Droit immobilier

[Covid-19] La situation des baux face à la crise sanitaire.

[Covid-19] La situation des baux face à la crise sanitaire.


Dans le contexte de cette pandémie globalisée entrainant une quasi-paralysie de l’économie, les pouvoirs publics sont intervenus et interviennent pour prendre des mesures sans précédent. Tous les acteurs de la société sont impliqués et affectés par ce virus imprévisible. Les difficultés commencent à surgir. Les entreprises sont fermées ou à accès limités. Quant à l’activité de ces dernières, elle est soit interdite, soit limitée, impliquant une diminution du chiffre d’affaires, entraînant à son tour des problèmes de cash-flow. Comment faire alors pour payer les loyers et charges ou comment être payé? C’est la question essentielle qui s’impose chez les locataires et les bailleurs.

 

En France, a été votée la « loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 », publiée le 24 mars 2020. Elle prévoit d’autoriser le Gouvernement à décider de toute mesure notamment de « Permettant de reporter intégralement ou d'étaler le paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d'être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d'appartenance d'une entreprise pour les besoins de l'analyse statistique et économique, dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie ».

 

A Luxembourg, une telle mesure n’a pas été encore prise par le gouvernement (cependant, des mesures spécifiques pour soutenir l’économie commencent à être adoptées : voir par exemple le règlement grand-ducal du 25 mars 2020 ayant pour objet la mise en place d’une indemnité d’urgence certifiée en faveur de certaines micro-entreprises dans le cadre de la pandémie Covid-19).

 

La Confédération luxembourgeoise du commerce, CLC, a fait appel aux bailleurs des surfaces commerciales pour qu’ils accordent, dans la mesure du possible, des délais de paiement de plusieurs mois, voire des réductions pour les loyers. Suite à cet appel, depuis 2 jours, des décisions locales sont prises. Elles vont encore plus loin que les mesures de report des loyers chez le pays voisin. En effet, les administrations communales ont commencé, dans un élan de solidarité, une par une, à renoncer à réclamer les loyers à leurs locataires pour les biens dont elles sont propriétaires-bailleurs.

 

Dans ce contexte, on entend de plus en plus par les locataires (particulièrement les commerçants) qu’ils sont dans l’impossibilité de payer leurs loyers du fait de la crise. Et cette fermeture imposée par les pouvoirs publics constituerait un cas de force majeure pour justifier une résiliation du contrat de bail ou encore un non paiement des loyers. De fait, la situation soulève bon nombre de questions ou d’interrogations auxquelles il conviendra d’apporter quelques éclaircissements.

 

La pandémie est elle une cause de résiliation ou de non paiement de loyer ?


Le principe général : le contrat de bail est un contrat consensuel. Le contrat de bail fait loi entre les parties. L’une des obligations principales du locataire est de payer le loyer  Il faut se reporter aux clauses du contrat en cause et aux éventuelles conditions générales. Si le contrat de bail prévoit que le loyer ne peut être refusé pour quelque cause que ce soit, le locataire est tenu de payer son loyer.

 

Au vu de la crise sanitaire, il peut être envisageable de demander au bailleur un paiement échelonné, une dispense de loyer voire une réduction de loyer adapté à sa situation. Mais le bailleur n’est pas obligé de l’accepter ni de négocier quoique ce soit. En cas d'échec d'un règlement à l'amiable, seul le juge pourra décider si le locataire est ou non fondé à exiger la suspension/le report des loyers.

 

Face à cette impossibilité de payer les loyers, avérée ou non, le locataire serait il en droit de refuser le paiement du loyer en arguant comme motif le cas de force majeure ? La question est cruciale.

 

En matière contractuelle, le cas de force majeure, permettant de libérer le débiteur de son obligation, doit présenter trois critères cumulatifs qui sont : l'extériorité (l'événement est extérieur à la personne mise en cause), l'imprévisibilité dans la survenance de l’événement et l'irrésistibilité (un événement insurmontable dont on ne peut éviter les effets par des mesures appropriées).

 

Il y a lieu de relever que l’article 1218 du Code civil français dispose que « Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ». La force majeure, par principe, suspend l’exécution du contrat mais ne fait pas disparaître définitivement l’obligation de l’exécuter. Le prédit article, issue de la réforme des obligations de 2016, n’existe pas à Luxembourg.

 

Selon la doctrine luxembourgeoise, pour permettre de libérer le débiteur de son obligation, il faut qu’il y ait une impossibilité d’exécution qui doit être totale et définitive. Une impossibilité d’exécution temporaire ou partielle ne constitue pas un cas de force majeure (cf. Georges RAVARANI, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, 3è édition, Pasicrisie luxembourgeoise, 2014, no 1075).

 

De fait, même si la pandémie a des effets non négligeables, l’impact financier n’est que temporaire pour l’instant. Cela ne devrait concerner que le paiement du mois d’avril et éventuellement le mois de mai 2020. Une telle situation ne saurait être invoquée par un locataire comme un simple prétexte pour se dégager de ses obligations soit pour résilier le contrat de bail soit pour suspendre le paiement du loyer. L’empêchement doit être radical et ne saurait se caractériser par un coût plus onéreux ou une difficulté accrue dans l’exécution de ses obligations contractuelles.

 

En cas de litige, il appartiendra au juge d’apprécier la situation au cas par cas.

 

Qu’en est-il de la faculté de demander des délais de grâce au juge de paix ?


Pour éviter une résiliation du contrat de bail pour faute grave, en cas de retard de paiement, et eu égard à la situation, il est possible de solliciter au juge des délais de paiement. Il existe actuellement une disposition du Code civil qui permettra au locataire de bonne foi d’obtenir un délai de paiement. L’article 1244 du Code civil prévoit que « Le débiteur ne peut point forcer le créancier à recevoir en partie le paiement d’une dette même divisible. Les juges peuvent néanmoins, en considération de la position du débiteur et en usant de ce pouvoir avec une grande réserve des délais modérés pour le paiement et surseoir à l’exécution des poursuites, toutes choses demeurant en état. ». Ces dispositions ont une portée générale. Elles sont applicables non seulement aux débiteurs d’une somme d’argent mais également à tous ceux qui sont tenus d’une obligation quelconque civile ou commerciale. Elles sont applicables en cas d’obligation d’un locataire respectivement en matière de bail à loyer. Cependant, elles ne sont pas d’application en l’absence de lien contractuel respectivement en matière d’occupation sans droit ni titre. Cette demande de délais de  paiement n’est pas à confondre avec une suspension de loyer ou de dispense de paiement de loyer.

 

Qu’en est-il des loyers et charges d’habitation?


Toutes les mesures prises par les pouvoirs publics respectivement toutes les déclarations ne concernent pas les baux à usage d’habitation. Les loyers d’habitation ne sont ni suspendu, ni interrompus, ni allégés ou revu à la baisse. Cela implique que le locataire doit continuer à payer intégralement son loyer et charge. Il ne peut pas faire valoir comme excuse une perte d’emploi du fait de la crise sanitaire pour se soustraire à ses obligations contractuelles.

 

Qu’en est-il de l’application de l’indemnité conventionnelle respectivement de la clause pénale en cas d’inexécution du contrat de bail :


Même en période de crise, le bailleur peut réclamer non seulement les loyers mais également d’autres indemnités conventionnelles si elles sont prévues par le contrat. Dans la majorité des contrats, notamment dans les baux commerciaux, les parties ont inséré une clause contractuelle suivant laquelle le locataire sera tenu de payer forfaitairement une certaine somme équivalente à un certains nombre de mois de loyer en cas d’inexécution du contrat de bail.

 

Cette stipulation contractuelle s'appelle une clause pénale et est régie par l’article 1152, alinéa 2 du Code civil, permettant ainsi au juge de modérer ou d’augmenter la peine qui a été convenue dans le contrat, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Le créancier n’est pas obligé de prouver que l’inexécution du contrat lui cause préjudice, puisque ce préjudice a été à l’avance présumé et évalué dans le contrat. Cette disposition ne prévoit pas l’annulation d’une clause pénale excessive.

 

Il a été retenu que si l’intervention du juge peut prévenir des excès en la matière, ce pouvoir modérateur ne saurait néanmoins pas remettre en cause la vertu coercitive et l’efficacité préventive d’une telle clause. Cependant, eu égard à la situation actuelle et aux litiges à venir, il appartiendra au juge, en vertu de son pouvoir de modérateur, de toiser de telles demandes cas par cas.

 

Qu’en est-il des délais de résiliation avec préavis?

 

Quelque que soit le type de contrat, les parties doivent respecter les échéances contractuelles afin de résilier un contrat qui arrive à échéance dans les prochains mois. En l’absence des dispositions légales spécifiques décrétées, la crise sanitaire n’interrompt (à ce jour) ou ne suspend pas les délais légaux endéans lesquels les contrats doivent être résiliés. A défaut de résiliation dans les délais, le contrat de bail est reconduit tacitement, respectivement prorogé donnant ainsi lieu à un bail à durée indéterminée sauf stipulation contraire dans le contrat de bail.

 

Quelque soit le type de contrat, le courrier de résiliation doit être adressé par lettre recommandée avec accusé de réception même si tout déplacement non essentiel est actuellement limité étant donné que les services postaux fonctionnent quasiment normalement dans tout le pays.

 

En ce qui concerne les baux professionnels, en l’absence de réglementation spécifique, les délais indiqués dans les contrats doivent être respectés.

 

En ce qui concerne les baux d’habitation, le principe est celui d’un préavis de 3 mois à l’exception d’une résiliation pour besoin personnel qui est de 6 mois et ce conformément aux alinéas (2) et (3) de l’article 12 de la loi du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation.

 

En ce qui concerne, les baux commerciaux, industriels ou artisanaux, respectivement tous les baux entrant dans le champ d’application de la loi du 3 février 2018 portant sur le bail commercial et modifiant certaines dispositions du Code civil.

 

Le bailleur doit non seulement respecter un préavis de 6 mois mais son courrier de résiliation doit aussi contenir ab initio l’un ou des motifs légaux restrictifs tels qu’édictés par l’article 1762-11 du Code civil.

 

En effet, le prédit article impose au bailleur 3 motifs légaux suivant lesquels il peut résilier le contrat de bail qui sont  :

« -aux fins d'occupation personnelle par le bailleur ou par ses descendants au 1er degré;

-en cas d'abandon de toute location en fin d'activité identique et

-en cas de reconstruction ou de transformation de l'immeuble loué. ».

 

En l’absence d’indication d’un de ces motifs légaux, la résiliation, bien qu’intervenue endéans les 6 mois,  sera déclarée irrégulière, donnant lieu à un bail à durée indéterminée sauf stipulation contraire dans le contrat qui prévoit une autre durée, (jugement d’instance d’appel, 14 janvier 2020, no du jugement 2020TALCH03/00009).

 

Qu’en est-il de la demande en renouvellement du bail ?

 

Crise ou pas crise, les parties contractantes doivent respecter les dispositions légales quant aux délais imposés relatifs à la demande en renouvellement dans le chef du locataire et au refus dans le chef du bailleur.

 

L’article 1762-10 du prédit Code dispose que la demande en renouvellement « doit être formulée, sous peine de déchéance, au moins six mois avant l’expiration du contrat de bail. Le bailleur devra dans les trois mois dés réception, faire connaître son avis ».

 

Si le locataire omet de solliciter ou sollicite le renouvellement de son bail à durée déterminée au moins 6 mois avant l’échéance du contrat, il est forclos. Il ne pourra plus en bénéficier.

 

Quant au bailleur, il doit donner sa réponse non seulement dans un délai de 3 mois mais il doit préciser ses intentions en indiquant pour quel motif il n’entend pas accorder au locataire le renouvellement conformément à l’article 762-11 du même Code qui précise que le bailleur peut résilier le bail avec le préavis prévu à l’article 1762-7, ou en refuser le renouvèlement :

 -aux fins d'occupation personnelle par le bailleur ou par ses descendants au 1er degré,

-en cas d'abandon de toute location en fin d'activité identique,

-en cas de reconstruction ou de transformation de l'immeuble loué.

 

Si le bailleur omet de donner un des motifs dans un délai de 3 mois à compter de la réception de la demande en renouvellement respectivement si le bailleur motive son refus après l’écoulement du délai de 3 mois, l’opposition du bailleur est et sera considérée comme irrégulière, (jugement d’instance d’appel, 14 janvier 2020, no du jugement 2020TALCH03/00009).

 

Qu’en est-il des déménagements?

 

A l’heure actuelle, il n’existe aucune disposition légale ou mesure gouvernementale qui proscrit un déménagement quelque soit la nature de ce déménagement (professionnel, habitation ou commercial). Cependant, en raison des répercussions des mesures de prévention de « confinement », il sera très difficile de procéder à un déménagement volontaire.

 

En ce qui concerne un déguerpissement forcé via l’huissier de justice, il n’est plus possible depuis l’adoption du Règlement grand-ducal du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales.

 

L’article 5 (1) du prédit Règlement dispose que «Les déguerpissements ordonnés en matière de bail à usage d’habitation et de bail à usage commercial sont suspendus ».

 

Il conviendra au locataire de contacter son bailleur afin de convenir à l’amiable et de s’accorder ainsi sur les modalités de fin de contrat (sur d’une date temporaire d’état des lieux de sortie, de remise des clés, le paiement de l’indemnité d’occupation)

 

 

En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que tant que la remise des clés n’a pas été faite, le locataire devenu occupant en vertu d’un accord de prolongation de son préavis ou l’occupant sans droit ni titre doit continuer à payer une indemnité d’occupation égale au montant du loyer sauf accord express des parties quant à tout autre montant.

 

A l’issue de la crise, il est à prévoir que le contentieux en matière de bail à loyer va prendre une ampleur considérable. Il va s’ajouter au contentieux ordinaire tous les nouveaux cas engendrés par la crise : résiliation, suspension des loyers ayant un seul point dénominateur : crise sanitaire.

 

La situation juridique de cette matière évoluant au jour le jour au rythme des décisions prises par le gouvernement pour pallier à la situation économique sensible, le lecteur est rendu attentif que les développements du présent article sont valables sous réserve de modifications ultérieures par voir législative ou réglementaire.

 

Le 26 mars 2020

 

Me Sevinc GUVENCE – Avocat à la Cour

Me Sébastien COUVREUR – Avocat à la Cour

Retour sommaire