Droit immobilier

La gestion des terrains pollués : obligations et responsabilités

Me Inès GOEMINNE

La gestion des terrains pollués : obligations et responsabilités

 Par Me Inès GOEMINNE

 

Que vous soyez propriétaire ou acquéreur d’un futur terrain sur lequel une activité « potentiellement » polluante[1] a eu lieu ou est toujours en cours, il est impératif d’être vigilant face aux obligations découlant de la législation relative aux établissements classés[2], ainsi que celles relatives à la gestion des déchets[3].

 

 

1. L’obligation de déclaration de cessation d’activité


Une des premières obligations pesant sur l’exploitant d’un établissement classé[4] implique que quand il décide d’arrêter définitivement son activité, ce dernier sera ainsi tenu d’une obligation de déclarer cette cessation d’activité.

 

Cette obligation figure à l’article 13.8 de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés qui dispose :

 

« Avant la cessation d’activité définitive d’un établissement, l’exploitant doit déclarer cette cessation d’activité par lettre recommandée avec avis de réception, en quatre exemplaires, à l’autorité destinataire en matière de demande d’autorisation suivant la classification de l’établissement. Le cas échéant, une copie de cette déclaration est transmise, pour information et affichage, au bourgmestre de la commune d’implantation de l’établissement.

 

Dans les soixante jours à compter de la réception de la déclaration de cessation d’activités, les ministres et le bourgmestre, suivant leurs compétences respectives en matière d’autorisation, fixent les conditions en vue de la sauvegarde et de la restauration du site, y compris la décontamination, l’assainissement et, le cas échéant, la remise en état et toutes autres mesures jugées nécessaires pour la protection des intérêts visés à l’article 1er.

 

Les mêmes dispositions s’appliquent lorsque la cessation d’activité n’est pas déclarée alors qu’elle est constatée par l’autorité compétente. ».

 

Il y a lieu de constater que la déclaration de cessation d’activité définitive d’un établissement émane soit du dernier exploitant, soit le cas échéant de l’autorité compétente en matière d’établissements classés[5] qui peut procéder à la constatation de la cessation d’activité.

 

Bien que la loi précise que l’exploitant doit déclarer cette cessation d’activité, en pratique, un organisme agréé pourra agir au nom et pour le compte de l’exploitant afin de procéder à cette déclaration[6].

 

 

2. L’obligation de remise en état du site pesant sur le dernier exploitant

 

Il est important de relever que la déclaration de cessation d’activité enclenchera une seconde obligation, à savoir l’obligation de remise en état du site, obligation qui sera fixée dans des arrêtés ministériels.

 

En effet, lors de la cessation d’activité d’un établissement classé, l’exploitant qui aura déclaré auprès de l’administration de l’Environnement une cessation d’activité définitive sera considéré comme le dernier exploitant.

 

Cette notion de dernier exploitant n’étant pas sans incidence puisque la jurisprudence a retenu le principe suivant :

 

« L’exploitant ayant cessé ses activités est censé être responsable de la remise en pristin état ultérieure du site »[7].

 

En d’autres termes, l’exploitant ayant déclaré la cessation d’activité auprès du ministre compétent en matière d’établissements classés est à considérer comme le dernier exploitant et donc le débiteur de premier rang de l’obligation de remise en état.

 

La déclaration de cessation d’activité définitive n’est cependant pas la seule hypothèse pouvant enclencher l’obligation de remise en état.

 

Cette obligation peut aussi être déclenchée lors d’un changement d’affectation du terrain sur lequel une activité potentiellement polluante a eu lieu, ou sous injonction du ministre de l’Environnement lorsqu’il existe des indications sérieuses d’une pollution sur le site[8].

 

Une fois que le ministre compétent sera informé de cette déclaration de cessation d’activité définitive, celui-ci fixera, dans les soixante jours à compter de la réception de la déclaration, les conditions en vue de la sauvegarde et de la restauration du site, y compris la décontamination, l’assainissement et, le cas échéant, la remise en état.

 

Sur ce point, il y a lieu de préciser que le ministre du Travail est compétent pour fixer les conditions d’exploitant relatives à la sécurité et l’hygiène sur les lieux de travail, la salubrité, l’ergonomie et d’une façon générale les autres intérêts visés à l’article 1er de la loi précitée, tandis que le ministre de l’Environnement est compétent pour déterminer les conditions visant la protection de l’environnement, ainsi que l’élimination des déchets.

 

En pratique, le ministre de l’Environnement fixera, dans un premier arrêté ministériel, la réalisation d’un programme analytique en vue de la détection et la quantification d’une pollution éventuelle du sol et du sous-sol qui devra être effectué par une personne agréée dans un délai de trois mois à partir de la notification de l’arrêté[9]. Dans un second arrêté ministériel, le ministre de l’Environnement imposera, si nécessaire, la décontamination, l’assainissement du sous-sol et la remise en état du site[10].

 

 

3. L’obligation de remise en état du site pesant sur le propriétaire du terrain : la responsabilité subsidiaire du propriétaire

 

Venant de constater que l’obligation légale de remise en état du site pèse sur le dernier exploitant[11], le ministre de l’Environnement pourra toutefois, dans certains cas, rechercher la responsabilité subsidiaire du propriétaire.

 

Ainsi, une autre notion doit impérativement être prise en compte, à savoir la notion de détenteur des déchets reposant quant à elle sur la législation relative à la gestion des déchets[12].

 

Cette notion permettra ainsi d’engager la responsabilité du propriétaire du terrain, considéré dès lors comme le débiteur de l’obligation de remise en état du site.

 

Les événements pouvant engager la responsabilité subsidiaire du propriétaire sont les suivants :

- lorsque le dernier exploitant est défaillant[13] ;

- s’il n’a pu être identifié ;

- s’il a disparu ;

- si la pollution d’un terrain n’est pas susceptible d’être rattachée à l’exploitation d’un établissement classé[14].

 

De même, un jugement du tribunal administratif en date du 30 janvier 2008, n° 23275 du rôle a retenu que :

 

« Finalement, il convient encore de souligner que si l’arrêté entrepris du 18 juin 2007 impose au curateur d’établir dans un délai déterminé un programme analytique en vue de la détection et de la quantification d’une pollution éventuelle du sol, du sous-sol, des eaux sous-terraines et des constructions de l’établissement concerné par la cessation d’activité, de même qu’un plan de travail relatif à la remise en état du site, la responsabilité définitive du dommage causé par des déchets incombe au producteur des déchets par application de l’article 29 de la loi du 17 juin 1994 relative à la prévention et à la gestion des déchets et le coût de l’élimination des déchets doit être supporté par le détenteur des déchets et ceci par application de l’article 15 de la loi précitée du 17 juin 1994 qui consacre le principe « pollueur-payeur », détenteur qui est défini par l’article 3 de ladite loi comme le producteur de déchets ou la personne physique ou morale qui a les déchets en sa possession, c’est-à-dire le cas échéant également le propriétaire des lieux».

 

En d’autres termes, suivant cette jurisprudence, il y a lieu de relever d’une part, que les obligations imposées au dernier exploitant failli s’imposent aussi au curateur d’une société tombée en faillite. D’autre part, lorsque l’exploitant est insolvable, le propriétaire du terrain en sa qualité de détenteur des déchets sur base de la législation relative à la gestion des déchets sera tenu de supporter le coût de l’élimination des déchets.

 

De même, il y a lieu de soulever un jugement du tribunal administratif du 9 février 2015, n° 33851 du rôle, ayant retenu que :

 

« Dès lors, seule la société ..., à défaut de tout élément concret établissant une exploitation ultérieure du site par la société ..., doit être a priori considérée comme avoir été le dernier exploitant du site.

 

Comme relevé ci-avant, l’exploitant d’un établissement doit, aux termes de l’article 13.8. de la loi modifiée du 10 juin 1999, déclarer préalablement la cessation d’activité définitive de son établissement, afin de permettre à l’autorité compétente d’émettre une décision fixant « les conditions en vue de la sauvegarde et de la restauration du site, y compris la décontamination, l’assainissement et, le cas échéant, la remise en état et toutes autres mesures jugées nécessaires pour la protection des intérêts visés à l’article 1er ».

 

Si l’article 13.8 de la loi modifiée du 10 juin 1999 ne définit pas explicitement le destinataire d’une telle décision, il tombe sous le sens qu’il s’agit a priori et en principe de l’exploitant ayant cessé ses activités, celui-ci étant censé être responsable de la remise en pristin état ultérieure du site.

 

La notion d’« exploitant » est toutefois définie comme suit par l’article 2.14 de la loi modifiée du 10 juin 1999 : « toute personne physique ou morale qui exploite ou détient, en tout ou en partie, un établissement ou toute personne qui s’est vu déléguer à l’égard de ce fonctionnement technique un pouvoir économique déterminant », le terme d’établissement visant pour sa part, conformément à l’article 1er (2) de la même loi, « tout établissement industriel, commercial ou artisanal, public ou privé, toute installation, toute activité ou activité connexe et tout procédé, […], dont l’existence, l’exploitation ou la mise en œuvre peuvent présenter des causes de danger ou des inconvénients à l’égard des intérêts dont question au point 1 ».

 

En d’autres termes, la notion d’« exploitant », au-delà de la signification usuelle de ce terme, implique soit une exploitation effective d’un établissement soit la détention de celui-ci, couvrant ainsi tant l’hypothèse d’une exploitation en cours que celle d’une exploitation arrêtée, l’exploitant assujetti aux obligations de l’article 13.8. étant dans ce dernier cas la personne physique ou morale ayant antérieurement exploité un établissement et le détenant toujours : il s’agit normalement et en pratique d’une seule et même personne, à savoir l’ancien et dernier exploitant, ce qui toutefois n’exclut pas des situations où l’ancien exploitant économique n’est plus le détenteur de l’établissement, lequel demeure alors le débiteur des obligations inscrites à l’article 13.8 précité.

 

Cette distinction s’explique et se justifie par la nécessité de conférer un caractère exécutoire à l’article 13.8 : en effet, la restauration du site, en ce compris la décontamination, l’assainissement et la remise en état du site, ne doivent pas demeurer un vain souhait de la part du législateur et de l’autorité compétente, mais doivent pouvoir être effectivement réalisées : il importe dès lors de ne pas se contenter d’impartir une telle obligation sur l’ancien exploitant du site, mais sur celui-ci qui se trouve effectivement, matériellement en mesure de réaliser les opérations requises, à savoir le détenteur actuel de l’établissement. »

 
 

En l’espèce, il y a lieu de constater que le juge administratif, afin de palier à la défaillance du dernier exploitant, a fait peser cette obligation sur le propriétaire, à savoir le détenteur actuel de l’établissement par le biais de la notion même d’exploitant visant « toute personne physique ou morale qui exploite ou détient, en tout ou en partie, un établissement ».

 

Venant de constater les cas particuliers dans lesquels l’obligation légale de remise en état du site pouvait engager la responsabilité du propriétaire, une question se pose toutefois de savoir si cette obligation peut être transférée par le biais d’un contrat de droit privé.

 

Bien que la loi soit muette à ce sujet, il y a toutefois lieu de relever que le délégué du gouvernement a retenu, dans un jugement du 30 janvier 2008, que les dispositions du contrat de droit privé ne sont pas opposables à l’autorité compétente en matière d’établissements classés[15].

 

En d’autres termes, au niveau du droit administratif, il ne sera pas possible de se prévaloir d’un contrat de droit privé auprès de l’administration compétente en matière d’établissements classés et ce afin de vouloir s’exonérer de cette obligation légale de remise en état du site.

 

Sur ce point, il est toutefois intéressant de relever que le système juridique français a admis la possibilité de transférer cette obligation administrative de remise en état à un tiers[16].

 

Bien entendu, au niveau du droit civil, la remise en état du site ainsi que les études de sol y afférentes peuvent faire l’objet d’un arrangement contractuel, et peuvent donc être transférées au futur acquéreur d’un terrain.

 

 

4. La gestion des sites potentiellement pollués : les futures répercussions ?

 

En ce qui concerne la gestion des sites potentiellement contaminés et des sites contaminés ou assainis à Luxembourg, l’administration de l’Environnement dispose d’un cadastre des sites potentiellement contaminés (CASIPO).

 

Ce cadastre inventorie les sites potentiellement pollués, ainsi que les sites contaminés ou assainis.

 

De même, ce cadastre permet de recenser plusieurs informations, tels que l’établissement classé en lui-même, l’historique du site avec les exploitants qui ont pu se succéder, les dossiers administratifs, etc.

 

Ce cadastre n’étant pas sans incidence puisque qu’un avant-projet de loi sur la protection des sols et la gestion des sites pollués, projet n’ayant pas encore été déposé auprès de la chambre des députés, tend à étendre et renforcer cette obligation de remise en état par l’instauration d’une obligation de consulter le cadastre des sites potentiellement pollués dans le cadre des demandes d’autorisation de construire, du transfert de propriété, ainsi que dans les actes et compromis de vente[17].

 

Cet avant-projet de loi établira aussi une véritable hiérarchie entre les débiteurs de cette obligation administrative de remise en état, et inclura les hypothèses légales permettant d’exonérer le prétendu responsable de cette obligation.

 

L’Etude KRIEGER Associates suivra avec attention l’évolution de cet avant-projet de loi.

 

 

 



[1] Etablissements énumérés dans la nomenclature et classification figurant au règlement grand-ducal modifiée du 10 mai 2012 portant nouvelles nomenclature et classification des établissements classés.

[2] Loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés.

[3] Loi modifiée du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets.

[4] L’exploitant est celui qui dispose d’une autorisation d’exploiter un établissement classé.

[5] À savoir soit le ministre ayant l’environnement dans ses attributions, soit le ministre ayant le travail dans ses attributions, soit le bourgmestre.

[6] L’administration de l’Environnement recevra de la part d’un organisme agréé une notification d’intervention sur le site conformément aux dispositions de la loi du 21 avril 1993 relative à l’agrément de personnes physiques ou morales privées ou publiques, autres que l’Etat pour l’accomplissement de tâches techniques d’étude et de vérification dans le domaine de l’environnement.

[7] T.A., 9 février 2015, n° 33851 du rôle.

[8] http://www.environnement.public.lu/dechets/dossiers/sol/sites_contamines/index.html

[9] Mesure conservatoire tendant à établir le contenu et l’étendue d’une pollution ; en ce sens voir jugement du T.A., 25 janvier 2010, n° 25726 du rôle.

[10] En ce sens voir jugement du T.A., 30 juillet 2014, n° 33000 du rôle ; T.A., 27 juillet 2011, n° 27044 du rôle.

[11] Notion s’appuyant sur la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés.

[12] Loi modifiée du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets.

[13] Insolvable.

[14] Par ex. lorsqu’aucune activité classée n’a été exploitée sur le site ou lorsque les pollutions ou contaminations ne peuvent se rattacher à l’exploitation d’un établissement classé déterminé.

[15] T.A., 30 janvier 2008, n° 23275 du rôle.

[16] Article L512-21 du code de l’Environnement.

[17] Les notaires devront reprendre les informations relatives à la pollution des terrains.

Retour sommaire