Droit immobilier

Plans sectoriels : la politique gouvernementale désavouée

 

 

Plans sectoriels : la politique gouvernementale désavouée

 


Une ordonnance du Président du Tribunal administratif du 17 septembre 2014 remet en question les déclarations politiques du gouvernement quant à l’applicabilité des projets de plans directeurs sectoriels et quant à l’impact de ceux-ci sur les projets immobiliers en cours.

 

En l’espèce, un agriculteur luxembourgeois avait obtenu trois autorisations en vue de la construction d’un projet d’envergure. Il avait ainsi reçu l’autorisation du Ministre de l’Environnement et deux autorisations du bourgmestre de la commune concernée lui permettant d’étendre grandement son exploitation et de construire une étable pour vaches laitières de plus de 200 bovins, une étable pour veaux, un silo horizontal ainsi qu’un bassin de rétention.

 

Notre étude, agissant au nom du voisin, a introduit plusieurs recours en annulation et en réformation, ainsi qu’un recours en sursis à exécution à l’encontre des autorisations précitées, arguant entre autres arguments du fait que les constructions envisagées étaient contraires au projet de plan directeur sectoriel paysages.

 

Il faut savoir que le terrain concerné par les constructions projetées a été classé par le projet de plan directeur sectoriel « Paysages » (PSP), déposé le 25 juin 2014 auprès de toutes les communes du pays, en zone prioritaire pour la préservation d’un réseau écologique, c’est-à-dire en zone qui « interdit toute construction nouvelle ou agrandissement d’une construction existante affectant de manière significative l’intégrité de l’espace naturel concerné de la zone prioritaire du réseau écologique, notamment en ce qui concerne la préservation des caractéristiques paysagères mentionnées à l’annexe 1 » (article 23, paragraphe 2 dudit projet).

 

Le PSP prévoit cependant à ce propos notamment, en son titre IX, des dispositions transitoires, c’est-à-dire les dispositions qui déterminent à partir de quand les différentes prescriptions et recommandations énoncées dans le projet seraient applicables.

 

Il est ainsi prévu que certaines dispositions sont d’application immédiate, tandis que d’autres sont applicables à partir du jour où les projets seront déclarés obligatoires par voie de règlement grand-ducal, ou encore que certaines ne seront d’application qu’à partir du moment où les communes concernées auront procédé à la mise en conformité de leurs PAG par rapport aux plans sectoriels.

 

Il s’agit, via ces dispositions transitoires, de retarder « l’entrée en vigueur » de certains articles des projets de plans directeurs sectoriels afin d’éviter d’hypothéquer des projets immobilier en cours d’élaboration ou en cours d’exécution.

 

Ainsi par exemple pour l’interdiction précitée en zone prioritaire du réseau écologique, le projet de plan sectoriel paysages prévoit que cette disposition n’est applicable qu’à partir du moment où le plan sectoriel sera déclaré obligatoire par voie de règlement grand-ducal.

 

Là où le bât blesse, c’est que ces dispositions transitoires insérées dans les projets de plans directeurs sectoriels sont toutes, sans exceptions, illégales, contrairement à ce qu’affirme publiquement le gouvernement.

 

En effet, ces dispositions transitoires sont en flagrante contradiction avec l’article 19 de la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire qui dispose qu’à partir du jour où le projet d’un plan directeur sectoriel est déposé à la maison communale aucune autorisation de construire ne peut être délivrée si elle n’est pas conforme aux prescriptions du plan ou du projet de plan directeur sectoriel.

 

En d’autres termes, les projets de plans directeurs sectoriels et tout leur contenu sont directement applicables, dans leur intégralité, peu importe que ces derniers prévoient des dispositions concernant l’applicabilité dans le temps des articles qu’ils contiennent !

 

Le gouvernement, en dépit des déclarations publiques à ce sujet, s’est d’ailleurs rendu compte du problème puisqu’un projet de loi a été récemment déposé auprès de la Chambre des Députés justement afin que le Législateur solutionne le problème via une modification de la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire !

 

Ainsi, bien que le gouvernement a toujours (publiquement) considéré que les projets de plan directeurs sectoriels n’auraient aucune incidence sur les demandes d’autorisations de construire ou les projets de plan d’aménagement particuliers en cours d’instruction auprès des  communes du pays, tel n’est pas le cas.

 

C’est sur base de ces considérations que le Président du Tribunal administratif a, en date du 17 septembre 2014, suspendu l’exécution de l’autorisation du Ministère de l’Environnement ainsi que l’autorisation de construire délivrée par le bourgmestre de la commune concernée au motif que l’article 19 paragraphe 7 de la loi du 30 juillet 2013 aurait été violé en ce que lesdites autorisations n’auraient pas pris en compte le classement du terrain en zone prioritaire par le PSP, et ceci nonobstant le fait que le PSP prévoyait que ce classement n’était pas directement applicable !

 

Voilà bien la preuve que toutes les prescriptions des projets de plans directeurs sectoriels sont directement applicables, ce qui risque d’engendrer inévitablement un blocage de l’activité immobilière puisque bon nombre de projets risquent d’être hypothéqués par des prescriptions urbanistiques qui n’étaient destinées à s’appliquer qu’à l’avenir.

 

Afin d’éviter ces situations de blocage, notre étude a introduit une pétition auprès de la Chambre des Députés afin de solliciter le retrait des projets de plans directeurs sectoriels, ce qui permettrait non seulement d’éviter que leurs effets indésirables soient maintenus, en attendant que le projet de loi visant à rectifier la situation aboutisse, mais ce qui permettrait surtout à un réel débat public d’avoir lieu, ceci en dehors des vacances d’été.

 

Pour plus d'information, nous vous informons qu'une étude critique de 300 pages relative aux projets de plans directeurs sectoriels est actuellement disponible.

 

Nous vous renvoyons également aux articles suivants du blog de notre site :

-         Le problème des dispositions transitoires des plans sectoriels ;

-         Plans sectoriels : l'enquête publique n'est pas terminée !;

-         Parlons expropriation ;

 

 

Par Me Alexandra BOCHET et Me Sébastien COUVREUR

Avocats à la Cour

 

 

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