Droit immobilier

Des lieux "publics" accessibles à tous ?

Des lieux "publics" accessibles à tous ?

 

En date du 27 juillet 2018 un projet de loi n° 7346 intitulé « projet de loi portant sur l’accessibilité à tous des lieux ouverts au public, des voies publiques et des bâtiments d’habitation collectifs et portant abrogation de la loi du 29 mars 2001 portant sur l’accessibilité des lieux ouverts au public » a été déposé à la chambre des députés par Madame la ministre de la Famille et de l’Intégration.

 

Ledit projet de loi, résolument ambitieux, n’est pas sans poser une multitude de questions sur son application pratique.

 

Celui-ci a pour objectif déclaré de vouloir améliorer la conception de lieux susceptibles d’être utilisés par tous (les lieux ouverts au public, les voies publiques et les bâtiments d’habitation collectifs) sans nécessiter ni adaptation ni conception spéciale ; le projet est, d’après ses auteurs, plus en phase avec les textes actuels relatifs aux droits et libertés des personnes à mobilité réduite.

 

Concrètement, il s’agirait d’imposer pour certains lieux ou immeubles, des exigences techniques d’accessibilité fixées par règlement grand-ducal pouvant s’appliquer aux accès, à l’accueil, aux locaux et à leurs équipements, aux circulations verticales et horizontales, aux sanitaires, à une partie des cabines d’essayages et aux vestiaires, à une partie des places de stationnement, à une partie des chambres et à la signalétique.

 

La loi en gestation prévoit plusieurs outils afin de donner plus d’effectivité par rapport à la législation actuelle. Il est notamment prévu d’élargir substantiellement les bâtiments et installations désormais soumises aux exigences d’accessibilité.

 

1)   Extension du champ d’application par rapport à la loi du 29 mars 2001


Le champ d’application de la loi précitée est actuellement encadré par l’article 1er du règlement grand-ducal du 23 novembre 2001. Sont visés les lieux  ouverts au public « relevant de l'Etat, des communes et des établissements publics » et les « établissement destiné à des fins sociale, familiale et thérapeutique et qui bénéficient du concours financier de l'Etat ».


Etaient ainsi concernés les notamment, les CIPA, les logements encadrés pour personnes âgées, les maisons de soin, les hôpitaux, les centres d'aide, de rééducation ou de réadaptation médicaux, psychiques, familiaux et sociaux; les bâtiments et espaces destinés aux activités touristiques, récréatives et socioculturelles; les établissements destinés à la pratique du sport et de la vie en plein air, ainsi que les plaines de jeux; les établissements destinés à la pratique des cultes, les centres funéraires, ainsi que les cimetières; les établissements pénitentiaires;   les immeubles abritant les institutions et administrations publiques; les infrastructures affectées au transport public, notamment les gares et les haltes des chemins de fer, les points de vente de transport public, les arrêts d'autobus, les gares fluviales et les aérogares ; les établissements hôteliers et de restauration relevant du droit public, notamment les maisons de vacances, les auberges de jeunesse et les cantines; les institutions financières relevant du droit public; les infrastructures scolaires, universitaires et de formation, les internats et les homes pour étudiants; les parkings publics; les toilettes publiques; les téléphones publics; les bornes d'information publiques.

 

La loi en gestation prévoit d’étendre ce champ d’application en ce que les biens appartenant à des personnes privées seraient désormais aussi visé :


a)   Bâtiments concernés suivant le projet de loi


La loi projetée s’appliquerait :

 

- Aux projets de nouvelle(s) construction(s) de lieux ouverts au public (voir point b), y compris aux projets de création de lieux ouverts au public par voie de changement d’affectation ;

- aux lieux ouverts au public existants (voir point c) ou situés dans un cadre bâti existant ;

-  aux projets de nouvelle(s) construction(s) et de transformation(s) importante(s) des voies publiques (voir point d);

- aux projets de nouvelle(s) construction(s) de bâtiments d’habitation collectifs (voir point e), y compris par voie de changement d’affectation.

 

b)   Définition des « lieux ouverts au public »


Il y a lieu de préciser ce que l’on entend par « lieu ouvert au public ». Ce terme désigne, suivant le projet de loi a) tout bâtiment et toute installation ouverts au public, que leur accès ou leur usage soient soumis à des conditions ou pas ; b) tout bâtiment et toute installation destinés à l’exercice des activités soumises à un agrément au sens de la loi modifiée du 8 septembre 1998 réglant les relations entre l’Etat et les organismes œuvrant dans les domaines social, familial et thérapeutiques ».

 

Si la deuxième partie de la définition vise sans difficulté, notamment les maisons de soin, les CIPA et les logements encadrés pour personnes âgées, en revanche, la première partie de la définition soulève de nombreuses questions d’interprétation.

 

Les auteurs du projet de loi ont exposé qu’il ne serait pas déterminant que le lieu considéré soit la propriété d’une personne publique ou d’une personne privée. Ils ont par ailleurs fourni une liste non exhaustive d’installations qui seraient à considérer comme « ouvertes au public », au sens de la loi projetée (au surplus des bâtiments et activités d’ores et déjà visées par la législation actuelle) :

 

- Un cinéma, un théâtre, un restaurant, mais encore les cabinets  médicaux,  les bureaux d’architectes ou d’avocats ;

- les espaces publics ou privés qui desservent des lieux ouverts au public, ainsi que les équipements  qui  y  sont  installés  si  leur  conception  ne  nécessite  pas  des  aptitudes  physiques  particulières.

– les aménagements permanents et non rattachés à un lieu ouvert au public, tels que les circulations principales des jardins publics ;

– les aménagements divers en plein air incluant des tribunes et gradins, etc.

 

Dans son avis du 13 mars 2019, le Conseil d’Etat a considéré que la définition des « lieux ouverts au public » était trop floue, et y a marqué son opposition formelle pour des raisons de sécurité juridique (il faut évoquer d’emblée que le non-respect des conditions d’accessibilité exigées par la loi impliquerait des sanctions pénales). Ainsi, le  Conseil  d’État  s’est notamment posé  la  question  de  savoir  « si  les  établissements  scolaires,  les  espaces  de  consultation individuelle, tels les cabinets de médecin ou d’avocats, ou les clubs privés qui ne réservent l’accès  qu’à  ceux  qui  y  sont  formellement  admis,  sont  également  visés  par  la  définition  de  la  notion  de « lieu ouvert au public » », bien que cela soit l’intention des auteurs du projet de loi si l’on s’en réfère aux  commentaires des articles. Suite à cette remarque, le Conseil d’Etat a formulé une proposition de formulation de texte qui engloberait les « lieux dans lesquels les professions libérales prestent leurs services », lesquels seraient donc soumis au respect des règles d’accessibilité.

 

c) Les lieux ouverts au public existants


Les lieux ouverts au public existants, seraient également soumis, suivant le projet de loi, aux exigences techniques d’accessibilité qui seront fixées par règlement grand-ducal.

 

Comme la mise en conformité des lieux existants peut s’avérer onéreuse, le projet de loi prévoit une aide financière limitée à 50% du cout des travaux HTVA et plafonnée à 24.000 euros par objet. Cette aide financière a été jugée nettement insuffisante au vu des coûts de mise à niveau des bâtiments et installations existants (avis du SYVICOL du 18 mars 2019)

 

La demande d’aide financière devrait, suivant le libellé actuel du projet de loi, être introduite avant le 1er janvier 2021 et les travaux achevés avant le 31 décembre 2023, sous peine de forclusion du droit à indemnité, ceci afin d’inciter les personnes physiques ou morales, publiques ou privées concernées à agir promptement.

 

Le Conseil d’Etat ayant critiqué le bien-fondé, en pratique, de tels délais, il se peut qu’ils soient modifiés.

 

d) Les nouvelles constructions et les transformations importantes des voies publiques 

 

Si le projet de loi défini la notion de « voie publique », en revanche, force est de constater que celle de « transformation importante » n’est nullement expliquée, ce qui crée, selon nous, une insécurité juridique au niveau du champ d’application de la loi dans le contexte d’une transformation d’une voie publique existante.

 

e) Les nouvelles constructions (y compris par voie de changement d’affectation) de bâtiments d’habitation collectifs

 

Les auteurs du projet de loi sous examen ont prévu que les exigences d’accessibilité s’appliqueraient à la réalisation de toute nouvelle construction et changement d’affectation relatifs à « tout bâtiment qui comporte au moins cinq logements distincts bâtis qui sont répartis, même partiellement, sur au moins trois niveaux, desservis par des parties communes ».

 

Il résulte de la définition qui précède que l’exigence d’accessibilité ne serait applicable qu’en cas de copropriétés, et non pas dans l’hypothèse où un même propriétaire diviserait son immeuble en plusieurs unités de logement pour louer chacune d’elles. Les règles d’accessibilité ne s’appliqueraient pas non plus en cas de résidence de plus de cinq logement, mais répartis sur deux niveaux ou moins.

 

La définition de la notion de « logement » étant floue, le Conseil d’Etat s’est opposé formellement au prédit texte en réclamant des précisions dans une optique de sécurité juridique.

 

 

2)   Exigences d’accessibilité


L’article 3 du projet de loi indique les parties extérieures et intérieures auxquelles s’appliqueraient les exigences d’accessibilité pour les projets de nouvelle construction d’un lieu ouvert au public.

 

Ensuite, l’article 5 du projet de loi énonce que concernant les bâtiments d’habitation collectifs en particulier, des exigences d’accessibilité sont prévues principalement pour les parties extérieures des logements (parties communes, accès au bâtiment, places de stationnement) et quelques exigences sont prévues pour l’intérieur des logements.

 

Enfin, l’article 6 du projet de loi indique à quoi s’appliqueraient les exigences d’accessibilité pour les projets de nouvelles construction et de transformation des voies publiques.

 

Le détail des exigences précité est prévu dans un projet de règlement grand-ducal joint au projet de loi.

L’article 7 du projet de loi retient qu’une : «  personne dont le handicap est tel que les exigences d’accessibilité visées à l’article 4, para­graphe 1er ne suffisent pas pour lui permettre d’accéder à un lieu ouvert au public existant peut adresser une demande écrite au propriétaire, emphytéote ou le cas échéant au locataire de ce lieu pour qu’il effectue un aménagement raisonnable[1] pour rendre ce lieu accessible à la personne handicapée ».

 

 

3)   Dérogations aux exigences d’accessibilité


Le projet de loi, en son état actuel, prévoit des possibilités de dérogations pour les créations de lieux ouverts au public ou de bâtiments d’habitation collectifs par voie de changement d’affectation, pour les lieux ouverts au public existants, et pour les « transformations importantes » des voies publiques.


Il faut préciser donc que des dérogations ne seraient pas possibles pour la construction de nouveaux lieux ouverts au public ou de bâtiments d’habitation collectifs, ou encore la réalisation de nouvelles voies publiques.

 

Dans les hypothèses où elle serait en principe possible, il faut encore vérifier que la dérogation puisse se justifier sur base de raisons techniques, de préservation du patrimoine culturel ou historique ou de charges disproportionnées. La demande de dérogation est soumise au Conseil consultatif de l’accessibilité, lequel remet un avis à ce propos.

 

Il serait également loisible aux personnes concernées de solliciter des « solutions d’effet équivalent » pour « une partie des exigences d’accessibilité » (donc pas pour le total des exigences, sauf pour les immeuble proposés ou classés monuments nationaux). Il s’agirait de suggérer des variantes techniques jugées équivalentes à celles fixées par règlement grand-ducal et qui rempliraient les objectifs fixés par la loi.

 

Les demandes de dérogation et de solutions d’effet équivalent seraient adressées pour avis au « Conseil consultatif de l’accessibilité » et autorisées par le ministre ayant la politique pour personnes handicapées dans ses attributions (et pour les immeubles classés, au ministre ayant la culture dans ses attributions). Aucun délai n’est fixé par le projet de loi quant à l’émission de l’avis, respectivement de la décision du ministre, ce qui peut ainsi ralentir fortement l’instruction des demandes de permis des immeubles et travaux visés par le projet de loi.

 

4)   Contrôle a priori des exigences d’accessibilité


La loi en projet prévoit encore, en son article 9, le contrôle a priori des exigences d’accessibilité.

En effet, toute demande d’autorisation de travaux concernant des projets relevant du champ d’application de la loi projetée devra contenir :

 

«  1° un certificat attestant la conformité des plans de construction aux exigences d’accessibilité prévues aux articles 3 et 4, paragraphe 1er ainsi qu’aux articles 5 et 6 ;

 

2° le cas échéant, l’autorisation de dérogation ou de solution d’effet équivalent visé au paragraphe 3 de l’article 8 et l’avis y relatif du Conseil ;

 

3° pour les projets de transformation de lieux ouverts au public existants ou situés dans un cadre bâti et les projets de transformation importante de voies publiques existantes, un document renseignant, le cas échéant, sur les solutions d’effet équivalent utilisées, est annexé à titre d’information à la demande d’autorisation des travaux ».

 

Le certificat de conformité serait à établir par un nombre limitatif de personnes désignées dans le projet de loi, dont notamment les architectes et les ingénieurs-conseils.

 

Un contrôle des travaux d’accessibilité par le service national de la sécurité dans la fonction publique est prévu pour les bâtiments visés par la loi du 19 mars 1988 concernant la sécurité dans les administrations et services de l'Etat, dans les établissements publics et dans les écoles mais pour les autres bâtiments aucun contrôle n’est prévu de sorte que les certificats de conformité seront délivrés sans contrôle spécifique a posteriori. Toutefois, comme les exigences d’accessibilité seront reprises dans les plans des autorisations de bâtir ou de changement d’affectation, il appartiendra à l’autorité communale de vérifier le respect de ceux-ci en phase d’exécution.

 

5)   Sanctions pénales en cas de non-respect des exigences d’accessibilité


L’article 12 (1) du projet de loi prévoit que « Les maîtres de l’ouvrage, architectes, entrepreneurs, et autres personnes liées au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage, qui ont entrepris en dehors de toute justification valable ou dérogation accordée, des travaux en violation des exigences d’accessibilité prévues à l’article 3, à l’article 4, paragraphes 1er, et aux articles 5 et 6 sont punis, pour les personnes physiques, d’une amende de 251 euros à 125.000 euros et d’un emprisonnement de huit jours à deux mois ou d’une de ces peines seulement, et, pour les personnes morales, d’une amende de 500 euros à 250.000 euros ».

 

Le juge pourra en outre décider de la mise en conformité ou d’une démolition de l’aménagement jugé non-conforme, aux frais du contrevenant. Les mêmes sanctions seraient encourues par celui qui n’a pas réalisé une mise en conformité d’un lieu ouvert au public dans les délais imposés ou qui aurait réalisé des projets de transformation importante des voies publiques existantes de manière non conforme à la loi.

 

Le juge pourra également, ordonner, à l’encontre des personnes physiques (et étonnamment pas à l’encontre des personnes morales sur ce point), la fermeture d’entreprise et d’établissement. A l’encontre des personnes morales, le juge pourra ordonner l’exclusion de la participation à des marchés publics ou encore la dissolution, dans les conditions fixées par le code pénal.

 

6)   Dispositions transitoires


Pour finir, il faut noter que le projet de loi entrerait en vigueur le premier jour du douzième mois qui suivra sa publication au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, pour les nouvelles constructions, et le 1er janvier 2029 pour les lieux ouverts au public existants.

 

Le Conseil d’Etat ayant soulevé, dans son avis, plusieurs questions de constitutionnalité et formulé à cet égard des oppositions formelles, le projet de loi devrait être revu – sans que ses ambitions soient diminuées toutefois – de sorte à gagner en précision.

 

Nous ne manqueront pas de suivre son évolution, au vu de son incidence prévisible sur le secteur de la construction.

 

 

 Me Sébastien COUVREUR - Avocat à la Cour

Me Raffaela FERRANDINO - Avocat

 



[1] «  le présent article entend les modifications et ajustements nécessaires et appropriés apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées, l’accessibilité des lieux ouvert au public existants ». 

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