Droit immobilier

Droit de préemption : quels sont les droits du vendeur ou de l’acquéreur face au pouvoir préemptant ?

Droit de préemption : quels sont les droits du vendeur ou de l’acquéreur face au pouvoir préemptant ?


En l’absence de précision légale, la question fondamentale ci-avant posée vient de trouver un éclairage important suite à un jugement du tribunal administratif du 22 juillet 2020. Analyse.

 

Dans un article récent, à la suite d’un arrêt de la Cour administrative du 21 janvier 2020, n° 43240C, nous nous interrogions déjà sur les droits de l’acquéreur évincé suite à une décision du pouvoir préemptant.

 

Les juges du tribunal administratif, ont eu cette fois la possibilité de statuer sur des questions de fond relatives à l’exercice du droit de préemption, et y ont apporté des réponses opportunes et intéressantes, que nous détaillons ci-après. Les enseignements du tribunal doivent toutefois être considérés avec prudence, le jugement précité étant toujours susceptible d’appel devant la Cour administrative et à ce jour, aucun arrêt de la plus haute juridiction administrative n’a statué sur ces questions.

 

1. Concernant les communes, l’organe compétent pour décider en la matière serait le conseil communal, et non le collège des bourgmestre et échevins.


Dans l’affaire précitée, les requérants postulaient la violation des articles 28 et 57 de la loi communale modifiée au motif que la décision portant exercice du droit de préemption avait été irrégulièrement adoptée par le collège des bourgmestre et échevins et non par le conseil communal, organe, selon ces derniers, seul compétent pour décider en la matière. La commune de Sanem pour sa part, défendait la thèse inverse.

 

Les juges du tribunal administratif se sont référés aux dispositions générales de la loi communale visant la répartition des compétences entres les organes d’une commune, pour en conclure que l’organe compétent est bien le conseil communal et non le collège des bourgmestre et échevins.

 

Il échet de préciser que le conseil communal dispose d’une compétence générale pour régler « tout ce qui est d’intérêt communal », tandis que le collège échevinal a une compétence d’attribution. Or, le tribunal constata, à juste titre, qu’il ne ressortait pas des compétences d’attribution du collège, retenues à l’article 57 de la loi communale, qu’il était habilité à décider de l’exercice d’un droit de préemption conféré à l’administration communale.

 

2. Le droit de l’acquéreur évincé d’être entendu en ses observations préalablement à la prise de décision du pouvoir préemptant


L’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes dispose comme suit :

 

« Sauf s'il y a péril en la demeure, l'autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d'office pour l'avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d'une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l'amènent à agir.

Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d'au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.

Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne.

L'obligation d'informer la partie concernée n'existe que pour autant que l'autorité compétente est à même de connaître son adresse. Les notifications sont valablement faites à l'adresse indiquée par la partie ou résultant de déclarations officielles ».


Suivant les parties requérantes, le texte précité, qui ressort des dispositions de la procédure administrative non-contentieuse, était applicable également en matière de droit de préemption.

 

Ceci a son importance puisque la loi instituant les « droits de préemption publics », c'est-à-dire la loi dite Pacte Logement, est particulièrement imprécise sur la procédure à suivre par le pouvoir préemptant et sur le respect des droits et intérêts des parties au contrat de vente.

 

Les juges administratifs ont sur ce point également suivi les requérants en confirmant l’applicabilité de la disposition précitée : « (…) le tribunal est toutefois amené à retenir, de concert avec les demandeurs, que la décision de la commune d’exercer son droit de préemption en application de la loi Pacte logement, matérialisée à l’égard des demandeurs par le courrier du 19 décembre 2018, est à qualifier de décision prise en dehors de l’initiative de la partie concernée, à savoir l’acheteur et le vendeur, qui tous les deux sont concernés par l’exercice du droit de préemption, le premier se trouvant évincé et le deuxième se trouvant confronté à un nouvel acquéreur ».

 

Cette conclusion du tribunal administratif est importante en ce qu’elle confère, notamment à l’acquéreur évincé, le droit de pouvoir formuler des observations en amont de la prise de décision par le pouvoir préemptant, dans l’optique d’éviter en préalable, autant que faire ce peut, que ce dernier prenne finalement la décision redoutée. La disposition impose en effet, dans le respect du principe audi alteram partem, le droit d’agir en amont d’une décision administrative individuelle causant grief.

 

3. La motivation formelle de la décision portant exercice du droit de préemption.

 

L’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité dispose que :

 

« Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.

 

La décision doit formellement indiquer les motifs par l'énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu'elle:

 

- refuse de faire droit à la demande de l'intéressé;

- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l'intéressé et qu'elle y fait droit;

- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle;

- intervient après procédure consultative, lorsqu'elle diffère de l'avis émis par l'organisme consultatif ou lorsqu'elle accorde une dérogation à une règle générale.

 

Dans les cas où la motivation expresse n'est pas imposée, l'administré concerné par la décision a le droit d'exiger la communication des motifs.

 

L'obligation de motiver n'est pas imposée lorsque des raisons de sécurité extérieure ou l'intérieure de l'Etat s'y opposent ou lorsque l'indication des motifs risque de compromettre le respect de l'intimité de la vie privée d'autres personnes ».

 

Sur ce point, le tribunal administratif estima que la décision portant exercice du droit de préemption ne rentrait pas dans l’une des catégories de décisions administratives limitativement énumérées par la disposition précitée, de sorte que celle-ci ne devait pas formellement indiquer les motifs à sa base.

 

Toutefois, d’une part, l’acquéreur évincé dispose de la possibilité d’exiger la communication des motifs (au plus tard, en cours d’instance contentieuse), et d’autre part, s’il introduit un recours gracieux, la décision du pouvoir préemptant intervenant sur ce recours gracieux devra alors, cette fois, être motivée.

 

4. La question de l’existence des motifs – l’existence d’un projet concret ou en voie de concrétisation portant sur la réalisation de travaux de voirie et d’équipement publics ou d’équipements collectifs, ou de construction d’ensemble de logement prévus par la loi modifiée du 25 février 1979

 

L’enseignement sans doute le plus important du jugement précité, se rapporte à la portée de l’article 3 de la loi dite Pacte logement.

 

La disposition précitée énonce que « Le droit de préemption ne peut être exercé qu’en vue de la réalisation de logements visés par les dispositions relatives aux aides à la construction d’ensembles prévues par la  loi  modifiée  du  25  février  1979  concernant  l’aide  au  logement.  Le  droit  de préemption  peut  également  être  exercé  en  vue  de  la  réalisation  de  travaux  de  voirie  et d’équipements publics ainsi que de travaux  visant  à  ériger  des  équipements collectifs conformément aux articles 23 et 24, paragraphe 2 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain ».

 

Suivant les travaux préparatoires de la loi omnibus modifiant la loi Pacte logement, la disposition précitée est à interpréter à la lumière du droit de propriété et en ce sens : « Selon  le  nouveau  texte,  il  est  désormais  nécessaire  que  le  pouvoir  préemptant  énonce  les  finalités  qu’il  poursuit.  Le  Conseil  d’État  comprend  la  nouvelle  disposition  en  ce  sens  que,  dans  le  cadre  de l’exercice du droit de préemption par l’un des pouvoirs préemptants, les finalités invoquées ne peuvent évidemment  pas  être  abstraites  ou  irréelles.  Elles  doivent,  au  contraire,  correspondre  à  des  projets  concrets ou en voie de concrétisation, s’inscrivant dans l’intérêt général ou communal, et pour la réalisation desquels il existe une volonté réelle et démontrable dans le chef du pouvoir préemptant. Cette exigence   acquiert   toute   son   importance   en   cas   de   contestation   judiciaire   de   la   décision de préemption ».

 

Le tribunal administratif a estimé sur ce point, de concert avec les requérants, tout d’abord que « le contrôle que le juge compétent est amené à opérer porte non seulement sur le respect de la procédure et des délais, mais surtout sur la question essentielle de savoir si le pouvoir préemptant se meut dans les limites de son pouvoir de préemption tel que fixé par l’article 3 de la loi Pacte logement, modifié par la loi Omnibus, et si, depuis cette dernière loi, il s’inscrit dans le cadre des objectifs fixés par celle-ci. ».

 

Le tribunal de conclure, après avoir également analysé les travaux préparatoires de la loi Omnibus concernant le droit de préemption, qu’un pouvoir préemptant doit pouvoir démontrer de la réalité d’un projet concret ou en voie de concrétisation, relatif à une catégorie de travaux visés par l’article 3 de la loi précitée.

 

Autrement dit, un pouvoir préemptant (que ce soit une commune, l’Etat, le Fonds du logement), ne peut exercer un droit de préemption à des fins, par exemple, de thésaurisation. Un autre pratique, qui n’est plus non plus possible, c’est l’acquisition de certains terrains par un pouvoir préemptant, dans le but de voir gonfler son patrimoine immobilier, afin, le cas échéant, d’échanger ultérieurement ceux-ci avec d’autres parcelles en vue de réaliser, dans un second temps, un projet immobilier déterminé sur ces terrains échangés.

 

Le pouvoir préemptant doit donc pouvoir démontrer qu’il a choisi d’exercer son droit de préemption en considération d’un projet concret de travaux (ou en voie de concrétisation) visés à l’article 3 de la loi précitée, sur la ou les parcelles concernées par le droit de préemption.

 

D’autres affaires concernant l’exercice d’un droit de préemption étant actuellement pendante devant les juridictions administratives, nous ne manquerons pas de compléter le présent article si des enseignements nouveaux ou complémentaires devaient s’en dégager.

 

Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour.

 

 

 

 

 

 

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