Droit immobilier

Le droit d’action de l’habitant, au nom et pour le compte de sa commune.

Le droit d’action de l’habitant, au nom et pour le compte de sa commune.


 

En vertu de l’article 85 de la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 : « Un ou plusieurs habitants peuvent, à défaut du collège échevinal, ester en justice au nom de la commune, moyennant l’autorisation du ministre de l’Intérieur, en offrant, sous caution de se charger personnellement des frais du procès et de répondre des condamnations qui seraient prononcées. Le ministre de l’Intérieur est juge de la suffisance de la caution. La commune ne peut transiger sur le procès sans l’intervention de celui ou de ceux qui ont poursuivi l’action en son nom. En cas de refus, un recours est ouvert auprès du «tribunal administratif», statuant (...) comme juge du fond ».


Cette disposition est inspirée de l’article 150 de la loi communale belge du 30 mars 1836 qui retenait, dans une formulation quasi identique : « Un ou plusieurs habitants peuvent, au défaut du conseil communal, ester en justice au nom de la commune, moyennant l’autorisation de la députation permanente du conseil provincial en offrant, sous caution, de se charger personnellement des frais des procès et de répondre des condamnations qui seraient prononcées. La commune ne pourra transiger sur le procès sans l’intervention de celui ou de ceux qui auront poursuivi l’action en son nom. La députation permanente est juge de la suffisance de la caution. En cas de refus le recours est ouvert auprès du Roi ». Les travaux préparatoires de la loi précitée nous indiquent la ratio legis de celle-ci : éviter qu’une administration communale laisse commettre des infractions ou atteintes qui causent préjudice à ses habitants ou à certaines catégories d’entre eux. Lesdits habitants sont alors autorisés à agir en préservant l’administration de sa propre inaction. La Belgique connait toujours cette disposition, qui connait un regain d’intérêt depuis l’institution de l’action en cessation environnementale accordée aux communes en vertu de la loi du 12 janvier 19993 concernant un droit d’action en matière de protection de l’environnement.

 

Au Grand-Duché de Luxembourg, il existe actuellement peu d’exemples de recours à la disposition précitée. Une affaire fut toutefois portée devant les juridictions administratives, à la suite d’un refus du ministre de l’Intérieur de faire droit à une demande d’autorisation d’ester en justice au nom et pour le compte de la Ville de Luxembourg. En l’espèce, il s’agissait pour une société civile immobilière d’agir pour le compte de la commune, en vue d’obtenir la suppression de la construction d’une antenne GSM, avec tous ses équipements accessoires, qui aurait été irrégulièrement réalisée sur un terrain appartenant à la Ville. Le recours fut rejeté par le tribunal administratif et par la cour administrative au motif que le mécanisme légal précité ne s’appliquait que dans le chef des habitants, c'est-à-dire des particuliers, personnes physiques et non dans le chef des personnes morales (T.A., 28 février 2005, n° 18521 du rôle ; C.A., 10 novembre 2005, n° 19610C du rôle).

 

La possibilité d’ester en justice pour le compte de la commune, revêt cependant un certain intérêt, et c’est probablement la méconnaissance de cette disposition qui explique qu’il n’y soit que très rarement fait usage au Luxembourg.

 

En effet, il convient de relever que l’action en justice portée au nom de la commune peut se faire en matière civile, pénale ou encore administrative, aux conditions suivantes :

 

- La personne agissant pour le compte de la commune doit être une personne physique habitant la commune concernée (à noter qu’en Belgique, le même droit est conféré aux personnes morales dont le siège social est établi dans la commune).

 

- Il doit s’agir de défendre des intérêts collectifs dont la commune a la charge (C.E. belge, no 133.834 du 13 juillet 2004). L’habitant agissant pour le compte de la commune, il agit en tant que représentant de celle-ci ; ce ne sera pas son intérêt à agir qui sera considéré, mais bien l’existence d’un intérêt à agir dans le chef de la commune (Cour Constitutionnelle belge, Arrêt n° 70/2007 du 26 avril 2007) ;

 

-  L’action en justice de l’habitant pour le compte de la commune ne peut se faire qu’après autorisation du ministre de l’Intérieur et constitution d’une caution devant être de nature à couvrir les frais du procès et les condamnations qui seraient prononcées, le cas échéant, à l’encontre de la commune (sur base de demandes reconventionnelles, condamnation au paiement des frais du procès ou indemnité de procédure). En cas de refus d’autorisation de la part du ministre de l’Intérieur, un recours en réformation contre cette décision peut être introduit par l’habitant.

 

- L’habitant agit – s’il y est autorisé – en tant que représentant de la commune et c’est à lui qu’il appartient de choisir un avocat pour assister la commune dans la procédure. Suivant la Cour constitutionnelle belge, cette conclusion ne limite pas la  possibilité, pour  la  commune, représentée par son collège des bourgmestres et échevins, de faire valoir son propre point de vue, le cas échéant opposé, dans le cadre de l’instance introduite par l’habitant, et de se faire assister dans ce contexte par l’avocat de son choix (Arrêts n° 29/2011 du 24 février 2011, points B13 et B.14 ; n° 60/2016 du 28 avril 2016).

 

Au vu de ce qui précède, l’on peut dès lors envisager des actions des habitants au nom de la commune dans diverses hypothèses, pourvu à chaque fois que l’intérêt né, personnel, direct et actuel de la commune puisse être invoqué, par exemple lorsque des autorisations de bâtir du bourgmestre ne sont pas respectées et que cela induit une atteinte aux intérêts collectifs, lorsque des autorisations d’exploitation de classe 2 sont méconnues, lorsqu’une personne construit sur le domaine public communal, lorsqu’une commune subit un dommage environnemental, lorsqu’une commune se voit refuser l’approbation de son PAG (dans ce cas, paradoxalement, il se peut que le ministre de l’Intérieur doivent autoriser l’habitant à agir pour le compte de la commune, contre sa propre décision de refus d’approbation), lorsqu’une commune se voit négativement impactée par un projet de contournement routier, par un plans directeur sectoriel ou un plan d’occupation du sol, etc.

 

 

Me Sébastien COUVREUR,

Avocat à la Cour

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