Droit immobilier

Comment calculer le prix de l’eau ?

 

Comment calculer le prix de l’eau ?

 

La Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établit un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau. La prédite directive fut transposée en droit luxembourgeois par la loi du 19 décembre 2008 relative à l’eau.

 

 

Les deux textes font appel au principe de récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau (« Kostendeckungsprinzip »), c’est-à-dire que le consommateur final devrait payer le « vrai prix de l’eau » suivant le principe du pollueur-payeur.

 

 

La mise en pratique de ces principes, et les calculs du « vrai prix de l’eau », s’avèrent toutefois complexes.

 

 

Pour pouvoir analyser quel est le « vrai prix de l’eau », il nous a paru utile de rappeler d’abord les responsabilités communales en termes de collecte, d’évacuation et traitement des eaux (I), puis d’étudier les principes de la tarification de l’eau (II).

 

 

I. Les responsabilités communales

 

 

En pratique, il n’est pas rare que les questions liées à la prise en charge des coûts de réalisation des infrastructures d’assainissement et de collecte des eaux pluviales ou usées, fasse l’objet de controverse. Certaines communes cherchant, par exemple, à imputer aux promoteurs de nouveaux lotissements, la charge de réaliser et de financer non seulement lesdits travaux d’infrastructures au sein du PAP, mais aussi ceux hors PAP.

 

Nous n’aborderons pas ici cette controverse, mais elle est symptomatique des enjeux qui se tissent parfois autour des coûts liés à la collecte, à la distribution, et au traitement des eaux.

 

 

La loi du 19 décembre 2008 relative à l’eau retient :

 

 

« Art. 46. Assainissement des agglomérations, élimination des eaux urbaines résiduaires collectées et gestion des eaux pluviales

 

 

(1) Les communes sont tenues d’assurer la collecte, l’évacuation et l’épuration des eaux urbaines résiduaires et la gestion des eaux pluviales dans les zones urbanisées ou destinées à être urbanisées conformément au plan d’aménagement général. Elles sont tenues de concevoir, de construire, d’exploiter, d’entretenir et de surveiller les infrastructures d’assainissement faisant partie de leur territoire, selon les règles de l’art en tenant compte des meilleures techniques disponibles. Les activités d’entretien et de surveillance à l’exception de l’exploitation peuvent être sous-traitées à des entreprises spécialisées. Les conditions et modalités de cette sous-traitance sont fixées par règlement grand-ducal. (Loi du 20 juillet 2017) « Les travaux, installations, ouvrages et emprises nécessaires à l’assainissement ainsi que les ouvrages de gestion des eaux parasites et de ruissellement sont déclarés d’utilité publique ».

 

 

(2) Dans une agglomération, les fonds bâtis ou non bâtis sur lesquels des eaux urbaines résiduaires sont produites doivent être raccordés, aux frais de leurs propriétaires et conformément aux règlements communaux, à une infrastructure d’assainissement. Cette disposition s’applique également aux infrastructures de gestion des eaux pluviales.

 

 

(3) L’exploitant des infrastructures d’assainissement collectives établit un dossier technique renseignant sur cette infrastructure et son mode d’exploitation. (Loi du 20 juillet 2017) « Une nouvelle zone destinée à être urbanisée ne peut être désignée et le statut d’une zone d’aménagement différée ne peut être levé que si les infrastructures d’assainissement sont assurées. Un règlement grand-ducal définit les caractéristiques techniques y afférentes ».

 

 

L’article 47 de la loi indique que :

 

 

« (1) Des règlements communaux déterminent au plus tard deux ans après l’entrée en vigueur de la présente loi :

 

 

a) les conditions à respecter par les utilisateurs raccordés à l’infrastructure d’assainissement, notamment en ce qui concerne les modalités constructives à respecter pour la réalisation du raccordement et les exigences quant au mode de déversement des eaux résiduaires, y compris, le cas échéant, le déversement séparatif des eaux ménagères usées, des eaux industrielles usées et des eaux de ruissellement ou, pour ces dernières, leur infiltration dans le sol du fonds sur lequel elles sont produites;

 

        (…).

 

 

b) les taxes et tarifs applicables au raccordement au réseau collectif d’assainissement et à l’évacuation et l’épuration des eaux usées (…) ».

 

 

 

II. Les principes de la tarification de l’eau

 

 

La loi de l’eau sur de 2008 a opéré un changement dans la méthode de calculer le prix de l’eau, d’une part à la suite de la directive sur l’eau, qui a prévu le principe pollueur-payeur, mais aussi en considération des coûts toujours croissants de l’assainissement de l’eau.

 

 

Dans l’exposé de l’administration de la gestion de l’eau, intitulé « Le prix de l’eau ; approche harmonisée du calcul du prix de l’eau », il est signalé que la nouvelle tarification était un moyen pour atteindre les objectifs exigés par la directive (bon état écologique et chimique des eaux de surface, bon état quantitatif et qualitatif des eaux souterraines). Et cela d’une part par la sensibilisation à une utilisation parcimonieuse, mais surtout par les rentrées qu’elle engendrerait et qui pourraient servir au financement de l’assainissement.

 

 

Il faut relever dans ce contexte, comme il est expliqué dans l’exposé susmentionné, que la création et la gestion des infrastructures d’approvisionnement en eau potable et d’évacuation des eaux usées relève de la responsabilité exclusive des communes. Elle est fondée d’une part sur l’autonomie communale, mais aussi sur la mission originelle des communes en matière de garantie de l’hygiène et de la salubrité publiques.

 

 

Le prix de l’eau se calcule donc au niveau communal.

 

 

Mais le prix de vente de l’eau pratiqué par les communes ne correspondait pas nécessairement à son coût de revient. Dans bien des cas le prix facturé n’a pas tenu compte des coûts véritables du service fourni, et notamment de l’amortissement des infrastructures. Ces communes avaient donc délibérément subventionné le prix de l’eau. Les moyens relatifs au renouvellement des infrastructures devaient être prélevés sur le budget communal.

 

 

D’après la nouvelle tarification introduite par la loi de l’eau de 2008, le prix de l’eau résulte de la somme des coûts de conception, de construction, d’exploitation, d’entretien et de maintenance induits par les services du cycle urbain de l’eau.

 

 

Un autre problème en matière de prix de l’eau est celui de son harmonisation. Il existe autant de prix de l’eau qu’il existe de communes.

Cela s’explique par le fait que les caractéristiques d’une commune influent sur le prix de l’eau. La dispersion des agglomérations sur le territoire de la commune est un facteur important. Ainsi existe-t-il par exemple pour le SIACH une seule station d’épuration pour une population de 80.000 habitants, alors que dans l’Oesling il y en a 150 (il est vrai plus petites) pour plus ou moins le même nombre d’habitants. Par ailleurs, la longueur des conduites augmente en fonction de cette dispersion. La variation saisonnière des secteurs de l’HORESCA et du tourisme, l’importance de la présence d’industrie, l’envergure des surfaces agricoles peuvent jouer un rôle.

 

 

Il existe donc un problème d’équité au niveau national, dans la mesure où les résidents d’une commune fortement industrialisée doivent payer un prix plus élevé que ceux d’une commune moins industrialisée. Voilà pourquoi il est essayé d’aboutir à une certaine harmonisation du prix de l’eau. L’exposé de l’administration de la gestion de l’eau, mentionné ci-dessus, présente une méthodologie pour la mettre en œuvre.

 

 

Alors que les communes disposaient dans le passé d’une large marge de manœuvre pour fixer le prix de l’eau, elles sont, depuis l’entrée en vigueur de la loi précitée, entourée d’une réglementation relativement développée.

 

 

Il faut distinguer les règles prévues par la loi (1.) et les règles d’application développées par l’administration (2.).

 

 

1. Les règles prévues par la loi

 

 

La loi du 19 décembre 2008 relative à l’eau introduit dans ses articles 12 à 14 :

-      les principes utilisateur payeur et pollueur payeur

-      les quatre secteurs

-      redevance eau destinée à la consommation humaine

-      redevance assainissement

-      taxes au prélèvement et au rejet

 

 

1.1. Les principes utilisateur payeur et pollueur payeur (article 12 (1) et (2)

 

 

La loi introduit les principes de la manière suivante :

 

 

(1)  À partir du 1er janvier 2010, les coûts des services liés à l’utilisation de l’eau, y compris les coûts pour l’environnement et les ressources sont supportés par les utilisateurs en tenant compte des principes de l’utilisateur-payeur et du pollueur-payeur.

 

(2)  Ces coûts sont mis à la charge des utilisateurs au moyen d’une redevance eau destinée à la consommation humaine et d’une redevance assainissement au profit des prestataires des services liés à l’utilisation de l’eau, d’une part, d’une taxe de prélèvement et d’une taxe de rejet au profit de l’État, d’autre part.

 

 

 

1.2. Les quatre secteurs (article 12 (3) et (4))

 

 

Il convient de noter que les secteurs prévus par la loi de 2008 étaient au nombre de trois (l’hôtellerie, restaurants et tourisme étaient prévus dans le secteur des ménages) et que la loi du 20 juillet 2017 a ajouté le secteur Horeca. Le texte est énoncé comme suit :

 

«(3) Les schémas de tarification distinguent quatre secteurs :

 

a)   le secteur des ménages dont relèvent les personnes physiques, les institutions publiques et les entreprises qui ne font partie ni du secteur industriel, ni du secteur agricole, ni du secteur Horeca, ni du secteur des campings ;

 

b)   le secteur industriel dont relèvent les entreprises dont la consommation d’eau excède un des seuils suivants: 8.000 mètres cube par an, 50 mètres cube par jour ou 10 mètres cube par heure, ou dont la charge polluante excède 300 équivalents habitants moyens ;

 

c)   le secteur agricole dont relève l’activité des agriculteurs, viticulteurs, éleveurs, arboriculteurs, horticulteurs, pépiniéristes, jardiniers, maraîchers, pisciculteurs, sylviculteurs et apiculteurs ; et

 

d)   le secteur Horeca dont relèvent les hôteliers, restaurateurs et cafetiers et le secteur des campings.»

 

 

(3)        Les redevances peuvent être fixées en tenant compte des conséquences environnementales et économiques des coûts ainsi que des conditions géographiques de la région concernée. Les modalités d’une prise en charge par l’État de ces éléments sont définies par la loi budgétaire.

 

 

1.3. La redevance eau destinée à la consommation humaine (article 13)

 

 

Ce texte est libellé comme suit :

 

  1. 1.   La redevance est assise sur l’eau destinée à la consommation humaine fournie par un réseau de distribution publique.

 

 

  1. 2.   Les règles relatives à la redevance sont établies par un règlement communal en tenant compte des principes suivants :

 

  1. a.   La redevance couvre l’ensemble des charges liées à la conception, la construction, l’exploitation, l’entretien et la maintenance des infrastructures nécessaires à la fourniture d’eau, y compris les amortissements de ces infrastructures, à l’exception des charges visées par l’article 24 (1) alinéas 1 à 4 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain.

 

Ces charges sont déterminées par l’analyse économique effectuée conformément à l’article 33.

 

 

  1. b.   La redevance se compose d’une partie fixe annuelle par compteur et d’une partie variable, fonction de la consommation annuelle, calculées selon la structure suivante :

 

                                 i.    La partie fixe est proportionnelle au diamètre du compteur en distinguant les « quatre» secteurs définis à l’article 12.

 

                               ii.    La partie variable est proportionnelle à la consommation annuelle.

 

 

1.4. La redevance assainissement (article 14)

 

Le texte donne la définition suivante de la redevance assainissement :

 

(1)        La redevance est assise sur l’eau destinée à la consommation humaine ayant fait l’objet d’une utilisation et déversée dans le réseau de collecte des eaux usées.

 

 

(2)        Les règles relatives à la redevance sont établies par un règlement communal en tenant compte des principes suivants :

 

  1. a.   La redevance couvre l’ensemble des charges liées à la conception, la construction, l’exploitation, l’entretien et la maintenance des infrastructures nécessaires à l’assainissement des eaux usées, y compris les amortissements de ces infrastructures, à l’exception des charges visées par l’article 24 (1) alinéas 1 à 4 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain. Sont toutefois exceptées les charges liées au déversement des eaux de ruissellement issues de la voirie publique. Ces charges sont déterminées par l’analyse économique effectuée conformément à l’article 33.

 

 

  1. b.   La redevance se compose d’une partie fixe annuelle par compteur et d’une partie variable, fonction de la consommation annuelle, calculées selon la structure suivante:

 

 

                                 i.    La partie fixe est proportionnelle au nombre d’équivalents habitants moyens, en distinguant les quatre secteurs définis à l’article 12.

 

 

                               ii.    La partie variable est proportionnelle au volume d’eau provenant de la distribution publique prélevée par l’utilisateur ou déterminée à l’aide d’un dispositif de comptage, dans les cas où un tel dispositif a été mis en place par l’utilisateur.

 

 

 

1.5. Les taxes de prélèvement des eaux de surface et des eaux souterraines et les taxes de rejet d’eau usées (articles 15 et 16)

 

 

Ces textes introduisent deux nouvelles taxes qui ont pour but de protéger les ressources en eau et l’environnement. Elles exercent donc une influence indirecte sur le prix de l’eau dans la mesure où elles limitent en amont les dommages aux ressources en eau et les dommages à l’environnement. Elles peuvent donc contribuer à réduire les nécessités d’assainissement. Ces taxes sont prélevées par l’Etat contrairement aux redevances mentionnées ci-dessus qui sont dues aux communes. Elles servent à alimenter le Fonds pour la gestion de l’eau qui, lui, permet d’aider les communes à atteindre les objectifs environnementaux de la directive.

 

 

La taxe de prélèvement a une importance particulière dans la formation du prix de l’eau, dans la mesure où celle-ci provient des eaux souterraines.

 

 

 

2. Les règles d’application développées par l’administration

 

Le ministère de l’intérieur a émis des circulaires (2.1), des schémas de calcul (2.2.), un vade-mecum (2.3), et des modèles de délibération du conseil communal (2.4).  

 

Enfin un certain contrôle des communes a été mis en place (2.5.).

 

 

2.1. Les circulaires

 

Il convient de souligner notamment la circulaire numéro 2821 de Monsieur le Ministre de l’Intérieur et à la Grande Région du 14 octobre 2009 relative à la tarification de l’eau et au schéma de calcul du coût de l’eau en conformité des dispositions de la loi modifiée du 19 décembre 2008 relative à l’eau, ainsi que la circulaire numéro 2909 de Monsieur le Ministre de l’Intérieur et à la Grande Région du 28 mars 2011 relative à la tarification de l’eau, schémas de calcul du coût de l’eau rééquilibrés. Elles ne figurent malheureusement pas sur le site de l’administration de la gestion de l’eau.

 

 

La circulaire numéro 2821 contient des instructions pour la mise en œuvre de la nouvelle tarification. Elle renvoie au schéma de calcul et au vade-mecum, mentionnés ci-après.

 

 

La circulaire numéro 2909 invite les communes à adopter l’approche de l’harmonisation du calcul du prix de l’eau.

 

 

2.2. Les schémas de calcul

 

Il s’agit de tableaux excel disponibles sur le site de l’administration de la gestion de l’eau, l’un pour le calcul de l’eau potable et l’autre pour le calcul du coût de l’évacuation et de la dépollution des eaux. Si les communes les utilisent, elles tiennent automatiquement compte des critères de la loi.

 

 

2.3. Le vade-mecum prix de l’eau

 

Intitulé « le principe de récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau », il donne un donne un aperçu détaillé sur la problématique de la tarification. Il est souligné qu’il ne s’agit pas de la version qui figure sur le site de l’administration de la gestion de l’eau, mais celui qui est annexé à la circulaire 2821.

 

 

2.4. Les modèles de délibération du conseil communal

 

Ils aident les communes à tenir compte de toutes les nouvelles règles lors de la prise de décision concernant la fixation du prix de l’eau.

 

 

2.5. Le contrôle des communes

 

 

Il résulte de ce qui précède que les communes ne peuvent pas fixer le prix de l’eau de manière discrétionnaire. Les circulaires, les schémas de calculs et les modèles de délibération constitue un cadre relativement précis à la prise de décision par la commune.

 

Mais la loi de l’eau prévoit en plus à l’article 47 (2) un contrôle supplémentaire :

 

 « Les règlements visés au paragraphe (1) sont transmis pour avis à l’Administration de la gestion de l’eau. À l’expiration d’un délai d’un mois il peut être passé outre à l’absence d’avis. ».

 

 

Enfin, le règlement communal fixant le prix de l’eau doit être soumis à l’approbation du ministère de l’intérieur, conformément à l’article 106 de la loi communale du 13 novembre 1988 :

 

 

« Sans préjudice d’autres dispositions légales spéciales sont soumises à l’approbation du ministre de l’Intérieur les délibérations des conseils communaux portant sur les objets suivants :

 

 

7° Les règlements ou tarifs relatifs à la fourniture d’eau, de gaz et d’électricité, au prix de location des places dans les halles, foires, marchés et abattoirs, aux droits de pesage et à tous les autres tarifs dus pour rémunération de services prêtés par la commune.

 

 

Le ministère de l’intérieur prend sa décision en tenant compte de l’avis de l’administration de la gestion de l’eau.

 

 

 

 

Me Jean-Claude KIRPACH – Avocat

Me Sébastien COUVREUR – Avocat à la Cour

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