Droit immobilier

[COVID-19] Interdiction d’augmentation des loyers pour tout logement à usage d’habitation

[COVID-19] Interdiction d’augmentation des loyers pour tout logement à usage d’habitation

 

Parmi les mesures spéciales de crise, le gouvernement vient de décider de geler les loyers des baux  entrant dans le champ d’application de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation.

 

La mesure ne concerne donc pas les loyers des baux relatifs :

- aux immeubles affectés à un usage commercial, administratif, industriel, artisanal ou affectés à l’exercice d’une profession libérale;

- aux résidences secondaires;

- aux locaux ne formant pas l’accessoire du logement;

- aux chambres d'hôtel;

 

-aux structures d’hébergement réservées au logement provisoire de demandeurs de protection internationale, de réfugiés et de personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire visés par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire;

 

-aux logements meublés ou non-meublés dans des structures d'hébergement spéciales telles que maisons de retraite, centres intégrés pour personnes âgées, centres de gériatrie, centres pour personnes handicapées, et notamment les logements meublés ou non-meublés dans les structures d’hébergement tombant sous la loi modifiée du 8 septembre 1998 réglant les relations entre l’Etat et les organismes œuvrant dans les domaine social, familial et thérapeutique;

 

- aux logements meublés ou non-meublés mis à disposition de personnes physiques à titre d’aide sociale par un promoteur public au sens de l’article 16, alinéa 1er, de la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement, un office social, une association sans but lucratif, une fondation ou une société d’impact sociétal régie par la loi modifiée du 12 décembre 2016 portant création des sociétés d’impact sociétal et dont le capital social est constitué à 100 pour cent de parts d’impact, œuvrant dans le domaine du logement.

 

Ainsi, en vertu du règlement grand-ducal du 20 mai 2020, est-il prévu que « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 5, de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation et modifiant certaines dispositions du Code civil, une adaptation du loyer dans le sens d’une augmentation du loyer de tout logement à usage d’habitation est interdite ».

 

La disposition citée relative à l’adaptation des loyers retient que « Le loyer de tout logement à usage d’habitation fixé en vertu des dispositions qui précèdent soit de l’accord des parties, soit par la commission des loyers, soit judiciairement, ne peut faire l’objet d’une adaptation que tous les deux ans ».

 

Il y a lieu de rappeler que selon l’article 3 de la prédite loi de 2006, il est dit que la location d’un logement à usage d’habitation ne peut rapporter au bailleur un revenu annuel dépassant un taux de 5 % du capital investi dans le logement. 

 

A défaut d’accord entre parties, le capital investi est celui engagé:

 

a) dans la construction initiale du logement et de ses dépendances telles que garages, emplacements de stationnement, jardin, grenier et cave, qui sont mis à la disposition du locataire et dont le coût est établi au jour de leur achèvement;

b) dans les travaux d’amélioration, dont le coût est établi au jour de l’achèvement des travaux, lesquels ne peuvent comporter des réparations locatives ou de menu entretien;

c) dans le terrain sur lequel l’habitation est sise, dont le coût est fixé à celui du jour de son acquisition; le prix du terrain peut toutefois également être fixé forfaitairement par le bailleur à 20 % du capital investi.

 

Afin de tenir compte de l’inflation, ce capital investi est réévalué au jour de la conclusion du bail ou au jour de l’adaptation du loyer par multiplication avec le coefficient correspondant du tableau des coefficients de réévaluation prévus par l’article 102, alinéa 6, de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu.

 

Egalement afin de tenir compte de la vétusté pour les logements construits de plus de 15 ans, le capital investi est sujet à une décote ou est diminué de 2 % par période de deux années supplémentaires, à moins que le bailleur ne prouve avoir investi des frais équivalents dans l’entretien ou la réparation du logement.

 

Cependant, la prédite loi prévoit expressément qu’en cas d’aliénation à titre onéreux, le prix d’acquisition indiqué dans l’acte authentique translatif de propriété, et les frais de l’acte, sont présumés correspondre au jour de la signature de l’acte au capital investi, réévalué et décoté.

 

Le prédit règlement grand-ducal vise donc à interdire une adaptation à la hausse des loyers dans l’hypothèse où elle serait en principe permise (c'est-à-dire, à l’issue de chaque période de deux ans suivant la prise d’effet du contrat de bail respectivement à l’issue de la période biennale de la dernière augmentation conventionnelle, judiciaire ou de la décision de la commission des loyers).

 

Le texte du règlement grand-ducal ne prévoit pas en lui-même quand cette interdiction sera levée.  Le prédit texte ne précise pas le sort des augmentations des loyers pendant devant les commissions des loyers respectivement devant le juge de paix (appel de la décision de la commission des loyers) ou encore devant les juges d’appel. Le prédit règlement est lacunaire en ce qu’il ne précise pas les points précités. De même qu’il ne précise pas les sanctions de cette interdiction. Une question peut être soulevée en ce qui concerne l’hypothèse d’une acceptation volontaire dans le chef du locataire d’une augmentation de loyer pendant la crise sanitaire. Cette acceptation volontaire peut elle être remise en question par ce règlement alors que l’acceptation vaut un accord des parties? Faut-il considérer que des conventions contraires à l’interdiction précitées vont-elles à l’encontre d’une disposition d’ordre public ? Il est évident que la jurisprudence devra apporter des réponses dans le silence du règlement grand-ducal précité.

 

La validité de la période ainsi fixée par le prédit règlement pose également un autre débat très intéressant pour les juristes.

 

En effet,  l’article 32, paragraphe 4 de la Constitution (qui permet au Grand-Duc, en temps de crise internationale, d’adopter des règlements dérogeant aux lois, en principe hiérarchiquement supérieures à ces derniers) énonce que tous les règlements grand-ducaux pris en vertu de la disposition précitée cessent leurs effets au plus tard à la fin de l’état de crise.

 

Or, suivant la loi du 24 mars 2020, l’état de crise déclaré par le règlement grand-ducal du 18 mars 2020 portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 a été « prorogé de trois mois » pour se finir donc en principe le 25 juin 2020 (sauf nouvelle prolongation – ce qui poserait toutefois question alors que la Constitution retient en son article 32 que « La prorogation de l’état de crise au-delà de dix jours ne peut être décidée que par une ou plusieurs lois votées dans les conditions de l’article 114, alinéa 2 de la Constitution, qui en fixe la durée sans que la prorogation ne puisse dépasser une durée maximale de trois mois »).

 

En d’autres termes, l’adaptation à la hausse des loyers d’habitation ne serait - sous réserve de ce qui a été évoqué ci-avant - plus possible du 20 mai 2020 au 25 juin 2020. Après cette dernière date, les adaptations des loyers à la hausse pourront être imposées au locataire, conformément à l’article 3, paragraphe 5, de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation.

 

Les mesures ainsi prises via un règlement ne sont pas terminées. Il faut mettre en exergue ce règlement avec deux autres propositions de loi qui sont encours d’élaboration :

 

- proposition de loi n° 7551 portant suspension pendant la durée de l'état de crise des loyers relatifs aux baux commerciaux et à usage professionnel et modifiant la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l'impôt sur le revenu : prévoyant une suspension des loyers pendant la durée de la crise sanitaire et une déduction d’impôt dans le chef du bailleur dans le cadre d’un accord bilatéral intervenu entre le bailleur et le locataire pour les loyers impayés,

 

- proposition de loi n° 7549 instituant des dispositions transitoires concernant les baux à loyers dans le contexte de la sanitaire COVID-19 : concernant uniquement les baux à usage d’habitation et les baux à ferme, prévoyant une impossibilité de résilier le contrat de bail dans le chef du bailleur si le défaut de paiement des loyers est en lien direct avec les conséquences de la pandémie.

 

Il est à constater que le sort des loyers n’est pas encore réglé.  C’est une question respectivement une affaire à suivre.

 

Me Sébastien COUVREUR – Avocat à la Cour

Me Sevinc GUVENCE – Avocat à la Cour

 

 

 

 

 

 

 

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