Droit immobilier

Législation en matière de bail à usage d’habitation : vers une trêve hivernale provisoire ?

Législation en matière de bail à usage d’habitation : vers une trêve hivernale provisoire ?

 

Pendant la crise sanitaire, le gouvernement avait prise des mesures exceptionnelles pour pallier les difficultés sociales, dont la dernière mesure est celle relative au gel des loyers pour les baux d’habitation, qui est encore valable jusqu’au 31 décembre 2022.

 

En date du 3 octobre 2022, un nouveau projet de loi n° 8076 vient d’être déposé. Celui-ci portant suspension temporaire des déguerpissements en matière de baux d’habitation, trouve sa genèse :

 

- dans la crise économique actuelle. Le gouvernement souhaite en effet protéger « les personnes et ménages à faibles revenus ».

-dans la crise de logement et plus particulièrement à la carence des services étatiques à pourvoir au relogement.

 

Au stade actuel, même si le projet de loi, peut être considérée comme une éventuelle avancée sur le plan social, celui-ci reste très lapidaire.

 

Commentaire 1 :


Le projet de loi, ne comportant qu’un seul article, vise à suspendre l’exécution des déguerpissements ordonnés par une décision judiciaire coulée en force de chose jugée et ce uniquement et seulement aux baux à usage d’habitation.

 

Sont partant exclus tous les baux tels que vis par l’article 1er alinéa 3 de la loi du 21 septembre 2006, et les déguerpissements ordonnés en matière de divorce et en cas de violence domestique. Sont également exclus les baux commerciaux, professionnels et à ferme.

 

Ces exclusions ne sont pas expressément citées par l’unique article de ce prédit projet de loi, mais ils sont énumérés par le commentaire de l’article unique.

 

Commentaire 2 :


Si le projet de loi vise en premier lieu, les personnes à faibles revenus, l’article unique tel que rédigé ne fixe aucun critère de revenus pour déterminer les bénéficiaires. Partant, en l’absence de cette distinction, toutes les personnes condamnées à libérer les lieux pourront jouir d’une telle faveur et quels que soient leurs capacités financières.

 

Commentaire 3 :

 

Le projet de loi ne fait aucune distinction quant aux motifs de résiliation, cause du déguerpissement. Toutes les décisions de déguerpissement ne sont pas liées à un défaut de paiement. Il existe d’autres motifs de résiliation donnant lieu à un déguerpissement :

 

-pour besoin personnel,

 

-pour travaux substantiels,

 

- pour défaut d’exécution d’autres obligations contractuelles : défaut d’assurance, trouble de jouissance, sous-location,

 

-en cas de non-conformité des lieux par rapport à la loi du 20 décembre 2019 relative aux critères de salubrité, d’hygiène, de sécurité et d’habitabilité des logements et chambres donnés en location ou mis à disposition à des fins d’habitation,

 

-résiliation pour changement d’affectation ou de destination des lieux.

 

Le projet de loi n’a pas tenu compte de ces différents cas et des conséquences y afférentes.

 

Commentaire 4 :


Le projet de loi ne précise pas la date du début de la période hivernale mais fixe la fin de la période de suspension. Au vu de la crise grandissante et persistante de logement à Luxembourg, cette suspension temporaire jusqu’au 31 mars 2023 serait-elle suffisante pour permettre aux services étatiques de mettre en place un système de relogement adéquat ?  

 

Eu égard à l’évolution du marché de l’immobilier et en l’absence de toutes mesures gouvernementales permettant d’encadrer les prix des logements, nous aurions tendance à répondre par la négative.

 

Le projet de loi reste également silencieux quant à la nature des relations existantes entre les parties. En effet, en cas de résiliation d’un contrat de bail à usage d’habitation, le locataire n’est plus un locataire au sens de la loi mais un occupant sans droit ni titre ou un occupant en vertu du délai lui accordé par le juge pour libérer les lieux. Le projet de loi ne détermine pas le statut légal de l’occupant.  Qu’en est-il des obligations de chaque partie ?  Qu’en est il de paiement des indemnités d’occupation ?  Qu’en est il de la responsabilité en cas de sinistre pendant cette période transitoire ?  Toutes ces questions, non limitatives, restent ouvertes.

 

Commentaire 5 :


Le projet de loi, tel que rédigé, outrepasse les dispositions légales issues de la loi de 2006 sur le bail à usage d’habitation en ce qui concerne le sursis à déguerpissement prévu par les articles 16[1] et suivants. En cas de déguerpissement ordonné, la personne condamnée à libérer les lieux, dispose d’un droit de demande en sursis à l’exécution sous réserve de remplir plusieurs conditions.

 

En effet, là où la prédite loi fixe des conditions pour bénéficier de la faveur d’un sursis à exécution, l’article unique du projet de loi de 2022 n’en prévoit aucune.

 

Finalement, le projet de loi aura des incidences majeures quant aux délais procéduraux relatifs aux dépôts des demandes tels que réglés par les articles 17[2] et 18[3] de la loi précitée de 2006.

 

Il conviendra, le cas échéant, d’actualiser nos observations suivant la version finale qui sera adoptée par la Chambre des Députés.

 

Me Sevinc GUVENCE & Me Romain BUCCI - avocats à la Cour

 



[1] Art. 16 : Le juge de paix, siégeant en matière de bail à loyer, peut ordonner à la requête de la partie condamnée au déguerpissement, qu’il s’agisse d’un locataire ou d’un occupant sans droit ni titre, qu’il sera sursis à l’exécution de la décision.

Le sursis ne pourra dépasser trois mois, mais il pourra être prorogé à deux reprises, chaque fois pour une durée maximum de trois mois. Le sursis ne sera accordé que si, en raison des circonstances, le requérant paraît mériter cette faveur et qu’il prouve avoir effectué des démarches utiles et étendues pour trouver un nouveau logement, à moins que le sursis ne soit incompatible avec le besoin personnel de l’autre partie.

Le juge de paix fixe la contrepartie pécuniaire due par la partie condamnée à déguerpir pendant la durée du sursis en raison de son maintien provisoire dans les lieux, en tenant compte du dommage qui en résulte pour le bailleur.

Si après une condamnation au déguerpissement en première instance, l’appel de la partie condamnée à déguerpir est déclaré irrecevable ou nul, ou si le déguerpissement est confirmé en instance d’appel, quel que soit le délai accordé par le juge d’appel à la partie condamnée au déguerpissement, cette partie ne pourra plus introduire une demande en sursis à l’exécution de la décision.

Toute demande en sursis ou en prorogation de sursis est irrecevable s’il s’est écoulé un délai supérieur à un an entre le jour de l’introduction de la procédure judiciaire et l’expiration du délai de déguerpissement fixé dans le jugement prononçant la condamnation ou dans l’ordonnance accordant un précédent sursis.

Par dérogation à l’alinéa qui précède et sous réserve des dispositions prévues par l’article 12, paragraphes (3) et (6), toute demande en sursis ou en prorogation de sursis est encore irrecevable à l’expiration du délai de douze mois à partir de la date où l’acquéreur d’un immeuble loué a informé le locataire par lettre recommandée, respectivement à l’expiration du délai de quinze mois à partir de la date où le bailleur a informé le locataire par lettre recommandée, qu’il veut occuper l’immeuble lui-même ou par un de ses parents ou alliés jusqu’au troisième degré inclusivement.

 

[2] Art. 17.La demande en sursis sera formée par simple requête à déposer au greffe de la justice de paix. Les parties seront convoquées pour la première audience utile. La décision sur la demande sera constatée par simple note au plumitif. Cette décision n’est susceptible d’aucun recours

 

[3] Art. 18.Si le délai de déguerpissement accordé à l’occupant par la décision est supérieur à quinze jours, la demande en sursis est à introduire, à peine de déchéance, au plus tard trois jours avant l’expiration de ce délai. La demande en prolongation du sursis est à introduire, à peine de déchéance, au plus tard trois jours avant l’expiration du sursis. Il y sera statué incessamment. Néanmoins, la demande aura un effet suspensif.

 

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