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Droit des marchés publics - quelques rappels concernant le contentieux

 

Droit des marchés publics - quelques rappels concernant le contentieux :

 

Note de l’auteur.


La présente rédaction constitue la transcription de plusieurs exposés de formation à l’attention d’acteurs publics et privés, dans le contexte de la réforme de la législation sur les marchés publics au Luxembourg. Elle traduit dès lors, par la force des choses, un côté plus pratique que théorique, plus brut que littéraire. Notre présentation avait ainsi pour vocation d’évoquer les principaux changements qui sont intervenus à la suite de la nouvelle loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics et de son règlement grand-ducal d’exécution, tout en effectuant des rappels jugés nécessaires par rapport à des questions de droit que nous avons estimé primordiales, tant pour les pouvoirs adjudicateurs que pour les opérateurs économiques.

 

Il est précisé que les opinions exprimées dans le cadre des présents développements n’engagent que leur auteur.


Le contentieux en matière de marchés publics : 


1. La saisine de la Commission des soumissions

Il est rappelé tout d’abord à l’attention des opérateurs économiques que l’envoi d’une réclamation à la Commission des soumissions n’est pas assimilable à un recours contentieux ni d’ailleurs à un recours gracieux. Or, il arrive que des erreurs soient encore commises à ce niveau. De tels courriers d’opposition par rapport à une décision d’adjudication, respectivement par rapport à la décision corrélative de ne pas prendre en considération l’offre d’un soumissionnaire, n’ont pas pour effet de contraindre le pouvoir adjudicateur à tenir en suspens la conclusion du contrat de marché public, et sont sans effets sur les délais de recours devant les juridictions administratives qui continuent de courir normalement, nonobstant l’introduction d’une réclamation auprès de la Commission.

La Commission instruit les réclamations portées devant elle, conformément à la procédure prévue par les articles 267 et 268 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018, mais les avis qu’elle rend, s’ils ont bien sûr une certaine autorité, n’ont cependant pas de force obligatoire. La politique de la Commission des soumissions est par ailleurs généralement de ne pas statuer sur une réclamation si l’affaire est parallèlement introduite devant les tribunaux.

 

2. Rappel sur les délais de « standstill »

Le délai dit de « standstill » correspond à une période située entre la date d'envoi des courriers adressés aux soumissionnaires non retenus, les informant de la décision d’adjudication en faveur de leur concurrent, et la date à laquelle l’acheteur public peut procéder à la conclusion du contrat par l’apposition de sa signature sur l’offre remise par l’adjudicataire. Cette période de suspension de la conclusion du contrat doit permettre aux soumissionnaires s’estimant injustement écartés ou non retenus, d’introduire un recours en sursis à exécution auprès du Président du tribunal administratif dans l’optique d’obtenir la suspension de la décision d’adjudication, ce qui ferait alors obstacle à la conclusion du contrat.

 

L’intérêt de pareil recours en référé réside, dans le chef du soumissionnaires évincé, dans le fait que si le contrat de marché public est conclu, ce dernier ne peut en principe plus prétendre à l’exécution du marché, mais uniquement solliciter, le cas échéant, des dommages et intérêts.

 

La durée du délai de standstill est d’au moins quinze jours à compter de l’information donnée aux autres concurrents pour les marchés nationaux, ceux du Livre I (article 98 du règlement grand-ducal du 8 avril 2018). Pour les marchés européens, ceux du Livre II, elle est « d'au moins dix jours à compter du lendemain du jour où la décision d'attribution du marché a été envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé »  et « si d'autres moyens de communication sont utilisés (…) d'au moins quinze jours à compter du lendemain du jour où la décision d'attribution du marché est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés » (article 5 de la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de marchés publics).

 

Le délai de standstill doit figurer dans le courrier adressé aux soumissionnaires non-retenus (article 7 de la loi précitée pour les marchés du Livre II, article 97 (1) et 98 pour les marchés du Livre I).

 

3. Recours en cas de conclusion du contrat durant la période de standstill

 

- Possibilité de solliciter, pour les marchés des Livres II et III, le Président du tribunal d’arrondissement, en vue de faire déclarer le contrat comme étant « dépourvu d’effet ». Uniquement possible en cas de violation des formalités liées au standstill ou méconnaissance des obligations en termes de publication d’avis de marché européen (sous les conditions prévues à l’article 9 de la loi du 10 novembre 2010). 

 

- Il est toujours possible d’introduire un recours en annulation de la décision d’adjudication dans un délai de trois mois à partir de la notification de ladite décision, de même qu’une assignation civile en dommages et intérêts.

 

4. Les procedures de référé avant attribution du marché :

- Il est loisible à un opérateur économique d’introduire une action en référé administratif contre la décision de recours à une procédure déterminée (par exemple, s’il se trouve tiers à une procédure négociée, alors que le recours à la procédure négociée ne serait pas légalement admise, respectivement s’il estime que la procédure, à laquelle il pourrait être appelé à participer, est irrégulière).

 

- Il est également envisageable d’introduire un référé en vue de solliciter une modification du cahier des charges (article 3 loi 10 novembre 2010 : « Le président du tribunal administratif ou le magistrat qui le remplace peut ordonner au provisoire toutes les mesures nécessaires qui ont pour but de faire corriger la violation alléguée ou d'empêcher d'autres dommages d'être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation du marché en cause tant que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice n'a pas procédé à la correction ordonnée. Il peut notamment supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l'appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause.) La jurisprudence comporte quelques exemples de pareils recours : T.A. 1er juil. 2003, n° 16192 – T.A., 18 nov. 2005, n° 20635 ; T.A., 28 avril 2006, n° 21276.

 

 

5. Les litiges concernant la décision d’adjudication

 

- Possibilité d’introduire une requête en sursis à exécution et un recours en annulation pendant la période de standstill ;

- Possibilité d’introduire uniquement un recours en annulation, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision d'adjudication.

- Possibilité d'introduire une assignation en dommages et intérêts.

 

Relevons qu’un membre d’une association momentanée ne peut agir seul en justice, peu importe qu’il soit mandataire ou non (C.A. 6 oct. 2016, n° 35994C). Tous les membres doivent agir conjointement, sachant que l’association momentanée n’a pas d’existence juridique propre. Il est donc conseillé d’organiser cette question dans le cadre du contrat d’association.

 

6. Les conditions du sursis à exécution

 

Pour pouvoir espérer prospérer dans sa demande en sursis à exécution, il appartient au requérant de démontrer qu’il rempli les conditions suivantes :

 

- Un recours a été introduit devant les juridictions administratives en vue de l’annulation de la décision administrative querellée, et l’affaire n’est pas susceptible d’être plaidée à brève échéance ;

 

- Le requérant peut démontrer d’un risque de préjudice grave et définitif dans son chef, dans l’hypothèse où la décision administrative querellée ne serait pas suspendue (il faut épingler dans ce contexte une décision récente du juge des référés : T.A., 13 septembre 2018, n° 41602. Cette décision – qui nous semble isolée et paraît exagérée en ses conclusions, car elle risque de restreindre l’intervention du juge des référés administratif à des cas exceptionnels, et exceptionnellement graves pour le requérant concerné, alors qu’en matière de marchés publics, le Législateur a expressément prévu la possibilité de saisine du Président du tribunal administratif au bénéfice des soumissionnaires non-retenus – témoigne toutefois d’une sévérité accrue dans l’analyse de la recevabilité des requêtes en sursis à exécution, en particulier au niveau des conditions d’intérêt à agir et du risque de préjudice grave et définitif).

 

- Le requérant fait valoir des moyens de droit sérieux, susceptibles aux yeux du juge des référés et sur base d’une analyse nécessairement sommaire de sa part, de recevoir un accueil favorable par les juges du fond, de sorte à entrainer probablement l’annulation de la décision administrative litigieuse.



7. Les litiges relatifs à l'exécution du contrat de marché public

Les litiges entre le pouvoir adjudicateur et l'adjudicataire en cours d'exécution du marché public sont de nature civile et relèvent de la compétence des juridictions civiles, à l'exlcusion des juridictions administratives. Les dispositions légales et règlementaires spécifiques du droit des marchés publics sont d'application pour le règlement de ces conflits, de même que les clauses contractuelles organisant le marché. Les causes de résiliation, de modification du contrat en cours d'exécution, d'adaptation des prix, les clauses pénales relatives aux retards d'exécution, les conditions de paiement des acomptes et facture définitive, etc., sont fixés conformément aux articles 42 et suivants de la loi du 8 avril 2018, ainsi que 102 et suivants de son règlement grand-ducal d'exécution.

Le droit des marchés publics ne fait pas obstacle à l'application supplétive du droit des obligations. Ainsi, le pouvoir adjudicateur est-il admis à envisager des solutions reprises dans le code civil, respectivement élaborées par la jurisprudence civile, telles par exemple la faculté de remplacement unilatérale de l'opérateur économique défaillant ou encore l'exception d'inexecution.

 

 

Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour

 

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