Droit immobilier

Droit de préemption – Le juge des référés administratifs se déclare incompétent

Droit de préemption – Le juge des référés administratifs se déclare incompétent

 

 

La jurisprudence luxembourgeoise encadrant le droit de préemption public (et qui vient en quelque sorte, combler les nombreuses lacunes et silences de la loi), dont le champ d’application fut récemment largement élargi par la loi dite « Omnibus », du 3 mars 2017, ne cesse d’évoluer ces derniers mois.

 

Par des ordonnances du 2 octobre 2020, n° 44991du rôle et n° 44959 du rôle, respectivement du 24 septembre 2020, n° 44973 du rôle, le Président du tribunal administratif est venu apporter de nouvelles clarifications en la matière.

 

Il convient de rappeler que par un arrêt de la Cour administrative du 21 janvier 2020, n° 43240C, cette dernière avait considéré que les décisions prises par les organes communaux au titre du droit de préemption constituaient bien, comme nous le plaidions, des actes administratifs détachables, lesquels étaient partant susceptibles d’un recours en annulation devant les juridictions administratives, mettant ainsi fin à une controverse sur la compétence du juge civil ou du juge administratif pour connaître dudit recours.

 

Précisons toutefois que la compétence du juge administratif n’exclut pas l’intervention du juge des contrats, qui demeure par exemple compétent pour statuer sur une demande d’annulation de l’acte notarié de vente entre le vendeur et le pouvoir préemptant.

 

Dans un jugement récent du 22 juillet 2020 (à l’encontre duquel appel a été interjeté), le tribunal administratif avait, sur le fond, déjà apporté des précisions importantes pour encadrer le droit de préemption des autorités communales. Nous renvoyons à notre article sur le sujet pour de plus amples développements.  

 

Dans ses ordonnances précitées, le juge des référés administratifs fut amené, pour sa part, à s’interroger sur la recevabilité de requêtes en suspension portées à l’encontre de décisions d’administrations communales portant exercice de droits de préemption.

 

En toute logique et dans la lignée d’une jurisprudence constante, le Président du tribunal administratif considéra tout d’abord que :

 

« L’existence d’une décision administrative distincte, susceptible de recours, à l’instar de la solution dégagée  par  la  Cour  administrative,  si  elle  a  des  conséquences  directes  sur  la question  de  la  compétence  générale  des  juridictions  administratives,  demeure  toutefois  sans incidence  sur  la  compétence  du  juge  du  provisoire,  lequel ne  saurait  ordonner  le  sursis  à exécution du contrat. Il ne saurait qu’ordonner le sursis par rapport à la décision de préemption et, de ce fait, factuellement, empêcher le pouvoir préemptant de conclure un contrat sur base de ladite décision de préemption. En revanche, le président du tribunal administratif ne saurait ordonner le  sursis  à  exécution  de  la  décision  de  préemption  dès  lors  que  le  contrat  civil  est conclu. En effet, une telle mesure ne serait pas de nature à empêcher l’exécution du contrat. Même l’annulation de la décision administrative de préemption servant de base à la conclusion du contrat est dépourvue d’effet direct sur le contrat qui continue à exister, serait-ce de manière précaire puisque  sa  survie  dépend  de  la  décision  du  juge  du  contrat,  c’est-à-dire  du  juge judiciaire qui doit cependant être saisi par une partie au contrat, sinon par l’acquéreur évincé, pour  décider  du  sort  de  celui-ci.  Alors  que  le  juge  administratif  est  en  effet  compétent  pour annuler l’acte administratif servant de base à la conclusion du contrat, il appartient au seul juge civil, en vertu de l’article 84 de la Constitution, de décider du sort du contrat ainsi vicié quant à sa formation. En toute hypothèse, il n’appartient pas au juge administratif de constater, de manière incidente, comme suite à l’annulation de l’acte administratif préalable à la formation du contrat, l’absence de validité du contrat et d’en suspendre l’exécution. Le juge administratif ne  saurait  que  prononcer  l’annulation  de  l’acte  administratif  détachable  et  le  président  du tribunal  administratif  ne  saurait  ordonner  le  sursis  à  exécution  que  dudit  acte  administratif, mais non pas du contrat formé sur sa base ».

 

Ces décisions ne surprennent guère puisque dans d’autres matières, comme par exemple en matière de marchés publics, le juge des référés administratifs décline également sa compétence dès lors qu’un contrat serait conclu entre l’adjudicataire et le pouvoir adjudicateur, ceci même si ledit contrat est conclu en méconnaissance du délai de standstill (voir à ce sujet par exemple T.A. prés., 29 juin 2020, n° 44483 du rôle).

 

Il résulte de ce qui précède qu’un recours en sursis à exécution devant le Président du tribunal administratif ne serait envisageable (en ce sens que le juge des référés ne pourrait se déclarer compétent) en matière de droit de préemption que si le pouvoir préemptant a matérialisé son intention d’utiliser son droit de préemption, sans avoir encore communiqué cette décision au notaire. En effet, la loi modifiée du 22 octobre 2008 dite Pacte logement retient, en son article 10 que le pouvoir préemptant doit informer le notaire dans le mois suivant la confirmation de la réception du dossier, qu’il exerce son droit de préemption. A défaut, celui-ci est sensé renoncer à son droit de préemption. C’est la logique qui fut suivie à bon droit par la Cour administrative

 

Suivant la Cour administrative, en effet (arrêt précité) :

 

« Dans la logique épousée par les premiers juges, c’est l’émission de la décision de l’organe compétent du pouvoir préemptant d’exercer le droit de préemption qui, en quelque sorte, vaut rencontre, par substitution, avec la volonté de vendre du vendeur et vaut contrat de vente au sens de l’article 1583 du Code civil entre le vendeur et le pouvoir préemptant.

 

Si déjà en termes de bonne logique, il est difficilement concevable qu’il puisse y avoir une rencontre des volontés avant même que la décision du pouvoir préemptant n’ait été portée à la connaissance du vendeur, ce sont les dispositions de l’article 10, paragraphe 2, de la loi du 22 octobre 2008 qui, quant à leur systémique, ne permettent en aucune manière de soutenir pareil effet en termes de conclusion d’un contrat de vente à partir de la simple émission de la décision du pouvoir préemptant.

 

En effet, dans la mesure où le silence, surtout face au notaire, du pouvoir préemptant, dans le délai susmentionné d’un mois, vaut renonciation à l’exercice de son droit de préemption et que seul ce silence doit être lu en combinaison avec le paragraphe 1 er de l’article 10 qui dispose que c’est dans le mois suivant la confirmation de la réception du dossier que les pouvoirs préemptant informent le notaire de leur décision d’exercer leur droit de préemption, il découle nettement de la systémique du texte de loi en question qu’une décision certes prise par le pouvoir préemptant, mais non communiquée au notaire dans le mois pertinent, est néanmoins constitutive du silence prévu au paragraphe 2 dudit article 10.

 

Cette conclusion qu’une décision de préempter effectivement prise mais non notifiée dans le mois aux termes des paragraphes 1 et 2 dudit article 10, vaut silence tel qu’y prévu et partant renonciation au droit de préemption, est la preuve intrinsèque que ce n’est pas l’émission de la décision de préempter, mais bien la notification de celle-ci qui puisse finalement avoir quelqu’ effet notamment au regard de l’article 1583 du Code civil.

 

Autrement dit, ce n’est pas la décision proprement dite de l’organe compétent de l’organisme préemptant qui est seule constitutive de l’exercice du droit de préempter, mais cette décision accompagnée de sa notification au notaire conformément aux dispositions combinées des paragraphes 1 et 2 de l’article 10 de la loi du 22 octobre 2008.

 

Il y a dès lors lieu de distinguer la décision de préempter en tant que telle et sa notification au regard de l’éventuelle conclusion d’un contrat de vente entre le vendeur et le pouvoir préemptant, dans la mesure où un défaut de notification au notaire dans le mois pertinent équivaut, d’après la loi, à une renonciation du pouvoir préemptant à son droit de préemption, et, plus loin, à la réalisation de l’événement sous-tendant la condition suspensive prévue à l’article 7 de la loi du 22 octobre 2008 ».

 

En conclusion, et il faut l’avouer que ce serait presque un cas d’école, un recours en sursis à exécution devant le Président du tribunal administratif contre une décision d’une commune (ou du Fonds du Logement) d’exercer un droit de préemption ne serait recevable qu’à la condition que celui-ci intervienne – mais encore aussi que l’ordonnance du Président du tribunal intervienne – avant que le contrat ne se forme, c’est-à-dire avant que le pouvoir préemptant ne communique sa décision d’exercer son droit de préemption au notaire instrumentant.

 

Notons qu’en cas d’introduction de pareille action, il suffirait au pouvoir préemptant, de communiquer alors sa décision au notaire dans le délai imparti pour que le référé administratif soit déclaré irrecevable. L’intérêt d’une telle procédure est partant – en principe – inexistant.

 

Ceci d’autant plus que le Président du tribunal administratif a retenu par ailleurs, qu’en la matière, un requérant ne remplissait en principe pas la condition du risque de préjudice grave et définitif, laquelle est l’une des conditions de recevabilité du recours en référé administratif :

 

« Si  l’intérêt  à  agir  des  requérants  en  tant  qu’acquéreurs évincés  ne  semble pas contestable, le seul fait de ne pouvoir acquérir le terrain visé ne constitue en revanche pas un préjudice  grave, c’est-à-dire  dépassant  par  sa  nature  ou  son  importance les  gênes  et  les sacrifices courants qu’impose la vie en société ni comme une violation intolérable de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. En effet, le fait de ne pas pouvoir acquérir un terrain donné, présentant certes un certain intérêt pour les acquéreurs évincés en tant que commodité ou  en  tant  qu’agrandissement  de  leurs  propres  propriétés -en  l’espèce  le  désir  de  vouloir agrandir leur jardin privatif, tel qu’expliqué à l’audience -, sans d’une quelconque impérieuse nécessité, peut certes constituer un désagrément, dans le sens que les parties requérantes sont contrariées dans la réalisation de leur projet d’acquisition, mais ne constitue en aucun cas un préjudice particulièrement inique, le soussigné relevant à ce sujet que les parties requérantes n’affirment par ailleurs pas avoir besoin desdites parcelles pour une quelconque exploitation, ou  encore  envisager  concrètement  d’y  réaliser  un  projet  concret et,  objectivement  ou subjectivement,  important  voire  indispensable,  de  sorte qu’aucune  utilité  voire  nécessité imposant cette acquisition n’apparaît; a fortiori, la non-réalisation de cette acquisition par les parties requérantes, si elle peut subjectivement être considérée comme contrariante, n’entraîne pas dans leur chef un préjudice grave ».

 

Il convient de relever que si la solution du référé administratif n’est pas opportune en matière de droit de préemption public, en revanche, les parties concernées (le vendeur ou l’acquéreur évincé) peuvent, si cela s’avère opportun, saisir le juge des référés civils. Voir en ce sens Trib. arr. Lux., référé, 31 mai 2019, n° TAL-2019-03214 du rôle.

 

 

Me Sébastien COUVREUR

Avocat à la Cour

Retour sommaire