Droit immobilier

Les œuvres d’art obligatoires dans les édifices publics luxembourgeois

Les œuvres d’art obligatoires dans les édifices publics luxembourgeois

 

La loi du 8 mars 2023 relative à l'intégration d’œuvres artistiques dans les édifices publics vise à promouvoir la création artistique sur le territoire luxembourgeois en imposant, dans certaines hypothèses, l’intégration d’œuvres artistiques dans les édifices financés par l’Etat, les communes ou les établissements publics.

 

1. Origine de la disposition

 

Le mécanisme de participation financière de l’Etat à la création artistique via l’intégration d’œuvres artistiques dans les édifices publics remonte à la loi du 30 juillet 1999 concernant :

a)            le statut de l'artiste professionnel indépendant et l'intermittent du spectacle

b)           la promotion de la création artistique.

 

Les travaux préparatoires (Doc. Parl n° 4177) exposaient :

 

« Un soutien efficace pour les artistes professionnels indépendants consiste à leur assurer le marché le plus large possible. Dans le cadre de leurs obligations, l‘Etat, les communes et les établissements publics investissent régulièrement des sommes importantes dans la construction de nouveaux bâtiments publics.

 

Dans le passé déjà, l’Etat a pris en considération, lors de l‘adjudication de ses travaux de construction pour la majorité des cas, la revendication des artistes visant à réserver 1% du coût total à la décoration artistique de l’immeuble, et le Gouvernement & itérativement invité les communes à prévoir une partie modeste de la dépense globale pour des travaux artistiques. Par le présent article, cette pratique est consacrée par la loi.

 

Pour chaque nouvelle construction d’un édifice par l’Etat, les communes ou les établissements publics, il est à réserver un certain pourcentage du coût total à la création d'œuvres artistiques. S'il s’agit d‘un édifice à vocation culturelle (par exemple centre culturel) ou éducative (par exemple école, conservatoire), l'investissement dans les arts est plus élevé.

 

Les commandes d‘œuvres d‘art se pratiquent généralement par voie de concours public, pour lesquels deux constellations pourraient se présenter : le concours restreint ouvert aux seuls artistes professionnels indépendants, et le concours ouvert à tous les artistes professionnels, indépendants ou non. En effet s’il s’agit d‘assurer en premier lieu un marché aux artistes professionnels indépendants en leur donnant pour un certain nombre de bâtiments la priorité lors de certaines commandes publiques il ne semble pas opportun, pour des raisons de diversité et de concurrence artistiques de leur réserver la totale exclusivité. ».

 

2. Champ d’application

 

Selon l’article 1er de la loi du 8 mars 2023 relative à l'intégration d’œuvres artistiques dans les édifices publics, « Lors de la construction, de l’extension, de la transformation ou de la réhabilitation d’un édifice par l’État, ou, s’agissant des projets bénéficiant d’un financement ou d’un subventionnement d’au moins 25 pour cent de la part de l’État, par les communes ou les établissements publics, un pourcentage du coût de construction de l’immeuble ne pouvant pas être en dessous de 1 pour cent est affecté à l’acquisition ou à la création d’œuvres artistiques à intégrer dans l’édifice ou ses abords. ».

 

Les travaux préparatoires retiennent que « Cet article reprend essentiellement l’ancien article 10 de la loi modifiée du 19 décembre 2014 relative 1) aux mesures sociales au bénéfice des artistes professionnels indépendants et des intermittents du spectacle 2) à la promotion de la création artistique (ci-après la « Loi »), mais le modifie sur certains points », étant précisé que la loi de 2014 a succédé à celle de 1999.

 

Le paragraphe 5 de la disposition précitée prévoit que « Les édifices visés par la présente loi sont les immeubles susceptibles de recevoir du public autres que ceux ayant un usage industriel, commercial ou purement technique ».

 

Selon les travaux préparatoires de la loi précitée, « Afin d’éviter d’éventuels problèmes d’interprétation quant à la notion de « visiteur », sont désormais visés les immeubles « susceptibles de recevoir du public » afin de clarifier que les immeubles visés par le projet de loi sont les immeubles dont la vocation première n’est pas d’accueillir du public, mais pouvant accueillir du public (par exemple les écoles, hôpitaux, maisons de soins,…).

 

Toutefois, afin de ne pas élargir de façon excessive le cercle des immeubles concernés, il est proposé d’excepter les immeubles ayant un usage industriel, commercial ou purement technique, afin d’exclure du champ d’application les ponts, stations d’épuration, parkings,… dont certains sont théoriquement susceptibles de recevoir du public, mais qui ne sont pas conçus comme tels. »

 

3. Montants à consacrer aux œuvres artistiques


L’article 1er (2) de la loi de 2023 expose que :

« Le pourcentage inclut tous les frais en relation avec le projet artistique, ainsi que tous les frais directement liés à la sélection des artistes et les indemnités des membres du comité artistique. ».

 

L’alinéa suivant retient que « Le coût de construction servant de base au calcul du pourcentage correspond au coût prévisionnel des travaux, hors taxes résultant de l’avant-projet définitif. Sont exclus de l’assiette servant de base de calcul les honoraires de la maîtrise d’œuvre et les dépenses des équipements et d’aménagement extérieur. ».

 

Ainsi, pour la construction d’un édifice d’un coût de 5 millions d’euros suivant devis estimatif calculé à partir de l’APD, au moins 50.000 euros devront être consacrés à « l’acquisition ou à la création d’œuvres artistiques à intégrer dans l’édifice ou ses abords ».

 

La loi prévoit également que le montant à affecter à l’acquisition ou à la création d’œuvres artistiques est plafonné à un maximum de 500.000,00 euros par édifice.

 

La loi prévoit la création d’une commission d’aménagement artistique et de comités artistiques chargés notamment d’accompagner les autorités publiques dans le processus de sélection des projets artistiques, conformément aux dispositions du « règlement grand-ducal du 9 juin 2023 déterminant les modalités des procédures de sélection prévues par la loi du 8 mars 2023 relative à l’intégration d’œuvres artistiques dans les édifices publics, ainsi que les missions, la composition et le fonctionnement de la commission d’aménagement artistique et du comité artistique instaurés par la même loi ».

 

4. Quelles sanctions en cas de non-respect de l’obligation ?

 

Ni la loi de 1999, ni la loi de 2014, ni celle de 2023, pas plus que les travaux préparatoires, ne spécifient les sanctions qui seraient applicables dans l’hypothèse où l’obligation d’affecter des dépenses minimales à l’acquisition ou à la création d’œuvres artistiques à intégrer dans les édifices publics, ne serait pas respectée.

 

Il faut en conclure, a priori, sur base du principe «  nullum crimen, nulla poena sine lege » et « pas de nullité sans texte », qu’une méconnaissance des dispositions de la loi précitée ne saurait, en principe, avoir des conséquences juridiques ni sur les autorisations de construction, ni sur les procédures d’adjudication concernant les travaux de construction des édifices publics relevant du champ d’application de la loi de 2023.

La seule conséquence envisageable selon nous, en supposant une faute de l’autorité publique débitrice de l’obligation d’affecter au moins 1% des dépenses à la réalisation d’une œuvre artistique à intégrer dans l’édifice ou ses abords, laquelle faute causerait hypothétiquement un dommage à autrui (par exemple, à un artiste qui pourrait se prévaloir de la perte d’une chance d’obtenir potentiellement le marché dont la procédure n’aurait pas été introduite), serait l’introduction d’une action en responsabilité civile extra-contractuelle.

 

5. Marchés publics

 

La loi précitée a inséré un nouveau paragraphe à l’article 19 de la loi modifiée du 8 avril 2018 sur les marchés publics, pour retenir que :

 

« Il peut être recouru à la procédure restreinte avec publication d’avis lorsqu’il s’agit d’un marché public dont l’objet est l’acquisition ou la création d’œuvres artistiques à intégrer dans les édifices conformément à l’article 1er de la loi du 8 mars 2023 relative à l’intégration d’œuvres artistiques dans les édifices (…) à condition de ne pas dépasser les seuils prévus à l’article 52. »

 

En d’autres termes, la procédure restreinte dans l’hypothèse précitée n’est possible que pour les marchés dits « nationaux » à l’exclusion des marchés dits « européens », relevant du champ d’application du Livre II de la loi du 8 avril 2018.  

 

Les pouvoirs adjudicateurs peuvent limiter le nombre de candidats respectant les critères de sélection qu’ils inviteront à soumissionner, pour autant que le nombre minimum, fixé à l’alinéa 4, de candidats qualifiés soit disponible.

 

Les pouvoirs adjudicateurs indiquent, dans l’avis de marché ou dans l’invitation à confirmer l’intérêt, les critères ou règles objectifs et non discriminatoires qu’ils prévoient d’appliquer, le nombre minimum de candidats qu’ils prévoient d’inviter et, le cas échéant, leur nombre maximum.

 

Le nombre minimal de candidats est de cinq. En tout état de cause, le nombre de candidats invités doit être suffisant pour assurer une concurrence réelle.

 

Les pouvoirs adjudicateurs invitent un nombre de candidats au moins égal au nombre minimal. Toutefois, lorsque le nombre de candidats satisfaisant aux critères de sélection et aux niveaux minimaux de capacité, visés à l’article 30, paragraphe 5, est inférieur au nombre minimum, le pouvoir adjudicateur peut poursuivre la procédure en invitant les candidats ayant les capacités requises. Dans le cadre de cette même procédure, le pouvoir adjudicateur n’inclut pas les opérateurs économiques n’ayant pas demandé à participer ou des candidats n’ayant pas les capacités requises ».

 

Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour - Partner

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