Droit immobilier

«Passionné» de droit immobilier depuis 30 ans

Me Georges Krieger

 

Fondateur et associé de l’étude Krieger Associates, Me Georges Krieger célébrait vendredi 30 années de Barreau, entièrement consacrées au droit immobilier, dont il a très tôt fait sa spécialité. Avec une expertise qui le conduit à porter un jugement souvent acéré sur la politique d’aménagement du territoire.


Me Krieger, vous célébrez 30 ans de Barreau cette année. Ça passe vite?

En effet, et c’est très inquiétant; surtout lorsque vous avez un métier qui vous prend vraiment minute par minute. Au début, j’avais l’impression qu’on me volait des minutes, puis des heures. Aujourd’hui, je crois qu’on est en train de me voler des années...


Votre attrait pour le droit immobilier était-il présent dès vos études à Louvain?


Absolument pas. Comme le disait un de mes professeurs, ‘Ce sont les clients qui forment l’avocat que vous êtes, et pas l’université!’ Rapidement, j’ai eu la chance d’être membre de l’Union des propriétaires (dont je suis actuellement le président depuis de nombreuses années). C’est ainsi que j’ai pris conscience de tous les problèmes que subissent ces derniers, et ma passion pour l’immobilier est née. 


J’ai débuté à un moment où tous les avocats voulaient faire du droit international, du droit des affaires ou du droit bancaire, car cela faisait plus chic! Le droit immobilier est de nature plus concrète, notre étude s’est développée solidement et n’a pas subi le choc de 2008 dont souffraient les grandes fiduciaires et les bureaux d’avocats d’affaires.


À quel moment avez-vous ouvert votre propre étude? 


Je me suis installé quelques mois après mon stage à un moment où il y avait moins d’avocats inscrits au Barreau, le droit était nettement moins complexe, et les textes moins prolixes; les études d’avocats étaient encore des petites structures. Aujourd’hui, nous connaissons un tsunami de réglementations auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement; une personne seule ne peut maîtriser tous les domaines du droit. Je suis persuadé que l’avenir, c’est l’équipe. Pour que cette équipe reste soudée, il faut qu’elle grandisse de l’intérieur, un regroupement hétéroclite ne créera jamais une structure stable avec une politique homogène.

Il y a cinq ans encore, l’étude était extrêmement focalisée sur ma personne, et je ne voulais plus continuer ainsi. Nous sommes aujourd’hui une équipe de 22, qui fonctionne suivant une même logique. Je conçois les choses comme suit: nous ne sommes pas spécialisés en droit immobilier, nous sommes des passionnés de droit immobiliers. 

 

 

"Un avocat qui travaille en droit civil est confronté à un problème existant et cherche à trouver sa solution par transaction à l’amiable ou par une procédure judiciaire".

Comment se répartissent vos dossiers aujourd’hui? 


Les matières traitées relèvent à 50% du droit administratif et à 50% du domaine du droit civil. Il y a donc une moitié de l’étude qui travaille uniquement dans le domaine civil en matière de bail à loyer, copropriété, contrats et compromis de vente, etc.; et l’autre moitié, dans le droit administratif et environnemental. Cette séparation est évidente, les deux matières nécessitent une toute autre réflexion. Un avocat qui travaille en droit civil est confronté à un problème existant et cherche à trouver sa solution par transaction à l’amiable ou par une procédure judiciaire. 

En droit administratif, la plupart du temps, le problème n’est pas encore né, il viendra au jour par l’application d’une nouvelle réglementation, d’un nouveau plan d’aménagement. Il faut se projeter dans l’avenir, reconnaître les contraintes de la nouvelle réglementation. L’action de l’avocat change, on doit toujours travailler sur deux échiquiers: la procédure judiciaire (pour ne pas manquer un délai), tout en continuant à discuter avec l’administration pour trouver une solution négociée. 


Les particuliers sont plus émotionnels…


En effet, il faut savoir freiner le client particulier: en s’acharnant, il risque de ne plus aimer son logement. Il y a des problèmes qui ne trouveront pas de solutions judiciaires.


"Nous avons sur le marché luxembourgeois une armée d’agents immobiliers. Beaucoup avouent ouvertement qu’ils n’ont pas de déontologie à respecter".

Je dois admettre que la médiation est très importante pour les copropriétés, parce que les gens sont forcés de vivre sous le même toit et ne trouveront jamais de solution définitive au tribunal. Si vous gagnez une affaire, la partie adverse sera frustrée et cherchera un nouveau motif pour vous citer en justice – un décompte incorrect, la porte d’entrée qui est toujours ouverte, le garage qui n’est pas aux normes, etc. Il en est de même pour les relations propriétaire-locataire: chacun doit veiller à ne pas dépasser certaines limites.


Quelles sont les affaires les plus courantes que vous avez à traiter au civil?


Les ventes d’immeuble posent beaucoup de problèmes. Nous avons sur le marché luxembourgeois une armée d’agents immobiliers. Beaucoup avouent ouvertement qu’ils n’ont pas de déontologie à respecter, qu’ils sont commerçants. Ceci est inquiétant, parce qu’il y a beaucoup de compromis qui ne sont pas clairs, des actes qui ne sont pas corrects. À ce niveau, nous connaissons beaucoup de litiges, avec des conséquences parfaites dramatiques – imaginez devoir rendre le prix de vente en cas d’annulation de la vente. Je crois qu’il faudrait une forte réglementation au niveau national, sans aller jusqu’à imiter le régime français qui réglemente à outrance. 

 

Et côté administratif?


Nous avons beaucoup de litiges avec les plans d’aménagement, le reclassement des maisons, ainsi que des litiges environnementaux. Il y aura d’ici l’été quelque 50 à 70 plans d’aménagement général qui vont être publiés, la publication des plans directeurs sectoriels est prévue pour le mois de mai. Un grand nombre de plans de zones de protection des sources vient d’être publié, de telle sorte que tout un ensemble de terrains se retrouvent dans une zone non constructible. 


Nous rencontrons une autre difficulté qui est une conséquence inévitable de la taille du Grand-Duché de Luxembourg. En France, au ministère de l’Intérieur, 200 à 300 juristes travaillent quotidiennement pour garder les réglementations à jour. À Luxembourg, il n’en est pas ainsi. Il existe une pénurie de juristes travaillant auprès de l’État pour veiller à ce que les réglementations soient faites correctement et restent à jour. Combien de fois j’entends un ministre dire qu’un règlement doit être amélioré par la suite, qu’il faut revoir la loi, etc. La loi sur l’aménagement communal a été publiée le 8 août 2004, et une semaine plus tard, le gouvernement a commencé sa modification. Cette loi connaît une modification en moyenne tous les 18 mois. Cette situation est la source d’une grande insécurité juridique, le Conseil d’État est appelé à intervenir trop souvent dans la rédaction des textes. Les juridictions administratives sont souvent contraintes d’annuler un texte.


"Nous n’avons pas un problème national du logement".

L’immobilier prend une grande place dans le débat public, surtout en cette période préélectorale.


Rien n’a changé. Depuis que je suis au Barreau, j’entends que l’immobilier est trop cher.  Je n’ai jamais entendu, dans n’importe quel pays au monde, à n’importe quelle époque, que les immeubles n’étaient pas assez chers…


Mais les prix croissent à grande vitesse…


Ce n’est pas fini. Nous n’avons pas un problème national du logement, nous avons un problème régional autour de la ville de Luxembourg et des communes avoisinantes. Si vous voulez comparer cette situation avec celle des pays voisins, comparez-la à une agglomération qui a la même structure socio-économique et la même taille que la ville de Luxembourg, comme par exemple Lucerne ou Zurich. 

Les prix de l’immobilier sont nettement plus élevés. Dans le monde entier, la limite pour les banquiers pour accorder un prêt immobilier est à environ un tiers du revenu du couple. Une famille qui vit à Bruxelles avec 1.200 euros et paie 400 euros pour l’immobilier, ça pèse. Deux fonctionnaires à Luxembourg qui ont un revenu de 8.000 ou 10.000 euros et qui affectent 4.000 euros, ça pèse, mais c’est gérable. 

À l’heure actuelle, nous connaissons une situation où beaucoup de gens aisés viennent d’autres pays pour chercher une qualité de vie supérieure, la stabilité économique et politique. Ce phénomène provoque aussi une augmentation du prix de l’immobilier.

 

Que pensez-vous de la réforme du bail commercial?


Elle a été mal faite. Dans beaucoup de domaines, la situation des locataires est pire qu’auparavant. J’avais lancé l’idée de la réforme du bail commercial en 2013, et ceci en tant que président de l’Union des propriétaires! Les faillites de nombreux commerces dans la ville de Luxembourg en 2013 montraient à quel point l’ancien régime était en déphasage par rapport à la réalité. Il fallait retrouver une nouvelle base pour la protection du Fonds de commerce. L’équilibre n’a pas été trouvé. J’avais insisté sur le fait qu’il fallait trouver un régime cohérent pour tout le pays, les auteurs ont finalement rédigé une ‘lex rue Philippe II’. Or, les problèmes que rencontrent les propriétaires et les locataires dans les meilleurs quartiers de la ville de Luxembourg ne sont pas les mêmes que ceux que connaissaient ces mêmes acteurs à Clervaux ou à Esch-sur-Alzette.»



Interview de Me Georges KRIEGER par Mme Camille Frati.

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