Droit immobilier

Transition énergétique au Luxembourg : entre ambitions et réalisme

Transition énergétique au Luxembourg : entre ambitions et réalisme


Le projet de loi relatif à la transition énergétique (n° 8317) a été déposé le 28 septembre 2023 et a pour objectifs principaux de promouvoir le développement des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, en réformant les lois énergétiques existantes pour tenter de répondre aux défis climatiques actuels et futurs, défis renforcés notamment par la révision récente de la Constitution, soulignant l'urgence de l'action climatique.

 

Le cadre législatif actuel aurait donc atteint ses limites et le projet de loi viserait à fournir un cadre juridique pour soutenir les efforts en matière d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables.

 

Parmi les mesures phares du projet de loi, on trouve ce qui suit :

 

-              Energies renouvelables :

 

  • Garanties d'origine pour les producteurs d’énergies renouvelables,
  • Critères de durabilité stricts pour les biocarburants et les combustibles issus de la biomasse,
  • Régimes d'aides conformes aux directives européennes pour promouvoir les énergies renouvelables,
  • Participation des citoyens et des communes dans le déploiement d'éoliennes,
  • Construction de nouveaux bâtiments et parkings adaptés à l'installation de panneaux photovoltaïques.

 

-              Efficacité énergétique :

 

  • Certificats de performance énergétique des bâtiments et création de registres pour ces certificats,
  • Nouvelles dispositions pour les audits énergétiques des entreprises.

 

Voici les objectifs chiffrés du projet de loi :

  • Améliorer l’efficacité énergétique de 44% d'ici 2030,
  • Augmenter la part des énergies renouvelables à 37% d'ici 2030,
  • Atteindre la neutralité climatique d’ici 2050.

 

 

Les articles clés du projet de loi


  • Accélération de la transition énergétique

L’article 2 vise à élargir le champ d'application légal pour inclure des mesures visant à accélérer la transition énergétique, soulignant l'importance des mécanismes de coopération au niveau européen.

 

Le Luxembourg a déjà eu recours aux mécanismes de coopération (exemple : projet commun avec la Finlande dans le domaine de la réalisation d’installations photovoltaïques).

 

Afin que Luxembourg puisse atteindre les objectifs qu’il s’est donné, il devra recourir aux instruments de coopération en vue d’augmenter sa part d’énergie renouvelable.

 

Nous relevons toutefois que la dépendance à ces mécanismes pourrait rendre le Luxembourg vulnérable aux politiques et priorités changeantes des autres États membres.

 

  • Garantie d'origine pour l'hydrogène, la chaleur et le froid

 

L’article 5 vise à introduire un système de garantie d'origine pour l'hydrogène, la chaleur et le froid produits à partir de sources renouvelables.

L’autorité de régulation établirait les garanties d’origine et gèrerait un registre afférent.

Les détails sur la mise en œuvre pratique de ce système et les mécanismes de vérification pour garantir la transparence et la fiabilité des garanties d'origine seraient fixés par voie de règlement grand-ducal.

 

  • Système de bilan massique

L’article 13 du projet de loi imposerait l'utilisation d'un système de bilan massique et la preuve du respect des critères de durabilité et de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les opérateurs économiques.

Nous notons que la complexité administrative de ce système pourrait dissuader certains opérateurs. Il serait probablement utile d'envisager certaines simplifications ou d'offrir des supports supplémentaires pour en faciliter la mise en œuvre.

 

  • Participation financière

L’article 16 du projet de loi obligerait les développeurs de projets éoliens à offrir la possibilité d'une participation financière aux citoyens et aux communes concernés. Les personnes et autorités locales visées seraient admises à participer au capital de la société propriétaire de l’éolienne, avec un minimum de 20 % devant être offert, la part de la commune ne pouvant dépasser la moitié de ce pourcentage.

Un appel à manifestation d’intérêt serait organisé par la société propriétaire de l’éolienne pour inviter les personnes concernées à souscrire au capital de la société.

 

Nous notons que des mécanismes clairs devraient être mis en place pour assurer une participation équitable et éviter les conflits d'intérêt. Il est crucial que les modalités de participation financière soient clairement définies pour éviter toute ambiguïté.

 

Des mesures devront être prises pour garantir que la participation financière soit accessible à tous les citoyens, y compris ceux ayant des moyens financiers limités. Des options de financement flexibles ou des subventions pourraient être envisagées pour permettre une participation plus large et inclusive.

 

Il serait important de fournir aux citoyens et aux communes une formation et des informations complètes sur les risques et les avantages liés à la participation financière dans les projets éoliens. Cela inclut des explications sur le fonctionnement des investissements, les retours potentiels et les implications à long terme.

 

Des règles strictes devront être mises en place pour éviter les conflits d’intérêt. Par exemple, les développeurs de projets et les représentants des communes ne devraient pas pouvoir exploiter leur position pour obtenir des avantages financiers disproportionnés ou pour influencer les décisions en faveur de leurs intérêts personnels.

 

Enfin, il serait bénéfique de mettre en place un système de suivi et d’évaluation pour s’assurer que les objectifs de participation équitable seront atteints. Cela pourrait inclure des audits réguliers et des consultations avec les parties prenantes pour ajuster les mécanismes de participation en fonction des retours d’expérience.

 

La participation financière des citoyens et des communes dans les projets éoliens, bien que visant à encourager le soutien local et l’acceptation publique desdits projets, pourrait potentiellement être perçue comme une démarche motivée par l'appât du gain plutôt que par l'intérêt public. En effet, l’objectif d’utilité publique des projets éoliens pourrait être terni par une approche perçue comme motivée par l’appât du gain. Il est donc essentiel de maintenir un équilibre entre l’inclusion financière et l’objectif principal de ces projets, à savoir contribuer au bien commun et à la transition énergétique. Nous craignons que des projets éoliens motivés par l’appât du gain plutôt que par l’utilité publique voient le jour.

 

  • Obligation "PV-ready"

L’article 18 imposerait l’aménagement des toits pour l'installation future de panneaux photovoltaïques de certains immeubles bâtis et des parcs de stationnement comportant au moins 50 emplacements de stationnement pour véhicules à l’extérieur.

 

Cela impliquerait qu’aucune autorisation de construire ne pourrait être accordée aux demandes introduites à partir du 1er juillet 2025 portant sur :

1° la construction d’un immeuble bâti neuf autre que ceux visés à l’article 20, et créant plus de 50 mètres carrés d’emprise au sol ; ou

2° la rénovation touchant la structure de la toiture d’un immeuble bâti autre que ceux visés à l’article 20, et créant plus de 50 mètres carrés d’emprise au sol ;

 

Si celles-ci ne prévoient pas, en vue du raccordement d’une ou plusieurs installations photovoltaïques couvrant une certaine surface du toit, des aménagements, équipements et installations techniques nécessaires pour l’implantation de ces installations.

 

Les immeubles visés à l’article 20 du projet de loi seraient les suivants :

1° les bâtiments érigés à titre provisoire dont l’utilisation prévisible ne dépasse pas deux années ;

2° les ateliers et bâtiments à usage agricole, industriel, artisanal ou commercial qui présentent une faible demande d’énergie. Un atelier ou bâtiment présente une faible demande d’énergie si son utilisation exige un chauffage qui ne dépasse pas 12 degrés Celsius et n’exige pas de climatisation ;

3° les bâtiments dont la destination exige une ouverture large et permanente vers l’extérieur ;

4° les bâtiments dans lesquels l’énergie est utilisée exclusivement dans les procédés de production ;

5° les bâtiments servant de lieux de culte et destinés à l’exécution de pratiques religieuses ;

6° les bâtiments indépendants dont la surface de référence énergétique An est inférieure à cinquante mètres carrés.

 

Pour ces bâtiments, l’obligation de l’aménagement de la toiture pour l’installation future de panneaux photovoltaïques ne serait pas requise, ce qui posera probablement question eu égard au principe constitutionnel d’égalité de traitement (l’avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi n’a pas encore été émis).

 

En outre, aucune autorisation de construire ne pourrait être accordée aux demandes introduites à partir du 1er juillet 2025 portant sur la construction d’un parc de stationnement ou sur la réfection de la surface d’un tel parc si celles-ci ne prévoient pas, en vue du raccordement d’une ou plusieurs installations photovoltaïques, des aménagements, équipements et installations techniques nécessaires pour l’implantation de ces installations.

 

L'Ordre des Architectes et des Ingénieurs-Conseils (« OAI »), dans son avis du 31 janvier 2024, soulève des préoccupations techniques et pratiques concernant cette mesure, auxquelles nous nous rallions.

 

L'OAI critique l'exigence de couvrir 90% des toits avec des panneaux photovoltaïques, évoquant des défis techniques tels que la succion du vent et la présence de fenêtres de toit notamment. Il recommande de considérer également l'utilisation de panneaux solaires thermiques, qui offrent un rendement énergétique supérieur par mètre carré comparé aux panneaux photovoltaïques.

 

Pour les parkings, l’OAI note que couvrir 80% des surfaces avec des panneaux photovoltaïques peut poser des problèmes pratiques, notamment pour les parkings accueillant des camions. Il est également important de s'assurer que la couverture des parkings n'empêchera pas l'infiltration naturelle de l'eau de pluie.

 

Pour ce qui nous concerne, nous estimons que les mesures précitées imposeraient des exigences techniques et financières considérables aux propriétaires. Préparer les bâtiments pour une future installation de panneaux photovoltaïques nécessite des modifications structurelles significatives, comme le renforcement des toits, la mise en place de câblages spécifiques et l'adaptation des systèmes électriques. Ces modifications augmentent les coûts de construction de manière substantielle, sans garantie que des panneaux photovoltaïques soient effectivement installés par la suite.

 

De plus, cette obligation pourrait entraîner une standardisation des constructions qui ne tient pas compte des spécificités architecturales, climatiques et économiques locales. Par exemple, dans les régions où l'ensoleillement est faible ou intermittent, l'investissement dans des infrastructures "PV ready" pourrait ne pas être justifié par rapport aux gains énergétiques attendus.

 

Par ailleurs, les petites communes et les propriétaires individuels pourraient être disproportionnellement affectés par ces coûts additionnels, accentuant les inégalités. Il serait peut-être utile de prévoir des mécanismes de mesures compensatoires  (subsides) à cet égard pour atténuer les effets disproportionnés sur les petites communes et les propriétaires individuels.

 

Nous relevons également que les coûts et la faisabilité technique de cette obligation devraient être systématiquement évalués pour éviter des charges disproportionnées sur les propriétaires.

 

De plus, cette obligation pourrait limiter la créativité et la flexibilité des architectes dans la conception des bâtiments. Il est important de trouver un équilibre entre les impératifs écologiques et la liberté architecturale.

 

 

Contrairement à la chambre des salariés, nous pensons qu’il ne faut pas aller au-delà de la simple préparation en rendant obligatoire l'installation de panneaux photovoltaïques pour certaines constructions.

 

 

  • Certificats de performance énergétique

Les articles 20 à 25 reprennent les principes du règlement CPE et ajoutent une exigence d'authentification ministérielle pour les certificats de performance énergétique.

 

Certains bâtiments ne sont pas concernés par ces articles mais l'OAI recommande une clarification de la formulation pour s'assurer que les bâtiments non chauffés soient correctement exemptés.

 

Nous relevons que l'authentification ministérielle pourrait introduire des délais supplémentaires de sorte que cette mesure nécessitera une gestion administrative efficace. En effet, cette étape administrative supplémentaire pourrait ralentir le processus d'obtention des certificats, surtout si les demandes sont nombreuses ou si les ressources administratives sont limitées. Une gestion efficace de cette procédure sera donc cruciale pour minimiser les retards et garantir que les projets de construction et de rénovation puissent avancer sans entrave excessive.

 

  • Registre des certificats

Les articles 26 et 27 créent un registre des certificats de performance énergétique.

 

  • Cadastre de chaleur

 

L’article 28 instaure la base juridique pour la création d'un cadastre de chaleur.

 

  • Régimes d’aides

Les articles 34 à 38 définissent des critères pour les régimes d'aide à la promotion de l'électricité, du gaz et de l’hydrogène renouvelables, et de la production de chaleur et de froid renouvelables.

 

Nous notons que des critères clairs et des contrôles rigoureux seront nécessaires pour garantir une distribution équitable et efficace des aides. Nous relevons que la complexité des régimes d'aide pourrait décourager les petits producteurs. Il pourrait être nécessaire d'envisager des simplifications ou des supports supplémentaires pour faciliter leur accès à ces aides.

 

De plus, il serait bénéfique de mettre en place des mécanismes de suivi et d'évaluation pour s'assurer que les aides atteignent effectivement les objectifs fixés et profitent à une large gamme de producteurs, y compris les plus petits.

 

***

 

Pour conclure, à la lumière des diverses observations concernant le projet de loi sous analyse, il apparaît clairement que la transition énergétique au Luxembourg représente un défi délicat entre ambition et réalisme.

 

Si le projet de loi a pour objectif de répondre aux enjeux climatiques actuels et futurs, il sera crucial de garantir que sa mise en œuvre soit réalisable et efficace, tout en veillant à ce qu'elle soit équitable pour tous les acteurs impliqués.

 

Pour cela, il nous semble nécessaire de prendre en compte les recommandations et les préoccupations des professionnels de l’immobilier soulevées notamment par l’OAI.

 

Le projet de loi manque également de clarté concernant la répartition des coûts des différentes mesures entre le gouvernement, les entreprises et les citoyens. Cette réforme pourrait entraîner des coûts significatifs pour les entreprises, notamment dans les secteurs de la construction et de l'énergie c’est pourquoi le projet devrait être révisé afin d’apporter plus de clarté à ce sujet.

 

Le projet de loi n°8317 offre une feuille de route prometteuse, mais son succès dépendra de sa mise en œuvre efficace et de son adaptation aux réalités du terrain.

 

Nous suivrons bien entendu son évolution dans les mois à venir, notamment suite à l’avis du Conseil d’Etat, et nous resterons attentifs à son incidence sur le secteur immobilier luxembourgeois.

 

Me Raffaela FERRANDINO – Avocat à la Cour

Me Sébastien COUVREUR - Avocat à la Cour - Partner

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