Droit immobilier

Pacte Logement II : Une aubaine pour le patrimoine immobilier public ?


PACTE LOGEMENT II : UNE AUBAINE POUR LE PATRIMOINE IMMOBILIER PUBLIC ?

 

Dans le cadre du projet de loi n° 7648, dit « Pacte Logement 2.0 » - auquel nous avons déjà consacré un article - il est prévu de permettre aux autorités publiques d’acquérir davantage de logements « abordables » et de terrains permettant la réalisation de logements, le tout à un prix « effectif » (cette notion sera abordée et circonscrite ci-après).

 

Pour ce faire, le projet de loi sous examen prévoit de modifier, notamment, la loi du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain et la loi du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire.

 

I. La législation actuellement en vigueur

 

Selon la législation actuelle (article 29, paragraphe 2, alinéa 4 de la loi précitée de 2004) au moins 10 pour cent de la surface construite brute (SCB) à dédier au logement sont à réserver à la réalisation de logements à coût modéré pour chaque plan d’aménagement particulier nouveau quartier (PAP NQ) qui prévoit un nombre de logements supérieur à 25 unités.

 

Les conditions et les prix de vente, respectivement de location, sont à arrêter dans la convention d’exécution, à conclure entre le ou les initiateurs du PAP NQ (généralement des promoteurs ou propriétaires privés) avec la commune.

 

Les auteurs du projet de réforme déplorent que dans l’état de la législation en vigueur, un suivi systématique de la mise en œuvre de la  disposition précitée ne serait pas assuré au-delà du stade de la signature des conventions (à vrai dire, la mise en œuvre de l’obligation de réalisation et de mise à disposition des logements à coût modéré dépend en pratique des administrations communales concernées, certaines ayant tendance, dans le silence de la loi, à fixer conventionnellement un cadre strict pour imposer aux promoteurs, la gestion des locations et des ventes – à 80% des prix du marché – des logements à coût modéré, tout en se réservant même parfois des droits d’option ou des droits de préemption pour contrôler les ventes ultérieures de ceux-ci).

 

Ainsi, suivant l’exposé des motifs du projet de loi précité : « aucun logement locatif à coût modéré n’a été créé de cette façon et à terme, il y a lieu de considérer que le parc de logements abordables n’a pas été étoffé » (cependant, cette assertion serait à vérifier…).

 

Par ailleurs, il est constaté que ces logements modérés font « tôt ou tard l’objet de ventes à prix du marché »[1].

Fort du constat de ces « défaillances », la volonté politique est, non seulement, d’augmenter les pourcentages à réserver aux logements abordables dans les PAP NQ mais, surtout de faire en sorte que ces logements (ou terrains) se trouvent in fine dans les mains et sous la gestion des autorités étatiques.


II. Modifications projetées

 

Il convient d’être particulièrement vigilant tant la matière va, de toute évidence, devenir un véritable imbroglio, d’où il sera difficile de s’y retrouver…

 

Ainsi, il est projeté d’insérer un article 108 quinquies dans la loi de 2004, lequel exposerait que les dispositions de l’article 29bis de ladite loi (qui à ce jour est lui aussi toujours au stade de projet) ne s’appliqueraient qu’aux plans d’aménagement particulier « nouveau quartier » dont la procédure serait entamée à partir du 1er juillet 2021, sur base de l’article 30, alinéa 1er.

 

Les dispositions de l’article 29, paragraphe 2, alinéa 4 (dont le contenu vient d’être rappelé ci-avant), ne s’appliqueraient, elles, qu’aux plans d’aménagement particulier « nouveau quartier » dont la procédure serait entamée avant le 1ier juillet 2021, sur base de l’article 30, alinéa 1er ».

 

Ainsi, deux régimes juridiques seraient destinés à se succéder dans le temps.

 

a. Le régime pour les PAP NQ dont la procédure est entamée avant le 1ier juillet 2021


1. Principe

 

 Pour rappel, nous avons déjà exposé que l’article 29 de la loi de 2004, dans sa version actuellement en vigueur, prévoit que pour chaque plan d’aménagement particulier nouveau quartier qui prévoit un nombre de logements supérieur à 25 unités, au moins 10% de la surface construite brute à dédier au logement est à réserver à la réalisation de logements à coût modéré.

 

Cette disposition aurait (sous réserve de l’entrée en vigueur de la loi projetée en temps utile) vocation à s’appliquer encore jusqu’au 1ier juillet 2021, sous réserve d’une exception expliquée ci-après.

 

2. Exception

 

Pour ne rien simplifier, le projet de loi dont question prévoit de modifier la loi du 17 avril 2018, en vue de permettre une dérogation à l’article précité.

 

La loi de 2018 disposerait que :

« Le plan directeur sectoriel peut imposer que:

 

a) par exception à l’article 29, paragraphe 2, alinéa 4 de la loi précitée du 19 juillet 2004, chaque plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » qui prévoit un nombre de logements supérieur à 25 unités et qui exécute une zone destinée à être urbanisée affectée principalement ou accessoirement au logement et mise en œuvre dans le cadre d’une zone superposée découlant d’un plan dans le cas prévu à l’article 1er, paragraphe 2, points 20° et 21°, dédie au moins 30% de la surface construite brute:

 

– à la réalisation de logements à coût modéré, destinés à des personnes répondant aux conditions d’octroi des primes de construction ou d’acquisition prévues par la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement, et

– à des logements locatifs visés par les articles 27 à 30ter de ladite loi précitée du 25 février 1979;[…] ».

 

Dès lors, en principe, pour les PAP NQ de plus de 25 logements, dont la procédure sera entamée avant le 1ier juillet 2021, c’est la règle des 10% de la surface construite brute à réserver aux logements modérés qui sera à appliquer, sauf dans le cas où les terrains repris dans le PAP seraient également classés dans une zone prioritaire d’habitation en vertu du plan directeur sectoriel logement.

 

Dans ce cas, le ratio de logements à coût modéré serait porté à 30%.

 

b.      Le régime pour les PAP NQ dont la procédure est entamée après le 1ier juillet 2021

1.       Principe

 

Le nouvel article (qui deviendrait l’article 29 bis de la loi de 2004) serait donc applicable aux PAP NQ dont la procédure serait entamée à partir du 1ier juillet 2021.

 

Il prévoit : « Par logements abordables, on entend au présent article, les logements à coût modéré dont les promoteurs publics, conformément à l’article 16 de la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement, ou l’Etat assurent l’attribution aux locataires ou aux acquéreurs, conformément aux dispositions de la loi précitée du 25 février 1979 » (notons que par promoteurs publics, la loi précitée vise le Fonds du Logement ainsi que la Société Nationale des Habitations à Bon Marché en abrégé SNHBM).

 

Le projet d’article a pour vocation, d’une part, de viser les PAP de moindre envergure (c’est-à-dire en deçà de 25 unités de logement), afin d’y forcer également la création de logement abordable dans ce contexte et prévoit, d’autre part, de réserver davantage de surfaces pour la réalisation de ces logements abordables.

 

En effet, en ce qui concerne les pourcentages, il est prévu, pour les PAP NQ qui projettent un nombre entre 10 et 25 unités de logement, qu’au moins 10% de la surface construite brute maximale affectée au logement serait à dédier aux logements abordables.

 

Pour les PAP NQ qui prévoient un nombre de logements supérieurs à 25 unités, au moins 15% de la surface construite brute serait à réserver à cette catégorie de logements.

 

Par ailleurs, et c’est une nouveauté, le projet prévoit en priorité une cession aux communes ou à l’Etat. Ce sujet est développé par après.

 

2. L’exception en cas de classement en zone prioritaire d’habitation

 

Le projet d’article ajoute encore :

« Lorsque le plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » couvre des fonds reclassés d’une zone non prioritairement dédiée à l’habitation, en une zone dédiée prioritairement à l’habitation par une modification du plan d’aménagement général qui entre en vigueur à partir du 1er janvier 2022, la part de la surface construite brute à réserver à la réalisation de logements abordables est portée :

 

1° à trente pour cent si le plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » prévoit un nombre de logements supérieur à 25 unités ;

2° à vingt pour cent si le plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » prévoit un nombre de logements entre 10 et 25 unités ;

3° à dix pour cent si le plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » prévoit un nombre de logements entre 5 et 9 unités ».

 

Dans pareille hypothèse, les pourcentages possibles sont donc encore supérieurs.

 

Pour justifier pareille disposition, et les pourcentages y prévus - pratiquement un tiers de la surface globale serait à dédier à des logements abordables en cas de PAP NQ de plus de 25 unités ! - le projet expose :

 

« En effet, un tel reclassement [NDLR : d’une zone non dédiée prioritairement à l’habitation en une zone dédiée prioritairement à l’habitation] entraîne une augmentation substantielle de la valeur pécuniaire des fonds concernés justifiant de la sorte une augmentation de l’envergure de la servitude urbanistique en cause ».

 

On peut légitimement s’interroger sur la question de savoir s’il y a une réelle différence de valeur – et si oui, si elle justifie une telle augmentation du pourcentage à réserver aux logements abordables - d’un terrain qui passerait d’une zone non prioritaire à une zone prioritaire d’habitation.

 

Ces concepts ne sont d’ailleurs pas plus précisément spécifiés dans le projet de loi, de sorte que l’on s’interroge sur ce qu’ils visent. Le Conseil d’Etat risque, à notre estime, de formuler sur ce point des objections formelles pour violation du principe de sécurité juridique.

 

3. Exception via un plan directeur sectoriel

 

A nouveau, le projet de loi porté à notre analyse prévoit de modifier la loi di 17 avril 2018 en disposant que :

« Le plan directeur sectoriel peut imposer que:

[…],

b) ou, par exception à l’article 29bis, paragraphe 2, de la loi précitée du 19 juillet 2004, pour chaque plan d’aménagement particulier « nouveau quartier » tombant dans le champ d’application de l’article 108quinquies, premier alinéa de la même loi qui prévoit un nombre de logements supérieur à 25 unités et qui exécute une zone destinée à être urbanisée affectée principalement ou accessoirement au logement et mise en œuvre dans le cadre d’une zone superposée découlant d’un plan dans le cas prévu à l’article 1er, paragraphe 2, points 14 et 15, au moins trente pour cent de la surface construite brute maximale à dédier au logement, sont réservés à la réalisation de logements abordables tels que définis à l’article 29bis, paragraphe 1er de la loi précitée du 19 juillet 2004 ».

 

Ainsi, le principe des 15% de la surface construite brute à dédier aux logements abordables dans les PAP NQ de plus de 25 unités de logement peut se voir être porté à 30% par le plan directeur sectoriel.

 

c. Le parc immobilier des autorités publiques devrait considérablement augmenter... au détriment de celui des personnes privées

 

Ces logements abordables – indique le projet de loi – seraient à céder à la commune, et cette cession s’opère « d’après le prix de réalisation effectif » (c’est-à-dire, a priori, le prix de revient de la construction).

 

La cession d’un fonds réservé aux logements abordables se ferait après l’achèvement des travaux de voirie et d’équipements publics.

 

La valeur de ces fonds, elle, serait fixée d’après le jour où le PAP est viabilisé. Dans la fixation de cette valeur, il serait tenu compte du prix de réalisation effectif des travaux de voirie et d’équipements publics.

 

Le prix de vente des terrains à l’autorité communale serait donc fixé en fonction du coût de son acquisition et d’un prorata de frais d’infrastructures nécessaires à sa viabilisation, mais sans tenir compte de la plus-value que l’opération de lotissement lui confère. Il n’est pas certains si tous les frais relatifs à l’approbation du lotissement (tous les frais d’études, les frais administratifs du promoteur, etc.) pourraient être intégrés à ce prix.

 

Le conseil communal pourrait toutefois renoncer à pareille cession auquel cas l’Etat disposerait alors de la faculté d’acquérir le bien.

 

En cas de renonciation par l’Etat, respectivement par le Ministre du Logement, ces logements abordables ne pourraient être cédés ou loués qu’à des personnes éligibles aux aides individuelles prévues par la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement ou à des promoteurs publics.

 

Notons que, sauf erreur de notre part, rien n’empêcherait les autorités publiques à recéder, par après, ces logements et terrains… sans que personne ne puisse en vérifier les prix effectivement arrêtés.


d. Vers une mini révolution en matière de plans d’aménagement ?

 

Probablement pour pallier le manque à gagner que devront supporter les promoteurs, le projet de loi prévoit encore que les coefficients d’occupation du sol pourront être revus à la hausse.

 

En effet, le paragraphe 8 du projet d’article 29bis expose :  « Les dispositions relatives au degré d’utilisation du sol fixé par les plans d’aménagement général peuvent être modifiées et complétées ponctuellement par un plan d’aménagement particulier « nouveau quartier », sous réserve du respect des dispositions de l’article 2, que la surface construite brute maximale résultant des dispositions du plan d’aménagement général ayant trait au degré d’utilisation du sol ne soit pas dépassée d’une valeur correspondant à la moitié de la surface réservée au logement abordable et que les valeurs relatives au degré d’utilisation du sol ne soient augmentés de plus de quinze pour cent ».

 

Or, depuis la loi du 19 juillet 2004 (auparavant les PAG et les PAP étaient mis sur un même pied d’égalité), les PAP précisent et exécutent le PAG.

 

En d’autres termes, le PAP étant juridiquement inférieur au PAG, ce dernier ne saurait être modifié par un PAP.

 

Suivant ce projet d’article 29bis, un PAP pourrait modifier les degrés d’utilisation du sol arrêté dans un PAG.


III.  Problème de constitutionnalité ?

 

On l’a vu, le projet risque de rendre la matière (encore) plus complexe.

 

Par ailleurs, et surtout, ce projet permettra aux autorités publiques de devenir propriétaires – dans certains cas de près d’un tiers des surfaces construites brutes – de logements, ou terrains projetés dans le cadre d’un PAP NQ, qu’elles obtiendront à un prix « effectif », ce qui signifie que le propriétaire et/ou promoteur ne pourrait retirer aucun bénéfice de son travail fourni (réalisation des infrastructures et/ou des logements, frais d’études, plus-value, etc.).

 

Les promoteurs ne pourraient donc, à l’avenir, obtenir aucun bénéfice d’une large partie de leur travail.

 

Dans ce contexte, il est fort à parier que rien que la détermination d’un prix effectif sera source de nombreux litiges.

 

D’ailleurs, il serait légitime de se poser la question de la constitutionnalité de ce projet de loi, notamment par rapport à l’article 16 de la Constitution.

 

En effet, suivant cette disposition, nul ne peut être privé de sa propriété que moyennant une juste indemnité.

 

Or, la juste indemnité est en principe une réparation intégrale du dommage subi.

 

Le « prix effectif » qui sera donné par les autorités ne semble, a priori, pas respecter cette condition. A cela s’ajoutent les questionnements par rapport au principe de sécurité juridique, déjà évoqués ci-avant.


IV. Conclusion

 

Nous avons, dans cet article, parcouru rapidement les nouveautés qui seraient instaurées par les modifications prévues par le projet de loi.

 

Nous avons vu que ce projet de législation permettra aux autorités publiques d’accroitre considérablement leur parc immobilier. Ces mécanismes et procédures prévus ne sont pas sans poser question quant à la conformité du projet de loi à la Constitution respectivement aux principes généraux du droit (notamment le principe de sécurité juridique).

 

Par ailleurs, il n’est pas impossible que ces mécanismes entrainent un effet pervers – non désiré - sur le prix du marché de l’immobilier.

 

En effet, dès lors que les promoteurs pourraient avoir un manque à gagner, il est fort à parier que les prix des logements « non-abordables », sur lesquels les pouvoirs publics n’ont pas la mainmise, eux, augmenteront plus fortement, créant ainsi une distorsion en défaveur des personnes qui ne remplissent pas les conditions d’accès aux logements à coût modéré.

 

Finalement, le projet de loi ne permet pas, sauf les éventuelles dispositions permettant d'augmenter la densité de construction si les conditions sont réunies (ce qui sera largement sujet à discussion en pratique), la création de logement supplémentaire. Le texte vise surtout dès lors à sacrifier une partie des logements "classique" pour la réalisation de logements à coût modéré, et à permettre à la main publique de s'accaparer au prix de revient, des logements construits par la main privée.

 

Pour le surplus, nous nous rapportons à nos remarques antérieures sur le projet de loi que nous ne manquerons pas de suivre de très près.

 

 

Maître Sébastien COUVREUR - Avocat à la Cour

Maître Élie DOHOGNE - Avocat Liste IV



[1] Annexe 6 de la note informative des Ministres KOX et BOFFERDING, 30.07.2020 : « Logements abordables dans les PAP « nouveaux quartiers ».


 

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