Droit immobilier

Une banque peut-elle être pénalement responsable d’une infraction urbanistique commise par le permissionnaire ?

Une banque peut-elle être pénalement responsable d’une infraction urbanistique commise par le permissionnaire ?

 

La pratique révèle souvent des questions juridiques intéressantes. En l’espèce, un établissement bancaire s’interrogeait sur son éventuelle responsabilité pénale en cas d’octroi d’un prêt immobilier, si le permissionnaire ne respectait pas, ou n’avait au préalable pas respecté, son permis de bâtir.

 

Il est patent que le fait de ne pas respecter les plans autorisés par le bourgmestre constitue une infraction, en application de l’article 107 de la loi du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain :

 

 « Sont punis d'un emprisonnement de huit jours à deux mois et d'une amende de 251 à 125.000 euros, ou d'une de ces peines seulement, tous ceux qui enfreignent de quelque manière que ce soit les prescriptions des plans ou projets d'aménagement généraux ou particuliers, du règlement sur les bâtisses, les voies publiques et les sites ou des autorisations de bâtir. ».

 

La disposition précitée vise « tous ceux » qui commettent, de quelque manière que ce soit, les infractions précitées. Autrement dit, la loi ne définit pas qui peut être auteur d’une infraction urbanistique et vise notamment, mais non exclusivement donc, les maîtres d’ouvrage, les architectes, les ingénieurs, les constructeurs, les bourgmestres eux-mêmes[1]. Elle pourrait aussi potentiellement concerner les coordinateurs sécurité santé, voire les établissements bancaires.

 

 

La question qui se pose, dans le chef de la banque, est de savoir si l’octroi d’un prêt peut être interprété comme une participation à la commission des infractions, en cas de non-respect des plans de l’autorisation de bâtir par le bénéficiaire d’un crédit, dans l’hypothèse, par exemple, où la banque accorderait ledit crédit en connaissance de cette infraction.

 

 

La participation à la commission d’une infraction peut être qualifiée de corréité ou de complicité.

 

CA 305/12 V du 12 juin 2012 : « La participation par aide ou assistance à une infraction est, suivant les circonstances que les juges du fond apprécient souverainement, ou un acte de participation principale c'est-à-dire un acte en qualité d'auteur, ou un acte de participation accessoire, c'est-à-dire un acte de complice. La participation principale par aide ou assistance peut se manifester sous les formes les plus diverses ; aussi, le législateur, pour les embrasser toutes, se sert-il dans l'article 66 du Code pénal des termes généraux «par un fait quelconque» (CSJ, 20 avril 1964, Pas 19, 314) ».

 

Les deux formes de participation sont définies aux articles 66 et 67 du code pénal.

 

« Art. 66.

Seront punis comme auteurs d'un crime ou d'un délit :

Ceux qui l'auront exécuté ou qui auront coopéré directement à son exécution ;

Ceux qui, par un fait quelconque, auront prêté pour l'exécution une aide telle que, sans leur assistance, le crime ou le délit n'eût pu être commis ;

Ceux qui, par dons, promesses, menaces, abus d'autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, auront directement provoqué à ce crime ou à ce délit ;

(L. 8 juin 2004) Ceux qui, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans des lieux publics, soit par des placards ou affiches, soit par des écrits, imprimés ou non et vendus ou distribués, auront provoqué directement à le commettre, sans préjudice des deux dernières dispositions de l'article 22 de la loi du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias.

 

Art. 67.

Seront punis comme complices d'un crime ou d'un délit :

Ceux qui auront donné des instructions pour le commettre ;

Ceux qui auront procuré des armes, des instruments ou tout autre moyen qui a servi au crime ou au délit, sachant qu'ils devaient y servir ;

Ceux qui hors le cas prévu par le paragraphe 3 de l'article 66, auront, avec connaissance, aidé ou assisté l'auteur ou les auteurs du crime ou du délit dans les faits qui l'ont préparé ou facilité, ou dans ceux qui l'ont consommé. ».

 

Dans le cas de la corréité, des coauteurs apportent une aide ou une assistance principale, qui, d’après la jurisprudence, est une aide indispensable, sans laquelle l’infraction n’aurait pas pu être commise. Dans le cas de la complicité, les complices apportent une aide accessoire, qui facilite l’infraction, sans être indispensable : l’auteur aurait pu la commettre sans le concours du complice.

 

CA Arrêt N° 38/19 Ch. Crim. du 6 novembre 2019 (Not. 4849/17/CD et 5052/17/CD) page 13 :

 

« L’article 66 alinéa 3 du Code pénal punit comme auteurs de l’infraction ceux qui, par un fait quelconque, auront prêté pour l’exécution une aide telle que, sans leur assistance, le crime ou le délit n’eut pu être commis. La participation criminelle peut être soit morale –le provocateur-soit matérielle – le coauteur. Encore faut-il que tous les participants soient unis par la même intention criminelle, que l’aide qu’ils apportent soit apportée en vue de la réalisation de l’infraction déterminée voulue par l’auteur principal, mais ce concert de volontés peut être tacite (Cass. B. 3 juillet 1950, Pas.1950, I, 789) ».

 

Le crédit immobilier accordé par une banque est certes probablement indispensable à la réalisation d’un immeuble, mais encore faut-il vérifier si le crédit a servi à la commission de l’infraction de construire sans autorisation ou à l’infraction de ne pas respecter les conditions de l’autorisation. A priori, une banque ne participe pas, ensemble avec le maître de l’ouvrage, à la décision d’entamer une construction sans autorisation ni à celle de ne pas respecter les conditions de l’autorisation. Mais il se peut que l’octroi d’un prêt immobilier intervienne par rapport à un chantier en cours de réalisation et que lors dudit chantier, des infractions urbanistiques ont été constatées. La banque pourrait alors délivrer un prêt, en connaissance de ladite infraction.

 

Il convient donc d’examiner si l’octroi du prêt par la banque pour la continuation future des travaux de construction – en partie infractionnels – pourrait être considéré comme une aide accessoire, c’est-à-dire un acte de complicité vis-à-vis des infractions commises.

 

Les conditions de la complicité, telles qu’elles sont admises par la doctrine et réaffirmées de manière constante par la jurisprudence, sont les suivantes :

 

-      un élément moral,

-      une infraction principale

-      un mode de complicité incriminé par le code pénal

-      un acte de participation positif, antérieur ou concomitant, et causal

 

A titre d’exemple est citée la jurisprudence (CSJ corr.26 avril 2016, 232/16 V) : « Le fait délictueux peut ainsi être attribué à une personne qui ne l’a pas personnellement exécuté sous les conditions qu’il y eu :

 

-      un acte de participation répondant à l’un des modes énumérés par la loi ;

-      une réalisation matérielle de l’infraction principale ou de sa tentative ;

-      un lien adéquat effectif entre le mode de participation et la réalisation de l’infraction ou de sa tentative ;

-      une intention de participer à la réalisation de l’infraction principale ; avoir en connaissance de cause l’intention de participer. (Hennau et Verhaegen, Droit pénal général, no 297 et suiv. p. 255 – 266). ».

 

Pour répondre à la question posée, il convient donc d’examiner si l’octroi d’un prêt par la banque réunit ces conditions de la complicité.

 

I. L’élément moral :

 

« Tout comme en matière de corréité, la participation par aide ou assistance accessoire, ne se conçoit qu’en matière d’infractions intentionnelles et suppose un élément moral, c’est-à-dire la connaissance de l’illégalité d’un acte et la volonté de commettre le crime ou le délit réprimé par la loi. » (Max BRAUN, Cours de droit pénal général, CCDL 2020).

 

L’intention ou dol criminel constitue l’élément moral dans les crimes et la plupart de délits.

 

(CSJ crim 13 juillet 2016, 22/16 page 62) : « Pour que la participation criminelle soit punissable, il faut que l’agent coopère consciemment et volontairement, en accomplissant un acte positif selon l’un des modes prévus par les articles 66 ou 67 du Code pénal, à l’exécution d’un acte principal qui constitue une infraction. Pour être punissable, il faut que l’agent sache qu’il coopère à la perpétration d’un fait délictueux ou criminel et doit avoir la volonté d’agir en vue de réaliser l’infraction. »

 

(CA Arrêt N°40/09 X. du 21 janvier 2009) : « Suivant l'article 67 du code pénal, se rend complice d'un délit ou crime celui qui a agi avec connaissance, c'est-à-dire en sachant que son acte servait à faciliter, préparer ou consommer un crime ou un délit déterminé, et qui a accompli un acte positif, actif, se reliant directement à l'action principale par son but et par la volonté qui a présidé à son accomplissement. La complicité ne peut résulter d'une simple abstention, d'une attitude passive ou d'un silence. Pourtant celui qui assiste passivement à la perpétration d'un vol sans s'interposer pour l'empêcher ne peut être considéré comme complice de ce vol (CSJ, 24/03/2003, n° 8/03, LJUS n° 99844106). »

 

(TAL n° 1357/91) : « la notion de complicité postule donc la participation intentionnelle du complice ».

 

En règle générale, un établissement bancaire n’a, à aucun moment, l’intention de participer à la commission d’une infraction, mais souhaite contribuer par son prêt à la réalisation d’un projet immobilier. Elle ne favorise pas par l’octroi du crédit, le commencement de la construction sans autorisation, ni le non-respect des conditions de l’autorisation. D’ailleurs, les banques instruisant de manière sérieuse et rigoureuses les demandes de prêt en vue de la réalisation de constructions, s’assurent généralement que le projet se fasse en toute légalité et ce notamment pour éviter tous risques inhérents au projet immobilier (par exemple, une fermeture de chantier, une obligation de remise en pristin etat, des retards pris dans l’exécution des travaux, etc.) – et par voie de conséquence – tous risques de problèmes financiers dans le chef du bénéficiaire du crédit.

 

Il est vrai qu’une banque peut être amenée à accorder un prêt en connaissance de l’illégalité de la situation. Mais par l’octroi du crédit, la banque ne souhaite nullement manifester une volonté de consacrer la situation illégale qui existe au moment de son intervention. Si elle accordait le crédit malgré sa connaissance de l’illégalité, elle le ferait après s’être assurée que l’autorisation de régulation a entretemps été demandée, et dans la conviction qu’une régularisation ex-post devrait être accordée.

 

Dès lors, dans la majorité des cas, l’existence d’un élément moral paraît devoir être exclue.

 

Il faut toutefois relever que la Cour de Cassation, dans un arrêt du 11 juin 2020, n° 81/2020 Pénal, a rappelé qu’en ce qui concerne l’article 107 de la loi modifiée du 19 juillet 2004, l’élément moral consiste « en la transgression matérielle de la disposition légale, commise librement et consciemment et que l’auteur est présumé se trouver en infraction par suite du seul constat de cette transgression, sauf à lui de renverser cette présomption en faisant valoir qu’il n’a pas agi librement et consciemment, c’est-à-dire en rendant crédible une cause de justification (…) »

 

Dans la suite de ce qui précède, l’on pourrait considérer qu’un établissement bancaire pourrait être complice de l’infraction urbanistique si elle a apporté une aide matérielle en lien avec la commission de l’infraction et qu’elle a délivré cette aide, librement et en conscience de l’infraction qui serait réalisée.

 

II. Les modes de complicité :

 

La loi prévoit les modes de complicité suivants :

-      les instructions,

-      la procuration d’armes, d’instruments ou de tout autre moyen,

-      l’aide ou l’assistance accessoire,

-      le recèlement habituel de malfaiteurs.

 

Dans le cas d’espèce, l’octroi du prêt pourrait être considéré comme une fourniture de moyens ou une aide, dans la mesure où il est destiné à financer la construction de l’immeuble.

 

 

Pourtant il n’est pas destiné, aux yeux de la banque, à financer la réalisation d’une infraction.

 

 

III. Un acte de participation positif, antérieur ou concomitant, et causal.

 

 

En principe la jurisprudence considère qu’il faut un acte positif, c’est-à-dire que la simple inaction ou l’abstention ne suffisent pas pour la qualification de complicité. L’octroi du prêt paraît devoir être interprété comme un acte positif de la part de la banque.

 

 

« L’acte de complicité doit, en principe, être antérieur ou concomitant à l’acte principal. Le complice doit être intervenu dans la préparation ou dans la consommation de l’infraction. Toutefois un acte postérieur peut permettre de retenir la complicité s’il résulte d’un accord antérieur à l’infraction. » (Max BRAUN, Cours de droit pénal général, CCDL 2020).

 

(TA 1532/87) : « Le fait pour Y d'avoir attendu dans sa voiture rue Fort Wallis pour faciliter la fuite de X après consommation de l'infraction n'est pas un acte matériel de complicité, alors que la complicité à l'infraction n'est punissable que si elle porte sur les actes antérieurs ou concomitants au délit. Si celui-ci est déjà consommé au moment de l'intervention du complice, càd. si tous les éléments requis pour l'existence de l'infraction sont déjà réunis, l'acte de complicité postérieur au délit cesse d'être punissable aux termes de l'article 67 du Code pénal (Constant Manuel de Droit Pénal T 1 éd.1959 n°288). »

 

(CA Arrêt N° 38/19 Ch. Crim. du 6 novembre 2019 - Not. 4849/17/CD et 5052/17/CD) : « Il est de doctrine constante qu’en principe seul un acte positif, préalable à l’exécution de l’infraction ou concomitant, peut constituer la participation à un crime ou à un délit.».

 

 

Des lors, si des infractions urbanistiques ont eu lieu avant l’octroi d’un prêt immobilier, il n’y aurait en principe pas d’antériorité par rapport à l’infraction, donc pas de complicité.

 

 

Mais si les travaux de construction infractionnels continuaient alors qu’une régularisation ne serait pas encore intervenue, et que ces travaux seraient financés par le crédit de la banque, chaque acte de construction pourrait être considéré comme une réitération de l’intention coupable.

 

 

« L’état infractionnel peut perdurer dans le temps. On parle alors d’infraction continue. … le caractère continu ou instantané de certaines infractions demeure délicat à déterminer. Ainsi, l’on considère généralement que le maintien des travaux de construction contrevenant aux plans particuliers d’aménagement ou sans permis de bâtir constitue une infraction continue, alors que le délit d’édification d’un mur sans autorisation est consommé dès que le mur est achevé, alors que la construction subsiste et que les effets perdurent (Dean Spielmann, Alphonse Spielmann, Droit pénal général luxembourgeois page 194).

 

 

Si l’on considère que des actes infractionnels ont été commis après l’octroi du prêt, ce dernier interviendrait de manière antérieure ou concomitante avec la commission de l’infraction. L’octroi du prêt pourrait alors constituer un acte de participation à la commission de l’infraction.

 

 

Dans ce dernier cas de figure le lien de causalité entre l’acte de participation et la commission de l’infraction serait lui-aussi donné, dans la mesure où le prêt bancaire servirait à financer les travaux.

 

 

Mais même dans ce cas il reste douteux qu’il soit possible de conclure à l’existence d’un élément moral, l’intention d’un établissement bancaire n’étant – a priori – pas de favoriser l’infraction urbanistique, même si elle en a connaissance.

 

 

 

Par Maître Jean-Claude KIRPACH - Avocat

Maître Sébastien COUVREUR - Avocat à la Cour

 

 

 

 

 

 



[1] Voir « La responsabilité pénale du bourgmestre » in G. KRIEGER, Les autorisations du bourgmestre, Portalis, Luxembourg, 2014, p. 135 et s.

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