Droit immobilier

La crise du logement au Luxembourg, un échec avant tout politique !

La crise du logement au Luxembourg, un échec avant tout politique !

 

Depuis plusieurs années, les principales préoccupations de la population luxembourgeoise et des politiques tournent autour de la « crise du logement », illustrée par une envolée des prix de l’immobilier, elle-même consécutive, majoritairement, à un écart de plus en plus conséquent entre l’offre et la demande. La récente hausse des prix des matériaux de construction, due à la raréfaction des approvisionnements en matières premières, n’est malheureusement pas de nature à améliorer cette situation. 

 

Face à cette « pénurie de logements », nos dirigeants rivalisent d’ « ingéniosité », et les promesses de « lendemains meilleurs » s’amoncellent, sous forme de proclamations, d’idées, de plans, de subventionnements étatiques, de projets de loi, de nouveau Pacte logement avec les communes, etc.

 

Cependant, si des idées prétendument nouvelles germent constamment dans les esprits de nos élus, les conceptions de base pour la résolution de la crise, demeurent fondamentalement les mêmes depuis des années, alors même qu’elles sont fondamentalement erronées, en témoigne le fait que la situation ne montre aucun signe d’évolution favorable, que du contraire même…

 

L’on s’entête, dans le chef de nos gouvernants, à croire que le secteur privé est à l’origine de tous les maux, respectivement est le responsable tout désigné de l’envolée des prix : en substance, les promoteurs seraient trop gourmands et feraient de plantureux bénéfices, les propriétaires fonciers rechigneraient à faire le nécessaire pour mobiliser leurs terrains, dans un esprit de spéculation, etc.  

 

Dans la suite de ces idées, nos têtes pensantes ont mis en place des mécanismes destinés à ce que les pouvoirs publics reprennent la main sur le marché. L’on entend agir principalement par le biais de contraintes, de sanctions, afin de forcer à vendre, de forcer à mettre en œuvre, partant du constat que la majorité des terrains bâtissables sont encore détenus par des personnes privées. 

 

Ce faisant nos dirigeants persistent et signent dans une direction fondamentalement erronée qui consiste :

 

 --> A vouloir déposséder le secteur privé de ses biens pour les attribuer au secteur public (dans une visée pour le moins communiste de la notion de propriété), notamment par le biais d’un recours toujours plus important, aux droits de préemption. Ce mécanisme ne favorise cependant nullement, dans la plupart des cas, la création de logements supplémentaires, sachant que la constructibilité d’un terrain est de toute façon fixée dans les PAG et que le pouvoir préemptant ne réalise finalement pas plus de logement que le promoteur dépossédé de son acquisition. Il s’agit simplement pour le secteur public de s’attribuer les mérites (tout en bénéficiant des retombées politiques liées à l’ « accomplissement du projet de logements à coût modéré » en se dispensant en même temps du travail de négociation et/ou de conception effectué en amont par l’acquéreur évincé) de la réalisation de logements qui auraient de toute façon été produits, souvent plus rapidement et dans de meilleures conditions financières, par le secteur privé.

 

--> A envisager des nouvelles taxations des logements vides et des terrains non bâtis (déjà cependant prévues par les articles 15 et suivants de la loi modifiée du 22 octobre 2008 dite Pacte Logement) ;

 

--> A subventionner plus largement les initiatives des promoteurs publics (Fonds du Logement, SNHBM, communes, …) ;

 

--> A imposer aux promoteurs privés, la création d’une part toujours plus importante de logements à coût modéré dans le cadre de développement de lotissements de terrains (sachant que ce mécanisme impliquera probablement une hausse des prix des logements dits classiques, en compensation des surcoûts inhérents à la création des logements vendus généralement 80% en dessous des prix du marché) ;

 

--> Finalement, à sanctionner plutôt qu'à inciter.

 

Il s’agit là globalement de thématiques assez populistes (diabolisation des propriétaires fonciers et des développeurs), qui n’apportent cependant pas concrètement de solutions à la crise du logement.

 

Ce que nos chers dirigeants ne disent cependant pas, c’est que les causes réelles de l’augmentation des prix des logements, sont surtout les suivantes (au-delà bien entendu des raisons liées à l’attractivité du marché immobilier lui-même, compte tenu notamment des revenus locatifs escomptés et de la faible rentabilité d’autres types d’investissements, qui sont des causes complexes que nous n’analyseront pas ici), à savoir :

 

--> Une complexité législative et administrative croissante pour la réalisation de projets immobiliers, générant un ralentissement des développements de ceux-ci (cette situation impliquant à son tour des frais bancaires plus importants) et par conséquent une mise sur le marché moins rapide pour les nouveaux logements planifiés, ceci influençant à la baisse, l’offre de logements.

 

Les changements incessants de la législation en matière d’aménagement du territoire et d’aménagement communal, les implications des législations en matière de protection du patrimoine, de la protection de l’environnement au sens large (gestion de l’eau, zones inondables), nécessitent une phase d’assimilation par les acteurs publics et privés, et créent, tant que cette phase d’assimilation n’est pas achevée, des instabilités (hésitations quant à l’interprétation à donner aux nouvelles normes, d’où ralentissement des prises de décision, respectivement adoption de décisions risquant par la suite d’être annulées par les juridictions administratives, etc.).

 

--> Des mécanismes d’autorisation devenus invraisemblables, particulièrement lorsque le projet immobilier nécessite une autorisation de la ministre de l’Environnement (transformation/rénovation de constructions existantes en zone verte, destructions de certains biotopes, telles une haie, un groupe ou une rangée d’arbres, …), alors par exemple que le ministère de l’Environnement peut parfois mettre plusieurs années pour statuer sur une simple demande d’abattage de deux arbres... ou imposer des conditions drastiques dans le cadre de l’exécution de lotissements pourtant déjà autorisés ;

 

--> Une diminution généralisée du potentiel constructible dans les nouveaux PAG (refonte) de nombreuses communes, par rapport aux anciens PAG, sous l’impulsion soit des pouvoirs politiques locaux, désireux de conserver des caractéristiques rurales ou villageoises de leurs communes, afin, disent-ils, de préserver la qualité de vie de leurs administrés ; respectivement sous l’impulsion du ministère de l’Environnement qui contraint les communes du pays, et particulièrement les communes plus rurales, à effectuer des reclassements de certaines zones constructibles en zone verte.

 

--> Le non-respect des engagements pris par les communes elles-mêmes dans le cadre de leurs PAG, lorsque ceux-ci se trouvent exécutés et mis en œuvre par des PAP, et que lesdites communes exigent des densités de constructions inférieures dans le PAP que ce qu’admet le PAG, poussées souvent par la population riveraine.  

 

--> Le classement récent de dizaine de milliers de constructions existantes (parfois dans un état de délabrement avancé), soit comme « monument national », soit comme « construction à conserver » ou « gabarit à conserver » dans les PAG des communes, ce qui à chaque fois, complique grandement l’élaboration d’un projet immobilier mais surtout, empêche généralement aux propriétaires de bénéficier pleinement du potentiel constructible de leurs parcelles. Au final, les classements ont donc pour effet de créer une différence assez importante entre le nombre de logements théoriquement réalisables au sein d’une localité donnée (suivant les PAG/PAP), et le nombre de logements effectivement réalisables (juridiquement et/ou techniquement), compte tenu des contraintes en termes de protection du patrimoine.

 

--> Le manque de coordination entre les différentes instances compétentes pour un projet immobilier donné, qui peut générer des exigences incompatibles entre-elles et insolubles.

 

Le Luxembourg ne connait pas le « permis unique », et un projet immobilier peut impliquer l’intervention de nombreuses autorités publiques qui statuent chacune dans leurs sphères de compétence respectives, en imposant des conditions qui s’appliquent au bâtiment projeté. Une nouvelle construction peut par exemple impliquer non seulement la compétence du bourgmestre (qui va statuer sur la régularité du projet vis-à-vis de la règlementation urbanistique communale), mais aussi de l’administration des Ponts & Chaussées (permission de voirie), du ministère de la famille (pour certaines structures agréées, telles les crèches, maison-relais, CIPA, logements encadrés pour personnes âgées, etc.), le ministre ayant la Culture dans ses attributions (si l’immeuble est classé ou inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments nationaux), le ministre ayant l’Environnement dans ses attributions (s’il y a lieu à suppression de biotopes, respectivement si le ministre est appelée à statuer en matière d’établissements classés), ou encore le ministre du Travail s’il s’agit d’un établissement soumis à la procédure commodo incommodo.  Le ministre de l’Intérieur (si le projet est soumis à PAP NQ) et l’administration de la gestion de l’eau (projet en zone inondable ou soumis à autorisation en application de l’article 23 de la loi du 19 décembre 2008 relative à l'eau), sont aussi appelés à intervenir le cas échéant.

 

Dès lors, et au vu de ce qui précède, les efforts (y compris financiers) des pouvoirs publics pour résoudre le problème de l’envolée des prix de l’immobilier devraient se concentrer sur la simplification législative et administrative (principalement en réfléchissant aux contraintes qu’impliquent la loi sur la protection de la nature et des ressources naturelles et la loi sur la protection des sites et monuments nationaux), et sur le maintien (voire l’ « installation ») d’une plus forte densité de construction dans les PAG pour les terrains situés dans les communes considérées comme prioritaires pour le développement de l’habitat et localisés dans des situations appropriées (bonne desserte en transports en commun, proximité des lieux de travail, environnement bâti dense, etc.).

 

Vu la crise actuelle du logement, il apparait que les diminutions sensibles de constructibilité que l’on observe par-ci, par-là, sont une hérésie. Il en est de même du classement presque frénétique d’immeubles sans intérêt historique particulier, mais néanmoins classés, généralement soit à l’initiative du voisinage désireux d’éviter l’implantation d’une nouvelle construction, soit à l’initiative d’associations qui parcourent le pays à la recherche des derniers objets encore « authentiques » (c’est-à-dire généralement construit avant 1970) au Grand-duché…

 

Finalement, osons dire que les réformes proposées pour résoudre la crise du logement ne doivent pas être adoptées sans consultation ni prise en considération des principaux acteurs du marché du logement. Ces derniers disposent des moyens financiers, humains, matériels, de l’expertise technique et opérationnelle, sans parler des idées novatrices, pour résorber la distance qui s’est creusée entre l’offre et la demande de logements, pourvu que l’on leur en laisse la possibilité (c’est-à-dire en évitant de leur mettre des bâtons dans les roues).

  

Le secteur privé ne doit pas être observé avec méfiance, ou défiance. Celui-ci est au contraire, appelé – de manière complémentaire, et non concurrentielle avec le secteur public – à résoudre les nombreux défis qui se posent sur le marché du logement.

 

 

Me Sébastien COUVREUR – Avocat à la Cour

 

 

Le présent avis ne reflète que l’opinion de son auteur.

 

 

Pour plus d’informations :

- La Cour administrative (re)définit les contours de l’exercice des droits de préemption publics

- Pacte Logement II : Une aubaine pour le patrimoine immobilier public ?

- Compensations environnementales : une meilleure transparence vis à vis du calcul des éco-points ?

- Le degré de concentration de la détention du potentiel foncier destiné à l’habitat en 2016 – note de l’Observatoire de l’Habitat

- La construction de logements, entre consommation foncière et reconstruction de terrains - Etude sur le Grand-Duché de Luxembourg entre 2010 et 2016 – observatoire de l’habitat

 

 

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