Droit immobilier

Priorité au Logement ! Vraiment ?



Priorité au Logement ! Vraiment ?


« Il faut construire plus de logements au Luxembourg, faire baisser les prix de l’immobilier qui impactent le pouvoir d’achat des citoyens ! » C’est un refrain que fredonnent régulièrement nos hommes et femmes politiques. Le sujet devient même un thème électoral, et chacun présente sa recette miracle, à grands coups de slogans, de plans, de programmes et d’investissements publics. Alors, pourquoi fondamentalement rien ne change ?

 

C’est qu’au-delà des intentions publiquement affichées, les moyens ne sont pas, ou sont inefficacement mis en œuvre pour favoriser la création d’unités d’habitation. Pire, l’action politique est trop souvent, elle-même, un frein au développement et à l’activité des promoteurs, ne fut-ce que par la complexité des procédures, voire les exigences parfois excessives des édiles locaux. La réalisation d’un projet immobilier au Luxembourg est compliquée, en dépit des tentatives, souvent maladroites, de simplification administrative, qui n’ont jusqu’à lors eu pour principal effet que de réduire des étapes procédurales, et principalement celles protectrices des droits des administrés (notamment à travers une réduction malheureuse des possibilités pour les voisins d’intervenir dans le cadre des projets de lotissement : plus de réunion d’aplanissement des différends avec le collège échevinal, plus de réclamation possible auprès du ministre de l’Intérieur, plus de notification de la décision d’approbation des PAP aux réclamants). Cette complexité s’explique tant par la rigidité croissante des réglementations urbanistiques, que par l’intervention, dans de nombreuses hypothèses, de plusieurs autorités publiques : l’administration de l’environnement, l’administration de la gestion de l’eau, le ministère de l’Intérieur, et si l’initiateur du projet est chanceux, il se verra même confronté au service des sites et monuments. 

 

Ces différents intervenants présentent chacun leurs propres exigences, leurs propres désidératas, lesquels sont parfois en discordance entre eux, sont parfois disproportionnés et le plus souvent imprévisibles en l’absence de réglementation claire et transparence (Quelles sont par exemple les contraintes pour un immeuble protégé ? Qu’est-ce qu’un biotope au sens de la loi sur la protection de la nature ? Quels sont les obstacles respectivement les mesures techniques à adopter en cas de construction en zone inondable ?, …) Il y a certes une Cellule de facilitation en matière d’urbanisme et d’environnement qui a été crée, mais l’on ne connait guère les incidences concrètes de son action. Tous ces intervenants, pour qui la création de nouvelles unités d’habitation ne constitue logiquement pas la priorité (puisque la loi ne leur attribue pas cet objectif), sont aujourd’hui en mesure de tenir en échec une politique cohérente en faveur du logement. Des exemples concrets parleront mieux qu’un grand discours. A travers les dispositions transitoires de la loi modifiée du 19 juillet 2004 sur l’aménagement communal et le développement urbain, les communes du pays sont invitées à revoir intégralement leurs plans d’aménagement général. Ces refontes des PAG constituent l’occasion idéale, en particulier pour les « communes prioritaires pour le développement du logement » pour réfléchir à solutionner la problématique de la pénurie de logements, puisque l’ensemble des réglementations urbanistiques, qui prescrivent les limites au droit de propriété, sont révisées à cette occasion.

 

Pour palier au manque de logements, il faut inciter le secteur privé à investir plus massivement dans la construction, ce qui peut notamment se faire en reclassant des terrains non constructibles dans des zones destinées à l’habitation, et/ou en augmentant le potentiel constructible au sein même des localités (permettre de construire plus haut, respectivement plus d’unités, sur un même terrain à bâtir), ce qui évite parallèlement de rogner sur la zone verte. En améliorant le potentiel constructible d’un terrain, le propriétaire de celui-ci est incité à vendre, le promoteur est incité à acheter, et tout ceci contribue à accroître l’offre de logements dans le pays.

 

Or, ce que l’on constate surtout dans le cadre des nouveaux PAG, c’est que l’on reclasse à tour de bras, sous l’influence du SSMN et du ministère de l’Intéreur, dans une espèce de frénésie irréfléchie, des immeubles existants en tant que « bâtiment protégé », en imposant à leur propriétaires des contraintes de construction floues et incisives (certaines communes allant jusqu’à protéger des éléments décoratifs à l’intérieur des immeubles !). Ainsi, 245 immeubles, tous présentant prétendument un intérêt public à être conservés ont par exemple été classés par le PAG de la commune de Kaerjeng, sous l’impulsion du SSMN. 100 à Mamer. Et ces chiffres n’incluent pas les immeubles qui ne sont pas individuellement classés mais qui sont situés dans un secteur protégé, imposant à son tour des contraintes urbanistiques particulières. Les autres communes ayant accompli la refonte de leurs PAG (Redange sur Attert, Nommern, Reisdorf, etc.) ainsi que celles qui l’ont récemment entamé (Niederanven, Diekirch, Roeser, notamment) ont également procédé de même. A l’échelle du pays, plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers d’immeubles risquent ainsi de se retrouver classés, créant ainsi un obstacle non négligeable à la réalisation d’un projet immobilier sur les terrains concernés.

 

Il est certes important de conserver le patrimoine culturel et les immeubles qui présentent un intérêt public à être protégé. Cela est cependant déjà l’objectif que s’est assigné la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux. Alors, quel est l’intérêt classer à la pelle, au travers des PAG, des immeubles en tant que bâtiment protégé au niveau communal et ce en dehors du cadre légal tracé par la loi précitée ? La question mérite d’être posée, ceci d’autant plus au vu des immeubles concernés (il s’agit principalement de bâtisses de facture rurale, des granges, des fermes rénovées, ou des bâtiments de pauvre présentation mais qui sont d’un gabarit particulier ou ont été érigés à une certaine époque. Dans de nombreuses hypothèses, les contraintes urbanistiques imposées à ces immeubles sont très contestables du point de vue de la légalité, mais aussi de l’opportunité).

 

L’on constate par ailleurs de (trop) nombreux reclassements de terrains à bâtir en zone non constructible, ceci la plupart du temps sur base de conclusions contestables d’études environnementales, voire même en raison du fait que le développement de telle ou telle localité ne constituerait pas une priorité. Certes, l’aménagement communal est une matière complexe, qui requiert de la nuance, une analyse au cas par cas, et qui implique la prise en compte d’objectifs aussi divers que la mobilité, l’environnement, l’économie, les aspects sociaux, les équipements et aménagements publics, etc. Mais l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la suppression de plusieurs hectares de terrains constructibles situés dans des situations totalement appropriées pour accueillir du logement et sis au sein même de communes jugées prioritaires pour le développement de l’habitat, alors même qu’en parallèle l’on plaide publiquement pour la création de logements supplémentaires, en usant de procédés parfois peu glorieux (expropriation, droit de préemption, reclassements temporaires, taxes sur les terrains constructibles). Au surplus, nous observerons que ces reclassements en zone verte mettent parfois à néant des années d’études urbanistiques et d’investissement des propriétaires concernés.

 

Ainsi, au lieu de réduire la rigidité de la réglementation urbanistique, au lieu de permettre aux administrations communales d’augmenter le potentiel constructible au sein de leurs différentes localités, au lieu d’édicter des lignes de conduites claires aux différentes administrations intervenant dans le cadre d’un projet immobilier, ceci en vue d’inciter le secteur privé à développer plus facilement ceux-ci, à leur donner une sécurité de planification, et à rétablir, ce faisant, un certain équilibre entre l’offre et la demande, le gouvernement actuel entend solutionner la pénurie de logements à travers un interventionnisme toujours plus incisif des pouvoirs publics sur le marché de la construction et de la location (subventions, droit de préemption, expropriation, projets d’envergure destinés à l’habitat), tout en nuisant par la même au secteur privé. L’Etat, dans ses expérimentations malheureuses (nous ne reviendrons pas sur le cas des projets de plans directeurs sectoriels), ne pourra cependant se dispenser d’intégrer le secteur privé et les propriétaires fonciers à ses réflexions.

 

Par Me Sébastien COUVREUR

            Avocat à la Cour

 

Le présent article ne reflète que l’opinion de son auteur.

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