Droit immobilier

Le cadastre des sites potentiellement pollués (CASIPO)

Le cadastre des sites potentiellement pollués (CASIPO)

 

Suite à la refonte globale du plan d’aménagement général (PAG) de la Ville de Luxembourg, plusieurs servitudes relatives à la gestion des sites et sols pollués ont fait leur apparition dans la réglementation relative à l’aménagement communal.

 

Ainsi, le futur PAG introduit, dans les zones superposées, des zones à risques « contamination ». L’inscription de ces servitudes a pour objet de frapper les terrains de servitudes spéciales et de prescriptions spécifiques. Il en résulte donc, conformément au nouveau PAG, que les terrains frappés par ces servitudes seront soumis à des restrictions dues à la présence potentielle de contamination résultant d’anciens dépôts ou d’anciennes activités.

 

De même, deux nouvelles zones de servitude ont été introduites dans le cadre des servitudes d’urbanisation, à savoir les zones de servitude « urbanisation-pollution » et les zones de servitude « urbanisation-dépollution ».

 

Les servitudes « urbanisation-pollution » visent  à maintenir la sécurité des décharges de matériaux inertes fortement pollués, tandis que les servitudes « urbanisation-dépollution », tel qu’il en résulte du nouveau PAG : « visent à assurer la décontamination de terrains pollués avant leur réaffectation.


Y sont interdits toute construction et aménagement, tant que les travaux de dépollution nécessaires en fonction de l’affectation prévue, n’ont pas été effectués suivant les dispositions légales en vigueur et les exigences des autorités étatiques compétentes ».

 

Dans le cadre de la refonte du PAG de la commune de Mersch, il est également prévu des « zones à risques -"contamination" » qui « comprennent des fonds dont l’utilisation peut être soumise à des restrictions dues à la présence potentielle de contamination résultant d'anciens dépôts ou d'anciennes activités.


Ces zones, qui proviennent du «Cadastre des sites potentiellement pollués» du Ministère du Développement durable et des Infrastructures, Administration de l'Environnement – 2014, sont soumises, le cas échéant, à des servitudes spéciales à définir par les autorités compétentes avant toute utilisation pour l'habitat, pour des activités destinées aux séjours prolongés de personnes ou pour tout autre changement d'affectation ».

 

L’ensemble de ces servitudes concerne de manière globale la gestion des sites et sols pollués, gestion reposant sur la notion de risque et relevant des compétences de l’État.

 

On peut notamment constater que l’apparition de ces servitudes dans les nouveaux PAG et donc dans le domaine de l’aménagement communal fait intervenir les autorités étatiques compétentes pour définir les servitudes spéciales pour tout changement d’affectation[1] ainsi que pour la levée des interdictions de construction et d’aménagement[2].

 

Cette intervention étatique aura pour conséquence de limiter le pouvoir discrétionnaire des administrations communales ainsi que le pouvoir du bourgmestre pour accorder des autorisations de construire.

 

Bien qu’aucune obligation légale n’impose aux communes de prendre en compte les sites et sols pollués dans l’élaboration de leur PAG, l’apparition de ces servitudes repose sur un outil ayant une portée bien plus redoutable qu’une simple base de données, à savoir : le cadastre des sites potentiellement pollués (CASIPO).

 

Par conséquent, il est donc primordial de se pencher sur le fondement même de cet outil qu’est le CASIPO.

 

 

1. L’origine du CASIPO


De prime abord, on peut constater que le CASIPO apparaît dans une décision du gouvernement en Conseil en date du 28 janvier 1991 relative au plan d’aménagement partiel concernant la gestion des déchets et relative au plan d’aménagement partiel concernant la gestion des déchets et ayant trait à sa première partie intitulée « Programme-directeur »[3].

 

Néanmoins, la véritable base légale du CASIPO, sous sa dénomination initiale « Cadastre des sites de décharge de déchet et assainissement des anciens sites » se trouverait dans l’article 16 de la loi du 17 juin 1994 relative à la prévention et à la gestion des déchets.

 

Selon cet article, les administrations communales établissent ou font établir, dans un délai de cinq ans suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, et en concertation avec l’Administration de l’environnement et l’Administration des Eaux et Forêts, un cadastre des sites exploités ou anciennement exploités, ayant servi ou servant à des opérations d’élimination de déchets ainsi que des sites contaminés par des activités en cours d’exploitation ou abandonnées.

 

Toujours suivant cet article, le cadastre fournit notamment les données nécessaires pour déterminer la nature de la contamination éventuelle et des pollutions et autres nuisances qui peuvent résulter de ces sites.

 

Bien que cette loi fut abrogée, l’article 34 de la loi modifiée du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets prévoit que l’article 16 de la loi du 17 juin 1994 respectivement le cadastre des sites exploités ou anciennement exploités reste valable. Celui-ci est géré par l’administration compétente, à savoir l’Administration de l’environnement.

 

Il convient dans un premier temps de s’interroger sur la portée de cet instrument.

 

Or, la portée de cet instrument n’est pas aisée sachant que le CASIPO empreinte une multitude de fonctions : base de données, inventaire, classification de l’état du site, outil de consultation, source d’informations complémentaires pour les communes lors de l’élaboration de leurs PAG, suivi des sites pollués, jusqu’à un véritable outil de planification à disposition de l’Administration de l’environnement[4].

 

Toutefois, suivant une interprétation du texte de loi précité sur lequel repose le CASIPO, l’utilisation des termes « fournit notamment » permet de constater qu’il n’a pas pour objet principal la fourniture de données.

 

Qui plus est, l’apparition de servitudes relatives à la gestion des sites et sols pollués ne laisse guère de place à l’interprétation de la portée de cet outil puisqu’il permet, une fois dans les mains de l’administration communale, de prescrire des servitudes urbanistiques.

 

Afin de faire ressortir la valeur juridique du CASIPO, il est nécessaire de revenir sur l’élaboration de cet outil et plus particulièrement sur sa procédure d’établissement.

 

Avant cela, il faut encore relever que le CASIPO, jadis directement disponible sur internet, est désormais communiqué sur demande de la part du propriétaire concerné au service des sites contaminés de l'Administration de l'environnement à l'adresse caddech@aev.etat.lu en annexant un plan de situation, une référence cadastrale ou une adresse.

 

 

2. Le CASIPO SPC et SCA


À titre préalable, on peut relever que le guide méthodologique élaboré par l’Administration de l’environnement en date du 16 janvier 2015, opère une distinction entre le cadastre des sites potentiellement contaminés (CASIPO-SPC) et le cadastre des sites contaminés ou assainis (CASIPO-SCA).

 

Le CASIPO-SPC est un inventaire de tous les sites connus du pays où une pollution du sol ou du sous-sol ne peut être exclue parce qu’une activité potentiellement polluante y a (eu) lieu.

 

Le CASIPO-SCA est quand a lui un inventaire de tous les sites du pays pour lesquels l’Administration de l’environnement dispose de résultats analytiques ou pour lesquels l’existence d’une pollution potentielle a pu être écartée sur base d’une étude historique.

 

Cette distinction entre les deux cadastres n’est pas anodine. Cette différenciation se base essentiellement sur un diagnostic de pollution[5].

 

De ce fait, il y a lieu de relever que l’Administration de l’environnement en charge de l’établissement de ce cadastre a effectué depuis 2001, des travaux d’échantillonnage du sol du Grand-duché de Luxembourg avec pour critère de sélection l’utilisation actuelle ou ancienne de substances qui, selon leur composition physico-chimique, peuvent engendrer un risque pour la santé humaine.

 

En d’autres termes, les sites et terrains ayant fait l’objet de travaux d’échantillonnage ou pour lesquels une étude historique permet d’écarter une pollution potentielle figurent dans le CASIPO SCA.

 

À contrario, les sites et terrains pour lesquels l’Administration de l’environnement ne dispose pas d’un diagnostic de pollution ou pour lesquels une étude historique[6] n’a pas écarté la présence d’une pollution potentielle sont inscrits dans le CASIPO SPC.

 

Par conséquent, le site est inscrit dans le cadastre SPC car le risque de contamination n’a pas pu être écarté par l’Administration de l’environnement.

 

 

3. Procédure d’élaboration du CASIPO


Bien que l’existence du cadastre repose sur une base législative, aucun texte règlementaire n’est disponible sur la procédure d’établissement du cadastre respectivement sur la procédure à respecter pour l’inscription d’un site dans le CASIPO ainsi que de son éventuel sortie.

 

Les seules références disponibles sont une note de mai 2006 élaborée par l’Administration de l’environnement et les extraits des CASIPO délivrés par l’Administration de l’environnement.

 

Selon ces extraits, il est mentionné qu’une entrée comme SPC ne signifie pas nécessairement que le site est pollué. Ceci figure notamment dans la note de mai 2006 qui précise que « le fait qu’un site soit recensé dans le cadastre ne signifie pas pour autant qu’un risque direct pour l’homme ou pour l’environnement existe réellement ».

 

Contrairement à d’autres systèmes juridiques, l’Administration de l’environnement ne prévoit aucune procédure de notification de l’inscription d’un terrain ou d’un site dans le cadastre SPC.

 

Dans ce sens, la personne concernée par une inscription de son terrain dans le cadastre n’aura pas la possibilité d’agir en amont et de renverser cette présomption avant toute inscription en y apportant des moyens d’informations, à savoir des preuves écrites et des preuves matérielles que le site n’est pas pollué. La personne concernée ne pourra que réagir une fois son terrain inscrit au cadastre.

 

Qui plus est, la procédure d’inscription d’un terrain ou d’un site dans le CASIPO ne prévoit aucune possibilité de demander une suppression de cette inscription. Le site une fois inscrit dans le cadastre y restera et ce même après que le propriétaire concerné n’ait réalisé des travaux d’assainissement ou établi ou fait établir que le site n’est pas pollué.

 

De même, aucune indemnisation n’est prévue lorsque l’investigation effectuée par la personne concernée prouve que le terrain n’est pas pollué.

 

Ceci pose problème, car d’une part, le CASIPO est à l’origine de certaines servitudes urbanistiques imposées dans les PAG, d’autre part, cette inscription peut créer une moins value lors des négociations de vente d’un terrain considéré comme potentiellement pollué, alors même qu’il ne le serait pas.

 

En conclusion, le système actuel ne prévoit aucune possibilité de contester l’inscription de son terrain dans le cadastre SPC.

 

Toutefois, bien qu’il ne soit pas possible de contester l’inscription de son site dans le cadastre, l’Administration de l’environnement "offre" une solution dans un cas particulier.

 

 

4. Le cas particulier des sites inscrits dans le cadastre SPC


À titre préalable, il y a lieu de préciser qu’un site est inventorié dans le cadastre SPC si l’Administration dispose d’informations relatives à une utilisation historique du site suite à laquelle une contamination du sol ne peut pas être exclue.

 

Il en résulte donc que les sites inscrits dans le cadastre SPC ont déjà fait l’objet d’une étude sommaire respectivement d’une « étude historique non approfondie » par l’Administration de l’environnement puisque ceux-ci sont inventoriés dans le cadastre SPC sur base d’informations relatives à une utilisation historique.

 

Or, sachant que la majorité des sites repris dans le CASIPO ont le statut de site potentiellement pollué[7], et qu’il est envisageable de penser que la consultation du cadastre devienne obligatoire dans certaines hypothèses, on ne peut qu’imaginer les vives réactions émotionnelles que cela va engendrer et ce notamment quant à la diminution de la valeur vénale des terrains !

 

Suivant la procédure d’élaboration du cadastre, on peut relever que l’Administration de l’environnement "offre" une solution concernant l’inscription d’un terrain ou d’un site dans le cadastre SPC.

 

Cette solution repose entre les seules mains des organismes de contrôle.

 

En reprenant les termes des extraits CASIPO, il est stipulé que :

 

« Toutefois, dans certains cas, une étude historique réalisée par un organisme agréé peut suffire pour prouver que le site n’est pas contaminé. Dès qu’une étude analytique est à disposition de l’Administration de l’environnement, le site est également repris dans le cadastre des sites contaminés ou assainis ».

 

En d’autres termes, la personne concernée par l’inscription d’un site ou d’un terrain dans le cadastre SPC devra mandater un organisme de contrôle, dont une liste détaillée est publiée sur le site de l’Administration de l’environnement, afin d’effectuer une nouvelle étude historique.

 

Ainsi, l’étude sommaire ayant inventorié le site ou le terrain dans le cadastre SPC, dans lequel le risque de pollution n’a pu être écarté, devra faire l’objet d’une étude historique plus approfondie par un organisme de contrôle afin de prouver, dans certains cas, que le site n’est pas contaminé.

 

Ceci est curieux, car le CASIPO institue donc une présomption de pollution et un basculement de la charge de la preuve au détriment de l’administré, qui devra supporter les frais d’une nouvelle étude historique pour démontrer que le terrain ne serait pas potentiellement pollué, ou potentiellement pas pollué.

 

Cette solution offerte par l’administration met donc en exergue le caractère primordial de cette étude historique car elle seule pourra suffire à prouver, à des coûts modérés, que le site n’est pas contaminé.

 

Notamment, il y a lieu de relever que l’étude historique se compose d’une étude documentaire et d’une visite sur site.

 

Ainsi, la clef de voûte permettant de prouver l’absence de contamination s’effectuera notamment lors de la visite du site et plus particulièrement par un « contrôle visuel » effectué par l’organisme de contrôle déterminant la présence ou non d’une pollution au sol.

 

Toutefois, quant bien même il en résulterait que le site ou le terrain ne fasse pas l’objet de pollution, cela ne permettra pas à celui-ci d’être désinscrit du cadastre mais de passer de l’autre côté, à savoir dans le cadastre des sites contaminés ou assainis (SCA) et d’être classé « sans restriction » dans le CASIPO…

 

En effet, si l’étude historique prouve qu’aucune source de pollution potentielle n’a été ou n’est présente sur le site, aucun échantillon ne devra être pris, et cette étude constituera le programme de travail[8] de l’organisme de contrôle à soumettre à l’Administration de l’environnement.

 

Il est à préciser que cette solution, à savoir écarter l’existence d’une pollution potentielle sur base d’une étude historique, est limitée au site potentiellement pollué inscrit dans le cadastre SCP.

 

De même, il est à préciser que si des pollutions sont détectées lors de la visite du site, le processus suivra son cours : programme analytique, étude de faisabilité, travaux d’assainissement et de contrôle, etc. Les sites qui se trouvent dans ce processus sont classés dans le cadastre SCA[9].

 

Il en résulte que la solution apportée par l’Administration de l’environnement laisse perplexe et n’apporte pas de réponse satisfaisante quant à une éventuelle négligence des services de l’administration ayant inscrit un site non-pollué dans le cadastre SPC.

 

L’Administration de l’environnement précise en outre qu’elle n’est pas tenue responsable de tout effet négatif quelconque qui pourrait résulter d’une contamination non répertoriée dans le cadastre.

 

 

5. L’avenir du CASIPO


Un avant-projet de loi sur la protection des sols et la gestion des sites pollués est actuellement en cours de rédaction par l’administration de l’Environnement. Dans ce cadre, le CASIPO servirait de registre destiné à déterminer les sites concernés par la future loi. Celle-ci introduirait par ailleurs plusieurs dispositifs permettant d’assurer la gestion des sites pollués, depuis l’analyse de la pollution du sol (sur base de valeurs de référence, restant à déterminer) à la question de l’assainissement éventuel.

 

Elle ferait également la synthèse des dispositifs actuellement en place, qui mettent en relation tant la législation sur la gestion des déchets que celle relative aux établissements classés (en particulier, la question de l’assainissement après cessation d’activité).

 

Dans certaines hypothèses, le cadastre interviendrait obligatoirement. Il est à ce stade projeté d’en tenir compte dans le cadre des demandes d’autorisation de construire, dans les actes notariés et les compromis de vente (obligation d’information du vendeur).

 

L’Etude KRIEGER Associates suivra attention l’évolution de ce dossier, dès lors que les incidences du CASIPO et des dispositifs y liés sont nombreux en droit immobilier. A ce stade, de multiples questions restent ouvertes, lesquelles ne manqueront pas d’alimenter nos prochains articles en la matière.

 

 

 Par Mme Inès GOEMINNE, juriste
et Me Sébastien COUVREUR, avocat à la Cour.

 



[1] Zones à risques - «contamination».

[2] Zones de servitude « urbanisation – dépollution ».

[3] Mémorial B, 1991, p .372

[5] Etude en vue de la détection d’une pollution du sol effectuée sur base d’un plan d’échantillonnage.

[6] Concernant l’étude historique d’un site, il y a lieu de préciser que celle-ci s’effectue dans le cadre d’une étude préliminaire permettant de rassembler toutes les informations pertinentes afin d’établir des hypothèses de pollution et servant de base pour l’établissement d’un plan d’échantillonnage.

[7] Voir en ce sens la question parlementaire n°1146 du 6 janvier 2011, réponse du ministre délégué au Développement durable et aux infrastructures réf. 2010-2011/1146-03.

[8] Document présentant les travaux d’investigations que l’organisme agréé planifie de réaliser dans le cadre du diagnostic de pollution.

[9] Voir en ce sens la question parlementaire n°1146 du 6 janvier 2011, réponse du ministre délégué au Développement durable et aux infrastructures réf. 2010-2011/1146-03.

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