Droit immobilier

La colocation au Luxembourg

Me Inès GOEMINNE


La colocation au Luxembourg

 

Au Luxembourg, la colocation n’est pas réglementée de manière spécifique. L’on peut s’interroger toutefois sur les autorisations administratives le cas échéant requises pour une telle activité.

 

La transformation d’une habitation à des fins de colocation peut amener à se poser la question de savoir si cet usage implique la création de nouvelles unités de logements et, notamment, si cet usage est soumis à une autorisation de changement d’affectation du bourgmestre.

 

Une maison unifamiliale est-elle à considérer désormais comme une maison plurifamiliale en cas de colocation ? Qu’en est-il si cette colocation est organisée, structurée au sein d’un immeuble aux fins de colocations (l’on crée des lieux de vie communs – cuisine, salon, sanitaires – tandis que chaque chambre est louée individuellement par le propriétaire).

 

Il est important de pouvoir trancher ces questions alors que la règlementation urbanistique communale fait généralement la distinction entre les maisons unifamiliales, les maisons plurifamiliales, respectivement les « logements collectifs », voire n’autorise qu’un certain nombre de logement par immeuble. Ainsi, il se pourrait que dans certaines zones, si l’on doit admettre que chaque chambre louée dans le cadre d’une colocation constitue une unité de logement, la colocation ne soit pas admissible.

 

Le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg a rendu un jugement en date du 8 janvier 2018 inscrit sous le numéro de rôle 38.557 portant précisément sur ces questions.

 

Le tribunal administratif a retenu ce qui suit :

 

"Force est de constater que le PAG de la commune, tel que cela est d'ailleurs avancé par cette dernière, ne prévoit pas l'hypothèse de l'utilisation d'une maison à des fins de colocation, mais distingue s'agissant des habitations, plus particulièrement en ses articles 6,8 et 22, essentiellement entre, d'une part, les maisons à caractère unifamilial et, d'autre part, les constructions à plus de deux logements, qualifiées de résidences, respectivement de logements collectifs.

 

Par ailleurs, s'agissant des constructions et opérations sujettes à autorisation, l'article 75.3 du PAG requiert une autorisation du bourgmestre, outre pour les constructions nouvelles, démolitions et autres aménagements, non pertinents en l'espèce, pour tout changement d'affectation d'un immeuble.

 

Il ne se dégage toutefois pas des prescriptions du PAG que l'usage d'une maison unifamiliale existante à des fins de colocation implique nécessairement un changement d'affectation, respectivement la transforme ipso facto en une habitation collective, tel que cela est soutenu par la commune.

 

D'autre part, le tribunal relève qu'au regard des définitions des notions de logement et de maison unifamiliale contenues à l'annexe II du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, la conclusion s'impose qu'une maison unifamiliale est compatible avec la colocation, sans que ce mode d'habitation ne change la nature de l'immeuble. En effet, conformément à l'annexe II du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, une maison unifamiliale est désignée comme visant une "construction servant au logement permanent et comprenant en principe une seule unité de logement. Un seul logement intégré supplémentaire y est admis", le logement intégré étant défini comme étant "un logement faisant partie d'une maison de type unifamilial et appartenant au propriétaire du logement principal. le logement ne peut être destiné qu'à la location et doit être subordonné en surface au logement principal". Le logement, pour sa part, est défini comme un "ensemble de locaux destinés à l'habitation, formant une seule unité et comprenant au moins une pièce de séjour, une niche de cuisine, une salle d'eau avec WC". A partir de ces définitions, le tribunal est amené à retenir que non seulement un logement intégré, expressément prévu par le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, mais aussi la colocation est compatible avec une maison unifamiliale. En effet, une maison unifamiliale, comprenant au moins une pièce de séjour, une niche de cuisine et une salle d'eau avec WC, forme une seule unité, partant un logement au sens de l'annexe II du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, et cela même dans l'hypothèse où différentes chambres de la maison sont occupées par des personnes non liées par des liens familiaux, mais qui partagent l'usage des pièces communes telles que la pièce de séjour, la cuisine, la salle d'eau et de WC. La circonstance que les différents colocataires disposent chacun d'un contrat de location individuel n'est pas de nature à changer cette analyse, dans la mesure où l'unité visée par le règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, est définie par rapport à la pièce de séjour, la niche de cuisine, la salle d'eau avec WC, indépendamment de la question de savoir si ces pièces sont utilisées par une personne, ou si elles le sont en commun par une famille ou par des colocataires. Dès lors, l'usage d'une maison unifamiliale, qualifiée comme étant un logement au sens du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, à des fins de colocation, ne modifie pas, contrairement à ce qui est soutenu par la commune, le statut de cette maison unifamiliale, de manière qu'elle n'est pas à qualifier ipso facto de logement collectif

 

D’autre part, il ne se dégage pas non plus des dispositions du PAG que la création d’habitations à des fins de colocation soit soumise à autorisation, indépendamment de la réalisation de travaux de construction de l’immeuble proprement dit qui, évidemment, sont sujets à autorisation.

 

(…)

 

A cet égard, il convient encore de relever que les autorités communales ne peuvent porter atteintes aux droits de propriété d’une façon illimitée par des prescriptions de police mais elles ne peuvent en régler l’usage que sur les points que le législateur leur a attribué[1]. Dans ces conditions, les restrictions au droit de propriété qu’implique la réglementation urbanistique ne sauraient être adoptées par le conseil communal qu’à travers la procédure prévue à cet égard par la loi du 19 juillet 2004.

 

 Par ailleurs, le règlement communal litigieux, en soumettant l’usage d’une habitation à des fins de colocation à une autorisation du bourgmestre, et cela indépendamment de tous travaux d’agrandissement ou de transformation, en qualifiant cette situation implicitement mais nécessairement de changement d’affectation, du moins s’il s’agit de l’usage d’un logement existant à des fins de colocation, et en qualifiant les différentes chambres données en colocation d’unités de logement à part entière, a encore, au regard des développements qui précèdent, été pris en violation de l’annexe II du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011 et plus particulièrement des définitions de logement et de maison unifamiliales y incluses. "

 

 

Ainsi, le tribunal administratif s'est prononcé en ce qu’une maison unifamiliale, qualifiée comme étant un seul logement au sens du règlement grand-ducal du 28 juillet 2011, à des fins de colocation, ne modifie pas le statut de cette maison unifamiliale, de manière qu'elle n'est pas à qualifier ipso facto de logement collectif.

 

Il en résulte donc que l’usage d’une habitation à des fins de colocation ne modifie pas le statut de la maison unifamiliale et n’implique donc pas la création de nouvelles unités de logement.

 

De même, l’usage d’une habitation à des fins de colocation n’implique pas non plus, indépendamment de tous travaux d’agrandissement ou de transformation, un changement d’affectation, à savoir que cet usage n’est pas soumis à une autorisation de changement d’affectation du bourgmestre.

 

 

 Par Me Inès GOEMINNE

 

 



[1] trib. adm. 26 janvier 1999, n° 10662 du rôle. 

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