments sur lesquels repose son appréciation et il ne saurait être suppléé à cette carence par une mesure d’instruction à opérer par le tribunal 


(..)


Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le motif de refus fondé sur l’existence d’un biotope ne permet pas de justifier les décisions litigieuses, la présence d’un biotope ne se trouvant pas vérifiée au regard des éléments soumis à l’appréciation du tribunal ».

 

Suivant l’analyse du jugement en question, il est surprenant de constater que sur plus de huit pièces versées par la ministre de l’environnement, l’analyse de chacune des pièces par le tribunal administratif (études réalisées par des organismes agrées, études scientifiques, témoignages) l’a conduit à retenir que la ministre de l’Environnement n’avait pas justifié son analyse sur base d’éléments concrets.

 

Dès lors, il en résulte que l’inscription d’un verger (ou autres) dans le cadastre des biotopes ne constitue pas ipso facto un biotope, cette inscription ne dispensant pas la ministre de l’Environnement, lorsqu’elle prend une décision dans le contexte de laquelle la qualification de biotope se pose, d’opérer une appréciation in concreto.

 

Ce jugement est important en ce sens que pour de nombreux projets immobiliers, la question de la destruction de « biotopes» et de points de compensation requis dans le chef des promoteurs est posée par l’administration de l’Environnement.

 

Affaire à suivre donc, le cas échéant en appel.

 

Me Inès GOEMINNE

Retour sommaire