Droit immobilier

Analyse du projet de loi n° 7642 portant modification de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation

Me Georges Krieger

Analyse du projet de loi n° 7642 portant modification de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation

 

Les développements ci-après reprennent une partie des critiques formulées par Me Georges KRIEGER concernant le projet de loi précité.

 

 

Le contrat de bail verbal

 

 

Nous regrettons que les auteurs du projet de loi souhaitent abandonner le contrat de bail verbal. La motivation est désarmante : « pour des raisons notamment de preuve et de transparence » … Faut-il rappeler que le contrat de bail verbal est surtout d’usage lorsque le propriétaire donne en location son immeuble à un membre de sa famille, lorsqu’il existe une relation de confiance légitime ? Le contrat de bail verbal est une construction juridique très utile lorsqu’on cherche à trouver une solution juridique à un problème récurrent, comme la disparition ou perte du contrat par l’une des parties, une tolérance d’occupation depuis trop longtemps, un contrat fait par un seul indivisaire, … Dans tous ces cas, la structure juridique du contrat verbal permet au tribunal d’accorder à l’occupant le statut protégé de preneur. En supprimant le contrat de bail verbal, l’occupant sans contrat de bail écrit deviendra nécessairement un « occupant sans droit ni titre », alors qu’il continue de payer une certaine somme chaque mois au propriétaire des lieux ! Les cas sont fréquents, surtout chez les personnes financièrement fragilisées. Il ne peut être la volonté du législateur que de leur enlever tous les droits !

 

 

Que faire des avenants ? Beaucoup sont oraux, tacites, acceptés « ex post ». Que ce soit une augmentation du loyer (elle est demandée par le propriétaire dans un courrier ou un mail et le preneur l’accepte sans écrit), ou une diminution de loyer (rappelez-vous le nombre impressionnants de propriétaires qui, lors de la crise Covid, avaient consenti à une réduction du loyer, voire une libération pendant un ou deux mois du paiement du loyer), une prolongation de l’occupation à la fin du bail (le preneur demande de rester trois mois de plus et le bailleur l’accepte, sans écrit, par simple confiance), un preneur qui accueille un membre de sa famille (souvent des cas de réfugiés ukrainiens que le bailleur accepte), toutes ces modifications à la relation contractuelle initiale sont basées sur une relation de confiance, très peu donnent lieu à une situation litigieuse, voire judiciaire. Elles seront désormais donc toutes nulles, comme le contrat verbal initial !

 

Comment comprendre cette modification de l’article 5 (suppression du contrat de bail verbal) alors que l’article 12 de cette même loi prévoit expressément l’hypothèse du contrat de bail verbal, que ce même projet de loi prévoit d’organiser le contrat de bail verbal dans l’article 1736 du Code civil ?

 

Ce projet de modification de la loi est malheureux, il ne répond pas à un besoin, ni des bailleurs, ni des preneurs. Pourquoi légiférer en ce sens ?

 

La colocation

 

 

Concernant la colocation, l’auteur du projet de loi affirme son intention de promouvoir ce type d’habitation qui correspond à une demande réelle sur le marché luxembourgeois. Nous estimons que ce projet fera le contraire, il défavorisera fondamentalement ce type de location.

 

 

La demande existe, mais l’offre est insuffisante, il manque de propriétaires qui entendent s’aventurer dans ce mode de location. Comme le reconnait le ministre du Logement, à l’heure actuelle, il est plutôt rare qu’un bailleur sur le marché de la location « classique » puisse toucher un loyer de 5% du capital investi ; le plus souvent il tourne autour de 2,5% - 3%. Ce revenu est décourageant pour le bailleur au vu des obligations qu’il doit assumer et il n’est pas contestable qu’avec une location de type collectif, il peut espérer réaliser un revenu plus important, surtout lorsqu’il est propriétaire d’un logement de taille plus importante. Réduire dès lors en cas de colocation le revenu locatif total au montant de 3% - 3,5% aura pour effet de décourager ce propriétaire d’ouvrir son logement à la colocation. Pourquoi endosser des charges de gestion très importantes et une responsabilité accrue si le revenu sera exactement le même ? Pourquoi investir dans des travaux de transformation, si le revenu locatif pour ces travaux est inférieur au taux d’intérêts et à la charge financière que le propriétaire devra supporter ?

 

 

Soulignons-le : un revenu locatif plus important est la seule et unique incitation pour un propriétaire de donner son bien en colocation. La limitation du loyer imposée par le législateur tuera la colocation privée !

 

 

L’article premier de la loi reste inchangé : la loi n’est pas applicable pour les résidences secondaires. Mais la colocation – qui n’est pas exclue des dispositions de la loi sur le bail d’habitation principale - est le plus souvent un mixte entre des locataires qui résident dans le même logement à titre principal et des locataires qui y vivent à titre de résidence secondaire.

 

 

Que faire dés lors ? Pour les uns la loi s’applique (et la question n’est pas seulement celle du montant du loyer) et pour les autres elle n’est pas applicable. Et ceci pour le même objet, pour la même convention, pour le même contrat de location, etc.

 

 

Il faut reconnaître dans le chef du preneur le caractère provisoire de la colocation. Il s’agit certes d’un mode d’habitation choisi à un moment de la vie (le preneur n’a pas d’autres liens de famille à cet endroit et il cherche un mode de vie en collectivité, la rupture des liens familiaux précédents, un avantage financier indéniable), mais le plus souvent ce mode d’habitation sera une étape vers un autre mode d’habitation. Rares sont les colocations qui restent stables. Un désaccord ou une autre opportunité, un changement professionnel ou affectif, et le preneur quitte cette collectivité.

 

 

Nous estimons que ce mode d’habitation est très différent de celui visé dans la loi du 21 septembre 2006. Dans la location d’habitation principale est visé exclusivement un certain équilibre entre le bailleur et le preneur, et notamment la protection du logement de ce dernier, dans le projet de loi actuellement en discussion, est visée principalement une certaine organisation des colocataires entre eux. De nombreuses questions restent non réglées : les problèmes des administrations communales et des copropriétés (suroccupation des lieux ensemble avec des problèmes du nombre supplémentaire de stationnements de véhicules, …) qui doivent trouver solution.

 

 

Il n’est pas opportun d’intégrer ce texte dans la loi sur le bail d’habitation principale, mais de prévoir une organisation de ce type d’habitation dans un texte légal séparé, qui viserait non seulement les relations entre les colocataires mais aussi celles avec le bailleur, celles avec les copropriétés et les administrations communales. Ces problèmes sont nettement plus urgents.

 

 

L’auteur du projet de loi entend organiser le mode d’habitation de la colocation. Nous approuvons cette idée. Toutefois on copie un régime étranger sans se soucier si ce régime fonctionne. L’auteur du projet cherche à reprendre en droit luxembourgeois le régime belge. Mais en Belgique, le législateur s’est rendu compte que ce régime n’est pas adapté à la colocation normale et le maintien pour les seules colocations d’étudiants. Parallèlement, le législateur belge est en train de développer un nouveau régime de co-living. Ne faudrait-il pas mieux s’inspirer de ce nouveau régime au lieu d’adopter un régime qui n’a pas fait ses preuves ?

 

 

La conclusion d’une convention préliminaire avant la signature d’un contrat de location serait désormais impérative. Mais ceci est oublier que l’initiative de la location collective émane principalement du bailleur : il doit faire les déclarations administratives et les transformations matérielles dans son logement. Rares sont les cas où les preneurs intéressés se regroupent spontanément pour s’adresser (après avoir trouvé un accord sur les points qui les intéressent le plus tels le loyer, la garantie locative, etc.) à un propriétaire pour négocier une colocation.

 

 

La convention préliminaire dégénérera dans un écrit établi par le bailleur, à signer en même temps que le contrat de bail. Ce sera un contrat d’adhésion dès le départ, il le sera de toute façon par la suite. Il n’y aura pas place à une liberté contractuelle entre les preneurs. Alors la question s’impose : pourquoi ne pas l’intégrer dès le départ dans le contrat de bail ?

 

Il est prévu que la location consentie à un couple marié ou pacsé ne soit pas considérée comme contrat de colocation.

 

 

S’agissant d’une exception à la règle générale, elle est de stricte interprétation. Ainsi un jeune couple non marié non pacsé qui déciderait d’habiter ensemble devra au préalable signer une convention de colocation avant de se présenter au propriétaire pour louer son studio ! Et lorsqu’un des deux quitte les lieux (le plus souvent parce que le couple ne fonctionne pas) et que le deuxième reste dans les locaux, le propriétaire aura le droit de résilier le contrat avec celui qui reste dans les lieux.

 

 

Toute vie commune avec un lien affectif entre les occupants sous quelle que forme que ce soit devrait être exclu du contrat de colocation !

 

 

Nous partageons l’avis exprimé par le Conseil d’Etat en ce que la procédure de la convention de colocation ensemble avec les modifications à chaque changement de colocataire est extrêmement lourde. Ceci est d’autant plus le cas que de toute façon les colocataires s’arrangent d’une manière ou d’une autre sur les éléments essentiels de leur vie en communauté, dont notamment les contributions financières, la garantie locative et la vie en communauté.

 

 

Enfin, si le législateur entend maintenir cette procédure lourde, il faut, dans un intérêt de la même transparence que préconise l’auteur de ce texte, obliger les parties d’y copier tel quel les articles 2quater, 2quienquies et 2sexies de la loi (les dispositions qui organisent l’engagement solidaire, la sortie de la responsabilité, …). Il faut que chaque colocataire sache exactement comment, quand et sous quelles conditions il sera libéré de ses engagements envers le bailleur et envers les autres colocataires. Ce seront ces dispositions qui seront les plus importantes de la convention, convention de huit à dix pages !

 

 

Le projet de loi prévoit que la colocation se définira par la signature d’un seul contrat de location entre les différents colocataires d’une part, et le bailleur d’autre part. Mais rien n’est prévu si les parties ne respectent pas cette obligation, si chacun signe un contrat de bail séparé avec le bailleur. (La situation n’est pas rare, surtout lorsque le bailleur habite avec les autres occupants en communauté dans les lieux).  Il est difficilement concevable que dans une telle situation le contrat de bail soit nul. Et quel sera le sort des preneurs d’un contrat de bail nul : chacun dispose d’un contrat de bail valablement signé et exécute ses obligations ?

 

Si le législateur insiste de maintenir la colocation dans la sphère du contrat de bail d’habitation principale, et avec un contrat de bail unique, quid si un des colocataires est en désaccord avec le bailleur et entend introduire une demande en réduction du loyer devant la commission des loyers, alors que les autres preneurs ne veulent pas chercher un litige avec le bailleur ?

 

 

La convention préalable, sous cette forme, sera trop lourde, elle sera en même temps incomplète, elle n’aide certainement pas à promouvoir ce type d’habitation.

 

Nous estimons que le changement de preneur, le départ d’un ou de plusieurs preneurs, doit être réexaminé, surtout si le législateur veut maintenir l’intégration de la colocation dans le régime de la loi de 2006.

 

       

Ainsi, si le contrat de bail de colocation a été signé avec deux preneurs et qu’un des deux sort de l’immeuble en donnant son préavis au bailleur, le bailleur pourra résilier le contrat avec celui qui reste dans les lieux. Est-ce qu’il devra motiver la résiliation ? Est-ce que le colocataire pourra faire valoir un sursis ? Quel sera le régime du contrat de bail si le bailleur ne résilie pas le contrat ? Est-ce que le preneur restera dans un contrat de colocation avec lui-même !? Est-ce que le contrat de location changera de nature ? Si c’est le cas, il est inconcevable, sauf accord express, que quelques mois plus tard l’une ou l’autre des parties impose un nouveau colocataire.

 

 

Imaginons un contrat de colocation signé avec trois preneurs, deux quittent les lieux, le troisième reste, faute d’autre logement. Est-ce qu’il reste tenu pour le tout, indéfiniment ?

 

 

L’auteur du projet règle la situation lorsque toutes les parties signent l’avenant. C’est rarement ainsi ; il faut organiser le départ non consensuel.

 

 

La limitation du loyer à 3,5% du capital investi

 

 

La limitation du loyer à un maximum de 3,5% du capital investi, au lieu des 5% du capital investi tel qu’il existe à l’heure actuelle nécessite le rappel suivant :

 

 

Le taux de 5% a été introduit en droit luxembourgeois non pas en 1955, mais en 1948. A la fin de la deuxième guerre mondiale, notre pays avait perdu presqu’un tiers de son patrimoine immobilier. Les investissements dans l’immobilier étaient hésitants, les taux d’intérêts élevés et la structure bancaire trop fragile pour répondre à une poussée importante dans la construction. De l’autre côté, la demande de logements était très importante.

 

Pour répondre à une tension sociale très forte (sans commune mesure avec les discussions qui existent actuellement au Luxembourg et qui sont en grande partie soutenues par les partis politiques) le législateur avait fixé arbitrairement le montant du loyer à un prix fixe par m2 (un régime qui existait en 1939). Mais ce régime n’était guère encourageant pour les nouveaux investissements. Pour relancer le secteur du bâtiment locatif neuf, le gouvernement avait alors pris la décision d’accorder aux investisseurs un loyer maximal de 5% du capital investi (qui correspondait au taux d’intérêts à ce moment) pour tous les nouveaux immeubles, c’est-à-dire ceux réalisés depuis la libération, les autres immeubles ne pouvant être loués qu’à un prix fixe au m2. Cette mesure était facile à mettre en œuvre puisqu’il n’était pas compliqué de démontrer le montant du capital investi pour les immeubles réalisés depuis le 10 septembre 1944. Au fond, la règle de 5% du capital investi était une exception au régime général du prix fixe. Il s’agissait d’une pure mesure de relance du secteur immobilier.

 

 

La situation sur le marché immobilier s’était fortement améliorée jusqu’en 1955, la mesure d’incitation à l’investissement immobilier s’était démontrée efficace. Le législateur l’avait reprise telle quelle dans la loi du 14 février 1955. Le calcul du loyer par rapport au capital investi est devenu le principe dans notre pays. Ceci est d’autant plus vrai que le législateur avait estimé qu’il fallait abandonner la différence de traitement entre les logements d’avant-guerre et les logements nouveaux (elle n’avait plus aucune raison d’être après un demi-siècle). Ceci est d’autant plus vrai que le régime forfaitaire avait encouragé des abus du côté des locataires qui vivaient dans des logements plus anciens, localisés dans les quartiers les plus chics de la capitale.

 

 

Mais l’approche a changé, surtout au cours des dernières années. Développée comme une incitation à l’investissement, un « tu peux demander plus à condition d’investir », la règle est maintenant conçue comme outil de diminution des loyers, alors que le ministre du Logement affirme lui-même que cette mesure n’affecte pas les loyers des nouvelles acquisitions ou constructions, puisque les prix de l’immobilier est à un tel point important que l’investisseur-bailleur ne peut guère espérer plus de 3% du capital investi.

 

 

L’abaissement du taux maximal du capital investi de 5% à 3,5% pour fixer la limite supérieure du loyer est incompréhensible à la fin de 2022. La situation sur le marché de la construction d’habitation s’est fortement dégradée au cours des six derniers mois. Toutes les agences immobilières, tous les promoteurs et tous les notaires sont unanimes lorsqu’ils affirment qu’ils constatent un revirement important du marché : le nombre d’actes d’acquisition est tombé à un niveau le plus faible depuis une dizaine d’années. L’augmentation aussi forte que rapide des taux d’intérêts en est la cause principale. Tout découragement à l’investissement orchestré par le gouvernement sera néfaste dans un tel climat d’anxiété.

 

La fixation du taux à 3,5% n’est expliqué d’aucune manière, à part celle d’une prétendue amélioration de la situation des preneurs.

 

 

En 1948 et 1955, le législateur s’est inspiré de la situation du marché financier pour fixer le taux à 5% : il a créé une incitation à l’investissement immobilier, le taux était suffisamment important pour drainer le capital vers l’immobilier luxembourgeois.

 

 

Aujourd’hui, les taux d’intérêts augmentent sensiblement et durablement vers un niveau des 5% au moins. Pourquoi alors investir dans un produit avec un rendement maximal de 3,5% si on peut espérer un rendement nettement plus élevé auprès d’un établissement bancaire ?

 

 

Quant au calcul du capital investi

 

 

La notion même du capital investi reste vivement critiquée :

 

-              Il sera pris en considération le prix de l’immeuble initial au jour de son achèvement. Mais personne n’a un prix au jour de l’achèvement de l’immeuble, tous les immeubles sont réalisés sur base d’un devis ou d’un prix fixé avant les travaux. Cette notion n’existe tout simplement pas.

 

 

-              Beaucoup d’immeubles ont été réalisés en plusieurs étapes. Pourquoi prendre comme date de départ le moment où « le grenier a été mis en peinture » c’est-à-dire au « jour de l’achèvement », soit plusieurs années après la réalisation de la partie la plus importante de l’immeuble ?

 

 

-              Comme discuté ci-dessous, il reste vivement contesté que les travaux d’entretien soient dorénavant repris dans le capital investi au lieu de permettre au propriétaire d’éviter une décote grâce aux travaux  d’entretien. Il est impossible pour un propriétaire de prouver, pièces à l’appui, les valeurs des travaux d’entretien : ce sont des factures qu’il n’aura que rarement gardé plus de dix années. Ainsi, le propriétaire qui a régulièrement entretenu son immeuble sera pénalisé par rapport à celui qui a laissé dépérir l’immeuble donné en location.

 

 

En cas d’absence de documents, le propriétaire chargera avant la signature du contrat de bail un expert assermenté qui déterminera le capital investi. Comme chaque expert a son mode d’évaluation, le propriétaire sera bien conseillé de charger une fois pour toutes trois experts assermentés d’évaluer son immeuble, de choisir l’expertise qui lui conviendra le mieux et de soumettre seulement celle-ci au futur preneur ! Et le preneur ? Pourra-t-il contester l’expertise par une contre-expertise ?

 

 

Ce sera un exercice de style, absurde, couteux et décourageant pour tout investisseur qui entend se projeter dans une aventure immobilière luxembourgeoise.

 

 

Qui est un expert assermenté ? Il y a des experts assermentés auprès d’un tribunal, il y a des experts assermentés auprès d’une chambre immobilière, il y a des experts assermentés à l’étranger. Beaucoup d’agents immobiliers connaissent les prix, beaucoup d’experts en bâtiment sont des experts ingénieurs, qui ignorent complètement la matière.

 

 

Nous estimons utile de rappeler l’idée initiale de la décote du capital investi. En 1988, lorsque le législateur modifia la loi de 1955, la question s’imposait comment réadapter le capital investi (une adaptation n’était pas prévue dans la loi de 1955). Certains avaient alors soulevé le problème qu’on ne peut adapter indistinctement le capital investi alors que certains propriétaires effectuaient régulièrement des travaux d’entretien (il est à souligner que les travaux d’entretien ne faisaient pas partie des travaux de transformation et de rénovation qui étaient pris en considération dans le capital investi) et que d’autres ne le faisaient pas. La décote fut alors introduite pour encourager le propriétaire-bailleur d’entretenir l’immeuble loué : en prouvant ces frais, il pouvait éviter la décote.

 

 

Les auteurs du projet de loi ne le voient plus ainsi. La décote n’est plus l’incitation à un entretien de l’immeuble, elle est devenue un mécanisme de diminution automatique du capital investi, donc du loyer. Au lieu de constituer une incitation, elle est devenue un outil de découragement général à l’investissement dans l’immobilier. L’argument que ce calcul est quasi le même que celui sous l’ancien régime ne peut valoir : sous l’ancien régime le propriétaire pouvait l’éviter, sous le nouveau régime il est automatique.

 

 

En dénaturant ainsi la décote, en lui donnant la fonction d’un « outil de réduction de l’adaptation du capital investi », on rend tout le calcul de l’adaptation artificiel.

 

 

Le « dossier » du capital investi

 

 

En invoquant un principe de transparence, le législateur va introduire une procédure très lourde pour le bailleur, souvent impossible à respecter, avec une sanction draconienne, un loyer de 8 € par m2. Pour tous les investisseurs, avec un rendement locatif par rapport à l’investissement plus élevé, une procédure de constitution de dossier plus facile, que faut-il d’autre pour leurs conseiller d’investir plutôt dans l’immobilier à Arlon, ou à Majorque ?

 

 

Quel est ce principe de transparence qui prime celui de la parole donnée, du contrat signé ? Envers qui faut-il respecter ce principe, envers le preneur ou envers l’administration ?

 

 

L’auteur de cette disposition estime que le preneur doit savoir avec précision quel est le capital que le propriétaire a investi dans l’immeuble loué. Pourquoi doit-il le savoir avec précision ? Pour qu’il puisse avec facilité lancer une demande devant la Commission des loyers, puisque le bailleur sera obligé de lui préparer le dossier dès avant la signature du contrat.

 

 

Le législateur avait volontairement cherché en 2006 à diminuer le nombre des affaires devant les commissions des loyers, car c’étaient ces affaires qui envenimaient les relations entre les bailleurs et les preneurs. Le législateur avait compris qu’une demande devant la Commission des loyers correspondait à une déclaration de guerre, qu’à la fin le dossier se terminait nécessairement avec une rupture du contrat de bail, par l’un, ou par l’autre, mais toujours par celui qui en sortait frustré. Depuis le nombre des dossiers devant les commissions des loyers à nettement diminué, il n’y en a presque plus, et les juridictions de paix n’en connaissent plus comme avant la réforme de 2006.

 

 

M. le ministre essaie de justifier le nouveau calcul avec un exemple montrant que ce régime ne changera pas beaucoup le niveau des loyers. Alors pourquoi légiférer ?

 

 

Ce qui changera sera la facilité pour chacune des parties de saisir la commission des loyers à la suite de n’importe quelle petite frustration ou désaccord sur un décompte, sur une facture de livraison de fuel, voire un comportement d’un autre occupant de l’immeuble, qui est étranger au contrat de bail, mais qui tout simplement créé un malaise continu, mais le plus souvent sur une parole donnée par l’une ou l’autre des parties et qui a été mal respectée, ou mal comprise. Alors que la situation générale entre les preneurs et bailleurs s’est largement améliorée au cours des 15 dernières années, ces dispositions du projet de loi, ne feront que provoquer une multitude de procès et d’âpres litiges qui auraient pu être évités.

 

Le sort des logements de luxe

 

Les auteurs du texte envisagent de supprimer l’article 6 de la loi actuelle, à savoir l’exception accordée au logement de luxe, sans en donner une quelconque explication à part que de toute façon les logements au Luxembourg seraient de « bonne qualité ».

 

 

De nouveau nous nous permettons de faire un rappel historique de cette exception à la règle générale. La notion de logement de luxe n’existait pas dans la loi de 1955, la logique de ce texte était basée sur la seule différence entre les logements datant d’avant la libération et les logements nouveaux, qu’il fallait absolument promouvoir. Ce n’est que plus tard que le législateur s’est rendu attentif que la loi sur le bail à loyer, une loi en principe de protection pour des personnes économiquement plus vulnérables, était souvent utilisée par des locataires vivant dans des logements assez luxueux pour obtenir des avantages très substantiels. L’économiquement faible était le bailleur, le preneur avec une situation économique confortable se sentait parfaitement à l’aise de rester dans sa relation locative.

 

 

Pourquoi faire marche arrière ? Pourquoi revenir à une situation que d’antan le législateur avait estimé abusive ? Pourquoi protéger un preneur qui est à même et d’accord à payer un loyer de 5.000.-€ par mois. Ou, pourquoi lui donner un outil pour remettre en cause tout l’investissement du bailleur ? Quel est l’avantage que le législateur espère tirer de cet abandon ?

 

 

S’il n’y a pas d’avantage, il n’y a pas lieu à légiférer.

 

 

Le logement de luxe doit être maintenu comme exception au régime général.

 

 

Mais le régime doit être repensé. La notion de « logement de luxe » était toujours difficile à circonscrire. Un logement peut être considéré comme luxueux pour les uns et basique pour d’autres. C’est pour cette raison que le législateur avait pris en considération la notion de « équipement moderne non standardisé ». Le problème resurgissait à nouveau : qu’est-ce un équipement moderne après dix années de location, l’exception de l’époque est le standard aujourd’hui.

 

 

Nous estimons qu’il faut retenir comme critère la seule notion tangible, celle du loyer convenu. Si un preneur signe et accepte un loyer d’un montant assez élevé (ce montant peut être fixé de manière absolue ou de manière relative par rapport à la surface du logement), il a une assise financière suffisamment aisée justifiant un retrait du bénéfice de certaines mesures sociales, telle la possibilité de demander une réduction du loyer. Ceci ne peut être choquant puisque de toute façon, noter régime de sécurisation est basé sur la situation économique plus ou moins tendue du bénéficiaire d’une aide.

 

 

Concernant la garantie locative

 

 

La garantie locative est souvent une pomme de discorde, elle est souvent comprise par le preneur (et par le législateur) comme une pratique abusive du bailleur. Des preneurs de bonne foi attendent le remboursement de la garantie qui est retardée à cause d’un décompte de copropriété en retard, ou à cause d’un devis de réparation d’un équipement de cuisine que le bailleur ne sait pas produire.

 

 

Mais ce sont les bailleurs qui voient le plus souvent cette garantie s’envoler à la suite des agissements du preneur, qui ne paie pas les derniers mois de loyer pour les compenser avec la garantie du bailleur. De manière générale, si à la fin du bail les locaux ne sont pas dans un bon état locatif (abstraction faite de l’usure normale), la remise des clés se fera mal, si elle se fait, c’est-à-dire si le preneur ne préfère remettre les clés dans la boîte aux lettres du bailleur, au comptoir de l’agence immobilière, voire la renvoyer telle quelle par lettre recommandée. Le bailleur aura la surprise, la garantie n’existe plus puisque le preneur de mauvaise foi a compensé sa dette de loyer avec l’obligation de remboursement de la garantie par le preneur. Face à ce comportement, le dossier prendra une tournure judiciaire. De notre expérience, la quasi-totalité des cas judiciaires concernant la garantie locative sont ceux où le preneur se fait justice à soi-même. Les cas de remboursement tardif de la garantie bancaire à cause d’un décompte en retard donnent rarement lieu à une procédure judiciaire.

 

 

Pour mettre un terme à de telles pratiques, qui sont trop souvent débattues devant les juridictions judiciaires, il y a lieu de légiférer en faveur des bailleurs qui subissent de telles procédures en introduisant une pénalité contre le preneur de mauvaise foi. Nous proposons de retenir qu’en cas de retenue du loyer par le preneur au cours des trois mois qui précèdent le jour prévu de fin de bail, sinon le jour effectif de la remise des clés en cas de non-respect du jour convenu, le preneur devra régler au bailleur une pénalité de 50% des loyers indument retenus, sans préjudice de la créance finale du bailleur envers le preneur, le tout sauf accord entre parties ou résiliation du contrat pour non-paiement du loyer.

 

 

L’organisation de la remise de la garantie locative telle que prévue dans le texte amendé du projet de loi correspond à la pratique sur le marché locatif. Faut-il dès lors légiférer ? Trop de textes donneront lieu à trop de procédures judiciaires pour des banalités.

 

 

 

Nous soulignons notre désapprobation vis-à-vis de l’alinéa 5 du projet amendé qui prévoit en cas de cession de l’immeuble loué un transfert obligatoire de la garantie de l’ancien propriétaire vers le nouveau propriétaire. Si le preneur n’a pas payé certains loyers ou décomptes pendant la période précédant la cession de l’immeuble, l’ancien propriétaire doit pouvoir compenser sa créance avec sa garantie. Le preneur devrait dès lors reconstituer la garantie entre les mains du nouveau propriétaire.

 

 

Maintenir la nouvelle version de l’article 2b) al. 5 forcera l’ancien propriétaire à réclamer les loyers en souffrance par voie judiciaire. Ce projet de texte sera à la base de nombreux procès qui pourraient être évités.

 

 

Ce vœu de l’auteur du texte est par ailleurs difficilement exécutable. La très grande majorité des garanties locatives sont honorées par le preneur sous la forme d’une garantie bancaire. Le preneur ignore la date exacte du transfert de propriété, il l’ignore souvent pendant quelques semaines. Ce serait dès lors à lui de se déplacer à son établissement bancaire pour que celui-ci retire une garantie au premier propriétaire et établisse une nouvelle à l’acquéreur. Mais pour retirer la première garantie, il faut que la banque se mette en contact avec le premier bénéficiaire, puisqu’il s’agit d’un engagement de la banque envers le premier bailleur. Celui-ci pourra dès lors faire valoir ses droits contractuels envers la banque. Finalement le preneur sera obligé de s’engager pour une nouvelle garantie au profit du preneur.

 

 

Le droit de préemption

 

 

En 2006, pour une raison inconnue, le législateur avait introduit le droit de préemption au preneur en cas de vente du logement qu’il habitait depuis 18 ans au moins. (Depuis 2018 cette disposition existe aussi pour le contrat de bail commercial.)

 

 

Aujourd’hui, 16 ans plus tard, après enquête auprès de nombreuses études notariales, le constat est éloquent : personne ne se rappelle d’un seul cas où le preneur avait effectivement fait valoir ce droit. Cette disposition est inutile, elle ne fait que ralentir les actes de vente. Devant ce constat d’échec, ne faut-il pas retirer du droit luxembourgeois cette disposition inutile, sinon non utilisée ?

 

 

Maître Georges KRIEGER

Avocat à la Cour

 

 

 

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