Droit immobilier

L’administration est-elle « transparente et ouverte » ?

Me Elie DOHOGNE

 

L’administration est-elle « transparente et ouverte » ?

 

Il y a de cela déjà quatre ans et demi, nous avions le plaisir de présenter[1] la réjouissante – à l’époque du moins – nouvelle loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte.

 

Les attentes des soussignés à l’égard de cette nouvelle législation étaient énormes.

 

La ratio legis de cette loi – faisant suite au constat que, trop souvent, les administrations travaillaient de manière trop opaque pour l’administré – visait à établir un cadre pour la mise en œuvre d'une politique d'ouverture des documents détenus par les administrations envers les citoyens.

 

Ainsi, sauf exceptions énumérées limitativement, l’administré dispose d’un droit à obtenir les documents sollicités, « dans la mesure où les documents sont relatifs à l’exercice d’une activité administrative. ».

 

Si le but initial était certainement louable, certaines exceptions développées par le législateur n’étaient pas directement sans poser question.

 

La pratique a démontré que, malheureusement, les administrations en ont usé et abusé.

 

A l’heure de faire un premier bilan, il n’est pas exagéré d’affirmer que – du moins de l’expérience des soussignés – peu d'entre elles ont adapté leur mode de fonctionnement et continuent à opérer de manière peu transparente[2].

 

Face à certaines dérives observées, les juridictions administratives ont été amenées à fixées certaines balises[3].

 

La révolution dans la pratique administrative quotidienne attendue et espérée n’a pas eu lieu[4].

 

Pire même, les praticiens ont dû constater que certains documents qui n’étaient pas systématiquement refusés auparavant, l’ont été après l’entrée en vigueur de ladite loi de 2018.

 

Ainsi, par exemples, on a vu çà et là des communes refuser de communiquer des copies de plans et autres calculs techniques sur base d’un droit à la propriété intellectuelle ou encore du droit à la vie privée. Par ailleurs, la communication de procès-verbaux a également été refusée, pour la raison qu’il s’agirait de « documents internes » à l’administration (s’agissant d’une exception prévue dans la loi).

 

Certains sujets ne sont par ailleurs pas clarifiés, comme le droit de prendre des photographies de documents portés à la consultation du public. La surveillance rapprochée exercée par certains fonctionnaires communaux à cet égard, vis-à-vis de documents administratifs devant pourtant être légalement communicables, nous semble souvent bien excessive. Elle est probablement motivée par la crainte de faire un faux-pas.

 

Fort heureusement, cette loi – à notre estime méconnue et malmenée – a prévu l’instauration d’une commission d’accès aux documents (‘CAD’), laquelle peut être saisie pour avis. Elle est la garante de l’application correcte de la loi.

 

Pour reprendre les quelques exemples de refus évoqués ci-avant, on voudrait souligner qu’en ce qui concerne des plans d’architecte, la CAD, interrogée pour avis par une commune, estima que « la simple communication et publication de documents n’a pas vocation à elle seule d’enfreindre des droits de propriété intellectuelle et ne donne pas non plus droit à la violation de ces droits de propriété intellectuelle par une autre personne. Les plans d’une demande de permis sont donc communicables, de ce point de vue »[5].

 

Par ailleurs, elle est également d’avis que les déclarations de travaux, autorisations de bâtir, les plans intérieurs et extérieurs faisant partie intégrante des autorisations, sont communicables : « En ce qui concerne l’identité et l’adresse du bénéficiaire de l’autorisation de bâtir, ces données ont déjà fait l’objet d’une publicité légale. Par conséquent, la Commune de XXX ne peut pas se prévaloir de l’exception relative à la protection des données à caractère personnel (article 6, point 1°, de la Loi) pour en refuser la communication. La CAD tient à préciser que conformément à l’article 37, alinéa 6 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain, les plans afférents à l’autorisation de construire peuvent être consultés pendant le délai durant lequel l’autorisation est susceptible de recours. Cet article, depuis sa modification en 2017, ne distingue plus entre plans extérieurs et intérieurs. Il s’ensuit que les plans dévoilant l’intérieur d’un immeuble ne sauraient être soustraits à l’obligation de publicité légale et, par conséquent, ne tombent pas sous la protection prévue à l’article 6, point 1°, de la Loi »[6].

 

Corollairement – toujours dans cet esprit de transparente maximale - le demandeur de permis pourrait en principe avoir accès aux éventuelles réclamations qui auraient été déposées à l’encontre de son projet par des tiers intéressés.

 

La CAD, avait déjà pu indiquer à la demande d’une commune que « la simple correspondance de particuliers, respectivement de leurs avocats, peut constituer un document relatif à l’exercice d’une activité administrative au sens de l’article 1ier de la loi »[7].

 

Plus récemment, des administrés bénéficiaires d’un permis ont eu échos que leurs voisins se seraient plaints, auprès des services communaux, de leur chantier. La commune, suite probablement à un courriel de ces voisins, s’était déplacée sur les lieux avant d’ensuite inviter lesdits administrés à exécuter des aménagements, respectivement à achever l’ensemble des aménagements prévus dans le permis de bâtir dont ils étaient bénéficiaires.

 

L’administration avait refusé l’accès à cette demande au motif d’abord qu’elle n’aurait pas été suffisamment précise et qu’ensuite il s’agirait de communications électroniques, lesquels ne seraient selon elle pas à considérer comme étant des documents administratifs communicables au sens de la loi.

 

La CAD[8] a pu exposer qu’ « en ce qui concerne les réclamations écrites des voisins, la CAD retient que les dispositions de la Loi s’appliquent à tous les documents communicables, quel que soit leur support. Le fait qu’il s’agit de communications électroniques ne faut aucunement obstacle à l’application des dispositions de la Loi ».

 

Enfin, en ce qui concerne les procès-verbaux qui sont rédigés par les administrations, la CAD estime qu’ils « ne sont pas à considérer comme des « communications internes » au sens de l’article 7, point 4 de la Loi » lorsque ce document est retenu en tant que motivation officielle d’une décision[9].

 

Pour conclure ce petit tour d’horizon de différents avis -  choisis par nos soins - que la CAD a pu rendre depuis l’entrée en vigueur de la loi, on peut affirmer que cette dernière est méconnue, et partant malmenée.

 

Elle est méconnue à deux titres :

 

En premier lieu parce que les administrations, trop souvent, refusent des documents qui devraient être transmis ; ce qui fait que la loi est malmenée. Fort heureusement, comme cela l’est exposé au travers de cet article – qui honore la commission d’accès et ses membres –  la CAD vient régulièrement ramener à la loi sa magnificence.

 

En second lieu puisque – d’après notre interprétation du nombre assez faible d’avis rendus – il semble qu’elle soit sous-utilisée par les administrés et leurs conseils.

 

Puisse cet article, si pas convaincre les administrations à se conformer à la loi, au moins inviter les lecteurs à ne jamais hésiter à solliciter un document auprès d’une administration et, en cas de refus irrégulier, saisir ladite commission d’accès aux documents.

 

 Maître Elie DOHOGNE 

Avocat à la Cour - Senior Associate

 

 

 

 

 

 



[2] Nous devons toutefois admettre que certaines administrations n’hésitent pas à saisir d’elles-mêmes la CAD, afin d’avoir son avis sur certains documents.

[4] Étant ici précisé ici que la loi précitée n’est pas la seule base légale qui puisse être invoquée à l’appui d’une demande, laquelle peut suivant le cas de figure est également appuyée par les règles relatives à la procédure administrative non contentieuse – ‘PANC’ – ou encore l’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004.

[5] Avis n° 6/2023.

[6] Avis n° R-4/2022.

[7] Avis n° 4/2019.

[8] Avis n° R-10/2024.

[9] Avis n° R-11/2022.

Retour sommaire