Droit immobilier

Regards sur la réforme du droit des marchés publics au Luxembourg


Regards sur la réforme du droit des marchés publics au Luxembourg


 I. Introduction


1. Note de l’auteur.


La présente rédaction constitue la transcription de plusieurs exposés de formation à l’attention d’acteurs publics et privés, dans le contexte de la réforme de la législation sur les marchés publics au Luxembourg. Elle traduit dès lors, par la force des choses, un côté plus pratique que théorique, plus brut que littéraire. Notre présentation a ainsi pour vocation d’évoquer les principaux changements qui sont intervenus à la suite de la nouvelle loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics et de son règlement grand-ducal d’exécution, tout en effectuant des rappels jugés nécessaires par rapport à des questions de droit que nous avons estimé primordiales, tant pour les pouvoirs adjudicateurs que pour les opérateurs économiques.

 

Il est précisé que les opinions exprimées dans le cadre des présents développements n’engagent que leur auteur.

  

2.  Quelle est l’origine de la réforme ?


Après une dizaine d’années d’application des directives européennes sur les marchés publics (Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services et Directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux), la nécessité d’une réforme des textes s’est fait sentir au niveau européen. Il s’agissait principalement de réduire la lourdeur administrative pour les entreprises soumissionnaires, en renforçant les efforts de dématérialisation, en évitant la production systématique de pièces justificatives dans le chef de tous les participants aux marchés, de favoriser l’accès (direct) aux adjudications pour les PME (proportionnalité au niveau des conditions minimales de participation, recours plus systématique à la division des marchés en lots, …), de simplifier les procédures pour la passation de marchés d’innovation, de recherche et développement, d’intégrer d’avantage des considérations sociales et environnementales à tous les stades de la procédure, que ce soit au moment de la passation ou de l’exécution des marchés, de prendre en considération la jurisprudence de la Cour de Justice ou encore de clarifier certains points de droit qui faisaient régulièrement débat en pratique (champ d’application des directives, marchés in house, conflits d’intérêts, consultations préalables à l’adjudication, marchés mixtes, modifications du contrat en cours d’exécution…).

 

Trois nouvelles directives ont émergé de ces objectifs, à savoir :

- La Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics ;

- La Directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux ;

- La Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession.

 

3. Mesures phares


Les nouvelles Directives comportent notamment les mesures phares suivantes :

 

-          Le document unique de marché européen (DUME) et la plateforme E-certis qui ont été mis en place dans une optique de simplification administrative.

-          La création de la procédure du « partenariat d’innovation », pour l’attribution de marchés innovants.

-          La possibilité d’attribuer un marché non plus sur base du critère du prix le plus bas, mais en tenant compte du coût global du marché, compte tenu du « coût du cycle de vie » des produits proposés.

-          L’intégration de considérations sociales et environnementales aux différents stades de la procédure.

-           L’élargissement sensible des cas d’exclusion des soumissionnaires ou de leurs sous-traitants à la participation aux marchés publics.

-          Les prérogatives des pouvoirs adjudicateurs en phase préalable à la procédure d’adjudication sont précisées (notion de consultation préalable, conflits d’intérêts, etc.).

 

 

4. Les ratés de la réforme (selon notre appréciation personnelle) :


-          Le maintien de la structuration de la loi en plusieurs Livres (Livre Ier pour les marchés dits nationaux, Livre II pour les marchés dits européens et Livre III pour les marchés des secteurs spéciaux), et plus généralement l’absence d’harmonisation des procédures entre marchés nationaux et marchés européens ;

 

-          Le défaut parfois d’adaptation des textes européens au niveau des réalités luxembourgeoises ;

 

-          La marge d’appréciation des pouvoirs adjudicateurs qui risque d’être encore élargie, rendant dans la plupart des cas excessivement difficiles les recours des opérateurs économiques (La loi du 8 avril 2018 comportant de nombreuses dispositions suivant lesquelles « le pouvoir adjudicateur peut », respectivement des textes sans portée normative précise) ;

 

-          Le maintien de l’extrême rigueur en ce qui concerne l’exigence de conformité technique des offres, sachant qu’une offre non-conforme par rapport à une spécification technique du bordereau des prix, même sur un point de détail qui n’aurait aucune conséquence sur l’exécution du marché ou sur son prix, devrait être déclarée irrecevable (voir infra).

 

 

II. Rappel des textes :

 

1. Ancien régime :

- Loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics.

- Règlement grand-ducal d’exécution du 3 août 2009.

 

2. Nouveau régime :

-  Loi modifiée du 8 avril 2018 sur les marchés publics.

-  Règlement grand-ducal d’exécution du 8 avril 2018.

-  Loi du 3 juillet 2018 sur l’attribution de contrats de concession.

- Règlement grand-ducal du 3 juillet 2018 portant exécution de la loi sur l’attribution de contrats de concession.

 

3. Dématérialisation :

- Règlement grand-ducal du 27 août 2013 relatif à l’utilisation des moyens électroniques dans les procédures des marchés publics (…)

- Règlement ministériel du 2 décembre 2013 instituant les conditions d'utilisation du portail des marchés publics.

- Dispositions éparses du RGD de 2018 (principalement articles 196 et suivants).

 

4. Recours :

- Loi modifiée du 10 novembre 2010 relative aux recours en matière de marchés publics et d’attribution de contrats de concession.

 

5. Sous-traitance :

- Loi du 23 juillet 1991 ayant pour objet de réglementer les activités de sous-traitance.

 

6. Concours :

- Règlement grand-ducal du 10 juillet 2011 fixant les règles relatives au déroulement des concours d’aménagement du territoire, d’urbanisme, d’architecture et d’ingénierie.

 


III. Les procédures     

                    

Au niveau des procédures, la loi modifiée du 8 avril 2018 sur les marchés publics et le règlement grand-ducal d’exécution du 8 avril 2018 n’apportent pas de changements radicaux, si ce n’est la création de la nouvelle procédure du partenariat d’innovation.

 

1. Quelques rappels néanmoins :

Il convient tout d’abord, pour déterminer les procédures applicables, d’estimer le montant du marché public concerné, sur base d’un devis estimatif élaboré par le pouvoir adjudicateur (respectivement pour son compte).  Les marchés de fournitures, services ou travaux dépendent en effet, suivant les seuils fixés par l’article 4 de la directive 2014/24/UE du Parlement et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés, révisés régulièrement par les actes de la Commission européenne, du Livre Ier de la loi précitée ou de son Livre II.

 

2. Rappel des seuils (actuels) :


- Travaux :  5.548.000  € HTVA

- Services : 144.000€ HTVA (marchés passés par l’Etat et ses Ministères) / 221.000€ HTVA

- Fournitures : 144.000€ H (marchés passés par l’Etat et ses Ministères) / 221.000€ HTVA

 

3. Marchés du Livre I :


Au niveau des marchés dits nationaux, la procédure ouverte est d’application générale. Les procédures restreintes (avec ou sans publication d’un avis), et négociées, sont d’application dans certaines hypothèses limitatives, lesquelles sont de stricte interprétation.

 

Ainsi, la procédure négociée est envisageable notamment pour :

-->

Les « petits marchés » : lorsque le montant total du marché à conclure n'excède pas une somme à déterminer par règlement grand-ducal ; cette somme peut varier selon les différents corps de métier en présence, mais sans qu'elle ne puisse dépasser 8 000 euros hors TVA, valeur cent de l'indice des prix à la consommation au 1er janvier 1948, adapté conformément à l’article 160.

S'il s'agit de dépenses à engager au cours d'une même année et pour un même objet et que ces dépenses aient été prévisibles, il devra être tenu compte de l'ensemble des dépenses portant sur des travaux, fournitures et services de nature identique ou similaire commandés à un même opérateur économique.

-->

 En cas de procédure infructueuse : en présence d’offres non conformes ou inacceptables à la suite du recours à une procédure ouverte ou à une procédure restreinte avec publication d’avis ou lorsque aucune offre n’a été déposée, pour autant que la passation du contrat soit urgente ; sinon l’exception est applicable sous les mêmes conditions, mais après une seconde procédure ouverte ou une seconde procédure restreinte avec publication d’avis ;

-->

 Pour des marchés de R&D : pour des travaux, fournitures et services qui sont réalisés à des fins de recherche, d'expérimentation, d'étude ou de mise au point ;

-->

 Pour des marchés affectés d’aléas : dans des cas exceptionnels, lorsqu'il s'agit de travaux, fournitures et services dont la nature ou les aléas ne permettent pas une fixation préalable et globale des prix ;

-->

 Pour des marchés ne pouvant être attribués qu’à un opérateur économique déterminé : pour les travaux, fournitures et services dont l’exécution, pour des raisons techniques, artistiques, scientifiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité, ne peut être confiée qu’à un opérateur économique déterminé;

-->

 En cas d’urgence impérieuse non-imputable au pouvoir adjudicateur : dans la mesure du strictement nécessaire, lorsque l’urgence impérieuse résultant d’événements imprévisibles ne permet pas de respecter les délais exigés par les autres procédures. Les circonstances invoquées pour justifier l’urgence impérieuse ne doivent en aucun cas être imputables aux pouvoirs adjudicateurs ;

-->

 En cas de répétition de travaux ou services : Pour de nouveaux travaux ou services consistant dans la répétition de travaux ou de services similaires confiés à l'opérateur économique adjudicataire du marché initial par les mêmes pouvoirs adjudicateurs, à condition que ces travaux ou ces services soient conformes à un projet de base et que ce projet ait fait l'objet d'un marché initial passé selon une procédure dans le cadre de laquelle un appel à concurrence a été publié. Le projet de base précise l'étendue des travaux ou services supplémentaires possibles, et les conditions de leur attribution.

La possibilité de recourir à cette procédure est indiquée dès la mise en concurrence du premier projet et le montant total envisagé pour les travaux ou les services supplémentaires est pris en considération par les pouvoirs adjudicateurs pour l'application de l'article 52.

II n'est possible de recourir à cette procédure que pendant une période de trois ans suivant la conclusion du marché initial.

-->

 Pour des fournitures complémentaires : dans le cadre de marchés publics de fournitures, pour des livraisons complémentaires effectuées par le fournisseur initial et destinées soit au renouvellement partiel de fournitures ou d’installations, soit à l’extension de fournitures ou d’installations existantes, lorsque le changement de fournisseur obligerait le pouvoir adjudicateur à acquérir des fournitures ayant des caractéristiques techniques différentes entraînant une incompatibilité ou des difficultés techniques ou d’entretien disproportionnées ;

-->

 A la suite d’un concours : pour les marchés publics de services, lorsque le marché considéré fait suite à un concours dont les règles sont à instituer par voie de règlement grand-ducal, et est, en vertu des règles prévues dans le cadre du concours, attribué au lauréat ou à un des lauréats de ce concours ; dans ce dernier cas, tous les lauréats du concours sont invités à participer aux négociations ;

-->

 Pour des achats d’opportunité : pour les achats d'opportunité, lorsqu'il est possible d'acquérir des fournitures en profitant d'une occasion particulièrement avantageuse qui s'est présentée dans une période de temps très courte et pour lesquelles le prix à payer est considérablement plus bas que les prix normalement pratiqués sur les marchés ainsi que pour les achats de fournitures dans des conditions particulièrement avantageuses soit auprès d'un fournisseur cessant définitivement ses activités soit auprès de curateurs ou liquidateurs, d'une faillite ou d'un concordat judiciaire ;

     

 

Les cas d’ouverture permettant le recours à la procédure négociée sont d’interprétation stricte. Le pouvoir adjudicateur doit motiver le recours à celle-ci (art. 21 de la loi du 8 avril 2018) ;

 

L’intervention préalable de la Commission des soumissions est obligatoire si le montant estimé du marché dépasse 50.000 € HTVA (soit 431.570 € en juillet 2018 - art. 159 (3) loi 2018).

 

4. Marchés du Livre II :


Au niveau des marchés du Livre II, les procédures suivantes sont applicables :

-          Procédure ouverte.

-           Procédure restreinte (avec publication d’avis)

-           Procédure concurrentielle avec négociation (ancienne procédure négociée avec publication d’avis)

-           Dialogue compétitif

-           Partenariat d’innovation

-           Procédure négociée sans publication préalable

 

Le recours à la procédure concurrentielle avec négociation et au dialogue compétitif est possible dans les cas suivants (article 63 de la loi du 8 avril 2018) :

--> Si les besoins du pouvoir adjudicateur ne peuvent être satisfaits sans adapter des solutions immédiatement disponibles;

-->  S’il s’agit de travaux, services ou fournitures de conception ou solutions innovantes;

--> Si le marché ne peut être attribué sans négociations préalables du fait de circonstances particulières liées à sa nature, sa complexité ou au montage juridique ou financier ou en raison des risques qui s’y rattachent;

--> Si le pouvoir adjudicateur n’est pas en mesure de définir les spécifications techniques avec une précision suffisante;

-->  A la suite d’une première procédure infructueuse (à condition d’inclure tous les soumissionnaires de la première procédure, pour autant qu’ils aient remis une offre conforme aux exigences formelles de la procédure).

 

Le recours à la procédure négociée sans publication préalable est possible dans les cas suivants :

 

--> Si une première procédure ouverture ou restreinte (avec publication d’avis) n’a pas donné de résultat satisfaisant; à condition que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiée et qu’un rapport soit communiqué à la Commission européenne sur demande.

 

--> Si le marché ne peut être attribué qu’à un opérateur économique particulier pour l’une des raisons suivantes :

-           Le marché est la création ou l’acquisition d’une œuvre d’art ou d’une performance artistique unique;

-           Il y a absence de concurrence pour des raisons techniques;

-           La protection de droits d’exclusivité, notamment de propriété intellectuelle

 

Ces exceptions ne s’appliquent que s’il n’existe aucune solution alternative raisonnable (au niveau du choix opéré par le pouvoir adjudicateur quant aux solutions techniques, par ex).

-->  Urgence impérieuse non imputable au pouvoir adjudicateur.

-->  Fournitures de R&D.

-->  Fournitures complémentaires.

-->  A la suite d’une procédure de concours.

-->  Répétition de travaux ou services similaires (pour autant que le projet de base précise l’étendue des travaux et services supplémentaires possibles et les conditions de leur attribution).

 

 

 IV. L’établissement et le dépôt de l’offre

 

1. Rappel de quelques règles de base :

 

- Règlement grand-ducal du 24 mars 2014 portant institution de cahiers spéciaux des charges standardisés en matière de marchés publics et portant modification de l'article 103 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin 2009 sur les marchés publics.

 

- Règlement ministériel du 20 avril 2018 instituant un cahier spécial des charges standardisé relatif aux clauses contractuelles générales, applicable à tous les marchés publics de travaux relatifs au secteur du bâtiment.

 

- Règlement ministériel du 31 juillet 2018 instituant des cahiers spéciaux des charges standardisés relatifs aux marchés de travaux de gros œuvre et de fermeture du bâtiment, d’installations techniques et de parachèvement.

 

2. Précisions quant aux spécifications techniques

 

Art. 16 RGD 8 avril 2018 : les spécifications techniques doivent être « liées à l’objet du marché et proportionnés à sa valeur et à ses objectifs ». En principe, l’indication d’une référence à une marque, à une fabrication ou à une provenance déterminée n’est pas permise sauf à titre exceptionnel lorsqu’il n’est pas possible de fournir une description suffisamment précise. Dans ce cas, le pouvoir adjudicateur doit mentionner les termes « ou équivalent » dans le bordereau de soumission.


Sont maintenus :

 

--> La possibilité d’introduire un recours en référé (TA) en vue de faire supprimer des spécifications techniques ou clauses discriminatoires dans les documents de soumission.

 

--> L’obligation pour le soumissionnaire d’informer le pouvoir adjudicateur des ambigüités, erreurs ou omissions dans le dossier de soumission (sauf dérogation dans les documents de soumission, minimum 7 jours avant la date de remise des offres) sous peine de forclusion. Un soumissionnaire n’est plus admis à faire valoir ultérieurement en justice les ambigüités, erreurs ou omissions dans le dossier de soumission qui l’auraient, selon lui, désavantagé au stade de la remise des offres (T.A., 16 décembre 2004, n° 18239; T.A., 24 octobre 2011, n° 26988; T.A., 3 février 2010, n° 26204). La jurisprudence considère qu’il appartient aux soumissionnaires de participer à l’élaboration d’un cahier des charges clair, ce qui relève de leur obligation de bonne foi.

 

Il convient d’épingler à cet égard le développement croissant de la jurisprudence sur l’« obligation de bonne foi » du soumissionnaire, suivant la théorie de l’Estoppel, qui interdirait également à ce dernier de participer sans mot dire à une soumission affectée d’une illégalité pour ensuite se prévaloir de cette illégalité dans l’hypothèse défavorable où il n’aurait pas été retenu. Ainsi, n’est pas admis à soulever l’irrégularité du choix de la procédure négociée par la CFL, le soumissionnaire qui a participé sans réserve à cette procédure (T.A., 26 janvier 2014 n° 33532 et 33531). De même, un soumissionnaire ayant participé sans réserve à une procédure de soumission n’est plus admis à soulever l’illégalité d’une condition minimale de participation si son offre n’est pas jugée recevable (T.A., 26 mai 2014 n° 32374 ; T.A., 2 février 2015 n° 33722;  T.A., 11 février 15 n° 33802; T.A., 16 mars 2016 n° 35736).

 

En revanche, ce principe n’a pas été admis dans le cadre des affaires « Fonds du Logement » (T.A., 25 juin 2014, n° 34622; T.A., 11 mai 2015, n° 36237) et « SNHBM » (C.A., 16 avril 2013 31896C). Il est vrai que les circonstances à la base de ces affaires étaient particulières.

 

--> L’obligation de remplir l’intégralité des positions du bordereau de soumission et l’interdiction d’ajouter ou d’altérer les mentions du bordereau de soumission.

En principe, cette obligation est formulée sous peine d’irrecevabilité de l’offre (voir par exemple l’absence d’indication des marques et types pour des travaux de gros-œuvre  - T.A., 15 septembre 2017, n° 40095 du rôle).

La jurisprudence a admis quelques tempéraments quant à la rigueur de cette disposition. Ainsi, une correction au « Typex » fut admise car elle n’était pas de nature à induire le pouvoir adjudicateur en erreur et n’était pas susceptible d’être constitutive d’une fraude (T.A., 14 janvier 2015, n° 33594). De même, le fait d’avoir par erreur omis une page du bordereau de soumission (page n° 67), tout en reproduisant les informations devant y figurer sur une autre page (page n° 68, en l’espèce communiquée deux fois) n’est a priori pas susceptible de justifier le rejet de l’offre, s’agissant d’une erreur purement matérielle (T.A., 30 avril 2014, n° 34403). 

 

Nouveauté :

Le DUME (obligatoire pour les marchés européens – art 72 loi 8 avril 2018 et facultatif pour les marchés nationaux – art. 20 RDG 8 avril 2018). Il s’agit d’un formulaire type d’auto-déclaration (sur l’honneur) permettant à un soumissionnaire de se dispenser, a priori, de fournir les pièces administratives requises dans le cadre d’une procédure de soumission. Il vaut preuve, a priori, que les motifs d’exclusions ne concernent pas un soumissionnaire et qu’il rempli les critères de sélection exigés.

 --> Voir Guide d’application.

--> Voir « Service permettant de remplir et réutiliser le DUME »

 

 

 V. Remise électronique de l’offre


Références :

-           Règlement grand-ducal du 27 août 2013 relatif à l’utilisation de moyens électroniques dans les procédures de marchés publics.

-           Règlement ministériel du 2 décembre 2013 instituant les conditions d’utilisation du portail des marchés publics.

-           Loi modifiée du 14 août 2000 relative au commerce électronique (signature électronique).

-           RGD 2018 (voir not. art. 196 et suivants).

A partir du 18 octobre 2018, « toutes les communications et tous les échanges d’informations (…) et notamment la soumission électronique des offres, doivent être réalisés par des moyens de communication électroniques » (articles 196, 241 et 275 RGD 2018).

 

 

VI. L’analyse des offres par le pouvoir adjudicateur


1. Rappels :


L’attribution du marché public se fait sur base des critères d’adjudication retenus, pour autant que toutes les conditions suivantes sont réunies (art. 28 loi 8 avril 2018) :

-           l’offre est conforme aux conditions et critères énoncés dans l’avis de marché ainsi que dans les documents du marché ;

-           l’offre provient d’un soumissionnaire qui n’est pas exclu et répond aux critères de sélection fixés par le pouvoir adjudicateur.

-           En tout état de cause, le marché ne peut être adjugé qu’aux opérateurs économiques qui, au jour de l’ouverture de la soumission, remplissent les conditions légales pour s’occuper professionnellement de l’exécution des travaux, de la livraison des fournitures ou de la prestation des services.

 

2. Les offres incomplètes (ancien régime)


Si l’offre d’un soumissionnaire est incomplète, toute la question est de savoir si le pouvoir adjudicateur doit déclarer celle-ci irrecevable ou s’il peut admettre la communication des documents manquants après l’ouverture des soumissions.

Le principe de base est qu’ « il n’est pas tenu compte des changements et additions proposés par les soumissionnaires après l’ouverture des soumissions » Interprétée dans toute sa rigueur, cette disposition pouvait laisser sous-entendre que des documents manquants ne pouvaient plus être apportés par les soumissionnaires après l’ouverture des soumissions.

Sous l’empire de la législation de 2009, la jurisprudence apportait semble-t-il un tempérament à ce principe (du moins pour les marchés européens) en opérant une distinction entre les conditions minimales de participation (pour lesquels les documents probants devaient être joints à l’offre du soumissionnaire, sous peine d’irrecevabilité) et les critères de sélection (pour lesquels il pourrait être admis que des documents soient transmis ultérieurement par le pouvoir adjudicateur), ceci en application de l’article 240 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 (Voir T.A., 29 juin 2018, n° 41273).

 

3. Les offres incomplètes  (nouveau régime) 


(Art 80 RGD 8 avril 2018) – applicable à tous les marchés :

Les pouvoirs adjudicateurs « peuvent », sauf clause contraire dans les documents de soumission, demander aux soumissionnaires de présenter, clarifier ou préciser les informations ou les documents concernés dans un délai approprié, sous condition du respect des principes d’égalité de traitement, de transparence, et que la demande ne conduise pas à l’introduction d’une nouvelle offre.

Ils peuvent prévoir que les renseignements sont à fournir sur demande, dans un délai de 15 jours, sous peine d’irrecevabilité de l’offre.

 

4. Les motifs d’exclusion (ancien régime)


Sur base de la loi de 2009, un opérateur économique pouvait être exclu des marchés publics organisés par un pouvoir adjudicateur, pour une durée maximale de 2 ans en cas de :

-           Non respect des conditions ou délais impartis ;

-           Faute grave dans l’exécution du marché ;

-           Manque de probité commerciale.

 

 

5. Les motifs d’exclusion (nouveau régime)


Suivant les nouveaux textes (art. 29 loi 2018), la logique a changé. Il appartient désormais au pouvoir adjudicateur d’analyser des motifs d’exclusion au stade de la vérification des offres, dans le chef des soumissionnaires et de ses sous-traitants. Il vérifie également les critères de sélection et conditions minimales de participation.

La loi prévoit que le pouvoir adjudicateur doit, en principe, exclure l’opérateur économique en cas :

- D’infractions pénales reconnues par un jugement définitif (organisation criminelle, corruption, escroquerie et tromperie, terrorisme, blanchiment d’argent, travail des enfants et traite des êtres humains). Cela s’applique à toute personne ayant un pouvoir de représentation, de décision ou de contrôle au sein de l’opérateur économique.

- De manquement de l’opérateur économique à ses obligations relatives au paiement des impôts et taxes ou cotisations de sécurité sociale lorsque le manquement est établi par jugement définitif.

 

La loi prévoit que le pouvoir adjudicateur peut exclure l’opérateur économique si :

-             Il peut démontrer un manquement de ce dernier à ses obligations applicables dans le domaine du droit (international, européen, national, conventions collectives de travail) de l’environnement, du droit social et du droit du travail;

-             L’opérateur économique est en état de faillite, liquidation, concordat préventif, de cessation d’activité;

-             Il peut démontrer que l’opérateur économique a commis une faute grave qui remet en cause son intégrité;

-             Il ne peut être remédié au conflit d’intérêt;

-             Il ne peut être remédié à une situation de distorsion de concurrence du fait des contacts préalables entre le pouvoir adjudicateur et l’opérateur économique;

-             L’opérateur économique a connu des défaillances importantes dans le cadre d’un marché antérieur ayant impliqué la résiliation du marché, ou une sanction comparable;

-             L’opérateur économique s’est rendu coupable de fausses déclarations (par ex dans le DUME).

-            L’opérateur économique a tenté irrégulièrement d’influencer la décision d’adjudication, d’obtenir des informations confidentielles ou a fourni des informations trompeuses.

 

    

Procédure :

-            Le pouvoir adjudicateur est tenu d’informer l’opérateur économique de son intention de l’exclure, en lui laissant un délai minimal de 8 jours pour qu’il puisse faire valoir ses explications.

-             Ce dernier a la possibilité de démontrer qu’il a pris des mesures suffisantes pour attester de sa fiabilité.

-             Sur base de ces explications, le pouvoir adjudicateur peut ne pas exclure si les preuves présentées sont jugées « suffisantes ».

 

Effets de la décision d’exclusion :

- Exclusion de la participation aux marchés du pouvoir adjudicateur concerné pour une durée maximale de 5 ans (pour les infractions pénales) et 3 ans (pour les autres cas).

 

6. Documents à transmettre par le futur adjudicataire


Art. 90 RGD 2018 : Les certificats relatifs au paiement des cotisations sociales, des impôts et taxes, et relatifs à la déclaration sur la retenue d’impôt sur les traitements et les salaires doivent être communiqués sur demande du pouvoir adjudicateur par l’opérateur économique dans un délai de 15 jours.

 

7. La question des non-conformités techniques


La jurisprudence actuelle des juridictions administratives luxembourgeoises n’admet aucune non-conformité technique, fut-elle totalement dérisoire et sans incidence sur le marché public concerné. Suivant les tribunaux administratifs, toute non-conformité technique doit entraîner le rejet de l’offre du soumissionnaire concerné. Jugé ainsi notamment que :

« (…) la formulation impérative de l’article 71 du règlement grand-ducal  du  3  août  2009 (…) ne confère pas une faculté au pouvoir adjudicateur pour éliminer une offre  en cas de  constat de sa non-conformité technique, mais (…) pose le principe que dans cette hypothèse, l’offre non conforme  «est  éliminée», de sorte à exclure tout pouvoir d’appréciation dans le  chef  du pouvoir adjudicateur, et, a fortiori, tout risque de distorsion de concurrence et d’inégalité des soumissionnaires  face  à  une  soumission,  en  exigeant  de  tous  les  soumissionnaires  qu’ils respectent scrupuleusement le cahier des charges, toutes les entreprises devant en  effet faire, conformément à l’article 4 de la loi modifiée du 25 juin 2009 sur les marchés publics, l’objet d’un traitement identique » (C.A., 25 avril 2017, n° 38943C du rôle).

 

Si la position des juges administratifs a le mérite d’être limpide et de ne pas laisser place à un risque d’arbitraire dans les décisions à prendre par les pouvoirs adjudicateurs, elle conduit néanmoins parfois à des situations regrettables, voire absurdes en pratique, lorsque l’offre d’un soumissionnaire, non conforme par rapport à une seule position du bordereau de soumission, d’une incidence technique et financière négligeable, dérisoire ou sans aucune incidence, se voit écartée au profit d’un concurrent ayant remis une offre bien moins avantageuse pour le pouvoir adjudicateur, ce qui nuit finalement à l’intérêt d’une saine gestion de l’argent public. 

Cette jurisprudence devrait cependant se confirmer dès lors que la nouvelle loi n’apporte aucun changement sur ce point : le texte énonçant toujours que les offres non conformes techniquement « sont éliminées », sans accorder, a priori, de pouvoir d’appréciation aux pouvoirs adjudicateurs.

 

8. L’adjudication


L’attribution du marché se ferait désormais à l’offre économiquement la plus avantageuse, laquelle sera déterminée, au choix du pouvoir adjudicateur, suivant l’une des trois méthodes possibles :

 

- Uniquement le prix;

 - Uniquement le coût (approche coût/efficacité, par ex. coût du cycle de vie - voir article 37 de la loi du 8 avril 2018 : "Le coût du cycle de vie couvre, dans la mesure où ils sont pertinents, tout ou partie des coûts suivants du cycle de vie d'un produit, d'un service ou d'un ouvrage :  a) les coûts supportés par le pouvoir adjudicateur ou d'autres utilisateurs, tels que : i. les coûts liés à l'acquisition, ii. les coûts liés à l'utilisation, tels que la consommation d'énergie et d'autres ressources, iii. les frais de maintenance, iv. les coûts liés à la fin de vie tels que les coûts de collecte et de recyclage. b) les coûts imputés aux externalités environnementales liés au produit, au service ou à l'ouvrage pendant son cycle de vie, à condition que leur valeur monétaire puisse être déterminée et vérifiée; ces coûts peuvent inclure le coût des émissions de gaz à effet de serre et d'autres émissions polluantes ainsi que d'autres coûts d'atténuation du changement climatique").

 - Le meilleur rapport qualité/prix.

Les opérateurs économiques peuvent également être mis en concurrence uniquement sur base de la qualité de l’offre. Le pouvoir adjudicateur définit alors un prix ou un coût fixe dans les documents de soumission.

 
 

VII. Modifications du contrat – avenants (art. 43 loi 2018) :


Les modifications de contrat sont possibles :

-           Lorsqu’elles sont prévues dans les documents du marché initial (par ex options, reconductions) Elles ne peuvent impliquer un changement de la nature globale du marché (bouleverser l’économie du contrat);

-           Pour des travaux, services, fournitures supplémentaires du cocontractant lorsqu’un changement de contractant n’est (1) pas possible pour des raisons techniques (2) entraînerait un inconvénient majeur pour le pouvoir adjudicateur (max 50% de la valeur du marché initial);

-           Lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances qui étaient imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur, que celle-ci ne change pas la nature globale du marché et qu’elle n’implique pas une augmentation de prix de plus de 50%;

-           Lorsque la modification est jugée non-substantielle ;

-          Sans nécessité de justification, lorsque la modification portant sur un montant inférieur aux seuils prévus pour les marchés du Livre II et qu’elle n’est pas supérieure à 10% (services fournitures) ou 15% (travaux) par rapport au montant du marché initial.

 


 VIII. Factures d’acompte et facture finale

 

1. Principes :


-           paiements pour services faits et acceptés (sauf avances).

-           paiement de l’incontestablement dû.

 

2. Acomptes – procédure :


- Constats d’avancement sur initiative de la partie la plus diligente.

- Envoi des factures relatives à ces états d’avancement sous pli recommandé au pouvoir adjudicateur.

Paiement (moyennant retenue en garantie de 10%) des montants non-contestés dans le délai contractuel (ce délai de paiement est en principe de 30 jours et peut exceptionnellement être contractuellement fixé à 60 jours « pourvu que ce soit objectivement justifié par la nature particulière ou par certains éléments du contrat » - Cfr. Loi modifiée du 18 avril 2004 relative aux délais de paiement et aux intérêts de retard).

-  Des intérêts moratoires (taux d’intérêt légal 2,25% + 8%) courent de plein droit à l’expiration de ces délais.

-   Pour les montants contestés, des intérêts moratoires sont dus si la contestation n’est pas reconnue justifiée par la suite (le cas échéant, à la suite d’une action devant les juridictions civiles). 

 

3. Réception et facture définitive :


- Des réceptions intermédiaires peuvent être prévues au cahier des charges.

- Réception des travaux, services ou livraison, sollicitée par courrier recommandé par la partie la plus diligente (un délai minimal de 15 jours est à observer entre l’envoi du courrier recommandé et le jour fixé pour la réception définitive).

- La réception est contradictoire.

- La réception est provisoire en cas de réclamations (réserves) de la part du pouvoir adjudicateur.

- Si le remplacement/la réparation est impossible ou trop couteuse, le pouvoir adjudicateur peut imposer une moins value qui est comptabilisée dans le cadre du décompte final, sans préjudice d’autres sanctions prévues par le contrat, le règlement grand-ducal et sans préjudice des questions de responsabilité contractuelle.

- La facture définitive est établie sur base du procès-verbal de réception définitive (en déduisant les pénalités de retard et autres sanctions contractuelles).

- Le pouvoir adjudicateur a un délai de contestation de 28 jours.

- Obligation au paiement de l’incontestablement dû.

- Délais de paiement : idem que pour les acomptes.

 

 

 

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Par Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour

 

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