Droit immobilier

Aménagement communal : c’est reparti pour un tour.

Aménagement communal : c’est reparti pour un tour

 

 

Me Sébastien COUVREUR, Avocat à la Cour

Raffaela FERRANDINO, juriste

 

 

A peine la loi « omnibus » entrée en vigueur,  qu’un nouveau projet de loi, destiné à modifier la loi du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, a-t-il été déposé à la Chambre des Députés, en date du 28 avril, sous le numéro 7139.

 

L’objectif de ce projet de loi vise principalement à améliorer l’efficacité des mesures d’exécution d’un plan d’aménagement approuvé dans le but d’accélérer sa concrétisation (viabilisation des terrains constructibles).

 

Pour ce faire, les auteurs du texte proposent d’améliorer certaines procédures existantes comme le remembrement urbain et de supprimer certaines mesures d’exécution comme les zones de développement et zones à restructurer ainsi que la rectification de limites de fonds.

 

Le projet de loi introduit également une nouvelle mesure : le contrat d’aménagement dit « Baulandvertrag ».

 

 

***

 

 

La suppression des zones de développement, des zones à restructure et de la procédure de rectification des limites de fond

 

Les zones de développement ainsi que les zones à restructurer ont été conçues comme des instruments d’accélération et de mise en valeur de fonds dont le développement et la restructuration est décisive pour l’avenir de la commune concernée ou de la région. Les promoteurs de la réforme de la loi sur l’aménagement communal estiment que puisque les communes n’ont jamais eu recours à la désignation de telles zones, ces instruments auraient démontré leur inefficacité ou le manque d’intérêt à leur égard et le projet de loi propose partant de les supprimer.  

 

Quant à la rectification de limites de fonds, il s’agit d’un instrument permettant à un propriétaire d’un terrain ayant des dimensions ou contours inadaptés que pour pouvoir recevoir une construction en conformité avec la règlementation urbanistique communale, de demander au(x) propriétaire(s) voisin(s) une modification des limites de fonds, soit via échange, soit, le cas échéant, via une procédure d’expropriation en cas de refus dudit (desdits) voisins.

 

La ratio legis de cette procédure vient du constat qu’ « un terrain, en raison de sa forme ou de sa surface, bien que destiné dans le plan d’aménagement général ou particulier à accueillir une construction ou une affectation spécifique, peut se révéler inapte pour cette destination ; soit qu’il n’est pas assez profond, soit qu’il n’est pas assez large, soit qu’il a une configuration qui le rende inutilisable au vu de sa destination retenue dans le plan d’aménagement. Souvent, de telles situations se résolvent par une convention entre les deux propriétaires. Si par contre un propriétaire s’oppose à une telle rectification de limites, la situation peut être préjudiciable non seulement pour le propriétaire lésé, mais peut également constituer une situation malheureuse dans le tissu urbain, soit qu’il existe un petit bout de terrain qui ne sera pas affecté et ne pourra plus être affecté une fois les autres constructions environnantes réalisées, soit qu’un terrain n’a pas un accès à la voie publique et que nonobstant une servitude de passage prévue dans le Code civil, il ne pourra trouver une quelconque affectation utile. Les cas donnant ouverture à la procédure de rectification des lignes sont les mêmes que celles retenues dans la loi de 1937 et étant donné qu’il constitue une entrave à la libre disposition d’un bien, ils sont de stricte interprétation : seulement dans les hypothèses prévues par la loi, la procédure en rectification des lignes peut être entamée. Bien entendu, les parties pourront toujours trouver un accord d’échange qui ne tombe pas dans le champ d’application des présentes dispositions » (Georges KRIEGER, Les autorisations du bourgmestre, Editions Portalis, 2014, page 296 et suivantes).

 

Le projet de loi propose la suppression de la procédure de rectification des limites de fond, au motif que celle-ci serait difficilement applicable en l’absence d’accord des propriétaires voisins. Dans cette hypothèse en effet, la commune ou le propriétaire concerné pouvaient demander l’expropriation pour cause d’utilité publique afin de conférer à la parcelle inconstructible, de nouvelles dimensions lui permettant d’accueillir une construction.

 

L’on peut toutefois regretter la disparition projetée de cette procédure, alors que dans certaines situations bien particulières, elle permettrait d’éviter le maintien dans le tissu urbain de certaines parcelles aux dimensions inconstructibles (ainsi en est-il par exemple d’un terrain donnant sur rue qui n’a pas une contenance suffisante ou, bien qu’ayant une surface suffisante, a des délimitations irrégulières ne permettant pas le respect des marges de reculement imposées par la règlementation urbanistique – voir Georges KRIEGER, Ibidem).

 

S’il est vrai que l’expropriation pour cause d’utilité publique initiée à l’initiative d’un particulier apparaît a priori contestable – ce que n’avaient cependant pas retenus les auteurs de la loi du 19 juillet 2004 (« Le Conseil d’Etat s’est demandé si le fait d’accorder l’initiative au propriétaire concerné lorsque l’expropriation doit se faire dans le cadre du remembrement ou de la rectification des limites, est compatible avec le caractère d’utilité publique que doit revêtir la procédure d’expropriation. Il y a lieu de répondre clairement par l’affirmative à cette question, car tant le remembrement que la rectification des limites constituent des outils d’exécution d’un règlement communal, à savoir d’un plan d’aménagement communal. L’exécution d’un règlement est de par sa nature d’utilité publique et l’expropriation doit être un moyen – ultime certes – pour forcer les propriétaires récalcitrants à mettre en œuvre un règlement communal adopté en bonne et due forme (Doc. Parl., n° 4486-3, amendements gouvernementaux du 21 novembre 2002, p. 77) – en revanche, elle avait l’avantage de permettre la constructibilité d’une parcelle, ceci dans l’intérêt d’un bon aménagement des lieux. Imaginez une parcelle vide de construction en plein milieu de la Ville de Luxembourg, dès lors qu’elle n’aurait pas les dimensions requises et que les propriétaires voisins refuseraient tout arrangement raisonnable ! Nous sommes d’avis que les raisons justifiant l’existence de cette procédure demeurent valables et qu’il serait partant opportun de conserver celle-ci, quitte à y apporter certaines précisions ou tempéraments.

 

Au surplus, supprimer un outil juridique au motif qu’il n’a pas encore été utilisé ne nous semble pas être une démonstration suffisante de l’inutilité de celui-ci. Ainsi et en particulier en matière de rectification de limites de fonds et de remembrement urbain, la seule existence d’une procédure permettant de palier à l’absence d’accord des propriétaires concernés permet justement plus facilement d’aboutir à cet accord, les parties en négociation pouvant être incitées à trouver un arrangement sous la « menace » de ce moyen alternatif. En supprimant ce moyen alternatif, l’on placerait le propriétaire sollicitant une rectification des limites de fonds dans une position délicate, celui-ci devant alors compter sur la seule bienveillance du propriétaire voisin, ainsi que sur l’honnêteté de ses revendications financières.   

 

 

Le remembrement

 

Suivant le projet de loi, le remembrement conventionnel et légal, n’ont jamais été utilisé. Pour le remembrement conventionnel, cela s’expliquerait par le fait qu’un non-accord des propriétaires concernés ne laissait à la commune respectivement aux propriétaires-initiateurs que la faculté de recours à l’expropriation pour cause d’utilité publique à laquelle les autorités communales auraient toujours hésité à recourir.

 

Le projet de loi ne prévoit ainsi plus que deux procédures de remembrement. La première vise tout simplement le remembrement à l’amiable. La seconde vise le remembrement ministériel.

Ainsi est-il désormais prévu que le remembrement sera effectué soit par voie d’accord entre les propriétaires des fonds concernés et s’il ne peut l’être, le ministre peut ordonner l’élaboration d’un projet de remembrement ministériel sur demande expresse d’un ou de plusieurs propriétaires ou de la commune et ce entièrement aux frais du ou des demandeurs précités.

 

La loi en gestation laisse ainsi globalement intact le concept de remembrement urbain : c’est une opération qui consiste à réaliser une redistribution des diverses parcelles afin d’aboutir à un parcellaire permettant de procéder au développement urbain desdits fonds. Il est cependant proposé de restreindre le champ d’application du remembrement urbain uniquement aux PAP et aux lotissements de terrains.

 

Il est désormais précisé que les nouveaux lots sont attribués non seulement en fonction de la situation initiale, mais aussi en fonction des disponibilités foncières ; ceci serait essentiel lors de toute procédure de remembrement ministériel où il importe de rassembler les fonds des propriétaires disposés à viabiliser leurs terrains en vue d’entamer la réalisation du PAP. Aussi, il serait indispensable d’avoir la faculté légale d’attribuer aux propriétaires récalcitrants des lots dont la non-viabilisation ne viendra pas hypothéquer le développement cohérent d’une première phase de réalisation du PAP. La cession des terrains au domaine public communal pourrait être différée dans le temps, ce qui aurait pour avantage que les fonds des propriétaires récalcitrants puissent être redistribués sans intervention d’une cession d’une partie de ces terrains. Ainsi, la surface des lots leur attribués resterait inchangée à la surface initiale et le remembrement ministériel ne pourrait être assimilé à une expropriation déguisée des fonds.

 

Ces précautions nous paraissent fortes à propos pour éviter qu’un propriétaire ayant un terrain bien placé, lequel devant accueillir par exemple la voirie d’accès au lotissement, puisse indéfiniment s’opposer au projet, en le bloquant factuellement. Si les nouvelles dispositions précitées vont sans aucun doute recevoir les faveurs des promoteurs et développeurs, en revanche, un propriétaire attaché à la nature d’un patrimoine familial les verra sous un autre angle. Dès lors qu’un terrain ne se limite pas à une contenance cadastrale, la question du préjudice subit par un propriétaire subissant un remembrement forcé restera pertinente.  

 

 

 

« Baulandvertrag »

 

Le projet de loi propose également la création d’un contrat d’aménagement dit « Baulandvertrag » obligatoire pour tous les fonds non dédiés de manière prioritaire à l’habitation pour lesquels une modification du PAG prévoit la désignation d’une zone destinée à être urbanisée (zones soumises à l’élaboration d’un plan d’aménagement particulier « nouveau quartier ») dédiée prioritairement à l’habitation (zones d’habitation et zones mixtes).

 

A contrario, ne sont pas visées, les parcelles voyant leur surface sise en zone d’habitation ou en zone mixte augmentée de moins d’un are, suite à des rectifications techniques nécessaires ainsi que les terrains entièrement viabilisés.

 

En outre, le contrat d’aménagement ne pourrait porter sur des fonds appartenant à l’Etat, aux communes, aux syndicats de communes ou de toute autre personne morale visée à l’article 16 de la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement.

 

Ce « Baulandvertrag », qui est en quelque sorte un « deal » entre la commune et les propriétaires foncier destinés à une viabilisation rapide de leur fonds moyennant certaines conditions fixées contractuellement, poursuit un double objectif :

 

Il vise à la viabilisation rapide des terrains nouvellement désignés comme constructibles (le contrat d’aménagement fixerait un délai de réalisation des travaux relatifs aux voiries et équipements publics nécessaires à la viabilisation des fonds) et donc, répond aux préoccupations en matière de création de nouveaux logements.

 

Il vise également à promouvoir le dialogue entre les auteurs du PAG et les propriétaires concernés par un reclassement en zone constructible, ceci permettant de vérifier l’intention réelle desdits propriétaires de réaliser un projet immobilier sur leur terrain.

 

Le contrat d’aménagement pourrait prévoir des modalités relatives à une promesse unilatérale de vente des fonds concernés au bénéfice de la commune qui s’appliqueraient en cas de dépassement du délai pour réaliser les travaux de viabilisation.

 

La non-exécution dudit contrat serait sanctionnée par une « rétrogradation » de la modification du PAG qui a donné lieu à la conclusion du contrat, la modification PAG deviendrait « caduque » pour les seuls fonds appartenant au propriétaire défaillant.

 

 

Notre étude suivra bien entendu avec attention les évolutions du projet de loi.

 

 

Me Sébastien COUVREUR, Avocat à la Cour

Raffaela FERRANDINO, juriste

 

Retour sommaire