Droit immobilier

CSRD : le défi de la durabilité - responsabilité des entreprises en matière environnementale, sociale et de gouvernance

CSRD : le défi de la durabilité - responsabilité des entreprises en matière environnementale, sociale et de gouvernance

 

Depuis quelques années, l'Europe place la durabilité au cœur de ses préoccupations. Cette évolution est incarnée par une série de réglementations visant à renforcer la transparence et la responsabilité des entreprises en matière environnementale, sociale et de gouvernance (« ESG »).

 

Au cœur de ces efforts se trouve la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (directive « CSRD » – Directive (UE) 2022/2464), qui marque une étape décisive dans la réglementation de la durabilité des entreprises.

 

L'origine : de la NFRD à la CSRD

 

Tout a commencé avec la directive sur la publication d'informations non financières (« NFRD ») en 2014, qui a introduit pour la première fois des exigences de divulgation en matière de durabilité pour les entreprises européennes. Cette directive a jeté les bases de la transparence non financière, incitant les entreprises à rendre compte de leur impact sur l'environnement, la société et la gouvernance.

 

La CSRD

 

En 2022, la Commission européenne a adopté la CSRD, élargissant et renforçant les exigences de divulgation établies par la NFRD. La CSRD introduit les normes européennes de publication en matière de durabilité (ESRS[1]), définissant les sujets et les indicateurs que les entreprises doivent couvrir dans leurs rapports de durabilité (ex : le changement climatique[2], la biodiversité[3], la pollution[4], les employés[5] et la conduite des affaires[6]).

 

Ces normes sont conçues pour offrir un cadre standardisé uniforme pour les rapports des entreprises, facilitant ainsi la comparabilité et la fiabilité des informations.

 

En élargissant les exigences de rapport, les normes encouragent les entreprises à examiner attentivement leur impact sur l'ensemble de leur écosystème opérationnel, y compris les fournisseurs, les partenaires commerciaux et les communautés locales.

 

Le concept de double matérialité est également crucial. Il reconnaît que les entreprises ont non seulement un impact sur leur environnement, mais sont également influencées par les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance qui les entourent. Ainsi, les normes obligent les entreprises à tenir compte des risques et des opportunités ESG non seulement pour leur propre activité, mais aussi pour leur environnement externe, assurant ainsi une prise de décision plus holistique et informée en matière de durabilité. On parle de la matérialité financière considérant la façon dont les questions de durabilité génèrent des opportunités et des risques pour la performance financière de l’entreprise et de la matérialité d’impact considérant la façon dont les activités de l’entreprise impactent positivement ou négativement son environnement.

 

L’objectif de la CSRD est donc de rendre obligatoire la publication d'informations sur l'impact environnemental et social des entreprises, ainsi que leur gouvernance, et d'exiger un audit de ces informations.

 

La CSRD s'inscrit dans un paysage réglementaire plus large, comprenant d'autres initiatives visant à promouvoir la durabilité des entreprises. Ces réglementations convergent vers un objectif commun : renforcer la transparence et la responsabilité des entreprises en matière de durabilité.

 

La CSRD au Luxembourg

 

Le Luxembourg se prépare à adopter une législation importante en matière de durabilité des entreprises, dans le cadre de la transposition de la CSRD.

 

A cet égard, le projet de loi n° 8370 a été déposé. Il vise à transposer la directive CSRD qui doit être mise en œuvre dans le droit national des États membres d'ici le 6 juillet 2024.


Quelles entreprises sont concernées par la CSRD ?

 

L’ancienne directive NFRD ne visait que les grandes entités d’intérêt public employant plus de 500 salariés, la CSRD a considérablement élargit le champ d’application de l’obligation d’information en matière de durabilité.

 

La CSRD s'applique aux entreprises européennes privées et publiques, ainsi qu'aux entreprises non européennes exerçant une activité importante dans l'UE. Les entreprises doivent se conformer aux normes ESRS et publier des rapports sur leur durabilité selon les directives de la CSRD. Les dates limites de publication des rapports varient selon le type et la taille de l'entreprise.

 

Les entreprises concernées par la CSRD sont :

 

  • Les entreprises basées dans l’UE qui étaient déjà dans le champ d’application de la NFRD

 

  • Les entreprises basées dans l'UE qui dépassent deux des trois critères suivants à deux dates de bilan consécutives (grandes entreprises) :

 

  • Plus de 250 employés
  • Un chiffre d'affaires net de plus de 50 millions d’euros
  • Un bilan de plus de 25 millions d’euros

 

  • Les petites et moyennes entreprises (PME) basées dans l'UE qui sont cotées en bourse et qui remplissent certains critères spécifiques :

 

  • 50 employés ou moins
  • Un chiffre d’affaires net de minimum 7,5 millions d’euros
  • Un bilan de minimum 5 millions d’euros

 

  • Les entreprises ou groupes non européens qui ont réalisé un chiffre d’affaires de plus de 150 millions d’euros dans l'UE au cours des deux dernières années et qui ont :

 

  • Une filiale de l'UE cotée en bourse ou une filiale de l'UE considérée comme une « grande entreprise » ou à défaut
  • Une filiale/succursale de l'UE dont le chiffre d'affaires net est supérieur à 40 millions d’euros.

 

La mise en œuvre de la CSRD

 

La directive CSRD prévoit une mise en œuvre progressive, avec des dates de première application spécifiques pour chaque catégorie d'entreprises :

 

À partir du 01/01/2024 :

 

Grandes entreprises :

 

  • Dont les valeurs mobilières sont cotées sur un marché réglementé de l'UE
  • Qui emploient plus de 500 salariés

 

Entreprises :


  • Dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé de l’UE
  • Qui sont des entreprises mères à la tête d’un grand groupe
  • Qui emploient plus de 500 salariés

 

À partir du 01/01/2025 :

 

Grandes entreprises :


  • Dépassant au moins deux des trois critères « adaptés » définis par les lois spécifiques, à savoir :

 

  • Total du bilan : > 25 millions d’euros
  • Chiffre d’affaires net : > 50 millions d’euros
  • Qui emploient plus de 250 salariés

 

Entreprises :


  • Dépassant au moins deux des trois critères « adaptés » définis par les lois spécifiques, à savoir :

 

  • Total du bilan : > 25 millions d’euros
  • Chiffre d’affaires net : > 50 millions d’euros
  • Qui emploient plus de 250 salariés

 

À partir du 01/01/2026 :

 

Petites entreprises et moyennes entreprises :

 

  • Dont les valeurs mobilières sont cotées sur un marché réglementé de l'UE et qui ne sont pas des microentreprises[7]

 

Établissements de crédit de petite taille et non complexes:

 

  • Sont des grandes entreprises ou
  • Sont des PME (hors microentreprises) dont les valeurs mobilières sont cotées sur un marché réglementé

 

Entreprises captives d'assurance et entreprises captives de réassurance :

 

  • Sont des grandes entreprises ou
  • Des PME (hors microentreprises) dont les valeurs mobilières sont cotées sur un marché réglementé

 

À partir du 01/01/2028 :

 

Entreprises de pays tiers :

 

  • Réalisant au moins 150 millions d'euros de chiffre d'affaires net dans l'UE
  • Disposant au moins dans l'UE :

-          D'une grande entreprise filiale ou d'une PME filiale dont les valeurs mobilières sont cotées sur un marché réglementé de l'UE, ou

-          D'une succursale réalisant plus de 40 millions d'euros de chiffre d'affaires net.

 

 

Pendant les trois premières années d'application de la directive CSRD, si toutes les informations concernant la chaîne de valeur ne sont pas disponibles, l'entreprise doit expliquer ses efforts pour les obtenir, les raisons pour lesquelles elles n'ont pas pu être obtenues et ce qu'elle prévoit de faire à l'avenir.

 

Enfin, pour les exercices débutant avant le 01/01/2028, les petites et moyennes entreprises dont les valeurs mobilières sont cotées sur un marché réglementé peuvent choisir de ne pas inclure d'informations sur la durabilité dans leur rapport de gestion, mais elles doivent indiquer brièvement les raisons de cette omission.

 

Les exemptions et dérogations

 

Les sociétés filiales peuvent bénéficier d’une exemption de reporting si un rapport de durabilité consolidé est préparé par leur société mère et à condition qu’elles mentionnent cette exemption et qu’elles fassent référence au rapport de durabilité consolidé de leur société mère. Cette exemption ne s’applique pas aux grandes entreprises dont les valeurs mobilières sont cotées sur un marché réglementé d’un État membre.

 

Pour les trois premières années d’application (exercices 2024, 2025 et 2026), si les informations nécessaires concernant leur chaîne de valeur ne sont pas toutes disponibles, les entreprises disposeront alors de la faculté d’omettre lesdites informations en expliquant :

 

– les efforts déployés pour obtenir les informations,

– les raisons pour lesquelles les informations n’ont pas été toutes obtenues et

– les plans de l’entreprise pour obtenir à l’avenir toutes les informations nécessaires.

 

Pour les exercices commençant avant le 1er janvier 2028, les PME dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé, peuvent décider de ne pas inclure dans leur rapport de gestion l’information en matière de durabilité. Dans ce cas, l’entreprise indique cependant sommairement dans son rapport de gestion les raisons pour lesquelles les informations en matière de durabilité n’ont pas été fournies.

 

L'implication sectorielle : focus sur le secteur de l’immobilier et de la construction

 

Dans le secteur de l'immobilier et de la construction, l'impact sur l'environnement et la société est particulièrement important. Les entreprises de ce secteur sont confrontées à des défis uniques en matière de durabilité, notamment la gestion des ressources naturelles, l'efficacité énergétique des bâtiments et les conditions de travail sur les chantiers.

 

La CSRD et la SFDR incitent les entreprises du secteur immobilier et de la construction à rendre compte de manière plus complète et précise de leur performance ESG. Cela contribue à accroître la transparence et à responsabiliser ces entreprises quant à leur impact sur l'environnement et la société.

 

Les normes ESRS élargissent les sujets et les indicateurs que les entreprises du secteur doivent couvrir dans leurs rapports de durabilité, notamment en ce qui concerne l'utilisation des ressources, l'efficacité énergétique des bâtiments, les émissions de carbone et les impacts sur les communautés locales.

 

Les entreprises du secteur (concernées !) doivent se conformer à des échéances réglementaires précises pour la collecte et la présentation de données conformes aux normes ESRS. Cela nécessite une préparation proactive pour répondre aux nouvelles obligations de divulgation.

 

Les réglementations obligent le secteur de la construction à développer des bâtiments plus durables, ce qui exige une adaptation à des normes plus strictes en matière d'efficacité énergétique et de faible empreinte carbone.

 

Ces réglementations transforment le paysage immobilier en favorisant des pratiques commerciales plus durables et en accroissant la transparence autour des activités ESG. La durabilité devient ainsi un impératif pour réussir dans ce secteur.

 

Par ailleurs, les investisseurs et les gestionnaires de fonds doivent intégrer les critères ESG dans leur leurs stratégies d'investissement pour évaluer la valeur des biens et gérer les portefeuilles immobiliers et démontrer comment ils contribuent aux objectifs de durabilité.

La directive CSRD n’a pas qu’un impact sur les acteurs soumis à l’obligation d’établir un rapport de durabilité. 

Par ricochet, elle a un effet sur toute la chaîne d’approvisionnement, en ce que les différents co-contractants (fournisseurs, sous-traitants, etc.) des entreprises soumises à l’obligation transmettent certaines données.

Le secteur est donc confronté à un défi majeur en matière de durabilité.


Contrôle du contenu de l’information en matière de durabilité

 

Alors que la directive NFRD ne requérait du contrôleur légal des comptes qu’il vérifie que la déclaration non financière avait bien été fournie, soit un contrôle de l’existence du document mais non de son contenu, la directive CSRD oblige le contrôleur légal à émettre, sur la base d’une mission d’assurance limitée, un avis sur la conformité de l’information (consolidée) en matière de durabilité.

 

A noter que – sur base de l’exercice d’une option par le Luxembourg – le contrôleur légal des comptes en charge de la mission d’assurance limitée sur l’information (consolidée) en matière de durabilité peut être le contrôleur légal de l’entreprise ou du groupe (le réviseur d’entreprises agréé) ou peut être un contrôleur légal des comptes autre (un autre réviseur d’entreprises agréé) que celui qui a la charge du contrôle légal des comptes (audit des états financiers).

Contrôle de l’application et sanctions

 

Au Luxembourg, la CSSF a compétence pour contrôler l’information (consolidée) en matière de durabilité qui ne peut se retrouver désormais qu’au sein du rapport (consolidé) de gestion.

 

Les entreprises cotées en bourse pourront se voir infliger des sanctions administratives par la CSSF. Le cas échant, des sanctions pénales pourront également s’appliquer.

 

S’agissant des entreprises et entreprises mères visées par la directive CSRD autres que les entreprises précitées, celles-ci ne seront pas soumises au contrôle de l’application par la CSSF. En revanche, ces entreprises pourront se voir infliger des sanctions pénales en cas de manquement à leurs obligations relatives à l’information (consolidée) en matière de durabilité.

 

Au-delà des sanctions pénales, le non-respect des dispositions relatives à l’information (consolidée) en matière de durabilité pourra s’accompagner d’un risque réputationnel, d’un risque de marché vis-à-vis de sa chaîne de valeur et surtout d’un risque d’interruption de l’accès aux sources de financement vis-à-vis des banquiers et autres bailleurs de fonds.

 

Conclusion

 

La directive CSRD marque une étape cruciale dans la transformation des entreprises visées vers une durabilité intégrée. En imposant des normes de transparence rigoureuses, elle ne se contente pas de redéfinir les obligations de reporting, mais elle impose un changement de paradigme profond, où la responsabilité environnementale, sociale et de gouvernance devient un pilier central des stratégies d’entreprise.

 

Pour le secteur immobilier, qui se trouve à la croisée des chemins en raison de son impact massif sur l’environnement, la CSRD est à la fois un défi et une opportunité. Les entreprises doivent se préparer à naviguer dans ce nouveau paysage réglementaire, où l’inaction n’est plus une option. En intégrant pleinement les critères ESG dans leurs pratiques, elles peuvent non seulement se conformer aux nouvelles exigences, mais aussi renforcer leur résilience, attirer des investisseurs conscients et s’imposer comme des leaders de la transition vers une économie durable.

 

Cependant, la mise en œuvre de la directive CSRD représente un défi colossal pour les entreprises, en particulier pour celles du secteur immobilier. La transition vers un reporting de durabilité complet et conforme aux nouvelles normes nécessite une restructuration significative des processus internes et une mobilisation des ressources à tous les niveaux de l’organisation.

 

Les entreprises devront surmonter plusieurs obstacles majeurs. La collecte de données ESG fiables et exhaustives sur l'ensemble de la chaîne de valeur est une tâche complexe, souvent entravée par des systèmes de gestion de données disparates et des capacités analytiques limitées. De plus, l'intégration de la double matérialité, qui exige une évaluation simultanée des impacts internes et externes, pose un défi méthodologique et stratégique considérable.

 

L'adaptation aux nouvelles exigences légales et normatives entraînera également des coûts substantiels, tant initiaux que récurrents, pouvant peser lourdement sur les budgets des entreprises. Le besoin d'expertise spécialisée en finance durable et en reporting ESG ajoute une couche supplémentaire de complexité, obligeant les entreprises à recruter ou former du personnel qualifié.

 

Enfin, la crainte des sanctions financières, des risques réputationnels et de l'éventuelle perte d'accès au financement place les entreprises sous une pression accrue. Les délais serrés imposés par la directive aggravent ces défis, rendant la planification et l'exécution de cette transition encore plus délicates.

 

En somme, la directive CSRD, bien qu'essentielle pour une économie plus durable, confronte les entreprises à des difficultés significatives. Les entreprises qui parviendront s’adapter rapidement pourront non seulement se conformer à la législation, mais aussi en tirer parti pour se démarquer dans un marché de plus en plus axé sur la durabilité. Pour les autres, le chemin nécessitera une stratégie robuste pour éviter les pièges de cette nouvelle ère réglementaire.

 

 

Me Raffaela FERRANDINO - Avocat à la Cour

Me Sébastien COUVREUR - Avocat à la Cour - Partner

 

 

 



[1] (European Sustainability Reporting Standards, ou Normes européennes d’information en matière de durabilité). Ces normes sont élaborées par l’EFRAG.

[2] Publications relatives à l’atténuation ainsi qu’à l’adaptation au changement climatique

[3] Publications relatives aux relations que l’entreprise entretient avec les habitats terrestres, d’eau douce et marins et les écosystèmes et populations d’espèces animales et végétales concernées.

[4] Publications relatives à la pollution de l’air, de l’eau et des sols et aux substances préoccupantes.

[5] Conditions de travail, etc.

[6] Éthique et culture d’entreprise, etc.

[7][7] « microentreprise », une entreprise autre qu’une société de participation financière, qu’une entreprise soumise à la surveillance prudentielle de la CSSF, qu’une entreprise du secteur des assurances, qu’une société de titrisation régie par la loi du 22 mars 2004 non soumise à la surveillance prudentielle de la CSSF ou qu’un fonds d’investissement alternatif réservé qui, à la date de clôture du bilan, ne dépasse pas pendant deux exercices consécutifs, les limites chiffrées d’au moins deux des trois critères suivants :

a) total du bilan : 450 000 euros ;

b) chiffre d’affaires net : 900 000 euros ;

c) nombre moyen de salariés au cours de l’exercice : 10

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