Droit immobilier

Copropriété : focus sur le cadastre vertical

Me Georges Krieger

 

 

Le pouvoir de contrôle de l’administration du Cadastre et de la Topographie

 

Au siècle dernier, en 1988, notre législateur avait pris l’initiative d’imposer à toutes les copropriétés le régime du cadastre vertical, c’est-à-dire que tous les lots dans une copropriété devaient être proprement décrits et cadastrés afin de rendre les transactions immobilières plus sûres. L’opération devait se dérouler sur dix années. Ce délai a été reporté à maintes reprises, à l’heure actuelle la date limite est le 31 mars 2024, soit 36 années après la promulgation de la loi initiale !

 

Y a-t’il une raison pour ce retard ?

 

Nous sommes souvent, trop souvent, confrontés à des situations de blocage, qui ne sont pas dues à une lenteur administrative, mais qui sont le fruit d’un excès de zèle d’une administration qui s’arroge des droits qu’elle n’a pas.

 

Il y a lieu de se pencher sur la mission que le législateur a confié à l’administration du Cadastre et de la Topographie. Au fond, l’administration du Cadastre est appelée à procéder à la désignation des lots, tel que ceci ressort de l’article 2 de la loi du 19 mars 1988 sur la publicité foncière en matière de copropriété et ceci sur base d’une identification des différents lots de l’immeuble ; et le tout, à savoir l’ensemble des différents lots identifiés, constitue l’état descriptif de division. Le règlement grand-ducal du 22 juin 1988 concernant la publicité en matière de copropriété a précisé l’action de l’administration, l’article 3 stipule que l’administration a) vise les plans, b) détermine les lots en c) arrêtant, dans le tableau descriptif de division annexé, la désignation cadastrale, dont les définitions sont fixées dans le même article 3.

 

Ce travail est fait sur base d’un projet de tableau qui est soumis à l’administration par le demandeur de la désignation des lots et ce tableau descriptif, établi par le demandeur (le promoteur, respectivement l’homme de l’art qui est chargé par le syndicat des copropriétaires lorsque la copropriété existait avant l’entrée en vigueur de la loi), doit indiquer, outre la nature du lot, sa surface utile, la quote-part que ce lot détient dans les parties communes (les millièmes) et le numéro du parcellaire cadastral sur lequel est situé l’immeuble. Sur base de ce document, l’administration du cadastre et de la topographie doit faire les travaux qui lui sont imposés par le règlement grand-ducal. Et ce travail doit être bien compris : viser les plans est une opération de lire les plans et d’y apposer un visa, pour indiquer que ces plans ont été vus par l’administration. Elle détermine les lots et cette opération elle le fait en arrêtant un numéro cadastral sur le lot. L’opération de donner un numéro cadastral à un espace donné, constitue la détermination du lot. L’opération faite par l’administration du cadastre est celle d’arrêter le numéro cadastral, qui a comme conséquence que ce lot est déterminé dans la description de l’immeuble et que l’administration de l’enregistrement peut enregistrer tout acte portant sur cette entité.

 

Le rôle de l’administration se limite dès lors à arrêter un numéro, ou ne pas arrêter un numéro, à reconnaître un espace donné comme lot ou ne pas reconnaître cet espace comme lot, avec toutes les conséquences juridiques qui s’en suivent.

 

Cet acte, qui lui est confié de par la loi, est à considérer comme acte administratif, susceptible de recours devant les juridictions administratives.

 

Sur le site de l’administration du cadastre et de la topographie nous pouvons lire que les agents du service de la copropriété bâtie « valident les états descriptifs de division introduits par les géomètres officiels, les architectes et les ingénieurs-conseils ; ils vérifient notamment la conformité avec l’autorisation de construire, la justesse de la délimitation et de la désignation cadastrale des différents lots privatifs et l’exactitude du calcul des quotes-parts » (je souligne).

 

Or aucune loi, aucun règlement grand-ducal n’a donné à cette administration un tel pouvoir. Cette fausse information viole de manière flagrante le principe du droit administratif luxembourgeois des attributions concurrentes. Une administration ne peut agir que dans son domaine qui lui a été confié par la loi. Elle ne peut, pour motiver sa décision, se baser sur un autre acte administratif que si la loi le prévoit ainsi. Le législateur n’a pas demandé à l’administration du cadastre de vérifier les plans, il lui a demandé de viser les plans. La loi n’a pas donné à l’administration du cadastre et de la topographie le pouvoir de contrôler une conformité avec une autorisation de bâtir et de sanctionner indirectement un lot non conforme à l'autorisation de bâtir par un refus de viser les plans et d'établissement du cadastre vertical. Ce pouvoir de contrôle n’incombe qu’à la seule autorité qui est légalement en charge des autorisations de bâtir, le bourgmestre, et en cas de violation constatée, le seul pouvoir qui peut intervenir est le pouvoir judiciaire.

 

La loi n’a pas non plus donné à cette administration un pouvoir de vérification de l’exactitude des quotes-parts que détient chaque lot dans les parties communes. Les quotes-parts sont fixées dans le règlement de copropriété et elles reflètent le pourcentage que chaque lot, et ainsi chaque copropriétaire, détient en indivision forcée dans les parties communes. Elles fixent le pouvoir de vote, le nombre de voix à l’assemblée générale, elles fixent les droits et obligations financières de chaque copropriétaire, elles reflètent une partie de ses droits privés. Aucune loi, aucun principe juridique, ne permet à une administration d’intervenir ainsi dans des droits patrimoniaux privés. Dans le texte présenté par l’administration du cadastre l’auteur nous donne sa définition très personnelle des quotes-parts : « La quote-part des parties communes associée au lot privatif, est fonction de la surface, de la nature et de la hauteur sous plafond. La surface privative de chaque lot qui se distingue par sa nature ou par sa hauteur sous plafond, est multipliée par un coefficient de pondération qui traduit la valeur économique de la nature (appartement :1,0 / balcon : 0,4 / cave : 0,5 / commerce : 1,0 …) et par un coefficient de réduction, si la hauteur sous plafond est inférieure à deux mètres. … ». Comme si l’article 6 de la loi sur la copropriété des immeubles bâtis n’existait pas : « Dans le silence ou la contradiction des titres, la quote-part des parties communes afférente à chaque lot est proportionnelle à la valeur relative de chaque partie privative par rapport à l’ensemble des valeurs desdites parties, telles que ces valeurs résultent lors de l’établissement de la copropriété, de la consistance, de la superficie et de la situation des lots, sans égard à leur utilisation ». Ce texte est d’ordre public en vertu de l’article 40 de la loi, il est défendu de l’écarter. Nous constatons que c’est la loi qui fixe les critères d’évaluation des millièmes, une administration ne peut pas substituer ses critères aux critères légaux. La loi impose, une fois les millièmes fixés dans l’acte de base, seule l’assemblée générale, statuant à l’unanimité, peut modifier cette situation patrimoniale des copropriétaires et l’administration du cadastre n’a aucun pouvoir d’imposer aux copropriétaires de changer leur régime.

 

L’administration du cadastre et de la topographie s’arroge des droits qu’elle n’a pas, et avec cette activité, elle crée des situations très difficiles pour les copropriétaires. Il existe des  copropriétés, parfois très importantes, dont la structure des copropriétaires est très disparate, où il est impossible de réunir les 100% des copropriétaires à une assemblée générale et de les convaincre de modifier leur régime de propriété privé. Ces copropriétés restent en permanence dans une situation difficile puisque l’administration de l’enregistrement ne devrait pas enregistrer des actes soumis à enregistrement, dont notamment les ventes, les hypothèques et tout démembrement d’un droit réel. Pour sortir de l’impasse, on ne s’interroge pas sur son action, on prolonge les délais.


Me Georges KRIEGER

Avocat à la Cour

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