Le tribunal administratif précise ce que l’on entend par «modification ponctuelle» d’un PAP
Le tribunal administratif précise ce que l’on entend par « modification ponctuelle » d’un plan d’aménagement particulier.
Saisis d’une requête en annulation d’une décision communale portant approbation de plusieurs modifications d’un plan d’aménagement particulier nouveau quartier (ci-après « PAP NQ ») les juges administratifs ont été appelés à préciser les contours des termes « modification ponctuelle » dans le contexte de la loi du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain (ci-après « loi ACDU).
Contexte factuel
Une société voisine d’un projet immobilier de grande envergure a querellé une prétendue procédure de « modification ponctuelle » d’un PAP NQ ayant été menée via le recours à la procédure allégée visée à l’article 30bis de la loi ACDU. Ladite société fit valoir ses objections au cours de l’enquête publique organisée dans le contexte de la procédure précitée, en attirant notamment l’attention de l’autorité communale sur la circonstance que, selon elle, les modifications envisagées au projet initial dépassaient le cadre des « modifications ponctuelles » au sens de la disposition précitée, permettant le recours à une procédure simplifiée.
La commune concernée ne fit pas droit à cette réclamation, de sorte que la procédure fut poursuivie jusqu’à son terme, et les modifications du PAP furent ainsi adoptées, contraignant la société réclamante à introduire un recours en annulation devant les juridictions administratives.
La requérante réitéra notamment son moyen relatif à la violation de l’article 30bis de la loi, considérant donc que les modifications prévues au projet initial ne pourraient être qualifiée de « ponctuelles », de sorte que la commune aurait dû s’en tenir à la procédure de modification « classique » des PAP, prévue à l’article 30 de la loi ACDU.
En droit
La loi du 3 mars 2017 dite « loi omnibus » avait inséré un article 30bis à la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain.
Il s’agissait, dans une optique de simplification administrative, de permettre une « procédure allégée » pour les modifications des plans d’aménagement particulier considérées comme « ponctuelles », ceci afin de permettre une accélération des procédures dans les hypothèses de modifications considérées comme étant de moindre importance.
L’article 26 (2) de la loi précitée retient à cet égard que « Tout plan d’aménagement particulier peut être modifié. La procédure à appliquer est celle prévue à l’article 30.
Toutefois, à la demande de l’initiateur d’une proposition de modification ponctuelle d’un plan d’aménagement particulier, le collège des bourgmestre et échevins peut décider d’entamer la procédure de modification ponctuelle prévue à l’article 30bis. Sont considérées comme ponctuelles, les modifications qui ont pour objet l’adaptation d’un plan d’aménagement particulier sur un ou plusieurs points précis sans mettre en cause la structure générale ou les orientations du plan d’aménagement particulier initial ».
S’agissant d’une exception, la procédure dérogatoire prévue à l’article 30bis de la loi, devrait nécessairement être de stricte interprétation.
L’avantage de la procédure allégée réside bien entendu, pour l’initiateur de la modification, dans le fait que cette procédure est plus rapide que la procédure classique. Elle prévoit également un contrôle plus marginal par l’autorité de tutelle.
Or, bien que la disposition précitée définit ce qu’il y aurait lieu d’entendre par « modification ponctuelle », c’est-à-dire une modification qui aurait pour objet l’adaptation d’un PAP sur un ou plusieurs points précis sans mettre en cause la structure générale ou les orientations du PAP initial, il est manifeste que cette définition peut laisser place à de nombreuses interprétations lorsqu’il s’agit de l’appliquer à des cas concrets.
En pratique, il peut en effet être tentant pour les communes et les promoteurs de faire passer un nombre relativement important de modifications de PAP, par le biais de la procédure allégée prévue à l’article 30bis, qui permet un gain de temps. Mais il est néanmoins important de pouvoir identifier les limites entre les modifications jugées ponctuelles et celles de plus grande ampleur, sous peine de voir l’exception, devenir la règle de principe, et inversement.
La tâche d’opérer la distinction entre les deux, était précisément celle des juges administratifs, dans l’affaire précitée. Pour y répondre, le tribunal administratif a tout d’abord considéré, dans son jugement du 20 novembre 2023 (n° 46716 du rôle) que la disposition précitée nécessitait une démarche interprétative : « Indépendamment des contestations quant à l’initiateur du projet de modification litigieux, il échet de relever, en ce qui concerne la qualification de la notion de « modification ponctuelle », qu’avant toute interprétation, le juge est amené à appliquer les dispositions légales suivant le sens premier qu’elles revêtent, dans la mesure où elles sont claires et précises. En présence d’un texte clair et précis, ni le recours à un texte antérieur que le texte invoqué remplace, ni les avis et opinions exprimés au niveau des travaux parlementaires préparatoires du texte, ni encore des réflexions de politique sociale ou législative n’entrent en ligne de compte. En effet, les travaux préparatoires d’une loi ne peuvent prévaloir contre les dispositions légales dénuées d’ambiguïtés, ni déroger à ces dernières.
Or, force est de constater que la notion de « modification ponctuelle » au sens de l’article 26 de la loi du 19 juillet 2004 et plus particulièrement la prescription suivant laquelle une telle modification pour être ponctuelle, ne doit pas « mettre en cause la structure générale ou les orientations du plan d’aménagement particulier initial » ne sont, contrairement aux affirmations des parties défenderesses et tierces-intéressées, ni claires et ni précises, mais essentiellement vagues, de sorte à nécessiter une démarche d’interprétation de la part du tribunal en vue de déterminer leurs significations concrètes. Ce constat est d’autant plus vrai alors qu’il se dégage des avis et opinions exprimés au niveau des travaux parlementaires du projet de loi dite « Omnibus » que la notion de « modification ponctuelle » était déjà à ce moment sujette à discussion en raison de sa définition pas suffisamment claire, entraînant, suivant les différents intervenants lors de la procédure d’adoption dudit projet de loi, un risque, à l’avenir, d’une importante source d’insécurité juridique pour les porteurs de projets et les autorités compétentes, à savoir les communes. ».
Ensuite, après avoir considéré la nécessité de procéder à une interprétation des textes pertinents pour résoudre le litige, les juges administratifs se sont référés aux travaux préparatoires de la loi dite Omnibus :
« Il se dégage du commentaire des articles20 du projet de loi dite « Omnibus » ayant, entre autres, inséré le nouvel article 30bis dans la loi du 19 juillet 2004, que cette disposition « prévoit une procédure allégée et accélérée pour modifier ponctuellement un plan ou projet d’aménagement particulier. Il est proposé en outre de mettre en place le principe de l’accord tacite. Cette simplification se justifie par le fait qu’en pratique il s’avère que bon nombre de PAP présentent de légères erreurs matérielles ou nécessitent des modifications ponctuelles pour faciliter leur réalisation. ».
Dans son avis complémentaire du 17 juillet 2015, le Conseil d’Etat renvoie, en ce qui concerne la définition de la notion de « modification ponctuelle », aux travaux parlementaires relatifs à l’article 15, paragraphe (3) de la loi du 30 juillet 2013 concernant l’aménagement du territoire, entretemps abrogée. Il se dégage du commentaire des articles par rapport à l’article 15, paragraphe (3), prémentionné, lequel est relatif aux modifications ponctuelles des plans d’occupation du sol, que « la modification doit donc être à la fois nécessaire à la mise en œuvre du plan existant, et concerner un ou plusieurs points précis de celui-ci (p.ex. adaptation de la partie graphique sur un point précis pour tenir compte des réalités des planifications). Par ailleurs, élément essentiel, la modification doit s’inscrire dans la droite lignée du plan sans mettre en cause les orientations et les objectifs contenus dans le plan à modifier et sans changer la structure générale du plan. ». Ainsi, il était sans équivoque dans l’intention du législateur, que le recours à la procédure allégée prévue à l’article 30bis de la loi du 19 juillet 2004 vise deux cas de figure, à savoir (i) lorsqu’il s’agit de rectifier de légères erreurs matérielles dans le PAP approuvé ou (ii) lorsque le PAP existant nécessite des modifications sur un ou plusieurs points précis pour sa mise en œuvre, respectivement pour faciliter sa réalisation, le tout sans mettre en cause la structure générale ou les orientations du PAP initial. ».
En l’espèce, le tribunal administratif considéra que les modifications projetées dépassaient nettement le cadre d’une modification ponctuelle d’un PAP, compte tenu des intentions précitées du législateur :
« En effet, et encore qu’il ressort du rapport justificatif d’avril 2021 que les modifications du lot 3 n’ont pas d’impact sur le degré d’utilisation du sol, force est néanmoins de constater que ces modifications en ce qu’elles comportent la subdivision dudit lot en 6 nouveaux lots, avec (i) la création de 2 lots de taille plus conséquente pour l’aménagement d’une ou de plusieurs résidences (lots 3 et 8), tandis que dans la version initiale du PAP, il était prévu qu’au moins la moitié du lot 3 sera dédié au logement de type collectif, (ii) la création de 4 lots de taille modérée (lots 4 à 7) pour l’aménagement de maisons unifamiliales, tandis que dans la version initiale du PAP, il était prévu d’aménager des logements de type « maisonnette » bi- ou plurifamiliaux comprenant des appartements sur deux étages, (iii) l’ajout pour les lots 4 à 7 d’une servitude dite « servitude d’accessibilité » pour assurer l’accessibilité à chacun des lots créés, et (vi) des réaménagements de la voirie publique, respectivement des espaces publics pour l’ensemble des lots 3 à 8 nouvellement créés, ne sont pas de nature à modifier ledit lot sur un ou plusieurs points précis, mais ont, au vu de leur envergure, pour conséquence d’affecter le PAP dans sa globalité et de changer fondamentalement le concept urbanistique de celui-ci, de sorte à dépasser largement le cadre d’une modification ponctuelle d’un PAP pour laquelle le recours à la procédure simplifiée prévue à l’article 30bis de la loi du 19 juillet 2004 a été instituée, étant à cet égard relevé que s’agissant d’une procédure dérogatoire à la procédure classique prévue à l’article 30 de la loi du 19 juillet 2004, la notion de « modification ponctuelle » doit s’interpréter de manière restrictive afin d’éviter des abus, respectivement des détournements de procédure. ».
Au vu de ce qui précède, le tribunal administratif a annulé la décision communale portant adoption des modifications du PAP, erronément considérées comme « ponctuelles » par la commune.
A noter que le jugement du tribunal est susceptible de faire l’objet d’une procédure d’appel. Dans l'hypothèse où tel serait le cas, l'arrêt de la Cour administrative devrait à son tour apporter des précisions sur cette notion de "modification ponctuelle d'un PAP", dans un délai d'environ 6 mois à compter de la requête d'appel.
Me Sébastien COUVREUR
Avocat à la Cour - Partner