Droit immobilier

Le nouveau "Pacte Logement" : des révolutions dans le marché de l'immobilier ?


LE NOUVEAU PACTE LOGEMENT : DES REVOLUTIONS DANS LE MARCHE DE L’IMMOBILIER ?

 

 

Le marché de l’immobilier résidentiel au Luxembourg ne cesse de voir ses prix augmenter d’année en année, selon notamment les rapports établis par l’Observatoire de l’Habitat au Luxembourg et le STATEC.

 

Cette flambée des prix des logements s’expliquerait, suivant les promoteurs du projet de loi sous examen, notamment, par une demande qui ne cesserait de s’accroitre, couplée à une offre qui serait insuffisante.

 

Si cette assertion est correcte, alors que les prix sont régis par les lois du marché, la réaction des pouvoirs publics par rapport à ce décalage entre l’offre et la demande nous parait, depuis plus de dix ans, fondamentalement erronée. En effet, ces dernières années, les gouvernements confondus sont partis du postulat qu’il appartiendrait à la main publique de combler cette différence en lui permettant à son tour de créer de l’habitat, par un grand renfort d’arsenal juridiques en tous genres : augmentation des possibilités de recours au droit de préemption, réorganisations du Fonds du Logement, création d’un Fonds spécial de soutien au développement du logement (cfr. Loi du 25 mars 2020), taxation des terrains à bâtir, etc.

 

Or, ce sont surtout les barrières à la création de nouveaux logements par l’initiative privée qui causent aujourd’hui ce hiatus, cette distorsion entre l’offre et la demande. En effet, malgré les volontés affichées d’une « simplification administrative », force est de constater que les contraintes légales et administratives dans le secteur de la construction se sont très fortement renforcées ces dernières années et les différentes administrations concernées (administrations communales, sites et monuments, ministère de l’Environnement, etc.), portent une bonne part de responsabilité dans cette complexification administrative. L’insécurité juridique, souvent induite, de manière involontaire (nouvelle règlementation à appréhender, recours de tiers plus fréquents, précaution accrue et complexité technique des dossiers) ou de manière volontaire (arrêtés de classement d’immeubles de piètre importance historique ou architecturale comme « monument national » après obtention des autorisations de construire, qui immobilisent le projet pour des années ; refus d’abattage d’un arbre par le ministère de l’Environnement qui bloque la réalisation d’un projet de 37 unités de logements ; reclassement de terrains constructibles en zone verte sur base de considérations urbanistiques ou environnementales critiquables, etc. Nous pourrions citer des dizaines d’exemples.).

 

Ceci étant dit, fort du constat de l’envolée des prix (qui ne date cependant pas d’hier), le gouvernement a voulu promouvoir, suivant ses termes, une véritable « politique du logement ». Il est ainsi prévu de remodeler le « Pacte Logement » de 2008 et de modifier (une nouvelle fois) un certain nombre de lois secorielles, notamment la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, en ce qui concerne le nombre de logements à réserver aux « logements abordables » dans les futurs plans d’aménagement particulier nouveaux quartiers (PAP NQ).

 

Nous analysons ci-après les conséquences probables sur le marché immobilier des principales mesures envisagées dans le cadre de la refonte du « Pacte Logement ».

 

I. Genèse du Pacte Logement

 

C’est par une loi du 22 octobre 2008 que le « Pacte Logement », a été créé.

 

A l’origine – en vue de favoriser une augmentation de l’offre de logement, et de réduire le coût du foncier – l’Etat s’était doté de la faculté de participer, au profit des communes qui s’engageaient via la signature d’un « pacte », au financement des frais liés à la création de nouveau logements et d’équipements collectifs.

 

Ces différents pactes logement « première génération » arrivent à échéance en fin de cette année 2020.

 

Récemment, l’autorité étatique a dû faire le constat que les financements octroyés aux communes – à savoir approximativement 40 millions d’euros annuels - auraient essentiellement servis au financement des infrastructures publiques et, donc, seulement marginalement à la création de logements abordables (seuls 2,2 % des dépenses auraient soutenu directement la création de logements).

 

 II. L’élaboration d’un Pacte Logement 2.0

 

Fort du constat que le Pacte Logement 1.0 avait failli largement à contribuer à la création de logements abordables, le Pacte Logement 2.0. a pour objectif de « réorienter les moyens financiers afin de mieux soutenir le développement de logements abordables, de préférence locatifs et en main publique ».

 

Des ateliers interactifs – afin de discuter des grandes lignes du Pacte Logement 2.0 – se sont déroulés en juin et juillet 2019, auxquels étaient conviés les élus et agents communaux.

 

Ce « nouveau » Pacte fixe des objectifs pour l’horizon 2030.

 


III. Le projet de Pacte Logement 2.0

 

-          Objectifs, principes et procédures

  

Le Ministre du Logement, Henri Kox, fut autorisé, début août, par le Grand-Duc à déposer à la chambre son projet de loi (n° 7648), lequel comporte 15 articles.

 

Les trois objectifs avoués de la loi sont (article 1ier) :

-          Premièrement, d’augmenter l’offre de logements abordables et durables et,

-          Deuxièmement, de mobiliser le potentiel foncier et résidentiel existant et, enfin,

-          Troisièmement, d’améliorer la qualité résidentielle.

 

Concrètement, les communes désireuses d’adhérer au projet devront (article 3) signer, avec l’Etat, une convention initiale (d’une durée de douze mois), laquelle ouvrira un droit dans le chef de l’autorité communale d’obtenir une participation financière aux prestations d’un « conseiller logement ».

 

En échange, la commune doit s’engager à élaborer, avec ledit conseiller, un « Programme d’action local logement ». Ce programme doit établir un état des lieux vis-à-vis des politiques du logement retenues au niveau communal, fixer les priorités et les champs d’action que la commune entend mettre en œuvre en vue de la réalisation des objectifs du Pacte logement. Enfin, il doit énumérer, à titre indicatif, les projets que la commune entend entreprendre dans ce contexte (article 5).

 

Le programme d’action local logement devra ensuite être adopté par le conseil communal en vue de conclure une deuxième Convention avec l’Etat, dite « Convention de mise en œuvre » (cette convention n’est pas à confondre avec la convention de mise en œuvre d’un PAP).

 

Cette convention de mise en œuvre (article 4) donnera un droit à des participations financières de l’Etat par rapport aux prestations du Conseil logement et aux projets mettant en œuvre le Programme d’action local logement.

 

La commune s’engage, elle, en échange, à contribuer aux objectifs du Pacte logement par la réalisation de son Programme d’action local logement.

 

Les Conventions de mise en œuvre viendraient donc à échéance de plein droit au plus tard le 31 décembre 2032.

 

-          Les aspects financiers

 

Une fois la Convention de mise en œuvre signée, en l’état du projet de loi, chaque commune se verra déterminer une dotation financière (article 7), définissant le plafond des participations financières pour les projets qu’elles entendraient réaliser.

 

En principe, les communes ayant signé avant le 31 décembre 2021 une Convention initiale se verront attribuer une dotation forfaitaire unique de 25,- euros par habitant résidant sur le territoire de la commune, avec un minimum de 100.000,- euros et un plafond de 500.000,- euros.

 

Les communes ayant signé avant le 31 décembre 2021 se verront en outre attribuer une dotation de 10.000 euros pour tout logement se situant sur leur territoire et dont l’acquisition ou la réalisation bénéficie d’une participation financière sur base d’une convention signée entre le 1ier septembre 2020  et le 31 décembre 2020 par le ministre dans le cadre des aides à la construction d’ensembles prévues par la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement.

 

Cette dotation est attribuée au moment de la signature de la Convention de mise en œuvre.

 

A partir du 1ier janvier 2022, suivant le projet de loi, les communes ayant signé une Convention de mise en œuvre se verront attribuer une dotation de 19.000,- euros pour tout logement se situant sur leur territoire et dont l’acquisition ou la réalisation bénéficieraient d’une participation financière sur base d’une convention signée entre le 1ier janvier et le 31 décembre de l’année précédente par le ministre dans le cadre des aides à la construction d’ensembles prévues par la loi du 25 février 1979.

 

Également à partir du 1ier janvier 2022, les communes ayant signé une Convention de mise en œuvre se verront en outre attribuer une dotation de 2500,- euros pour tout logement se situant sur leur territoire et ayant affecté au cours de l’année précédente au régime de la gestion locative sociale, telle que prévue à l’article 66-3 de la loi du 25 février 1979.

 

Les demandes de participations financières des communes doivent avoir obligatoirement comme dessein la réalisation des objectifs du Pacte Logement et devront se situer dans une des trois catégories prévues dans le projet de loi.

 

-          La première catégorie concerne « l’acquisition d’immeubles et [les] projets d’équipements publics et collectifs ».

 

-          La deuxième concerne le « cadre de vie et rénovation urbaine ». Elle regroupe des projets de mise en valeur du cadre de vie des habitants et a pour objet, notamment, la création et le réaménagement d’espaces publics, des équipements de locaux communs pour services de proximité, etc (cfr. l’article 8.2.2°).

 

 -          Enfin, la troisième catégorie concerne « ressources humaines, communication et dynamiques sociales ».

 

Elle regroupe des projets ayant pour objet, premièrement, les ressources et les compétences nécessaires au niveau de l’administration communale en vue de la mobilisation des terrains ou de la réalisation de projets de logements subventionnés dans le cadre des aides à la construction d’ensembles prévues par la loi du 25 février 1979 mais aussi, deuxièmement, les projets ayant pour objet les études à caractère stratégique, les études de faisabilité et les concepts d’aménagement, ainsi que les mesures de conseil.

 

Cette catégorie ne concerne dont pas, en tant que tel, les projets mais plutôt les moyens mis en œuvre pour concrétiser les projets.

 

Font également partie de cette troisième et dernière catégorie, les projets ayant pour but la communication envers les citoyens portant sur les activités de la commune dans le cadre du Pacte logement. Enfin, toujours dans cette catégorie, font partie les projets visant le renforcement de la participation citoyenne dans le processus de réflexion et de décision au niveau communal que ce soit de façon générale ou en vue d’un projet spécifique.

 

Les pourcentages par rapport à la dotation à accorder à chaque catégorie est fixé dans le projet de loi et sont plus ou moins haut, en fonction des catégories.

 

Précisons enfin que les participations financières de l’Etat seront allouées par le Fonds spécial de soutien au développement du logement, tel que créé par une loi du 25 mars 2020.

 

IV. Modifications d’autres lois

 

Le projet de loi n° 7648 prévoit encore de modifier une série de lois, dont notamment la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ainsi que la loi du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire, ceci afin d’imposer la création de logements à coûts modérés supplémentaires, dans le cadre du développement de PAP NQ, et afin d’imposer la cession de ceux-ci aux autorités publiques.

 

Ces dispositions, qui soulèvent de nombreuses questions juridiques – notamment en termes de constitutionnalité -, fait l’objet d’un autre article séparé, repris sur le blog de notre étude.

 

V. Conclusion

 

Le Pacte Logement 2.0 instaure de nouveaux mécanismes en ce qui concerne la future politique du logement.

 

On l’a exposé, divers contrats devront être conclus entre l’Etat et les communes et un conseiller logement pourra alors épauler l’administration communale dans sa politique locale en matière de création de logements.

 

Les autorités communales qui adhèreront se verront ainsi attribuer une dotation afin de financer un certain nombre de projets concrets qui devront viser les objectifs du Pacte Logement.

 

Si le Pacte Logement 2.0. n’opère pas, en lui-même, une révolution fondamentale du marché immobilier, les changements majeurs viendront des modifications des lois précitées de 2004 et 2018, puisqu’ils permettront aux pouvoirs publics d’accroitre considérablement leurs patrimoines immobiliers, et ce à moindre coût.

 

Le projet de loi sous examen risque de soulever de nombreuses questions et opposition de la part du secteur privé. Il mériterait une analyse approfondie. Il conviendrait, par exemple, d’analyser si les subventions accordées aux communes pour l’acquisition de logements, vaut par exemple dans le cadre de la réalisation, par un promoteur privé, de logements à coût modéré dans le cadre d’un PAP NQ qui, suivant le projet de loi, devraient ensuite être cédés « au prix de réalisation effectif », c’est-à-dire, a priori, le « prix de revient » de la construction, à l’autorité publique. Dans une telle situation, le promoteur serait doublement floué, alors qu’il serait tenu de réaliser sans possibilité de bénéfice des logements à coût modéré (pour répercuter la différence de prix sur les autres logements du lotissement qui subiraient eux, alors, une hausse importante), tandis que l’autorité communal pourrait acquérir au prix de revient ledit logement tout en bénéficiant encore des subventions pour ce faire.

 

Le même type de question se pose par rapport au droit de préemption, alors qu’il n’est pas rare que la commune ou le Fonds du Logement préemptent après que le promoteur ait fait lever la condition suspensive dans son compromis de vente, portant sur l’obtention d’un permis de bâtir. Dans ce cas, le promoteur a engagé des frais importants (architectes, urbaniste le cas échéant, frais généraux), tandis que le pouvoir préemptant n’a plus qu’à cueillir le fruit et en tirer les bénéfices...

 

Nous ne manquerons pas de revenir sur ces questions suivant l’évolution du projet de loi.

 

 

Maître Sébastien COUVREUR - Avocat à la Cour

Maître Élie DOHOGNE - Avocat liste IV

 

 

 

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