Droit immobilier

La politique d’aménagement du territoire et l’accueil des réfugiés

 

Réflexions sur la politique d’aménagement du territoire et l’accueil des réfugiés

 

 

Par avis officiels publiés dans les journaux en novembre 2015, le public fut informé de la décision du gouvernement en conseil de procéder à l’élaboration de plans d’occupation du sol (POS) avec l’objet d’y établir des structures d’accueil pour les demandeurs de protection internationale, les déboutés de la procédure de protection internationale et les bénéficiaires d’une protection internationale, sur le territoire des communes de Mamer, Junglinster, Diekirch et Steinfort.

 

Au-delà du débat sur la politique d’intégration, qui déchaine malheureusement des réactions peu souhaitables dans un Etat de droit, l’affaire est intéressante du point de vue de l’aménagement du territoire.

 

Il est relativement rare d’assister à la mise en œuvre d’un outil d’aménagement du territoire tel que le POS (le plus connu étant le POS « Findel »). Il s’agit, en substance, d’un instrument hiérarchiquement supérieur aux plans d’aménagement général (PAG) des communes et qui permet ainsi au gouvernement de contourner, en quelque sorte, un passage obligé auprès des autorités communales concernées.

 

Il est intéressant de s’interroger si le choix de l’instrument « POS » est approprié, si le choix des sites retenus pour ce type de structures d’accueil est pertinent du point de vue de l’aménagement du territoire, ou bien au contraire si l’on a « paré au plus pressé », en faisant prévaloir, en quelque sorte, les impératifs de l’accueil des réfugiés et les obligations supranationales du Luxembourg sur les principes fondamentaux en matière d’aménagement du territoire.

 

 

L’utilisation de l’outil juridique POS peut-il être considérée comme un détournement de pouvoir ?

 

En vertu de l’article 4 (2) de la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire : « Les moyens à mettre en œuvre par le ministre pour l’exécution de la politique d’aménagement du territoire du Gouvernement sont notamment:

 

–                    le programme directeur d’aménagement du territoire;

–                    les plans directeurs sectoriels;

–                    les plans d’occupation du sol;

–                    les conventions entre l’Etat et des communes conclues au terme de l’article 3 ».

 

Le plan d’occupation du sol est dès lors un outil d’exécution de la politique d’aménagement du territoire. Il n’a aucune autre fonction.

 

 

Or, les publications qui ont été faites dans les journaux par le ministère du Développement durable et des Infrastructures retiennent : « La décision de faire élaborer les plans l’occupation du sol s’inscrit dans le plan d’urgence d’accueil massif de demandeurs de protection internationale dont la coordination a été confiée au Haut Commissariat à la protection nationale par le Gouvernement en Conseil en date du 24 juillet 2015 sur demande du ministère de la Famille et de l’Intégration. Les plans d’occupation du sol sont destinés à désigner les terrains nécessaires à l’établissement de centres de primo-accueil moyen terme ».

 

Une première remarque s’impose : les plans d’occupation du sol, n’ont en vertu de la loi précitée, pas comme destination de désigner des terrains, ils sont destinés à donner une affectation précise à des terrains. La désignation des terrains devrait se faire, par un plan-directeur sectoriel. Il est marqué à l’article 11 de la loi sur l’aménagement du territoire : « Un  plan d’occupation du sol porte sur l’aménagement d’une aire déterminée, définie à l’échelle cadastrale en y conférant une affectation précise et détaillée (…) ». Par contre, le plan-directeur sectoriel a comme but d’intégrer et préciser un secteur d’activités ou d’interventions gouvernementales.

 

Les plans d’occupation du sol pour les localités de Mamer, Steinfort, Diekirch, et Junglinster ne font dès lors pas partie d’une quelconque politique de l’aménagement du territoire. L’outil du POS a été utilisé par le Gouvernement afin d’éviter la politique normale d’une modification ponctuelle du plan d’aménagement général accompagné d’un plan d’aménagement particulier pour la zone en question. Cette procédure est tentante pour le Gouvernement puisqu’il peut profiter de l’article 19 de la loi, qui précise que « les plans d’occupation du sol déclarés obligatoires modifient de plein droit les plans et projets d’aménagement général et les plans et projets d’aménagement particulier des communes ».

 

La procédure est enfin tentante puisque la version 2013 de la loi sur l’aménagement du territoire donne encore moins de possibilités aux citoyens de faire valoir leurs objections que le prévoit la loi modifiée du 19 juillet 2004 sur l’aménagement communal et le développement urbain. Alors que dans le cadre d’une modification du plan d’aménagement général d’une commune, le collège échevinal est obligé d’entendre directement les opposants dans le cadre de la procédure d’aplanissement des différends, rien de tel n’a été retenu pour l’établissement d’un POS : les citoyens intéressés ont le droit de présenter seulement leurs observations par écrit au collège des bourgmestre et échevins. La procédure manque de toute transparence : le collège échevinal n’est pas obligé d’accuser réception, il continue les observations au ministre de l’Intérieur ensemble un avis du conseil communal au sujet de ces observations, mais il n’est pas obligé d’entendre le  réclamant. L’observation fait ses chemins à travers les ministères à l’insu complet de l’intéressé. Le ministre prend sa décision et propose au Gouvernement les suites à réserver aux observations, le Gouvernement prendra sa décision sans écouter les intéressés. L’intéressé sera mis au courant de son intervention, soit par avis de presse, soit en consultant journalièrement le Mémorial.

 

 

Monsieur Fernand SCHOCKWEILER, dans son traité sur le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois définit le détournement de pouvoir comme, soit l’utilisation d’une compétence dans un but autre que celui pour lequel elle est conférée (suivant l’auteur, dans cette hypothèse l’autorité administrative accomplit bien un acte de sa compétence, mais en vue d’un but autre que celui pour lequel l’acte pouvait légalement être pris), soit comme détournement de procédure (dans ce cas, monsieur SCHOCKWEILER retient : « Une variété de détournement de pouvoir est constituée par le détournement de procédure, c’est-à-dire l’utilisation volontaire par l’administration d’une procédure administrative dans un but autre que celui pour lequel cette procédure a été instituée. En serait ainsi de l’utilisation de la procédure du plan d’alignement au lieu de celle de l’expropriation pour entrer en possession d’une parcelle »).

 

Il est fort plausible que le futur POS sera un acte administratif entaché d’illégalité et qu’il sera annulable, soit pour cause de détournement de pouvoir, soit pour cause d’illégalité.

 

 

Un plan d’occupation du sol peut-il se suffire à lui-même, établir un zonage, tout cela en l’absence de plan directeur sectoriel ?

 

Rappelons les publications faites par le Ministre du Développement Durable dans les journaux : « Les plans d’occupations du sol sont destinés à désigner les terrains nécessaires à l’établissement de centres de primo-accueil moyen terme ».

 

Cette affirmation ne nous parait pas exacte : les plans d’occupation du sol n’ont pas comme destination de désigner des terrains, ils sont destinés à donner une affectation précise à des terrains. La désignation des terrains doit se faire,  par un plan-directeur sectoriel. Il est marqué à l’article 11 de la loi sur l’aménagement du territoire : « Un  plan d’occupation du sol porte sur l’aménagement d’une aire déterminée, définie à l’échelle cadastrale en y conférant une affectation précise et détaillée (…) ». Par contre, le plan-directeur sectoriel a comme but d’intégrer et préciser un secteur d’activités ou d’interventions gouvernementales.

 

Un plan-directeur sectoriel aurait donné au Gouvernement la possibilité de planifier et d’organiser cette activité gouvernementale, conformément au vœu de la loi sur l’aménagement du territoire. Au lieu d’organiser sa politique, le Gouvernement a chargé le ministre de développer quatre POS sur quatre sites différents, sur base du simple fait que les constructions étaient rapidement envisageables sur ces sites, sans se poser la question de l’intégration de toute la politique d’accueil des réfugiés. Il n’y a pas de politique, il y a urgence sans politique.

 

Le plan-directeur sectoriel aurait nécessairement soulevé la question de la localisation des différents sites, question essentielle pour les administrations communales. Or, le Gouvernement saute cette étape, confronte certaines administrations communales avec un projet de POS établi sur des terrains appartenant à l’Etat en insistant sur la question de la propriété de ces terrains au lieu d’appuyer la question sur l’affectation que l’Etat donne à son terrain. Les citoyens et les administrations communales sont appelés à s’exprimer sur les modalités de l’affectation précise donnée à un terrain appartenant à l’Etat, ils n’ont pas le droit de s’exprimer sur le choix des sites réservés à l’accueil des réfugiés, question qui est nécessairement débattue au niveau du PDS.

 

Le POS, outil d’exécution du plan-directeur sectoriel, est dénaturé pour exécuter le néant.

 

 

Les POS « structures d’accueil pour les demandeurs de protection internationale » sont-ils suffisamment précis ?

 

Le POS tel qu’il a été réfléchi par le législateur 2013 est à considérer comme un PAP au niveau gouvernemental et qui s’impose ainsi aux PAG et aux PAP au niveau communal. Pour pouvoir assurer cette fonction il lui faut nécessairement un degré de précision suffisant pour pouvoir s’intégrer dans l’ensemble de la règlementation urbanistique communale, ceci étant d’autant plus vrai que les nouveaux PAG n’ont plus la précision des PAG version 2004.

 

Dans les travaux préparatoires à la loi il a été précisé en ce sens : « En ce qui concerne les plans d’occupation du sol, il s’est avéré que la possibilité donnée par la loi actuelle de dispenser l’élaboration d’un plan d’aménagement particulier pour certains terrains à l’intérieur du POS n’est pas sans poser des problèmes au niveau urbanistique. En effet, pour éviter qu’il existe à l’intérieur d’une agglomération une zone destinée à urbaniser qui ne tiendrait nullement compte de son environnement, le POS doit contenir des indications quant au mode et au degré d’utilisation, ainsi que l’intégration de ces terrains dans le tissu urbain existant »[1].

 

Sur ce, le Conseil d’Etat précisa : « Le Conseil d’Etat croit comprendre qu’il est dans l’intention des auteurs de réserver un degré de précision des plans d’occupation du sol qui équivaudrait à celui retenu par la loi précitée du 19 juillet 2004 pour les plans d’aménagement particulier communaux. En effet, c’est seulement sous cette condition que le plan d’occupation du sol pourra pour une aire déterminée s’appliquer en lieu et place du plan d’aménagement particulier de la ou des communes territorialement concernées »[2].

 

Le Gouvernement et la Chambre des Députés ne sont plus revenus à cette version du texte qui est cohérente avec le rôle que le Gouvernement voulait donner au POS. Le POS se suffit à lui-même. La volonté du Gouvernement était d’éviter un PAP qui surplomb le POS. Sur base des indications retenues au POS, le bourgmestre est tenu de donner ou de refuser l’autorisation de bâtir sollicitée. Si dès lors, le POS n’est pas doté d’un minimum de précisions, le Gouvernement pourra soumettre au bourgmestre n’importe quel plan que ce dernier sera obligé d’accepter. Si le POS n’a pas la précision d’un PAP, il constituera un chèque en blanc que le Gouvernement s’est donné à lui-même.

 

Nous constatons malheureusement que le POS proposé par le Gouvernement est formé d’une partie graphique, un parcellaire, coloré en bleu clair et dénommé « zone de bâtiments et d’équipements  publics ».

 

Le projet ne contient aucune autre précision !

 

Lors de la présentation publique du POS, il fut présenté au public des modèles, des possibilités d’aménagement, sans pour autant que ces modèles et possibilités n’aient une quelconque valeur contraignante. Au contraire, il fut souligné à plusieurs reprises que tout ceci devrait encore être  étudié.

 

En d’autres termes : le Gouvernement s’accorde avec ce POS la possibilité de planifier n’importe quoi, de construire n’importe quel bâtiment, de n’importe quelles dimensions avec n’importe quelles marges de reculements, règles en matière d’accès, de gestion de l’eau, de protection de l’environnement et d’imposer à la population n’importe quel projet. Il se donne la possibilité d’enlever au bourgmestre toute possibilité de contrôle.

 

Le POS est dès lors à notre estime contraire à la loi.

 

Bien entendu, la présente analyse n’est pas exhaustive, mais constitue principalement une base de réflexion quant à l’utilisation du POS dans le cadre de politiques ayant un lien direct ou indirect avec l’aménagement du territoire.

 

Il est fort probable que les juridictions administratives auront à toiser, à l’avenir, de la légalité du procédé suivi par le Gouvernement concernant les POS « centre d’accueil pour demandeur de la protection internationale ».

 

La jurisprudence qui s’ensuivra ne manquera pas d’intéresser des domaines plus vastes que la politique d’immigration, puisque le gouvernement projette également l’utilisation du POS dans le cadre de la création souhaitée de logements à coûts modérés (notamment, via la mise en œuvre des zones pour projets d’envergures destinés à l’habitat, qui ont été mise en suspend par l’abandon de la procédure d’élaboration des plans directeurs sectoriels logements, transports, paysages et zones d’activités économiques).

 

Pour d’avantage de renseignements sur ces sujets nous vous invitons à consulter les autres articles du blog, en particulier :

 

- Plans directeurs sectoriels : on recommence !

- Plans directeurs sectoriels – le Gouvernement cherche le dialogue

- Le Gouvernement annule la procédure d'adoption des plans directeurs sectoriels

- Opposition formelle du Conseil d'Etat au projet de loi portant modification de la loi sur l'aménagement du territoire

- Plans sectoriels : la politique gouvernementale désavouée

 
 
Maître Georges KRIEGER - Maître Sébastien COUVREUR
 


[1] Travaux préparatoires n° 6124, page 20.

[2] Avis Conseil d’Etat, 6124-8, page 13.

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