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[Covid-19] Pandémie et mesures de crise : quelles conséquences en droit administratif ?

 

PANDEMIE DU COVID-19 : UNE SITUATION EXCEPTIONNELLE QUI NECESSITE DES MESURES EXCETIONNELLES.

 QUELLES CONSEQUENCES EN DROIT ADMINISTRATIF ?


 

-          L’ Etat en « état de crise »


Le Grand-Duché de Luxembourg n’échappe évidemment pas à la pandémie du Coronavirus (COVID-19).

 

Qui dit circonstances exceptionnelles, dit mesures exceptionnelles.

 

Ainsi, après une séance extraordinaire du Conseil de gouvernement le 17 mars 2020, le Premier Ministre, Xavier Bettel, avait annoncé son intention de déclarer l’état de crise sur tout le territoire national.

 

A ce sujet, la Constitution du Grand-Duché expose (Art. 32.4)[1] :

«  En cas de crise internationale, de menaces réelles pour les intérêts vitaux de tout ou partie de la population ou de péril imminent résultant d’atteintes graves à la sécurité publique, le Grand-Duc, après avoir constaté l’urgence résultant de l’impossibilité de la Chambre des Députés de légiférer dans les délais appropriés, peut prendre en toutes matières des mesures réglementaires.

Ces mesures peuvent déroger à des lois existantes. (…).

Tous les règlements pris en vertu de la présente disposition cessent leurs effets au plus tard à la fin de l’état de crise. La Chambre des Députés ne peut être dissoute pendant l’état de crise » (nous surlignons).

 

La Constitution permet donc, en circonstances exceptionnelles, que des règlements pris en temps de crises dérogent à des lois existantes (ce qui constitue une exception à la hiérarchie des normes).

 

Un règlement grand-ducal du 18 mars 2020 ‘‘portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le COVID-19’’ [2] a déclaré l’Etat d’urgence en exposant :

 « Considérant que la Chambre des Députés est dans l’impossibilité de légiférer dans les délais appropriés et que, partant, il y a urgence. (…). Sur le rapport de Notre Premier Ministre, Ministre d’État et après délibération du Gouvernement en Conseil suivant laquelle les conditions de l’article 32, paragraphe 4 de la Constitution sont remplies et qu’il y a dès lors lieu de déclarer l’état de crise  » (nous surlignons).

 

C’est ce règlement qui impose, notamment, les mesures relatives à la limitation des déplacements pour le public, ainsi que la fermeture de l’HORECA et des chantiers de construction (exception faite pour « les chantiers hospitaliers »), et les sanctions applicables aux contrevenants.

 

Ce règlement modifie également les règles quant aux significations d’huissier : celles-ci doivent se faire sous forme d’un dépôt sous enveloppe fermée, et ladite signification est réputée faite le jour de ce dépôt.

 

Ce règlement permet également les votes par procuration et par visioconférence pour les votations des Conseil communaux et des Collèges des Bourgmestre et échevins (les membres du Conseil et du Collège qui participent aux séances par visioconférence sont d’ailleurs considérés comme présents).

 

Par une loi du 24 mars 2020 l’état de crise a été prorogé pour trois mois[3].

 

Notamment, deux règlements grand-ducaux du 25 mars 2020 ont été adoptés dans la foulée. Un ‘’portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédures’’[4] et l’autre ‘’portant introduction de mesure relatives à la validité des cartes d’identité et aux délais en matière d’aménagement communal et de développement urbain dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 »[5]

 

-          La suspension des délais dans les procédures devant les juridictions administratives


Le règlement du 25 mars 2020 suspend les délais  prescrits dans les procédures devant les juridictions, notamment, administratives.

 

Ainsi, l’article 1ier (1) dudit règlement expose en ces termes « Les délais prescrits dans les procédures devant les juridictions judiciaires, administratives, militaires et constitutionnelle son suspendus ».

 

En l’absence d’autres précisions, en ce qui concerne les procédures devant les juridictions administratives, on peut raisonnablement penser que le texte vise l’ensemble des délais prescrits par la loi du 21 juin 1999 ‘’portant règlement de procédure devant les juridictions administratives’’[6], à savoir, notamment, les délais de dépôt (des actes de procédure), de signification (des recours et acte d’appel), d’échanges de mémoires.

 

Cependant, dès lors que la disposition précitée vise expressément les délais prescrits « dans » la procédures « devant » les juridictions administratives, nous sommes d’avis que les délais pour introduire les recours devant le tribunal administratif ne sont eux pas suspendus…

 

Dans un communiqué de ce jour, le ministère de la Justice expose :

« En matière de contentieux administratif devant le Tribunal administratif et la Cour administrative, sont ainsi suspendus les délais fixés par les lois portant organisation et règlementant la procédure devant les juridictions administratives qui prévoient des délais fixes endéans lesquels les parties au litige doivent introduire leur recours, ou acte d'appel, et échanger leurs mémoires et dossiers, à défaut de forclusion.

Cette suspension ne s'applique pas aux dispositions régissant le contentieux en matière de rétention administrative telles que prévues par la législation en matière d'immigration et de protection internationale ».

 

Cette déclaration interprétative est selon nous à lire avec prudence, car l’interprétation du ministère de la Justice n’a pas valeur de loi, et qu’une partie à une procédure contentieuse pourrait toujours invoquer l’irrecevabilité d’un recours considéré comme ayant été introduit tardivement.

 

Une clarification de la disposition précitée, dans une optique de meilleure sécurité juridique, serait donc la bienvenue.

 

La suspension des délais ne concerne, a priori, pas non plus la procédure précontentieuse et notamment les délais prescrits sous peine de forclusion, impartis aux administrés pour l’introduction de réclamations. Néanmoins, en ce qui concerne les délais prescrits par la loi modifiée du 19 juillet 2004 ’’concernant l’aménagement communal et le développement urbain’’, le lecteur est renvoyé à la section suivante.

 

Plusieurs communes avaient déjà, notamment, suspendus leur procédure d’adoption du Plan d’aménagement général (laquelle « suspension » n’est pas sans poser certaines questions de régularité juridique dans certains cas)[7].

 

Par ailleurs, ledit règlement n’expose pas clairement à partir de quand ces suspensions prendraient effet.

 

Néanmoins, il peut se déduire des dispositions (notamment de l’article 6 qui dispose : « Pendant la durée de l’état de crise, sont également suspendus les délais (…) ») que ces mesures sont à prendre en considération toute la durée de l’état de crise, et donc depuis le début de celle-ci. Il y aurait donc un effet rétroactif.

 

Ainsi, selon nous, même si ledit règlement « entre en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg », il est soutenable que ces mesures de procédure sont à considérer comme étant applicables depuis le début d’état de crise, qui a débuté dès l’entrée en vigueur du règlement grand-ducal du 18 mars 2020.

Pour rappel, l'état de crise a été prolongé par l’article 1er de la loi du 24 mars 2020 portant prorogation de l’état de crise déclaré par le règlement grand-ducal du 18 mars 2020 portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 suivant lequel : « L’état de crise, dont le constat est à la base du règlement grand-ducal du 18 mars 2020 portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, est prorogé de trois mois ».

 

Reste à savoir s’il sera encore possible, malgré la suspension, de procéder auxdits dépôts et autres formalités. Dans l’affirmative, nous sommes d’avis que les délais de signification et de notification de ces actes déposés sont donc suspendus.

 

Finalement, des questions spécifiques se poseront par rapport aux délais d’introduction de recours gracieux respectivement par rapport à la date de cristallisation de décisions implicite de refus, lorsque l’administration ne répond pas à une demande d’un administré dans un délai de trois mois. Ces questions nécessiteraient une analyse plus approfondie qui dépasse le cadre du présent article, qui se veut être un aperçu rapide des mesures prises toutes récemment.

 

-          Des suspensions en matière de procédure d’élaboration des plans d’aménagement (dérogations à la loi modifiée du 19 juillet 2004)


Un autre règlement grand-ducal du 25 mars 2020 ‘’portant introduction de mesure relatives à la validité des cartes d’identité et aux délais en matière d’aménagement communal et de développement urbain dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 »[8] tend à apporter des réponses à la situation de crise.

 

Suivant l’article 2 (2) dudit règlement :

« Les délais de trente jours, prévus aux articles 12, alinéa 1er, 13, alinéa 1er, 30, alinéas 5 et 8, 30bis, alinéas 2 et 4 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, sont suspendus jusqu’à la fin de l’état de crise.

Il en est de même pour les délais de quinze jours prévus aux articles 15, première phrase et 16, alinéa 1er de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain.

Cette suspension de délais en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru » (nous surlignons).

 

Ce règlement est entré en vigueur au jour de sa publication.

 

Ainsi, les délais de publications, de réclamations (devant le Collège des bourgmestre et échevins et devant l’autorité de tutelle) des projets de PAG sont suspendus à compter de l’entrée en vigueur dudit règlement et ce jusqu’à la fin de l’état de crise. Il en est de même en ce qui concerne les délais relatifs à la procédure des projets de PAP.

 

Attention toutefois au fait que le délai déjà, le cas échéant, en partie consommé, reprendra son cours dès la fin de l’état de crise. Ainsi, il pourrait être imprudent d’attendre pour envoyer ses objections et réclamations si la suspension du délai est intervenue à la quasi-échéance de celui-ci.

 

Nous assurerons évidemment le suivi des problématiques précitées, alors que la situation de crise incite les pouvoirs publics à adopter et à adapter des mesures d’urgence et spécifiques, quasi quotidiennement.

 

Le 26 mars 2020.

Me Elie DOHOGNE- Avocat liste IV

Me Sébastien COUVREUR - Avocat à la Cour

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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