Droit immobilier

Le droit à la vie privée et familiale s'oppose-t-il à la communication des plans d'autorisation de bâtir relatifs à l'intérieur des constructions ?

Le droit à la vie privée et familiale s'oppose-t-il à la communication des plans d'autorisation de bâtir relatifs à l'intérieur des constructions ?

 

Depuis de nombreux mois, et suite à l'entrée en vigueur de la loi du 14 septembtre 2018 relative à une administration transparente et ouverte, la question de la communicabilité des plans d'urbanisme montrant l'aménagement et les utilisations intérieurs des bâtiments faisait débat, certaines communes n'hésitant pas à exciper de ce texte - destiné pourtant à promouvoir une action plus transparente et plus ouverte de l'administration - des arguments pour refuser les demandes de communication desdits plans, ce souvent au détriment des voisins, désireux de s'enquérir d'un projet immobilier adjacent ou encore du bon respect des règles d'urbanisme par des tiers.

 

Par un jugement daté du 5 août 2020, inscrit sous le rôle n°43595, le tribunal administratif s’est positionné, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la loi précitée, sur cette question.

 

Comme nous l’avions déjà évoqué dans un article antérieur [1], le droit de consultation et de copie des plans d’autorisations de bâtir, a toujours soulevé diverses controverses, ceci en l’absence de directives précises des juridictions administratives, respectivement du Législateur : chaque commune, chaque technicien communal, ayant sa propre idée sur la manière de résoudre les difficultés : certains acceptaient de communiquer tous les plans, d’autres refusaient catégoriquement la copie de ceux-ci pour des motifs de respect de droits d’auteurs ou encore du respect de la vie privée des demandeurs de permis. D’autres encore acceptaient une transmission partielle.

 

Dans l’affaire qui nous intéresse, les requérants ont sollicité auprès de l’administration communale de Reisdorf la communication de plusieurs documents officiels en lien avec la construction d’une maison à Hoesdorf, notamment «  les plans, l’autorisation de construire, la partie graphique et écrite du PAG concernant le reclassement de cette parcelle, la délibération du conseil communal concernant le reclassement de cette parcelle, l’accord des ministères concernant le reclassement de cette parcelle, l’avis/l’autorisation des sites et monuments, le passeport énergétique de ladite construction, la délibération du conseil communal relative à la marge de reculement. »

 

L’administration communale de Reisdorf a soutenu que l’obligation légale de communication visée ne serait pas applicable aux documents susmentionnés puisqu’ils auraient été créés avant l’entrée en vigueur de la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte.

 

En outre, pour elle, les documents sollicités comportaient des données à caractère personnel ne pouvant être communiqués qu’à la personne concernée, ce qui justifierait selon celle-ci, eu égard à l’article 6 de la loi précitée, qu’ils ne puissent pas être communiqués aux requérants.

 

Dans le cadre de cette affaire, les requérants ont saisi la Commission d’accès aux documents (CAD), qui a été créée par la loi précitée du 14 septembre 2018.

 

Cette dernière est une instance administrative indépendante, qui émet des avis. Elle ne rend donc pas des décisions contraignantes.

 

Par le biais un avis nr R-4/2019 du 12 juin 2019, la CAD a considéré que les documents sollicités par les requérants étaient communicables :

 

« Suite à la demande écrite d’informations de la CAD du 6 mai 2019, l’administration communale de Reisdorf a pris position dans un courrier du 13 mai 2019.

 

1)      L’Administration communale de Reisdorf maintient sa motivation du refus du 29 mars 2019 par le fait que les documents auraient tous été créés avant l’entrée en vigueur de la loi.

 

La CAD rappelle le libellé de l’article 12 de la loi précitée du 14 septembre 2018 qui prévoit que l’obligation de publication ne vaut pas pour les documents qui ont été créés avant l’entrée en vigueur de la loi.

 

Une communication de ces documents est par contre possible en vertu de la loi, de sorte qu’une demande de communication de documents antérieurs au 1er janvier 2019 est à déclarer recevable.

 

2)      L’AC de Reisdorf affirme également dans son courrier du 13 mai 2019 que « les documents en question ont été publiés conformément aux exigences légales applicables au moment de la publication », de sorte que le motif de refus de l’article 7 point 2 de la loi précitée devrait jouer.

 

Elle joint à son courrier du 13 mai 2019 le certificat de délivrance d’une autorisation de construire à M. … concernant l’agrandissement et l’achèvement du gros-œuvre avec toiture d’un immeuble datant du 14 août 2018.

 

Les demandeurs avaient sollicité le 21 février 2019 la communication de 8 documents.

 

La CAD avait demandé une « copie des documents sollicités et des informations sur leur date de publication éventuelle » et l’AC de Reisdorf a transmis un seul document à la CAD.

 

L’AC de Reisdorf n’a donc pas apporté la preuve que tous les documents ont fait l’objet d’une publication, de sorte que le motif de refus de l’article 7 point 2 ne saurait trouver application.

 

La CAD estime dès lors à l’unanimité de ses membres que les documents sollicités sont communicables aux demandeurs. »

 

Ce qui a retenu notre attention dans la présente affaire tourne atour de la communication de certains plans qui révéleraient de l’agencement et de l’aménagement intérieur de l’immeuble.

 

La CAD a une approche totalement différente de celle du juge administratif puisqu’elle a pu estimer dans un avis nr R-3/2019 du 12 juin 2019 que : « la CAD a pris connaissance des plans intérieurs et estime que ces documents sont exclus du droit d’accès en application de l’article 1er (2) point 2 de la loi précitée du 14 septembre 2018 alors qu’ils ont trait à la sécurité des personnes et le respect de la vie privée ».

 

Selon elle, les plans intérieurs d’une maison ne seraient donc pas communicables au titre de la transparence administrative.

 

Ce point de vue, que nous ne partageons pas, est au cœur de la décision commentée.

 

A cet égard, le tribunal administratif a battu en brèche cette vision des choses en estimant :

 

« (…) d’un point de vue légal, l’article 38 [lire 37], alinéa 6, de la loi du 19 juillet 2004, ne distingue pas entre plans extérieurs et intérieurs, mais impose la publicité, sous la forme de la possibilité de les consulter, de tous les plans, sans distinction, tandis que d’un point de vue pratique, la publicité des  plans externes et internes constitue un élément indispensable à l’étude d’un projet de construction, notamment du point de vue de sa conformité avec la réglementation urbanistique communale, la communication d’un jeu intégral des plans de construction permettant notamment à un tiers intéressé d’évaluer, en connaissance de cause, l’opportunité d’intenter un recours contentieux, la consultation et, le cas échéant, la communication en particulier des plans révélant la configuration interne d’un immeuble pouvant en effet se révéler indispensables notamment pour vérifier l’affectation d’un immeuble (maison unifamiliale ou plurifamiliale, présence de locaux de commerce, de bureaux etc.) ainsi que sa conformité avec des dispositions spécifiques (p.ex. nombre de places de parking). 

 

Partant, si la loi du 19 juillet 2004 prévoit l’accessibilité aux plans sans distinction, des considérations tenant à d’éventuelles données à caractère personnel contenues dans les plans ne sauraient être opposées aux requérants sur le fondement de la loi du 14 septembre 2018.


Quant à la référence au règlement(UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données («RGPD ») et plus particulièrement à son article 4, point 1),il convient de relever que les seules données à caractère personnel éventuellement décelables par le tribunal en l’espèce -à défaut de toute précision apportée par l’administration communale -seraient l’identité du bénéficiaire de l’autorisation de construire, identité ayant non seulement d’ores et déjà fait l’objet d’une publicité légale, tel que retenu ci-avant - mais étant encore indiquée par toutes les parties en cause dans le cadre du présent recours sous analyse: l’administration communale ne saurait se prévaloir de la protection de l’identité -connue -du bénéficiaire de l’autorisation de construire pour en refuser la communication. »

 

Depuis lors, le débat est clos (sous réserve de confirmation ou d'infirmation par la Cour administrative, le cas échéant) : les plans dévoilant l’intérieur d’un immeuble ne sauraient être soustraits à l’obligation égale de publicité et de communication.

 

Lien : TA, 5 août 2020, rôle n°43595

 

Me Sarah BURLET - Avocat au Barreau de Paris

Me Sébastien COUVREUR - Avocat à la Cour

 

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