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Les frontières du droit d’accès aux « informations environnementales » sonnent-elles le glas d’une douce utopie ?

 

Les frontières du droit d’accès aux « informations environnementales » sonnent-elles le glas d’une douce utopie ?

Analyse de l’ordonnance du Tribunal administratif (Président) du 17 décembre 2019 - n° 43604 du rôle

 

Mots-clés :


Capacité à agir d’une ASBL en fonction de son objet social (principe de spécialité) – Information environnementale, interprétation large (oui) – Décision implicite de refus de communiquer les informations sollicitées : possibilité d’apporter les motifs de refus en cours d’instance (oui) – Détention de l’information environnementale par une autorité publique : champ d’application de la loiL’information environnementale doit-elle exister dans un document établi préalablement à la demande d’information ? (oui) – Le Fonds de compensation commun au régime général de pension est-il une « autorité publique » au sens de la loi du 25 novembre 2005 ? (non)

 

I. Résumé de s faits


Le 1er août 2019, l’association sans but lucratif Greenpeace Luxembourg asbl (ci-après « GREENPEACE » s’adressa au ministre de la Sécurité sociale (ci-après « le ministre »), en sa qualité d’autorité de surveillance du Fonds de compensation commun au régime général de pension, ci-après «FDC», tel qu’institué par la loi modifiée du 6 mai 2004 sur l’administration du patrimoine du régime général de pension, pour solliciter diverses informations, regroupées en 12 points principaux ; GREENPEACE ayant ainsi notamment  demandé des informations sur la façon dont le FDC envisageait d’aligner ses investissements  sur les objectifs de l’Accord de Paris sur le changement climatique ainsi que la communication d’informations quant aux risques financiers liés au changement climatique et  associés aux investissements du FDC.

 

En toile de fond de cette demande, GREENPEACE reprochait au FDC sa stratégie d’investissement dans le secteur des énergies fossiles, comme le charbon, le pétrole et le gaz. L’association reprochait plus précisément au FDC, d’une part de mettre en œuvre des mesures insuffisantes pour réduire « l’impact de ses investissements sur le changement climatique », et d’autre part, de mettre « en danger les futures retraites des employés du secteur privé », en n’appréhendant pas de manière suffisante « les risques financiers liés au changement climatique ».

 

Ce faisant, GREENPEACE sollicita, sous forme de questions adressées au ministre, la communication, en vertu de la loi du 25 novembre 2005 concernant l’accès du public en matière d’environnement, d’une série d’informations visant à ce que l’association puisse mieux cerner, notamment, la nature des investissements financiers du FDC et sa politique d’investissement.

 

Le ministre n’ayant pas répondu au prédit courrier de GREENPEACE dans le délai d’un mois suivant sa réception, l’association a fait introduire une action en référé contre la décision implicite de refus ministérielle, sur base de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2005, tout en réitérant sa demande de communication des informations sollicitées auprès du ministre, le tout, sous peine d’une astreinte de 250 euros par jour de retard commençant à courir à l’échéance du mois à compter du prononcé du jugement.

 

II. Extraits[1]

 

(sur ce point voir l’article complet publié dans la Revue Luxembourgeoise de Droit Public, Legitech, n° 07, septembre 2020, p. 138 et s.)

 

III. ANALYSE


A l’issue de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement, réunie à Rio de Janeiro du 3 au 14 juin 1992, fut proclamée la Déclaration de Rio sur l’Environnement et le Développement retenant, entre autres Principes désormais bien établis, le Principe n°10 relatif à l’accès à l’information environnementale :

 

« La meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l'environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision. Les Etats doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci. Un accès effectif à des actions judiciaires et administratives, notamment des réparations et des recours, doit être assuré. ».

 

Dans la continuité de cette Déclaration, ont été adoptés la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement du 25 juin 1998[2], et la Directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement (laquelle abroge la directive 90/313/CEE du Conseil, en reprenant globalement ses mécanismes, tout en étendant son champ d’application). La directive de 2003 expose en ses considérants que « [l]e droit aux informations signifie que la divulgation des informations devrait être la règle générale et que les autorités publiques devraient être autorisées à opposer un refus à une demande d'informations environnementales dans quelques cas particuliers clairement définis. Les motifs de refus devraient être interprétés de façon restrictive, de manière à mettre en balance l'intérêt public servi par la divulgation et l’intérêt servi par le refus de divulguer. Les motifs de refus devraient être communiqués au demandeur dans le délai fixé par la présente directive »[3].

 

Les textes précités partent tous d’un même postulat : l’accès le plus libre et le plus large possible aux informations environnementales détenues par les autorités publiques serait de nature à permettre une sensibilisation optimale des citoyens, qui, forts de cette conscientisation, s’avèreraient alors les meilleurs garants du respect et de la défense de l’environnement. C’est la raison pour laquelle les dispositifs en matière d’accès à l’information environnementale sont généralement considérés parallèlement et complémentairement aux dispositifs en matière de participation du public au processus décisionnel et en matière d’accès à la justice[4].

 

Toutefois, entre la proclamation de ces nobles intentions dans les textes, et la mise en œuvre concrète de celles-ci, il existe des obstacles non négligeables en pratique, que l’ordonnance présidentielle sous analyse n’a pas manqué incidemment de mettre en exergue, tout en étant, à notre avis, à l’abri des critiques sur le plan de sa rigueur juridique.

 

1. Les contraintes inhérentes aux contours de la notion d’information environnementale

 

Au titre des difficultés pratiques esquissées ci-avant, l’on considèrera tout d’abord le fait que, pour qu’il y ait une volonté d’accès à une « information environnementale », non seulement faut-il que cette information soit « disponible », et le Président du tribunal administratif de rappeler que « l’information doit « préexister à la demande» ou, en d’autres termes, qu’elle doit être « disponible dans un document préexistant à la demande», «sous une forme ou sous une autre», et que la demande n’implique pas l’établissement d’un document nouveau dans lequel l’autorité publique s’explique sur la politique qu’elle poursuit dans une matière déterminée » (A) ; mais encore faut-il surtout, pour qu’il puisse la réclamer, que le demandeur ait préalablement conscience de l’existence même de l’information sollicitée, ce qui constitue un obstacle majeur en pratique, à la volonté de transparence la plus large possible gisant à la base des textes précités (B).

 

A. L’information environnementale doit être disponible

 

Quant au premier obstacle évoqué, relatif à la disponibilité de l’information, l’ordonnance précitée retient, en citant la doctrine belge[5], que : « (…) tel que d’ores et déjà relevé ci-dessus, le but de la législation relative à l’accès aux informations en matière environnementale vise à garantir l’accès à des documents et non d’interpeller les autorités publiques sur leur gestion en leur demandant de fournir des explications à propos de celle-ci: aussi, les demandes qui, quelle que soit leur présentation, constituent en réalité des demandes de précision, d’explication ou de justification de l’action administrative, voire de prise de position de l’autorité publique, ne portent pas sur des informations environnementales au sens de la loi ».

 

Il s’ensuit que l’efficacité des dispositifs d’accès à l’information en matière environnementale, au vu des objectifs poursuivis, dépend intimement de l’activité des autorités publiques elles-mêmes et de leur propension, à établir, compiler, analyser, enregistrer des informations de nature environnementales dans des documents « sous forme écrite, visuelle, sonore, électronique ou toute autre forme matérielle »[6]. Aussi, pour l’expliquer plus prosaïquement, une autorité publique désireuse d’analyser ses mesures et politiques à la lumière de considérations environnementales, détiendra des informations environnementales au sens de la loi précitée, tandis qu’une autorité publique se désintéressant de ces questions n’aura elle, potentiellement aucune information à fournir à cet égard, à défaut d’en détenir ; les nobles objectifs des textes précités, visant à une protection optimale de l’environnement par une meilleure transparence de l’action des pouvoirs publics demeurant, dans cette hypothèse, un vœu pieux, en l’absence de dispositions légales imposant, de manière générale ou sectorielle, un audit environnemental de certaines politiques publiques.

 

En l’occurrence, dans l’affaire soumise à notre analyse, il fut justement épinglé par le Président du tribunal administratif, le fait qu’ « aucune norme légale ou règlementaire nationale n’impose directement au ministre de la  Sécurité sociale de veiller, dans le strict cadre de sa compétence de tutelle spéciale, au respect d’objectifs de protection environnementale en général et de protection climatique en particulier », respectivement le fait qu’aucunes normes légales ou règlementaires contraignantes n’imposaient au FDC « de  procéder à des investissements tenant compte de l’intégration des risques climatiques en matière de durabilité », de sorte qu’aucunes informations environnementales de ce type ne devaient être détenues par ministre de la Sécurité sociale ou le FDC. 

 

Les développements du juge de référé administratif sur le point de savoir, si, le cas échéant, le ministre de la Sécurité sociale ou le FDC devait, au titre de dispositions légales ou réglementaires, être en possession des informations environnementales demandées par GREENPEACE, nous semblent toutefois dépasser le strict cadre de la question de la disponibilité ou de l’indisponibilité des informations environnementales sollicitées, condition imposée à l’article 2 de la loi du 25 novembre 2015, laissant potentiellement ouvert le débat sur la possibilité de solliciter par le biais d’un recours en référé, la communication d’informations environnementales inexistantes ou indisponibles mais devant toutefois exister entre les mains d’une autorité publique ou pour son compte, en vertu de la loi [7](encore que le juge des référés n’a semble-t-il procédé à la vérification des exigences légales en terme de production et détention des documents sollicités que pour vérifier si les affirmations de l’Etat relatives à l’indisponibilités des informations environnementales étaient plausibles ou non[8]). 

 

B. Le demandeur doit, d’une manière ou d’une autre, avoir été averti ou avoir eu connaissance de l’existence d’une information environnementale l’intéressant

 

(sur ce point voir l’article complet publié dans la Revue Luxembourgeoise de Droit Public, Legitech, n° 07, septembre 2020, p. 138 et s.)

 

 

2. Les contraintes liées à la notion d’ « autorité publique »

 

Dans l’affaire soumise à notre appréciation, le juge des référés administratifs a dénié au FDC, la qualité d’«autorité publique » au sens de l’article 2.2) de la loi du 25 novembre 2005[9], de sorte à l’exclure du champ d’application ratione materiae de la loi. Cette position pourrait a priori surprendre, alors que le FDC est un établissement public créé par la loi modifiée du 6 mai 2004 sur l’administration du patrimoine du régime général de pension et qu’il est placé sous la tutelle du ministre ayant la Sécurité sociale dans ses attributions. La question mériterait, selon nous, une analyse plus approfondie[10]. En l’absence de définition constitutionnelle[11] ou légale de l’établissement public au Luxembourg, l’on se réfèrera à l’instruction du Gouvernement en conseil[12] suivant laquelle « il y a lieu d'entendre par établissement public toute personne morale de droit public chargée par une disposition législative de gérer un ou des services publics déterminés sous le contrôle tutélaire de l'Etat, et qualifiée comme telle par la loi portant création de l'établissement public ». Plus précisément, il y aurait lieu de distinguer les EPA[13], les EPIC[14] et les EPCSS[15].

 

Il y a lieu d’observer parallèlement que la loi du 25 novembre 2005 s’applique à toutes les « autorités publiques », cette notion regroupant notamment « le gouvernement » mais aussi « toute autre administration publique, y compris les organes consultatifs publics », que ce soit au niveau national, régional ou encore local, sans que ceux-ci ne doivent nécessairement exercer des « tâches, activités ou services spécifiques en rapport avec l'environnement ». Or, les vocables « toute autre administration publique » laissent à leur tour place à l’interprétation, laquelle devrait selon nous, suivant la « ratio legis » du texte, être le plus large possible.

 

Dans la continuité de ce qui précède, nous remarquerons aussi que la loi du 10 août 1992, abrogée par la loi précitée de 2005, visait, elle, explicitement les « établissements publics » dans son champ d’application[16]. Ensuite, l’on relèvera que par le terme « administration publique » ou « autorité administrative », il y a lieu d’entendre, notamment, « les institutions créées par les pouvoirs publics qui sont chargées d’un service public et ne font pas partie du pouvoir législatif ou du pouvoir judiciaire, (…) dans la mesure où leur fonctionnement est déterminé ou contrôlé par les pouvoirs publics et où elles peuvent prendre des décisions obligatoires à l’égard des tiers »[17]. Finalement, il importe de préciser que la notion « d’autorité publique » au sens de l’article 2 point 2, a) de la Directive 2003/4/CE fait l’objet d’une interprétation autonome en droit communautaire[18]. Or la CJUE considère, entre autres, que « [l]es entités qui, d’un point de vue organique, sont des autorités administratives, à savoir celles qui font partie de l’administration publique ou du pouvoir exécutif de l’État à quelque niveau que ce soit, sont des autorités publiques au sens de l’article 2, point 2, sous a), de la directive 2003/4. Cette première catégorie inclut toutes les personnes morales de droit public qui ont été établies par l’État et dont seul celui-ci peut décider de la dissolution »[19].

 

Par ailleurs, l’article 2, point 2, b) de la Directive précitée, directement inspiré de la Convention d’Aarhus, n’exige pas non plus que les personnes physiques ou morales y visées qui exercent, en vertu du droit interne, « des fonctions administratives publiques », accomplissent nécessairement « des tâches, activités ou services spécifiques en rapport avec l'environnement » pour relever du champ d’application du droit d’accès aux informations environnementales : « Comme  cela  est  indiqué  à  l'alinéa  a),  il  n'est  pas  nécessaire  que la personne travaille dans le domaine de l’environnement.  Toute personne autorisée par la loi  à  exercer  une  fonction  publique  quelle  qu'elle  soit  tombe  sous  le  coup  de  la  définition  relative  à  l'  «  autorité  publique  »,  bien  que  des  références  au  domaine  de  l'environnement  soient  fournies  comme  des  exemples  de  fonctions  administratives publiques »[20].

 

Il ne semble, dès lors pas, que l’on puisse conclure de manière péremptoire que le FDC, et de manière plus incertaine encore, que tout autre établissement public luxembourgeois, puisse échapper au champ d’application ratione materiae de la loi du 25 novembre 2005.

 

Il n’empêche que la conclusion inverse mériterait d’une part, que l’on s’attarde encore d’avantage sur cette problématique et inviterait aussi, d’autre part, à la considérer sous un autre angle d’approche.

 

En effet, à supposer qu’il faille partir du postulat que la loi précitée ne serait pas applicable au FDC, il conviendrait alors d’examiner si d’autres dispositions légales n’auraient pas permis pas d’aboutir aux mêmes fins que celles souhaitées par GREENPEACE.

 

L’on épinglera, à ce sujet, le fait que le Président du tribunal administratif ne manqua pas de rappeler à l’Etat que les dispositions de la procédure administrative non contentieuse prévoient notamment que « [t]oute autorité administrative est tenue d'appliquer d'office le droit applicable à l'affaire dont elle est saisie »[21]. Ainsi, l’Etat était-il tenu de vérifier également si les dispositions de la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte, n’étaient pas, elles, de nature à donner satisfaction à GREENPEACE.

 

Or, force est de constater que la loi précitée a un champ d’application ratione personae, a priori, plus large que la loi du 25 novembre 2005, puisqu’elle vise « (…) les administrations et services de l’État, les communes, les syndicats de communes, les établissements publics placés sous la tutelle de l’État ou sous la surveillance des communes ainsi que les personnes morales fournissant des services publics, (…) la Chambre des Députés, le Conseil d’État, le Médiateur, la Cour des comptes et les Chambres professionnelles »[22]. Le FDC étant un établissement public, cette dernière relève partante, sans équivoque, du champ d’application de la loi du 14 septembre 2018. Dès lors, GREENPEACE aurait, a priori, pu réclamer directement des informations environnementales au FDC sur cette base, pour autant qu’elles aient été reprises dans des documents qui eux-mêmes étaient « relatifs à l’exercice d’une activité administrative » au sens de la loi précitée[23]. Toutefois, dans le cas d’espèce qui nous occupe, il nous semble que l’application de la loi précitée au litige n’aurait pas changé la conclusion du juge des référés administratifs dans la mesure où, de toute manière, les informations sollicitées auprès du ministre de la Sécurité sociale n’étaient pas préexistantes à la demande, respectivement n’étaient pas compilées dans des documents administratifs au sens de la loi du 14 septembre 2018. En d’autres termes, le FDC ne devait-il en principe pas non plus disposer des documents administratifs ayant pu, le cas échéant, être sollicités directement auprès de ce dernier.

 

Il reste à savoir si le Président du tribunal administratif pourrait, bien que saisi en vertu de la loi du 25 novembre 2005, ordonner la communication des informations environnementales sollicitées, non pas sur base de ladite loi, dans notre hypothèse alors inapplicable, mais à partir du constat de l’applicabilité de la loi du 14 septembre 2018 en court-circuitant alors l’intervention de la « Commission d’accès aux documents », intervention que d’aucuns souhaiteraient considérer comme étant un préalable obligatoire à tout recours devant les juridictions administratives ? Cette question, qui n’est pas des moindres, témoigne des difficultés d’imbrication des dispositifs des deux législations précitées et des problèmes de cohérence que soulèvent ces textes, notamment au niveau de leur champs d’application respectifs[24]

 

 

3. Les contraintes intrinsèques à la procédure contentieuse

 

Au-delà des limites au droit d’accès aux informations environnementales, ci-avant évoquées, nous aurions regretté de ne pas avoir saisi les opportunités offertes par le présent commentaire de jurisprudence, pour évoquer quelques problématiques relatives aux possibilités de recours instituées par la loi 25 novembre 2005. Il y a lieu de relever sur ce point que l’article 6 de la Directive 2003/4/CE prévoit deux possibilités de contestations des décisions de refus (totales ou partielles, implicites ou explicites) opposées suite à une demande de communication d’informations environnementales. Ainsi la Directive prévoit-elle d’abord, une procédure « rapide et gratuite » ou « peu onéreuse ». Celle-ci peut être organisée par les Etats membres, soit par le biais du réexamen de la décision de refus devant la même autorité publique (recours gracieux) soit, par un recours devant une autre autorité publique (recours hiérarchique), soit par un recours administratif devant un organe indépendant et impartial établi par la loi. La seconde procédure peut être de nature juridictionnelle et n’est, a priori, plus soumise aux exigences de rapidité et de coûts peu élevés.

 

Plusieurs pays ont organisés, sur base de ces textes, des commissions d’accès aux informations environnementales, dont les décisions sont susceptibles de recours devant les juridictions administratives[25]. Au Luxembourg, le choix a été fait – choix malheureux selon nous – d’organiser la procédure « rapide et gratuite » respectivement « peu onéreuse », via un recours en référé entre les mains du Président du tribunal administratif[26], tandis que l’ordonnance du juge est susceptible d’appel devant la Cour administrative. Or, ce choix génère plusieurs difficultés.

 

Tout d’abord, dans la conscience collective, la saisine d’une commission d’accès, pouvant s’opérer par simple lettre et sans le ministère d’un avocat, ne peut être considérée comme équivalente à l’exercice d’une action en référé avec l’assistance nécessaire d’un avocat à la Cour[27]. Il va de soi que l’administré sera plus hésitant à quereller la décision de refus de l’autorité publique s’il doit mettre en œuvre, directement, un recours contentieux. Certes, la possibilité d’exercer un recours gracieux demeure, mais les chances de succès de pareil recours, sont généralement minces, dès lors qu’il s’agit de confronter l’autorité publique à sa propre décision, de sorte que cette voie ne constitue pas non plus une option satisfaisante. 

 

Ainsi, à notre estime, l’inexistence d’une commission d’accès aux informations environnementales au Luxembourg, a pour effet également de freiner l’émergence d’une « jurisprudence »[28] plus établie en la matière et s’oppose, in fine à ce que ledit droit d’accès soit le plus large possible.

 

L’on s’étonnera également que l’appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance du Président du tribunal administratif suive la forme d’une procédure écrite classique devant la Cour administrative[29]. Si l’on comprend la volonté du Législateur de permettre – peut-être – en dernière instance, une instruction plus fouillée sur des questions juridiques parfois sensibles impliquant une juste pondération des intérêts en jeux et que suivant la Directive 2003/4/CE, l’affaire ne doit, semble-t-il, plus être « rapide » et « peu onéreuse » à ce stade, l’on regrettera toutefois le caractère incongru de cette situation, alors qu’en principe les ordonnances du Président du tribunal administratif ne sont pas susceptibles d’appel. Il eut, à ce niveau là encore, été plus commode d’organiser, dans un premier temps, un recours contre les décisions de refus de communication des informations environnementales devant une commission, et dans un second temps, des procédures juridictionnelles contre les décisions de ladite commission, quitte à ce que ces dernières soit elles-mêmes organisées de façon accélérées.

 

Il convient de rappeler aussi, que les décisions du Président du tribunal administratif ordonnant le cas échéant la communication des informations sollicitées, ne peuvent être rendues exécutoires par provision[30]et qu’elles ne peuvent pas prononcer une astreinte[31].

 

Finalement, nous regrettons que les dispositifs de recours prévus par la loi du 25 novembre 2005 s’articulent difficilement avec ceux prévus par la loi du 14 septembre 2018, ceci alors que leurs champs d’applications se recoupent, du moins en grande partie. Ainsi eut-il été cohérent et logique de confier à la Commission d’accès aux documents instituée par la loi de 2018, la mission de connaître également des recours portés contre les refus opposés aux demandes formulées au titre de la loi de 2005. Si l’on s’attarde au surplus sur différents scénarii de recours possibles en cas d’action basée tantôt sur la loi de 2005, tantôt sur la loi de 2018, l’agencement de ces deux législations devient vite un casse-tête inextricable, sans même que nous ayons pour s’en convaincre à évoquer les dispositions de la procédure administrative non contentieuse[32].

 

Pour conclure, nous appellerons de nos vœux une véritable codification du droit d’accès aux documents détenus par l’administration, que ceux-ci comportent, ou non, des informations environnementales. Bien qu’il semble que cela ne soit pas le chemin actuellement suivi[33], l’inscription de ce droit dans la future Constitution, à l’instar de sa parente belge[34], pourrait apporter l’impulsion nécessaire, à cette clarification impérative.

 

(L’article complet est publié dans la Revue Luxembourgeoise de Droit Public, Legitech, n° 07, septembre 2020, p. 138 et s.)

 

 

Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour

 

 

 

 



[1] Le texte complet de l’ordonnance est disponible sur https://justice.public.lu/fr/jurisprudence/juridictions-administratives.html

[2] Approuvée par le Grand-Duché de Luxembourg par la loi du 31 juillet 2005 portant approbation de la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement.

[3] Considérant n° 16 de la Directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil.

[4] F. Haumont, Droit européen de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, Bruylant, Bruxelles, 2007, p.331 et s.  Voir aussi Ch. LARSSEN, « L’accès à l’information en matière d’environnement », in Urbanisme et Environnement, dir. F. HAUMONT, B. JADOT, Ch. THIEBAUT, Extrait du répertoire pratique du droit belge, Complément, tome X, 2007, Bruylant, Bruxelles, 2009, p. 899 et s., pt. 2019 et s.

[5] Michel Delnoy et Renaud Smal, La publicité de l’administration en matière environnementale, in «La publicité de l’administration -Vingt ans après, bilan et perspectives», Bruylant, 2014, p.281

[6] Article 2, 1) de la loi du 25 novembre 2005.

[7] L’on pourrait alors envisager que le Président du tribunal administratif impartisse un délai à l’autorité publique pour récolter, compiler, ou organiser les informations environnementales qu’elle devrait détenir en vertu d’une loi au sens large du terme, bien que ce dernier dispose de pouvoirs de contrainte limités, des astreintes ne pouvant, par exemple, pas être prononcées par celui-ci. Toutefois le non-respect de la loi, respectivement de l’ordonnance, pourraient potentiellement engager la responsabilité de l’autorité publique.

[8] « La non-détention des informations sollicitées par une autorité publique étant de nature à justifier le rejet du recours, il convient avant tout autre progrès de vérifier si, en l’espèce, le ministre  apparaît  comme  appelé, de  par les missions lui confiées par la loi, à détenir les informations en question, ou, si au contraire, il y aurait lieu de constater que l’autorité publique saisie de la demande n’était pas effectivement en possession des informations demandées, ce dernier constat étant de nature à rendre l’analyse des autres motifs de refus superflue » (page 16 de l’ordonnance).

[9] « le FDC  en  tant  qu’établissement  public ne  constitue  pas  une  «autorité  publique»  au  sens  de l’article 2.2,  points a)  b)  et  c)  de la  loi du  25  novembre  2005,  ne  faisant  pas  partie  du gouvernement ou d’une administration publique et n’étant pas non plus une personne morale qui exerce des fonctions administratives publiques, y compris des tâches, activités ou services spécifiques  en  rapport avec  l’environnement ou  encore  une personne  morale  ayant  des responsabilités  ou  des  fonctions  publiques,  ou  fournissant  des services  publics, «en  rapport avec l’environnement», à savoir des organismes qui, sans être des administrations, disposent de responsabilités environnementales dérivées des autorités publiques » (page 19 de l’ordonnance précitée).

[10] Cependant, elle n’était pas déterminante pour la solution à apporter au litige dès lors que ni le ministre de la Sécurité sociale ni le FDC ne détenaient a priori les informations sollicitées ; la condition de détention des informations n’étant pas remplie, le recours ne pouvait, à notre avis, être accueilli.

[11] Article 108 bis de la Constitution.

[12] Instruction du Gouvernement en conseil du 11 juin 2004 ayant pour objet de fixer une ligne de conduite et des règles générales en matière d'établissements publics, Mémorial A n° 115, 12 juillet 2004, p. 1762 abrogée par Instruction du Gouvernement en conseil du 10 février 2017, Mémorial A n° 207 du 21 février 2017, mais reprise dans la décision du Gouvernement en conseil du 10 février 2017 déterminant des lignes directrices pour la création d’établissements publics.

[13] « Par établissement public à caractère administratif (EPA), il y a lieu d'entendre toute entité de droit public dotée de la personnalité juridique et chargée de la gestion d'une activité de service public classique dans le cadre limite de sa spécialité ».

[14] « Par établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), il y a lieu d'entendre toute entité de droit public gérant, dans le secteur public, mais dans des conditions comparables à celles des entreprises privées, des activités de nature industrielle ou commerciale consistant à produire ou à vendre des biens ou des services ».

[15] « Par établissement public à caractère culturel, social et scientifique (EPCSS), il y a lieu d'entendre tout organisme de droit public gérant, dans le secteur public, des activités spécifiques dans l'un des trois secteurs social, culturel ou scientifique et qui sous certaines conditions peuvent être considérées comme comparables à celles d'une entreprise privée ».

[16]  Aux fins de la présente loi, on entend par : (…)

b)  «autorités publiques»: toute administration ou tout service publics ainsi que tout établissement public au niveau national, régional ou local, ayant des responsabilités et étant en possession d’informations relatives à l’environnement, à l’exception des organes législatifs et des autorités judiciaires »

[17] C.E., belge, 3 novembre 1999, Delville c/ Commission bancaire et financière des assurances, n°  83.240 ; Voir aussi, quant à l’interprétation de la notion d’autorité administrative, l’application des critères organiques ou fonctionnels : P. LEWALLE, L. DONNAY, Contentieux administratif, 3ème éd., Faculté de droit de l’Université de Liège, Larcier, 2008, p. 641 et s.

[18] CJUE, 14 février 2012, Flachglas Torgau, C‑204/09, pt. 37

[19] CJUE, 19 décembre 2013, C‑279/12, pt. 51

[20] Guide d’application de la Convention d’Aarhus, 1ère édition, p.40, disponible via https://www.unece.org/

[21] Article 3 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

[22] Article 1er (1) de la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte.

[23] J. GUILLOT, « Le champ d’application de la loi du 14 septembre 2018 », Revue luxembourgeoise de droit public, n° 1, Legitech ; voir aussi sur ce thème : B. MARTHOZ, « L’effectivité des procédures de recours prévues par la loi relative à une administration transparente et ouverte », ibidem ; M. THEWES, « La mise en œuvre du droit d’accès aux documents administratifs », ibidem.

[24] Relevons qu’en France, la Commission d’accès aux documents administratifs considère « que lorsqu’une demande porte sur des informations environnementales, il convient de se référer aux dispositions du code de l’environnement si elles sont plus favorables, même si elles ne sont pas invoquées par le demandeur » : https://www.cada.fr/administration/environnement

[25] Voir notamment la Commission d’accès aux documents administratifs en France, la Commission (fédérale) d'accès aux documents administratifs en Belgique, ou encore la Commission de recours pour le droit d’accès à l’information en matière d’environnement de la Région wallonne.

[26] Article 6.3. de la loi du 25 novembre 2005.

[27]Article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

[28] Les commissions d’accès aux documents administratifs y participant, en publiant leurs décisions et avis.

[29] C.A., 1er février 2007, n° 21572C et 21712C, p. 20.

[30] Cependant le Président peut différer dans le temps le caractère exécutoire de son ordonnance : T.A., prés., 24 janvier 2019, n° 42171 du rôle.

[31] C.A., 13 octobre 2005, n° 19767C du rôle, T.A., 11 mars 2013, n° 28551 et 30477 du rôle.

[32] Le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, prévoyant également des dispositions en matière d’accès aux documents administratifs.

[33] Doc., Parl., n° 6030, Proposition de révision portant instauration d'une nouvelle Constitution, Rapport de la Commission des institutions et de la révision constitutionnelle du 6 juin 2018.

[34] Article 32 de la Constitution belge : « Chacun a le droit de consulter chaque document administratif et de s'en faire remettre copie, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134. »

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