Droit immobilier

Marchés publics et sous-traitance

Marchés publics et sous-traitance (RLDI, n°4, février 2020, Legitech)

 

Introduction


Les marchés publics représentent une part substantielle des dépenses des états européens, évaluée entre 14% et 19% de leur PIB, soit plus de 1,9 billions d’euros[1]. Alors qu’il est généralement admis par les économistes que les PME sont « essentielles à la création d’emplois, la croissance et l’innovation »[2], les directives européennes de 2014 ont particulièrement mis l’accent sur la levée des barrières à l’accès de celles-ci aux marchés publics, en renforçant les dispositifs existants relatifs, notamment, à l’allotissement des marchés, ainsi que ceux ayant trait à la sous-traitance[3].

 

Si le législateur européen voit d’un bon œil la participation des PME aux marchés publics, et notamment celle qui intervient de manière indirecte, il n’en demeure pas moins conscient des risques de dérives que peut impliquer le recours à la sous-traitance, voire, à la sous-traitance en cascade : marché qui échappe au contrôle du pouvoir adjudicateur, mauvaise qualité d’exécution, dumping social, défaillance du sous-traitant, … C’est la raison pour laquelle les directives européennes encadrent celui-ci de balises, veillant à tenir compte de préoccupations sociales, environnementales, financières et autres, tel qu’il sera développé ci-après. 

 

A. Précision des notions

 

L’article 22 du règlement grand-ducal modifié du 8 avril 2018[4] portant exécution de la loi du 8 avril 2018[5] sur les marchés publics défini la sous-traitance par renvoi à l’article 1er de la loi du 23 juillet 1991 ayant pour objet de réglementer les activités de sous-traitance[6]. La sous-traitance suppose donc la superposition d’au moins deux contrats de louage d’ouvrage et d’industrie[7], ceci impliquant par voie de conséquence, également l’inexistence d’un lien de subordination entre le sous-traitant et l’entrepreneur principal.

 

B. La distinction entre sous-traitant et fournisseur

 

C’est l’existence d’un contrat d’entreprise entre l’entrepreneur principal et le sous-traitant qui caractérise le contrat de sous-traitance. Suivant l’article 1710 du code civil, le contrat de louage d’ouvrage implique une obligation de faire. Les contrats comportant une obligation de dare (à l’instar des contrats de vente[8]) ne peuvent partant être qualifiés de sous-traitance. Ainsi, sont visés notamment les contrats de fourniture[9] qui ne peuvent être assimilés à des contrats de sous-traitance, avec toutes les incidences de droit que cela implique d’un point de vue civil[10], respectivement d’un point de vue administratif[11].

 

La pratique témoigne cependant des difficultés d’opérer une distinction toujours bien claire et nette entre les deux types de relations contractuelles. Une affaire toisée devant les juridictions administratives illustre particulièrement bien celles-ci. Ainsi en l’espèce, le Président du tribunal administratif[12] releva tout d’abord que l’exécution du contrat principal consistait en la fabrication sur mesure, la livraison et le montage de diverses armoires électriques, de supports métalliques avec faux plancher et de divers dispositifs de fermeture en métal. il accueilli également les explications de la société adjudicatrice, suivant lesquelles elle prenait sur place les mesures des armoires en métal et autres structures métalliques à construire suivant les exigences du pouvoir adjudicateur ; qu’elle fabriquait par la suite un modèle de ces différents éléments, pour les transmettre, alors, à une société allemande aux fins de fabrication des pièces, sur base modèles conçus par elle ; qu’elle procédait enfin à l’assemblage sur place des installations métalliques après livraison des pièces par l’entreprise allemande. L’ordonnance conclut en ce sens qu’il ne semblait pas sérieux que la relation entre la société adjudicatrice et la société allemande puisse être qualifiée de contrat de sous-traitance. Ces conclusions furent tirées en considération du fait que l’intervention de la société allemande se limitait à la fabrication des pièces métalliques conformément aux modèles reçus et que l’exécution d’une partie du contrat principal ne lui était partant pas confiée. La requête en sursis fut partant rejetée.

 

Dans sa forme collégiale, le tribunal administratif décida pourtant en sens inverse[13]. Les juges prirent position comme suit : « Pour qu’il y ait sous-traitance, il faut (…) que tant le contrat principal que le sous-contrat soient des contrats d’entreprise, c’est-à-dire des contrats prévoyant une obligation de faire, non  une  obligation  de  transférer  la  propriété  («donare»),  le  sous-traitant  étant  en conséquence tenu envers l’entreprise principale à une obligation de résultat[14]. (…) Or, la distinction entre contrat d’achat et contrat de sous-traitance repose précisément sur le critère de la spécificité du produit commandé[15] : aussi, le contrat qui correspond à une commande spéciale du maître de l’ouvrage est un contrat d’entreprise tandis que la simple fourniture de matériaux sans tâche de conception ou de construction est un contrat de vente[16], de même que la livraison de biens standards[17]. ». Et les juges d’en conclure que, compte tenu du fait que les éléments fabriqués par la société allemande ne consistaient pas en des éléments standards, mais en une commande spéciale basée sur des plans spécifiques fournis par la société adjudicatrice, qu’il s’agissait bien d’une relation de sous-traitance. Le tribunal administratif annula partant la décision d’adjudication et la décision de rejet de l’offre de l’A.M. L’Etat interjeta appel du jugement précité.

 

La Cour administrative confirma tout d’abord les premiers juges dans leur appréciation : « En raison de l’opération complexe et du ‘chassé-croisé’ ayant dû être mis en place pour d’abord établir les plans d’une armoire-témoin, par la société (adjudicatrice), puis voir confectionner cette armoire-témoin par la société (allemande), la voir réceptionnée par la société (adjudicatrice) pour ensuite seulement mettre en route la fabrication standardisée par la société (allemande) du modèle agréé, la cour vient à la conclusion que les relations entre parties ne se résument pas en un simple contrat de fourniture d’armoires standardisées, mais en des opérations autrement enchevêtrées relevant d’un contrat d’entreprise comportant sous-traitance. ». La Cour réforma néanmoins le jugement entrepris au motif qu’il ne résultait pas des éléments lui soumis que la disposition du bordereau, suivant laquelle « la sous-traitance de l’entreprise mandataire, de même que pour chaque associé ou sous-traitant, est limitée à un montant de 20% des prestations figurant dans l’autorisation d’établissement de l’entreprise », aurait été méconnue[18].

 

Au demeurant, lorsque le sous-contrat est relatif à des fournitures standards, la sous-traitance peut être écartée[19]. En revanche, lorsque le contrat de fourniture implique une fabrication spéciale, l’on sera probablement en présence d’une sous-traitance[20].

 

C. Distinction entre le contrat de sous-traitance et d’autres conventions.

 

Les conventions de prêt de personnel[21] ou les contrats de location de matériel, avec ou sans prêt complémentaire de personnel[22], ne peuvent être qualifiées de sous-traitance. De même, un contrat de travail ne constitue pas un contrat de sous-traitance, dès lors que ce dernier exclut un lien de subordination[23].

 

D. La co-traitance

 

La législation admet explicitement l’attribution de marchés publics à des groupements d’opérateurs économiques[24]. Ceux-ci ont pour avantage de permettre aux acteurs économiques désirant participer à une procédure d’attribution d’un marché public, de se prévaloir des capacités techniques, professionnelles, économiques ou financières d’autres entités, dans les conditions fixées par la loi respectivement par le pouvoir adjudicateur dans les documents de soumission[25]. La jurisprudence le confirme d’ailleurs : « Un groupement ou une association d’entreprises qui  soumet  une  offre collective  peut prétendre à faire apprécier sa capacité technique, financière et économique non pas dans le chef de chacun de ses membres pris individuellement, mais d'une manière consolidée, chaque membre bénéficiant ainsi de la capacité des autres »[26].

 

Pour la présentation d’une demande de participation ou d’une offre, les  pouvoirs  adjudicateurs  ne  peuvent  exiger  que  ces groupements aient une forme juridique déterminée, mais le groupement retenu peut être contraint de revêtir une forme imposée lorsque le marché lui a été attribué, dans la mesure où cette transformation serait nécessaire pour la bonne exécution du marché[27]. En pratique, les sociétés ont souvent recours à cette technique via le regroupement sous la forme d’associations momentanées. Il importe de relever à cet égard que la sous-traitance ne se confond pas avec les hypothèses de groupement d’opérateurs économiques, aussi appelés « cotraitance ». Dans ce dernier cas, les opérateurs économiques faisant partie du groupement sont, chacun individuellement[28], directement responsables à l’égard du pouvoir adjudicateur pour la partie du marché dont ils ont la charge[29]

 

II. Le contrôle des sous-traitants en phase d’adjudication du marché.

 

A. L’interdiction ou la limitation de la sous-traitance


Le sujet ici abordé est complexe, et mériterait de bien plus amples développements qu’il nous est donné de détailler dans le cadre du présent article. Sa compréhension globale nécessiterait en effet un exposé de la jurisprudence européenne sur la question, son évolution sur base des « directives marchés publics de 2004 » entretemps abrogées, et l’explication des conséquences d’un changement de paradigme dans le texte de la directive 2014/24/UE. Nous nous efforcerons malgré tout d’être concis et exhaustif[30].

 

La question qui se pose est celle de savoir si, sur base des textes de lois européens et luxembourgeois en vigueur, le pouvoir adjudicateur pourrait être admis à restreindre voire à interdire le recours à la sous-traitance en marchés publics. Si tel devait être le cas, ce dernier devrait ensuite être admis à rejeter une offre au motif qu’elle ne respecterait pas les exigences des documents de soumission à cet égard.

 

Il résulte d’un arrêt de la Cour administrative qu’en principe, un opérateur économique doit être admis à sous-traiter tout ou partie du marché pour lequel il entend soumissionner : « L’expression ‘entreprise générale’ ne signifie nullement qu’il s’agit d’une entreprise totalement intégrée, polyvalente, capable donc d’exécuter elle-même les travaux de toutes les disciplines. Elle est généralement assistée de sous-traitants tantôt librement choisis, tantôt imposés par le maître de l’ouvrage, tantôt désignés de concert. Parfois même, l’entrepreneur général, tout en conservant la responsabilité de l’ensemble de l’ouvrage, en sous-traite la totalité, n’assumant que la charge d’organiser l’opération et ressemblant alors davantage à un promoteur qu’à un entrepreneur, au point que ce personnage a été judicieusement baptisé du nom d’entrepreneur en organisation dès lors que son ‘ouvrage’ se limite effectivement à l’organisation seule, c’est-à-dire à la vente d’une méthode ou d’un système spécifique de liaisons (voir Maurice-André Flamme, Commentaire pratique de la réglementation des marchés publics. tome 2, p. 172 et 173) »[31]. La Cour a par ailleurs considéré que l’entrepreneur principal, ayant la possibilité de se prévaloir des capacités de ses sous-traitants, ne doit pas lui-même disposer de l’habilitation professionnelle relatives aux prestations qui seront réalisées par l’un ou l’autre de ses sous-traitants. Cette jurisprudence s’inscrit dans la lignée des décisions européennes.

 

A l’analyse des textes actuellement en vigueur, il faut relever que la directive européenne 2014/24/UE expose en son article 63, 2. que « [p]our les marchés de travaux, les marchés de services et les travaux de pose ou d’installation dans le cadre d’un marché de  fournitures, les pouvoirs adjudicateurs peuvent exiger que certaines tâches essentielles soient effectuées directement par le soumissionnaire lui-même ou, si l’offre est soumise par un groupement d’opérateurs économiques (…) par un participant dudit groupement »[32]. L’on déduit, a priori, et sur base d’une lecture a contrario de ce texte qu’en principe, le pouvoir adjudicateur ne peut interdire ou limiter le recours à la sous-traitance, sauf le cas échéant, concernant certaines tâches jugées essentielles ; notion qui relève d’une appréciation au cas par cas et qu’il conviendrait d’encadrer. Un détour par la jurisprudence européenne s’impose afin de vérifier notre hypothèse de départ.  

 

Il y a lieu d’épingler tout d’abord le fait que la Cour de Justice a récemment été saisie[33], sur question préjudicielle, pour juger de la compatibilité, vis-à-vis de la directive européenne 2014/24/UE, d’un texte de droit italien suivant lequel « l’éventuelle sous-traitance ne peut pas excéder la proportion de 30 % du montant total du marché de travaux, services ou fournitures. ». La Cour observa tout d’abord que la directive précitée consacrait « la possibilité, pour les soumissionnaires, de recourir à la sous-traitance en vue de l’exécution d’un marché, pourvu que les conditions qu’elle prévoit soient satisfaites (voir, en ce sens, s’agissant de la directive 2004/18, arrêt du 14 juillet 2016, Wrocław - Miasto na prawach powiatu, C406/14, EU:C:2016:562, points 31 à 33) ». Elle rappela que « selon une jurisprudence constante, et ainsi qu’il ressort du considérant 78 de la directive 2014/24, il est de l’intérêt de l’Union que, en matière de marchés publics, l’ouverture d’un appel d’offres à la concurrence soit renforcée. Le recours à la sous-traitance, qui est susceptible de favoriser l’accès des petites et moyennes entreprises aux marchés publics, contribue à la poursuite de cet objectif (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2017, Borta, C298/15, EU:C:2017:266, point 48 et jurisprudence citée) ». La Cour fit encore mention de ses conclusions dans son arrêt précité du 14 juillet 2016 suivant lequel elle considéra « qu’une clause du cahier des charges d’un marché public de travaux qui impose des limitations au recours à des sous-traitants pour une part du marché fixée de manière abstraite à un certain pourcentage de celui-ci, et ce indépendamment de la possibilité de vérifier les capacités des éventuels sous-traitants et sans aucune mention relative au caractère essentiel de tâches qui seraient concernées » n’est pas compatible avec la directive européenne sur les marchés publics.

 

Dans la foulée, la Cour jugea également incompatible avec le droit européen la disposition de droit italien précitée, et ce notamment au motif qu’il « ne saurait être déduit de la volonté du législateur de l’Union d’encadrer plus précisément, par le biais de l’adoption de telles règles les situations dans lesquelles le soumissionnaire a recours à la sous-traitance que les États membres disposeraient désormais de la faculté de limiter ce recours à une part du marché fixée de manière abstraite à un certain pourcentage de celui-ci, à l’instar de la limite imposée par la réglementation en cause au principal »[34]. Il échet de relever que la Cour de Justice s’était toujours montrée réticente, par le passé, à valider des limitations au recours à la sous-traitance[35]. Elle l’admettait uniquement, en phase d’attribution, lorsque le pouvoir adjudicateur se trouvait dans l’impossibilité de vérifier le respect des critères de sélection ou l’existence de motifs d’exclusion dans le chef des sous-traitants[36]. Elle l’admettait encore, en phase d’exécution du contrat, lorsque le sous-traitant proposé n’avait pas pu être jugé par le pouvoir adjudicateur au cours de l’analyse des offres[37].

 

Comment dès lors interpréter le texte de l’article 63 (2) de la directive européenne précitée qui admet que le pouvoir adjudicateur peut interdire la sous-traitance pour « certaines tâches essentielles », alors que la jurisprudence précitée de la CJUE ne semblait pas l’admettre en pareille hypothèse[38] ? Doit-on considérer là, comme certains auteurs, une forme de révolution à ce niveau ?

 

Il n’existe pas à notre connaissance d’arrêt de la Cour de Justice qui toise directement la question de savoir ce que l’on peut entendre par les vocables « tâches essentielles », dans le cadre des marchés publics concernés. L’on retient toutefois de l’arrêt du 26 septembre 2019 que la limitation de la sous-traitance est en tout état de cause d’interprétation stricte. Le principe est le libre accès au marché par les sous-traitants, ceci notamment en raison des dispositions relatives à l’égalité de traitement des opérateurs économiques, à la libre circulation des marchandises, à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services ; l’exception est la limitation. Si le pouvoir adjudicateur entend interdire la sous-traitance pour les tâches jugées essentielles dans le cadre du marché concerné[39], il conviendra tout d’abord que ce dernier indique clairement dans l’avis de marché, dans le respect du principe de transparence, les prestations pour lesquelles la sous-traitance serait prohibée[40]. A notre estime, le pouvoir adjudicateur doit pouvoir, le cas échéant durant l’instance contentieuse, avancer précisément les motifs justifiant l’interdiction du recours à la sous-traitance pour une partie déterminée du marché, jugée essentielle. Il doit, à notre avis, être capable de déterminer les raisons pour lesquelles il serait fondamental que la part du marché concernée ne puisse pas être exécutée par un sous-traitant qui disposerait des mêmes capacités techniques, professionnelles ou autres, pour exécuter celle-ci. Le principe de proportionnalité doit être en tout état de cause respecté dans le contexte de la limitation apportée[41]

 

Compte tenu des décisions précitées de la Cour de Justice, des conditions exceptionnelles dans lesquelles la limitation du recours à la sous-traitance semble pouvoir être admise, et des risques afférents à ce choix du point de vue de la légalité de la décision d’adjudication qui en découlerait ; compte tenu enfin du peu d’intérêt économiques, a priori, de ce choix qui a pour objet de restreindre la concurrence entre les entreprises[42], il nous semble inopportun pour les pouvoir adjudicateur d’y faire recours, sauf circonstances très particulières, qu’il ne nous est pas possible d’esquisser dans le contexte du présent article. 

 

Notons pour finir qu’un opérateur économique ne peut participer à une procédure d’attribution en remettant une offre en nom personnel s’il figure également comme sous-traitant d’un autre soumissionnaire[43]. Dans ce cas de figure, son offre remise à titre personnel devra être écartée par le pouvoir adjudicateur. En revanche, il sera admis en tant que sous-traitant et pourra le cas échéant participer au marché à ce titre, indirectement donc.

 

B. La faculté pour l’opérateur économique de se prévaloir des capacités de ses sous-traitants

 

Pour pouvoir participer à une procédure d’attribution d’un marché public, l’opérateur économique désireux de ce faire, doit répondre à certains critères de sélection fixés par le pouvoir adjudicateur, lesquels sont tantôt des conditions de participation, permettant à l’opérateur économique de remettre son offre dans un second temps après validation de sa candidature[44], tantôt des conditions de recevabilité de l’offre[45]. Le pouvoir adjudicateur peut ainsi imposer des critères de sélection, le cas échéant sous la forme de « conditions minimales de participation »[46], aux opérateurs économiques. Les conditions d’accès ainsi fixées doivent être de nature à garantir qu’un candidat ou un soumissionnaire dispose de la capacité juridique et financière ainsi que des compétences techniques et professionnelles nécessaires pour exécuter le marché à attribuer. Les conditions fixées par le pouvoir adjudicateur doivent être liées et proportionnées à l’objet du marché[47].

 

Un opérateur économique souhaitant participer à une soumission, tout en n’ayant pas seul les capacités économiques, financières, techniques ou professionnelles, peut dès lors vouloir s’associer, d’une façon ou d’une autre, avec des entités tierces. Il est à cet égard de jurisprudence constante que « les personnes candidates à la participation d'une soumission ont la possibilité de se prévaloir de leurs sous-traitants en vue d'établir qu'elles satisfont aux conditions économique, financière et technique de participation à une procédure de passation. Cette solution est valable pour tous marchés publics, qu'ils soient de travaux, de fournitures ou de services »[48]. Les décisions luxembourgeoises n’ont fait à cet égard que reprendre les enseignements de la Cour de justice, ayant rapidement tranché en ce sens que les opérateurs économiques étaient admis à se prévaloir des capacités d’entités tierces, et ce « quelle que soit la nature juridique des liens » qu’ils entretiennent avec elles, pourvu qu’ils soient en mesure de prouver qu’ils auront effectivement à leur disposition les moyens de celles-ci qui leur seraient nécessaires au cours de l’exécution du marché concerné[49]. Cette jurisprudence a été reprise dans les textes. Ainsi, l’article 33 de la loi modifiée du 8 avril 2018 expose que « si un opérateur économique souhaite recourir aux capacités d’autres entités, il apporte au pouvoir adjudicateur la preuve qu’il disposera des moyens nécessaires. A cet effet, les opérateurs économiques peuvent avoir recours à tout moyen approprié ».

 

Il nous importe d’insister sur ce point. A l’évidence, si l’entrepreneur principal se prévaut, pour remplir les critères de sélection fixés par le pouvoir adjudicateur, des capacités de ses sous-traitants, il convient d’examiner in concreto si celles-ci bénéficieront in fine à l’adjudicataire. Encore faut-il donc qu’en cours d’exécution du marché, l’entrepreneur principal puisse bénéficier du concours des sous-traitants présentés à l’appui de son offre. La jurisprudence européenne a effectivement estimé qu’ « un soumissionnaire ne saurait faire valoir les capacités d’autres entités afin de satisfaire de manière purement formelle aux conditions requises par le pouvoir adjudicateur » et qu’il lui appartient en tout état de cause de prouver qu’il disposera effectivement des moyens de l’entité tierce, qui ne lui appartiennent pas en propre mais qui sont nécessaires à l’exécution du marché[50]. A ce titre, il semble que la communication au pouvoir adjudicateur de pré-contrats de sous-traitance puisse valablement suffire à titre de justification[51].

 

Il convient encore de formuler deux dernières remarques. Il s’impose tout d’abord de distinguer les critères relatifs aux capacités techniques et professionnelles de ceux ayant trait aux capacités économiques et financières. Ainsi, la loi de 2018 prévoit qu’ « en ce qui concerne les critères relatifs aux titres d’études et professionnels (…) ou à l’expérience professionnelle pertinente, les opérateurs économiques ne peuvent toutefois avoir recours aux capacités d’autres entités que lorsque ces dernières exécuteront les travaux ou fourniront les services pour lesquels ces capacités sont requises »[52]. La loi précitée retient ensuite, concernant la capacité économique et financière (les critères de sélection fixant traditionnellement un chiffre d’affaire moyen minimal sur les trois dernières années[53]), que si l’opérateur économique se prévaut des capacités de tierces entités, le pouvoir adjudicateur « peut exiger  que  l’opérateur  économique  et  les  autres  entités  en  question soient solidairement responsables de l’exécution du marché »

 

C) Les informations relatives aux sous-traitants devant figurer dans l’offre remise par l’entrepreneur principal

 

Le recours à la sous-traitance est admis que le marché soit passé par entreprise générale ou par corps de métiers séparés[54]. Si la passation du marché public se fait sous la forme d’une entreprise générale, globale ou partielle[55], l’entrepreneur général doit, sous peine d’irrecevabilité de son offre, joindre à celle-ci une liste des sous-traitants auxquels il prendra recours pour la réalisation de l’ouvrage, ainsi que fournir le(s) pré-contrat(s) de sous-traitance que l’entrepreneur aura obligatoirement conclus avec les entreprises concernées[56]. Il doit également indiquer la part du marché qu’il a l’intention de sous-traiter[57]. Pour les marchés attribués par corps de métiers séparés ou par professions, le pouvoir adjudicateur a la faculté d’imposer ce qui précède aux opérateurs économiques, pour autant qu’il l’ait indiqué dans les documents du marché.

 

En cas de passation sous forme d’entreprise générale, respectivement si le pouvoir adjudicateur exige l’indication des sous-traitants en cas de soumission par corps de métiers séparé ou par profession, le soumissionnaire doit également joindre les documents[58], sans préjudice des dispositions prévues concernant le « document unique de marché européen » (ci-après « DUME[59] ») évoqué ci-après, permettant au pouvoir adjudicateur de vérifier l’existence de motifs d’exclusion dans le chef des sous-traitants proposés[60]. Si les opérateurs économiques sont admis à faire usage du DUME, ils doivent alors également remplir celui-ci pour ce qui concerne leurs sous-traitants[61].

 

D. Le contrôle des capacités des sous-traitants et la vérification de l’absence de motifs d’exclusion dans leur chef par le pouvoir adjudicateur


E. Le remplacement d’un sous-traitant en phase de soumission et d’analyse des offres


F) La sous-traitance et la vérification des prix anormalement bas.


 G) L’examen des pièces des sous-traitants de l’opérateur économique susceptible d’être déclaré adjudicataire.


H. La problématique de la sous-traitance en cascade (chaîne de sous-traitants)


III. Phase d’exécution du marché

 

(Nos développements sur ces derniers points ne sont pas repris dans le présent exposé. Le lecteur est renvoyé pour le détail à l’article « Marchés et Sous-traitance » publié dans la revue luxembourgeoise de droit immobilier, n°4, Dossier sous-traitance, Legitech).

 

Maître Sébastien COUVREUR – Avocat à la Cour

 



[1] Commission européenne, Fiche thématique du semestre européen – Les marchés publics, 22 novembre 2017, p.1.

[2] Commission européenne, ob. cit., p.11.

[3] Considérant n° 78 de la Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur  la  passation  des  marchés  publics  et  abrogeant  la  directive  2004/18/CE.

[4] Ci-après le « règlement grand-ducal de 2018 ».

[5] Ci-après la « loi de 2018 ».

[6] « Au sens de la présente loi, la sous-traitance est l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant tout ou partie de l’exécution du contrat d’entreprise ou du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage ».

[7] M.A. et Ph. FLAMME, « Le droit des constructeurs », Entr. et. dr., 1984, p. 1984, p. 129, n° 145.

[8] CAA Nantes, 30 déc. 1999, Sté Biwater : Marchés publ. 2000, n° 4, p 15.

[9] H. BLAIS, « Sous-traitance  (droit public) » in Droit de la Construction, sous la direction de Ph. MALINVAUD, Dalloz 2007-2008, paris, p. 1393.

[10] Voir not. Cour d’appel, 18 octobre 2017, 2ème chambre, n° 40132 du rôle.

[11] Le pouvoir adjudicateur doit notamment analyser l’existence d’éventuels motifs d’exclusion des sous-traitants. Tel n’est pas le cas concernant les fournisseurs. Voir infra.

[12] T.A., prés., 14 septembre 2011, n° 28971 du rôle.

[13] T.A., 25 février 2013, n° 28970 du rôle.

[14] cf. Cass. fr. 3e civ. 3 juin 1992, n° 89-19724, société Maisons Lara, Bull. III n° 188; JCP 1992, IV.2210; Cass. fr. 3eciv. 13 juin 1990, n° 88-17234, société Castel et Fromaget, Bull. III n° 145; D. 1990, IR 1979; JCP IV.306 et  92;  Cass.  fr.  3e  civ.  10  décembre  2003,  n°  02-14320,  société  Jacq  c/SMABT,  Bull.  III  n°  227;  MTP  30 janvier 2004, Suppl. TO p. 369, commentaire p. 74.

[15] Voir Droit des marchés publics et contrats publics spéciaux, T.2, IV 103.3 et IV.230.24cf. Cass. fr. 3e civ. 5 février 1985, n° 83-16675, SPABA, Bull. III, n° 23; MTP22 novembre 1985, p. 65; D. 1986 Sc. p. 499 noteHuet; Cass. fr. com. 4 juillet 1989, n° 88-14371, société Fould Springer, Bull. IV n° 210 ; D. 1990 J.247 note Virassimy ; Cass. fr. com. 17 mars 1998, n° 95-17997, société Sofranelec, Bull. IV n° 104; Cass. fr. 1er civ 14 décembre 1999, n° 97-19620, société Bretagne Hydraulique, Bull. I n° 340 ; Construction et urbanisme, 2000 n° 61 ; Cass. fr. com. 6 mars 2001, n° 98-17015, société Alcatel Câble France, inédit au bulletin ; JCP 2001.10564 note Françoise Labarthe, ou encore CAA Nantes, 30 décembre 1999,n° 96NT02356, société Biwater, Lebon Tables, p.882.

[16] cf.  CAA  Bordeaux,  14  septembre  2004,  n°  98BX00197,  X...  c/commune  de  Cayas,  Contrats  et  marchés publics2005, n° 67, note Jean-Paul Piétri ; BJCP 3912005, p. 101 concl. JeanLouis Rey, obs. Ch. M.

[17] cf. CAA Nantes, 30 décembre 1999, n° 96NT02356, société Biwater, Lebon Tables p. 882; BJCP 1112000, p. 280  ;  MP  412000,  p.  15;  CAA  Douai,  3  juin  2002,  n°  99DA00234,  société  Isolas,  inédit  au  Lebon  ;  ACCP 1612002, p. 9; BJCP 2912003, p. 325;CAA Bordeaux 31 juillet 2003, SA Charles et Mouysset, inédit au Lebon et  sur  légifrance  ;  Contrats  et  marchés  publics  2003,  n°  207,  note  F.  Llorens,  ces  références  étant  citées  sous IV.230.2.

[18] C.A., 3 octobre 2013, n° 32268C du rôle.

[19] TA Melun, 15 déc. 1998, req. n° 97-1044, SA Penven c/ Centre Hospitalier Paul-Guiraud : BJCP 2000, p.67 ; CE, 26 sept. 2007, Dpt du Gard, Sté d’aménagement et d’équipements du Dpt du Gard : REc. CE 2007, tables p. 943 ; BJCP 2007, p. 457, concl. N Boulouis, obs. R schwartz.

[20] CAA Lyon, 11 mai 2006, Sté Qualia : BJCP 2006, p. 349, concl. D. Besle, obs. C. Maugüé ; AJDA 2006, p.1804.

[21] A. DELVAUX, D. DESSARD, Le contrat d’entreprise de construction, tiré à part du répertoire notarial, Maison Larcier, Bruxelles, 1991, p. 106, citant Civ. Gand., 4 avril 1969, J.T., 1969, p. 663 et Civ. Bruxelles, 6 jan. 1970, J.T., 1970,  p. 361 et note JL. FAGNART.

[22] TA Rouen, 19 juin 2000, 2ème ch. n° 961110,  Sté Hek.

[23] A. DELVAUX, D. DESSARD,  ob. cit. p. 106 ; TA Rouen, 19 juin 2000, 2ème ch. n° 961110,  Sté Hek.

[24] Art. 3, (2) i) de la loi de 2018.

[25] Art. 33 de la loi de 2018.

[26] C.A., 25 février 2014, n° 33170C du rôle.

[27] Art. 14 de la loi de 2018.

[28] Le pouvoir adjudicateur peut néanmoins exiger un engagement solidaire des opérateurs économiques réunis en groupement, dans les conditions de l’article 56 du règlement grand-ducal précité.

[29] P. Thiel, Mémento des marchés publics et des PPP, Tome 1 : commentaire, Dix-huitième édition revue et commentée, Wolters Kluwer, Malines 2018, p. 880.

[30] Pour aller plus loin, voir X. CLOSE, E. BERTRAND, « Les balises du recours à la sous-traitance en matière de marchés publics dans la jurisprudence de la Cour de justice et dans les dernières directives européennes », obs. sous. CJUE, 5 avril 2017, Borta, C-298/15, in Entr. et. Dr., 4/2017, octobre/novembre/décembre 2017, Anthémis-Intersentie, pp. 393-420.

[31] C.A., 25 février 2014, n° 33170C du rôle.

[32] Texte repris à l’article 33 (2) de la loi de 2018.

[33] CJUE, 26 septembre 2019, aff. C-63/18, Vitali SpA c. Autostrade per l’Italia SpA.

[34] CJUE, ob. cit., pt. 30.

[35] Voir CJUE, 10 octobre 2013, Swn Costruzioni de Mannochi Luigino, aff.C-94/12, pt. 3 ;  CJUE 14 juillet 2016, Wroclaw-Miasto Na Prawach Powiatu, aff.C-406/14 ; CJUE 5 avril 2017, Borta, aff. C-298/15.

[36] CJCE, 18 mars 2004, Siemens AG Ostereich, aff.C-314/01.

[37] CJUE, 14 juillet 2016, Wrocław, C-406/14, point 34.

[38] Il faut épingler aussi à cet égard l’arrêt CJUE ob. cit., Borta, dans lequel la Cour a considéré que le droit lituanien ne pouvait exiger que les « travaux principaux », tels que définis par le pouvoir adjudicateur, soient exécutés par l’adjudicataire.

[39] Ce qui ne peut à notre avis concerner l’intégralité des prestations du marché – en ce sens, une interdiction pure et simple de la sous-traitance dans le cadre d’une procédure d’adjudication, nous semble prohibée.

[40] CJUE, 2 juin 2016, Pippo Pizzo contre CRGT Srl, aff. C-27/15, pt. 33., voir aussi X. CLOSE, E. BERTRAND, op. cit., p. 418.

[41] CJUE, 20 septembre 2018, Montte, C‑546/16, point 38

[42] X. CLOSE, E. BERTRAND, op. cit., p. 419.

[43] Art. 24 (3) du règlement grand ducal de 2018.

[44] Dans l’hypothèse d’une procédure restreinte. Voir aussi S. COUVREUR, Les procédures de soumission et les modalités de publicité, in Marchés publics et concessions – Droit luxembourgeois et européen, Dir. G. PERROT, Legitech, Bertrange, 2018, p. 27 et s.

[45] Dans l’hypothèse d’une procédure ouverte. Voir aussi S. COUVREUR, ob. cit., p. 15 et s.

[46] T.A., 3 juillet 2019, n° 41272 du rôle.

[47] Art. 30 de la loi de 2018.

[48] T.A., 10 septembre 2009 n° 23553 du rôle ; T.A., 13 décembre 2010 n° 26633 du rôle, confirmé par C.A., 12 mai 2011, n° 27702C du rôle; C.A., 25 février 2014 n° 33170C du rôle ; T.A., 12 décembre 2016, n° 37063 et 37477 du rôle, confirmé par 25 avril 2017, n° 38943C du rôle.

[49] CJCE, 14  avril 1992, aff. C-389/92, Ballast Nedam Groep : Rec. CJCE 1992, I, p. 1302 ; AJDA 1994, p. 651, note H. Charvier ; RD imm., 1994, p. 443, obs. F. LLORENS et Ph. TERNEYRE ; Dr. Adm. 1994, n° 526 ; CJCE, 2 décembre 1999. Aff. C-176/98, Holst Italia : Rec. CJCE 1999, I, p. 8607.

[50] CJUE, 7 avril 2016, n° C 324/14; voir aussi T.A., prés., 13 mars 2017, n° 39150 du rôle.

[51] T.A., prés., 7 novembre 2017, n° 40284 du rôle.

[52] Art. 33 (1) de la loi de 2018.

[53] Annexe VI, partie I, de la loi de 2018.

[54] T.A., 14 mai 2007 n° 21862 du rôle ; C.A. 25 février 2014 n° 33170C du rôle.

[55] Art. 5, 2) du règlement grand-ducal de 2018.

[56] Art. 24 (2) du règlement grand-ducal de 2018.

[57] Art. 23 et 24 du règlement grand-ducal de 2018 ; Annexe VI, partie II, j) de la loi de 2018.

[58] Art. 31 de la loi de 2018.

[59] Il s’agit, en substance, d’un formulaire comportant des déclarations sur l’honneur actualisée à titre de preuve a priori en lieu et place des certificats délivrés par des autorités publiques ou des tiers, par lesquelles l’opérateur économique concerné confirme qu’il remplit toutes les conditions relatives à l’absence d’une situation d’exclusion facultative ou obligatoire dans son chef, respectivement qu’il répond aux critères de sélection applicables qui ont été établis par le pouvoir adjudicateur. Voir E. Billot, L’établissement et la remise des offres – Mécanismes d’auto-déclaration et de dématérialisation, in Marchés publics et concessions – Droit luxembourgeois et européen, ob. cit., p. 108 et s.

[60] Art. 23 (2) et 24 (1) du règlement grand-ducal de 2018.

[61] Art. 72 (1) de la loi de 2018.

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