Droit immobilier

Le problème des dispositions transitoires des plans sectoriels

Me Georges Krieger


Ë gudden Iesel stéisst sech nëmmen eng Kéier

(Article paru au Luxemburger Wort du 21 juillet 2014)

 

Rappelons-nous les enseignements de l’année 2004 : le ministre de l’Intérieur, alors en fonctions, cherchait par tous les moyens à faire adopter la nouvelle loi sur l’aménagement communal et le développement urbain avant les vacances parlementaires.  Elle fut adoptée le 19 juillet 2004, elle était en vigueur à partir du 8 août 2004.

 

Or, le législateur d’antan ne prêta pas attention aux dispositions transitoires, les négligea, et ne s’était pas rendu compte que la loi nécessitait des règlements grand-ducaux d’exécution pour pouvoir être mise en œuvre.

 

Cette inadvertance du législateur provoqua un ralentissement important de l’obtention de nouvelles autorisations de bâtir, de l’activité du secteur du bâtiment et, par conséquent, de l’économie nationale.

 

Nous voilà dix ans plus tard.

 

Le 27 juin 2014, le Gouvernement fit publier par toutes les communes les nouveaux plans directeurs sectoriels.  Ceux-ci comportent une cacophonie impressionnante de dispositions concernant l’applicabilité dans le temps des prescriptions qu’ils contiennent.

 

Il est ainsi prévu que certaines dispositions des projets de plans directeurs sectoriels soient d’application immédiate, tandis que d’autres soient applicables à partir du jour où les projets seront déclarés obligatoires par voie de règlement grand-ducal, ou encore que certaines ne seront d’application qu’à partir du moment où les communes concernées auront procédé à la mise en conformité de leurs PAG par rapport aux plans sectoriels.

 

C’est au niveau de la loi du 30 juillet 2013 sur l’aménagement du territoire et remembrement que le bât blesse.

 

Elle stipule dans son article 19, qu’ « aucune autorisation de construire ne peut être délivrée si elle n’est pas conforme aux prescriptions du plan ou du projet de plan directeur sectoriel ».

 

En d’autres termes, quels qu’ils soient, les textes des projets de règlements grand-ducaux présentés à l’heure actuelle au public, quel que soit le plan d’aménagement particulier déjà approuvé par le ministre, quel que soit le plan d’aménagement général de la commune, le bourgmestre et le ministre ne pourront violer la loi. Le bourgmestre devra contrôler au cas par cas si la demande d’autorisation de bâtir est conforme au projet de plan directeur sectoriel déposé aux administrations communales et le cas échéant refuser l’autorisation en cas de divergence avec un projet non autrement précisé.

 

Si les ministres avaient fait œuvre de prudence et s’ils avaient dès lors attendu la modification de la loi du 30 juillet 2013, ils auraient pu éviter le blocage qui s’annonce d’ores et déjà.

 

La base du problème est identique à 2004 : on n’a pas soigné les dispositions transitoires !

 

Le Gouvernement s’est rendu compte de son erreur et a procédé en catastrophe, le 5 juin 2014, au dépôt d’un projet de loi modifiant la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire (comme en 2004, on procède immédiatement à la modification d’une nouvelle loi pour adopter les mesures transitoires – le législateur d’antan était obligé de modifier son œuvre du 19 juillet 2004 par une loi du 19 juillet 2005 où il avait introduit les dispositions transitoires dans le texte légal).

 

Nous nous proposons de copier en partie l’article 1er de ce projet de loi :

 

-         Certaines prescriptions s’appliquent à partir du jour où le projet de plan sectoriel est déposé à la maison communale conformément à l’article 9 ;

-         d’autres prescriptions s’appliquent à partir du moment où le plan directeur sectoriel est déclaré obligatoire par règlement grand-ducal ;

-         d’autres prescriptions s’appliquent à partir de la mise en conformité telle que définie au paragraphe;

-         certaines prescription ont un effet transitoire à partir du jour où le projet de plan directeur sectoriel est déposé à la maison communale conformément à l’article 9, jusqu’à la mise en conformité telle que définie au paragraphe (…) ;

-         d’autres prescriptions ont un effet transitoire à partir du moment où le plan sectoriel est déclaré obligatoire par règlement grand-ducal, jusqu’à la mise en conformité telle que définie au paragraphe (…).

 

Or, l’article 2 du code civil énonce : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».  Et le Conseil d’Etat a précisé dans un arrêt du 13 juillet 1979 que seul le pouvoir législatif pouvait déroger à la règle de la non-rétroactivité de la loi, le règlement auquel le pouvoir exécutif aurait donné un effet rétroactif ne peut, nonobstant ce fait, produire ses effets que pour l’avenir. En d’autres termes, si la loi elle-même peut contenir une disposition d’effet rétroactif de la même loi, la loi ne peut conférer un effet rétroactif à un règlement grand-ducal.  Le règlement grand-ducal ne peut pas non plus s’accorder un effet rétroactif.

 

Le Gouvernement, en tant que pouvoir exécutif, tente de se faire accorder par le pouvoir législatif et par le biais du projet de loi numéro 6694, le pouvoir de doter certaines dispositions de ses règlements grand-ducaux d’un effet rétroactif, contraire à l’article 2 du code civil.  Par ailleurs, les règlements grand-ducaux rendant les plans sectoriels obligatoires ne seront pas des règlements d’exécution d’une loi.

 

Si le Gouvernement ne retire pas les projets de plans sectoriels, le blocage des autorisations de bâtir et le ralentissement de l’activité du secteur du bâtiment seront programmés.

 

Pour plus d'informations : commandez notre étude critique sur les plans directeurs sectoriels.

 

Par Me Georges KRIEGER

Avocat à la Cour

 

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