Droit immobilier

Les fouilles archéologiques : cauchemar de promoteurs ?

 

Les fouilles archéologiques : cauchemar de promoteurs ?



Au Grand-Duché de Luxembourg comme ailleurs, certains sites sont connus, le cas échéant répertoriés, pour leur « sensibilité archéologique ». Ils sont susceptibles d’accueillir des objets qui intéressent l’Histoire.

 

Si la découverte de vestiges est une aubaine pour certains, la perspective de pareilles trouvailles peut rapidement donner des cheveux blancs aux promoteurs, aux constructeurs, à toute personne désireuse de mener un chantier à terme et ce, dans un certain délai.

 

La question des fouilles archéologiques taraude les professionnels de l’immobilier.

 

Nous avons décidé de faire le point sur ce sujet.

 

Dans le contexte particulier de ces dernières années où le secteur immobilier au Luxembourg s’est trouvé sous tension (suites aux questions relatives à la TVA et à l’imposition de plus-value notamment), nous constatons, sous la houlette du Ministère de la Culture d’une part, du Ministère de l’environnement d’autre part, la tentation (regrettable, à notre estime) de « légiférer », dans le silence de la loi, par le biais de circulaires, de « Leitfaden », de guides des bonnes pratiques, voire sur base de pratiques administratives.

 

Tandis que le cadastre des sites potentiellement pollués (CASIPO) et celui des biotopes, que les possibilités offertes par l’administration de l’Environnement pour transformer des constructions existantes en zone verte, que l’opportunité de classer de nombreux immeubles comme bâtiments protégés au niveau communal ou sur la liste de l’inventaire supplémentaire, posent question, est apparu une nouvelle pratique administrative, sous l’impulsion du Centre national de la recherche archéologique (ci-après CNRA), celle des « fouilles préventives » avant chantier de construction.

 

Dans certaines hypothèses, le CNRA « prescrit » des fouilles préventives, en prenant contact avec le maître d’ouvrage ou le bourgmestre de la commune concernée, avant tout commencement des travaux sur chantier. Si de telles fouilles devaient être réalisées effectivement avant d’entamer les travaux autorisés, elles peuvent avoir pour effet de retarder lourdement le chantier, avec les conséquences juridiques et économiques qui en résultent, le cas échéant.

 

Au surplus, il nous revient que le propriétaire concerné supporterait alors le financement des travaux de fouilles, ne pourrait s'attacher les services que de certains prestataires de services déterminés et se verrait imposé un planning d'exécution, perturbant l'organisation du chantier.

 

Dans ces conditions, il convient de s’interroger si le CNRA a :

1) le pouvoir d’imposer des travaux de fouilles sur des terrains privés sans l’autorisation du ou des propriétaires concernés et ;

2) s’il peut même, le cas échéant, suspendre ou faire suspendre l’exécution d’une autorisation de construire.

 

Pour répondre à ces questions, il y a lieu de recadrer tout d’abord la législation relative aux fouilles archéologiques au Luxembourg.

 

La Loi du 21 mars 1966 concernant a) les fouilles historique, préhistorique, paléontologique ou autrement scientifique ; b) la sauvegarde du patrimoine culturel mobilier, abrogeant la loi du 26 mars 1937 concernant les fouilles et la protection des objets d’intérêt historique, préhistorique et paléontologique, avait principalement pour préoccupation de lutter contre les fouilles clandestines et l’appropriation, aux dépends de l’Etat, des objets trouvés par les « Indiana Jones » en quête de fortune ou de gloire.

 

La loi précitée n’a jamais eu pour objectif de permettra à un service, une administration de l’Etat de porter atteinte au droit de propriété, en lui accordant les pouvoirs d’imposer, sur des fonds privés, des fouilles préventives.

 

Quant au CNRA, il fut créé auprès du Musée national d’histoire et d’art par règlement grand-ducal du 24 juillet 2011.

 

Il a notamment pour mission de faire l’inventaire du patrimoine archéologique national. Il entreprend, organise et développe « toutes formes de recherches scientifiques en archéologie, allant de la fouille proprement dite aux recherches en laboratoire » puis protège et met en valeur le patrimoine archéologique national. Pour se faire, il instruit et gère les « demandes d’autorisations de recherches et de fouilles adressées au ministre […] »

 

Derechef, aucune disposition du règlement grand-ducal précité ne permet au CNRA d’imposer des fouilles préventives sur un terrain. Le propriétaire du terrain concerné pourra exécuter son autorisation de construire, le cas échéant, en dépit de la volonté du CNRA de faire procéder à des fouilles préalables.

 

En réalité, la seule obligation du maître d’ouvrage est issue de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, qui, en son article 30, alinéa 2, énonce :

 

« si la découverte  (de vestiges, inscriptions ou objets intéressant l’archéologie, l’histoire ou l’art) a lieu sur le terrain d’un particulier, le propriétaire de l’immeuble et l’entrepreneur sont tenus d’en donner immédiatement avis au bourgmestre de la commune qui informe d’urgence le directeur du Musée de l’Etat. Sur l’avis de ce dernier, le Gouvernement peut poursuivre l’expropriation dudit terrain, en toute ou en partie, pour cause d’utilité publique, suivant les formes de la loi du 15 mars 1979 (c'est-à-dire moyennant une juste indemnité)».

 

Cette disposition est la seule, actuellement, à décrire comment agir dans le cadre de découvertes archéologique sur un chantier de construction, la pratique des fouilles préventives n’étant pas encadrée par la loi.

 

Bien entendu, il reste loisible pour un propriétaire d'organiser et d'accepter des fouilles préventives sur son terrain, avant le début d'un chantier de construction, en bonne collaboration avec le CNRA.

 

Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour

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