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Marchés publics - Le partenariat d’innovation

Marchés publics - Le partenariat d’innovation

 

 

1. Intro et aperçu

 

Récemment, divers pouvoirs adjudicateurs luxembourgeois ont lancé une procédure d’adjudication en vue d’aboutir à la conclusion d’un « partenariat d’innovation ». Un de ces marché avait par exemple pour objet l’« Évaluation et analyse de textes réglementaires à l’aide de l’intelligence artificielle ». Le Gov tech lab vient aussi de lancer une telle procédure d’attribution ayant pour objet l’accessibilité et l’inclusion numérique, sous le titre « AccessiLingua ».

 

Mais au fait, c’est quoi un « partenariat d’innovation » ?

 

La procédure du partenariat d’innovation vise principalement à combler les insuffisances des dispositifs prévus par la directive 2004/18/CE, qui se révèlent dans certaines hypothèses de marchés de recherche et développement, lesquelles ont été soulevées par la pratique. La directive 2014/24 expose ainsi que la création du partenariat d’innovation s’explique par le souci d’inciter les acheteurs publics à faire un meilleur usage stratégique des marchés publics, en utilisant les deniers publics pour acquérir des produits, travaux et services, tout en favorisant la recherche et l’innovation[1].

 

Il a en effet été considéré comme « absolument primordial de tirer pleinement parti du potentiel des marchés publics pour atteindre les objectifs de la stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive »[2] et qu’à ce titre, les marchés publics étaient essentiels pour promouvoir l’innovation, « qui est très importante pour la croissance future en Europe ». Dès lors que le législateur européen a jugé inopportun d’imposer des critères généraux pour la passation de marchés à visée environnementale, sociale ou innovante en raison de trop grandes disparités entre les dispositifs législatifs des états-membres, la procédure du partenariat d’innovation a été insérée dans le corpus législatif européen afin de répondre à la nécessité d’organiser un mode de passation des marchés publics permettant à un pouvoir adjudicateur de (faire) développer des produits, des services ou des travaux innovants et d’acquérir par la suite les fournitures, services ou travaux qui en résultent, lorsque les besoins de ce dernier ne peut être satisfait par des solutions déjà disponibles sur le marché, le tout au cours d’une seule et même procédure[3].

 

La procédure vise en effet « à pallier les difficultés structurelles des actuels marchés de recherche et de développement (R&D) qui imposent une remise en concurrence à l’issue de la phase de R&D pour pouvoir acquérir les produits, services ou travaux innovants qui en sont le résultat »[4].

 

L’innovation est définie par la directive européenne comme « la mise en œuvre d’un produit, d’un service ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, y compris mais pas exclusivement des procédés de production ou de construction, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l’entreprise, notamment dans le but d’aider à relever des défis sociétaux ou à soutenir la stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive »[5].

 

 

Cette définition met l’accent sur le fait que le besoin à combler par le pouvoir adjudicateur nécessite une solution inexistante sur le marché[6], en ce sens qu’elle doit soit être élaboré ab initio, soit résulter d’une amélioration sensible d’une ou plusieurs solutions existantes. L’émergence d’une solution de nature à satisfaire les besoins du pouvoir adjudication nécessitera donc des investissements en recherche et développement. C’est partant tout naturellement que la nouvelle procédure du partenariat d’innovation est généralement analysée par comparaison avec les dispositifs existants en matière de marchés de fournitures, de services et de travaux en matière de recherche et développement[7].

 

Le partenariat d’innovation diffère cependant des procédures négociées admises traditionnellement dans le cadre des marchés de recherche et développement. Les pouvoirs adjudicateurs seront ainsi parfois amenés à faire un choix entre la procédure du partenariat d’innovation et une « procédure concurrentielle avec négociation »[8], respectivement une procédure négociée sans publication préalable. La directive 2014/24 prévoit ainsi encore des hypothèses de marchés de R&D permettant le recours à la procédure négociée sans publication préalable[9]. Les marchés de services de recherche et développement sont dans certaines hypothèses exclues du champ d’application de la directive[10], et, dans certaines hypothèses, le pouvoir adjudicateur pourra recourir à la procédure concurrentielle avec négociation pour ses marchés de travaux, fournitures ou services de R&D[11].

 

La procédure du partenariat d’innovation ne se confond enfin pas avec celle du dialogue compétitif. Dans le cadre de cette dernière, le pouvoir adjudicateur est confronté à la nécessité d’envisager un marché considéré comme « particulièrement complexe » dans son chef, en ce sens qu’il n’est objectivement pas en mesure de définir les moyens techniques, juridiques ou financiers de nature à satisfaire ses besoins. Cependant, cette complexité du marché n’implique pas que la solution technique, juridique ou financière destinée à répondre aux attentes du pouvoir adjudicateur n’existe pas[12]. Elle est tout simplement hors de portée de ce dernier qui devra dès lors faire appel à l’expertise d’opérateurs économiques sur ce point. Dans le cadre du partenariat d’innovation, la solution n’existe tout simplement pas sur le marché et doit être développée par un ou plusieurs partenaires désignés par le pouvoir adjudicateur, lesquels seront guidés par ce dernier en phase de développement. Les deux procédures diffèrent encore dans leurs mécanismes.

 

       2. La procédure

 

 

La procédure du partenariat d’innovation est organisée à l’article 31 de la directive, respectivement à l’article 69 de la loi modifiée du 8 avril 2018 sur les marchés publics. Ledit article expose de manière assez floue et désordonnée le déroulement de celle-ci.

 

 

La procédure a lieu en deux temps. Est prévue tout d’abord la passation du partenariat d’innovation et en second lieu, l’exécution de celui-ci, pouvant mener à l’acquisition de la solution innovante élaborée au terme du processus[13]. La procédure du partenariat d’innovation prend ainsi dans une première phase, en quelque sorte la forme d’une négociation, se déroulant entre un certain nombre d’opérateurs économiques invités par le pouvoir adjudicateurs (et donc, sélectionnés sur base de critères de sélection), laquelle va aboutir, dans une seconde phase à la conclusion d’un ou plusieurs partenariats et à leur exécution, jusqu’à appropriation (ou non) des résultats du ou des partenariats par le pouvoir adjudicateur (ce qui constitue l’une des principales originalités de la procédure). L’on analysera donc dans un premier temps la procédure de passation du partenariat d’innovation et, dans un second temps, l’exécution de celui-ci.  

 

 

       2.1. La passation du contrat d’innovation

 

 

       2.1.1. La vérification des cas d’ouverture

 

 

Avant de se lancer dans la procédure, il appartient tout d’abord au pouvoir adjudicateur de vérifier si les conditions permettant l’accès à celle-ci sont bien remplies. Le guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics édité par la direction des affaires juridiques du Ministère français de l’Economie, de l’industrie et du Numérique[14] expose ainsi qu’avant de se lancer dans un partenariat d’innovation, les acheteurs publics doivent avoir une bonne connaissance du marché et des opérateurs économiques concernés afin de déterminer si les prestations souhaitées peuvent être considérées comme déjà disponibles et quel supplément d’innovation ils attendent du partenariat envisagé. Ce n’est en effet qu’à condition que les besoins du pouvoir adjudicateur ne peuvent être satisfaits au travers de travaux, fournitures ou services déjà disponibles sur le marché qu’un partenariat d’innovation peut être conclu. Corrélativement, pour justifier le recours à pareille procédure, il va de soi que le marché « devra tendre à la conception et à l’acquisition de fournitures, travaux ou services dont le caractère innovant viendra de ce qu’ils seront soit totalement nouveaux, soit sensiblement améliorés par les effets attendus du partenariat »[15].

 

 

Il faut rappeler à cet égard que le recours à la procédure du partenariat d’innovation doit faire l’objet d’une motivation formelle (article 21 de la loi modifiée du 8 avril 2018).

 

 

       2.1.2. La sélection des candidats au partenariat

 

 

La procédure de passation débute par la publication d’un avis de marché, conformément à l’article 51 de la directive, lequel indique notamment les informations à communiquer par les candidats qui permettront au pouvoir adjudicateur d’effectuer la sélection qualitative. Il indique bien entendu également toute les informations traditionnellement requises, prévues à l’annexe V, partie C de la directive[16]. Le pouvoir adjudicateur doit ainsi définir dans les documents de marché la nature de son besoin, de manière suffisamment précise que pour permettre aux opérateurs économiques de déterminer le type et la portée de la solution requise et d’envisager ou non de participer à la procédure. Le pouvoir adjudicateur fixe également les conditions minimales que doivent respecter toutes les candidatures.

 

Le délai minimal de réception des demandes de participation est de trente jours à compter de la date d’envoi de l’avis de marché. Les pouvoirs adjudicateurs peuvent limiter le nombre de candidats admis à présenter une offre, pour autant que le nombre minimal de candidats qualifiés, imposé par la directive soit respecté. Ce nombre minimal est de trois candidats et doit en tout état de cause être suffisant pour assurer une concurrence réelle[17]. Ainsi, le pouvoir adjudicateur doit-il indiquer dans l’avis de marché le nombre minimal de candidats qu’il prévoit d’inviter, le cas échéant le nombre maximal ainsi que les critères ou règles objectifs et non discriminatoires qu’il prévoit d’appliquer aux fins de sélection[18]. Lorsque le nombre minimal de candidats satisfaisant aux critères de sélection et aux niveaux minimaux de capacité est inférieur au nombre exigé par le pouvoir adjudicateur, ce dernier peut néanmoins poursuivre la procédure en invitant uniquement les candidats ayant les capacités requises. Il ne peut en aucun cas inviter des opérateurs économiques ne participant pas à la procédure ni des candidats n’ayant pas les capacités requises[19]. Aucun délai n’est imposé par la directive au pouvoir adjudicateur pour la sélection des candidats.

 

Lors de la sélection de ceux-ci, les pouvoirs adjudicateurs appliquent en particulier les critères relatifs aux capacités des candidats dans le domaine de la recherche et du développement ainsi que de l’élaboration et de la mise en œuvre de solutions innovantes. Seuls les opérateurs économiques ayant reçu une invitation du pouvoir adjudicateur à la suite de l’évaluation des informations requises peuvent soumettre des projets de recherche et d’innovation (des offres, donc) qui visent à répondre aux besoins définis par le pouvoir adjudicateur et que les solutions existantes ne permettent pas de couvrir[20].

 

       2.1.3. La remise des offres et la négociation de celles-ci

 

Une fois les opérateurs économiques sélectionnés (au nombre minimal en principe de trois), ceux-ci sont invités à remettre une offre[21]. L’on doit conclure à la lecture du texte ainsi qu’au vu de la spécificité de ce type de marchés que les offres des opérateurs économiques ne devront pas être encadrées dans un carcan précis. Ces derniers feront figurer dans leurs offres les financements nécessaires (et l’échelonnement de paiement, le cas échéant) pour les recherches proposées, les différentes étapes qu’ils suggèrent pour le développement, les moyens à mettre en œuvre, le planning prévisible, etc.

 

Les pouvoirs adjudicateurs négocient ensuite avec les soumissionnaires l’offre initiale et toutes les offres ultérieures que ceux-ci ont présentées, à l’exception de l’offre finale, en vue d’en améliorer le contenu. Bien entendu, les exigences minimales et les critères d’attribution ne peuvent faire l’objet de négociations[22]. Au cours de la négociation, les pouvoirs adjudicateurs assurent l’égalité de traitement de tous les soumissionnaires. À cette fin, ils ne donnent pas, de manière discriminatoire, d’information susceptible d’avantager certains soumissionnaires par rapport à d’autres. Ils informent par écrit tous les soumissionnaires dont les offres n’ont pas été éliminées, en vertu du paragraphe 5, de tous les changements apportés aux spécifications techniques ou aux autres documents de marché, autres que ceux qui définissent les exigences minimales. À la suite de ces changements, les pouvoirs adjudicateurs prévoient suffisamment de temps pour permettre aux soumissionnaires de modifier leurs offres et de les présenter à nouveau s’il y a lieu[23]. Conformément à l’article 21 de la directive, les pouvoirs adjudicateurs ne révèlent pas aux autres participants les informations confidentielles communiquées par un candidat ou un soumissionnaire participant aux négociations, sans l’accord de celui-ci. Cet accord ne revêt pas la forme d’une renonciation générale mais vise des informations précises dont la communication est envisagée[24].

 

Les négociations intervenant au cours des procédures de partenariat d’innovation peuvent se dérouler en phases successives de manière à réduire le nombre d’offres à négocier en appliquant les critères d’attribution précisés dans l’avis de marché, dans l’invitation à confirmer l’intérêt ou dans les documents de marché. Dans cette hypothèse, il appartiendra au pouvoir adjudicateur d’indiquer, dans l’avis de marché, l’invitation à confirmer l’intérêt ou les documents de marché, s’il fera usage de cette possibilité[25].

 

       2.1.4. La conclusion du ou des partenariats

 

Une fois la phase de négociation terminée et les offres finales remises (le texte français prévoit que le pouvoir adjudicateur sollicite des opérateurs économiques une offre finale, tout en laissant à ces derniers un délai suffisant pour la remettre), le (ou les) marchés sont attribués sur la seule base du critère d’attribution du meilleur rapport qualité/prix (ce qui correspond grosso modo à « l’offre économiquement la plus avantageuse », telle que l’on la concevait dans le cadre de la directive européenne de 2004). Il est à préciser que plusieurs attributaires pourront être cumulés. Dans cette hypothèse, plusieurs contrats individuels entre l’acheteur public et les opérateurs économiques désignés s’exécuteront séparément[26].

 

La directive prévoit à cet égard que « le pouvoir adjudicateur peut décider de mettre en place le partenariat d’innovation avec un ou plusieurs partenaires menant des activités de recherche et de développement séparées»[27]. La directive ne mentionne pas si ce choix est discrétionnaire et décidé par le pouvoir adjudicateur au stade de l’attribution du marché (ce qui ferait naître inévitablement un certain contentieux) ou s’il doit opter dès l’entame de la procédure pour cette option. A notre estime, le pouvoir adjudicateur doit indiquer dans l’avis de marché ou à tout le moins dans les documents de marché s’il entend conclure un partenariat avec un ou plusieurs opérateurs économiques. La disposition lui permettant d’opter pour cette possibilité est d’ailleurs reprise à l’article 31.1. de la directive qui concerne notamment les informations à indiquer dans les documents de marché. C’est également la solution retenue par le code des marchés publics français qui énonce :
« Le pouvoir adjudicateur peut décider de mettre en place un partenariat d'innovation avec un ou plusieurs opérateurs économiques qui exécutent les prestations de manière séparée dans le cadre de contrats individuels. Cette décision est indiquée dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation. »[28].

 

Nous sommes d’avis que le nombre de partenariat que le pouvoir adjudicateur entend conclure doit donc être précisément indiqué dès la publication de l’avis de marché. Toute autre solution impliquerait potentiellement un contentieux au stade de la phase d’attribution.

 

Un délai de standstill n’a pas été prévu expressément entre la décision d’attribution et la conclusion du partenariat. Pareil délai s’impose toutefois dès lors que les directives recours s’appliquent à tous les marchés relevant du champ d’application des directives européennes.

 

 

       2.2. L’exécution du partenariat d’innovation.

 

Le partenariat d’innovation est un contrat qui régit la relation entre le pouvoir adjudicateur et l’opérateur économique en charge des prestations de recherche. S’il a été opté pour plusieurs partenariats d’innovation, c'est-à-dire que le pouvoir adjudicateur a jugé opportun de se lier contractuellement avec plusieurs opérateurs économiques en vue de maximiser les chances d’un aboutissement heureux des recherches, il va de soi que qu’il y aura autant de relations contractuelles que d’opérateurs économiques désignés[29]. Les litiges survenant ainsi à ce stade entre l’acheteur public et le partenaire relèvent ainsi des juridictions civiles. 

 

Le partenariat d’innovation est structuré en phases successives qui suivent le déroulement des étapes du processus de recherche et d’innovation, qui peuvent comprendre le stade de la fabrication des produits, de la prestation des services ou de l’exécution des travaux. Il établit des objectifs intermédiaires que les partenaires doivent atteindre et prévoit « le paiement de la rémunération selon des tranches appropriées », soit la contrepartie financière dans le chef du cocontractant du pouvoir adjudicateur (fixée par exemple suivant l’état d’avancement de la recherche ou en fonction d’un planning des rémunérations). La contrepartie financière sera particulièrement ardue à déterminer. Elle ne devrait pas être disproportionnée par rapport à l’investissement requis pour le développement des services, travaux ou fournitures innovants[30].

 

Sur la base des objectifs intermédiaires que les partenaires doivent atteindre, fixés dans le partenariat d’innovation, le pouvoir adjudicateur peut décider, après chaque phase et analyse des résultats fournis, de résilier le partenariat (texte repris à l’article 69 (3) de la loi modifiée du 8 avril 2018) ou, dans le cas d’un partenariat d’innovation établi avec plusieurs partenaires, de réduire le nombre de partenaires en mettant un terme aux contrats individuels, à condition que, dans les documents de marché, il ait été indiqué ces possibilités et les conditions de leur mise en œuvre[31]. La directive ne mentionne pas clairement les motifs pouvant justifier la résiliation du ou des partenariats. D’aucuns estiment que celle-ci devrait se fonder sur « l’insuffisance absolue ou relative, des résultats de tout ou partie des titulaires, par rapport aux attentes du pouvoir adjudicateur, à l’issue de chacune des phases du partenariat et aux objectifs intermédiaires qui sont liés auxdites phases »[32].

 

En somme, ce sont les espoirs déçus et le caractère infructueux de la recherche qui peuvent justifier la résiliation. Dans l’hypothèse où plusieurs partenariats ont été convenus en parallèle, il se posera la question de savoir si le pouvoir adjudicateur peut résilier un ou plusieurs d’entre eux, au motif que l’un de ses partenaires affiche des résultats plus prometteurs. Cette solution est celle actuellement retenue en France et nous parait conforme au texte de la directive[33]. Le code des marchés publics français prévoit encore la possibilité de préciser ou modifier avec l’accord du partenaire, les objectifs de chaque phase du partenariat et les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir, pour autant que les caractéristiques essentielles du partenariat ne soient pas modifiées à cette occasion. La directive ne prévoit pas cette possibilité de modifier d’un commun accord le partenariat d’innovation. Cette solution ne nous parait admissible que si les modifications ne bouleversent pas l’économie du contrat et n’ont pas pour effet de fausser la concurrence[34].

 

Il risque de se poser, dans le cadre des résiliations du partenariat, des questions de responsabilité civile dans l’hypothèse où ces résiliations seraient jugées abusives. Au-delà même de ce débat, et s’il est vrai que le partenariat doit prévoir une « rémunération selon des tranches appropriées », la résiliation du contrat, y compris celle régulière, peut faire naître des litiges d’ordre financier entre les deux cocontractants. La transposition française de la directive, anticipant ce risque, a prévu qu’il appartient aux pouvoirs adjudicateurs de stipuler précisément le régime indemnitaire qui est applicable à la rupture des contrats individuels des partenaires évincés en cours d’exécution[35].

 

Il pourra se poser également la question de savoir si le régime généralement applicable aux résiliations de contrat de marchés publics (voir article 44 de la loi modifiée du 8 avril 2018) sont applicables également aux partenariats d’innovation, ou bien si la résiliation de ces partenariat n’est possible que dans le cas prévu à l’article 69.

 

Le pouvoir adjudicateur poursuit le partenariat d’innovation avec le ou les partenaires qui satisfont aux objectifs fixés pour chaque phase, en principe, jusqu’à ce que les résultats attendus soient produits. La directive énonce ainsi que « le partenariat d’innovation vise au développement d’un produit, d’un service ou de travaux innovants et à l’acquisition ultérieure des fournitures, services ou travaux en résultant, à condition qu’ils correspondent aux niveaux de performance et aux coûts maximum convenus entre les pouvoirs adjudicateurs et les participants ». Il se peut ainsi que le pouvoir adjudicateur ne fasse finalement pas l’acquisition des résultats de la recherche si ceux-ci s’avèrent insatisfaisants ou trop coûteux. Le texte français a retenu ce principe et prévoit que « le pouvoir adjudicateur ne peut acquérir les fournitures, services ou travaux résultant des phases de recherche et de développement que s'ils correspondent aux niveaux de performance et aux coûts maximum prévus par le partenariat d'innovation. »[36].

 

L’article 69 (1) de la loi modifiée du 8 avril 2018 reprend une condition similaire dans la définition de la procédure du partenariat d’innovation : « Le « partenariat d’innovation » est la procédure qui vise au développement d’un produit, d’un service ou de travaux innovants pour un besoin qui ne peut être satisfait par l’acquisition de produits, de services ou de travaux déjà disponibles sur le marché et à l’acquisition ultérieure des fournitures, services ou travaux en résultant, à condition qu’ils correspondent aux niveaux de performance et aux coûts maximum convenus entre les pouvoirs adjudicateurs et les participants. ».

 

Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour - Partner

 



[1] Considérants n° 47 à 50 de la directive européenne 2014/24/UE.

[2] Considérant n° 95 directive européenne 2014/24/UE.

[3] Considérants n° 49 de la directive européenne 2014/24/UE.

[4] Fiche technique de la Direction des affaires juridiques du Ministère français de l’Economie, de l’industrie et du Numérique du 29 septembre 2014 relative au Décret n° 2014-1097 du 26 septembre 2014 portant mesures de simplification applicables aux marchés publics (ayant introduit le partenariat d'innovation dans le code des marchés publics).

[5] Article 2.22 de la directive précitée. 

[6] Dans l’hypothèse où une solution brevetée existerait, le pouvoir adjudicateur pourrait avoir recours à la procédure négociée sans publication d’avis (Article 8 (1) e) et 40 (1) b) de la loi, article 32.2 b) de la directive.

[7] Voir à ce propos : Thierry DAL FARRA, La consécration des partenariats d’innovation dans les nouvelles directives relatives aux marchés publics, Bulletin juridique des contrats publics, n° 95, pp. 254 et s. ; Marc THEWES, Thibault CHEVRIER, Les nouvelles contraintes liées aux procédures de passation, Conférence du 5 décembre 2013 sur les propositions de directives du « paquet marchés publics », pp. 18 et s. 

[8] Voir infra.

[9] Article 32.3 a) de la directive : « lorsque les produits concernés sont fabriqués uniquement à des fins de recherche, d’expérimentation, d’étude ou de développement ; toutefois, les marchés attribués conformément au présent point ne comprennent pas la production en quantités visant à établir la viabilité commerciale du produit ou à amortir les frais de recherche et de développement ».

[10] Article 14 de la directive 2014/24.

[11] Suivant l’article 26.4 de la directive, « les pouvoirs adjudicateurs peuvent appliquer une procédure concurrentielle avec négociation ou un dialogue compétitif (… lorsque les travaux, fournitures ou services) portent notamment sur de la conception ou des solutions innovantes. »

[12] Cette conclusion, qui se base sur les cas d’ouverture actuels du dialogue compétitif sera toutefois à relativiser au vu de l’article 26.4 de la directive.

[13] Fiche technique de la Direction des affaires juridiques du Ministère français de l’Economie, de l’industrie et du Numérique du 29 septembre 2014.

[14] Ibidem.

 

[15] Thierry DAL FARRA, La consécration des partenariats d’innovation dans les nouvelles directives relatives aux marchés publics, Bulletin juridique des contrats publics, n° 95, p. 256.

[16] Article 49 de la directive précitée.

[17] Article 65.2 §2 de la directive précitée.

[18] Article 65.2 de la directive précitée.

[19] Article 65.2 § 3 de la directive.

[20] Article 31.6 de la directive.

[21] Suivant l’article 31.1 §4, « seuls les opérateurs économiques ayant reçu une invitation du pouvoir adjudicateur à la suite de l’évaluation des informations fournies peuvent participer à la procédure. »

[22] Article 31.3. §2 de la directive.

[23] Article 31.4. §1er de la directive.

[24] Article 31.4 §2 de la directive.

[25]            Article 31.5 de la directive.

[26]            Sylvain Pontier, Nouveauté dans les marchés : le partenariat d’innovation, 2014, p. 2.

[27]            Article 31.1, 3ème alinéa de la directive.

[28]            Article 70-1 du code des marchés publics introduit par l’article 7 du décret n°2014-1097 du 26 septembre 2014.

[29] Thierry DAL FARRA, La consécration des partenariats d’innovation dans les nouvelles directives relatives aux marchés publics, Bulletin juridique des contrats publics, n° 95, p. 257.

[30] Article 31.7 de la directive.

[31] Article 31.2 §3 de la directive.

[32] Thierry DAL FARRA, La consécration des partenariats d’innovation dans les nouvelles directives relatives aux marchés publics, Bulletin juridique des contrats publics, n° 95

[33] Fiche technique de la Direction des affaires juridiques du Ministère français de l’Economie, de l’industrie et du Numérique du 29 septembre 2014.

[34] La régularité d’une modification du partenariat d’innovation est somme toute à analyser sur base de la jurisprudence communautaire en matière d’avenant au contrat de marché public.

[35] Article 7 du Décret précité.

[36] Transposant ainsi l’article 31.2. de la directive.

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