Droit immobilier

Projet de loi sur la protection des sols et la gestion des sites pollués : quelles incidences concrètes sont à prévoir?

Projet de loi sur la protection des sols et la gestion des sites pollués : quelles incidences concrètes sont à prévoir ?


 

Tout comme l’eau et l’air, le sol est une ressource jouant un rôle déterminant pour l’environnement notamment car il constitue la base pour le déploiement des activités humaines et des espaces bâtis. D’après l’exposé des motifs, le projet de loi n° 7237 (déposé à la Chambre des Députés le 26 janvier 2018) sous analyse a pour objectif de fournir des instruments permettant de contrer la dégradation des sols, qui est en hausse depuis les dernières décennies.


 

Le projet de loi comporte deux volets :


a) Un volet préventif, axé sur la protection des sols : l’élément principal de ce volet est l’obligation d’établir un plan national de protection des sols dont l’objet est de fixer des programmes d’action. Il sera soumis à la consultation du public qui disposera de 2 mois à partir de la publication sur internet pour soumettre ses observations.


b) Un volet curatif, axé sur la gestion des sites potentiellement pollués ou pollués : ce volet est destiné à combler un vide législatif puisqu’actuellement, les dossiers de sites pollués sont gérés par les législations relatives aux établissements classés et aux déchets, situation donnant lieu à de nombreuses incohérences.

 

Ce projet de loi contient plusieurs éléments majeurs qu’il convient d'épingler ainsi que des répercussions directes pour les exploitants d’établissements classés, les propriétaires de terrains pollués ou potentiellement pollués, et pour les professionnels de l'immobilier :

 

1. Plan national de protection du sol

 

Le plan national de protection du sol, basé sur l’état des lieux de la qualité des sols (article 4) aura pour objet de fixer des programmes d’action dans le cadre de la protection des sols et de la gestion des sites pollués (article 5). Les zones à risque de dégradation des sols seront identifiées et le plan pourra ainsi définir des objectifs à atteindre, des programmes d’action et leur mise en œuvre.

 

Dans son avis du 11 février 2020, le Conseil d’Etat a indiqué qu’il n’était pas clair si ces programmes d’action pouvaient entraîner des restrictions d’accès et d’utilisation des terrains concernés, voire de la réalisation de travaux sur ces terrains. Il a encore rappelé qu’un changement dans les attributs de la propriété, qui serait à tel point essentiel qu’il prive celle-ci de ses aspects essentiels, pouvait constituer une expropriation.

 

2.      Devoirs généraux de diligence et d'information

 

Le principe de diligence implique que chaque utilisateur des sols doit prendre des mesures nécessaires afin d’empêcher les atteintes à la qualité du sol. Ceci, uniquement en ce qui concerne les pollutions nouvelles (article 7).

 

Quant au devoir général d’information, il aura pour but d’amener le propriétaire d’un terrain à informer l’administration compétente de toute pollution susceptible de constituer une menace concrète sur ce terrain. L’exploitant exerçant ses activités sur le terrain et toute autre personne informée de l’existence d’une pollution devraient également aviser le propriétaire d’une telle menace.

 

Le but est que l’information soit donnée à un stade précoce afin de maîtriser plus efficacement la pollution (Article 8).

 

 3.      Registre d'information des terrains (articles 9 à 11)

 

Il s’agirait d’un registre qui sera tenu par l’administration de l’Environnement reprenant les informations relatives à la pollution (potentielle) locale des sites.

 

Les sites sont destinés à figurer dans le registre jusqu’au moment de la validation ou du retrait des informations sur demande du propriétaire suivie d’une vérification par l’administration de l’Environnement ou sur initiative de cette dernière. A cet égard, le Conseil d’État estime, a raison selon nous, que les propriétaires des sites concernés devraient être informés de la décision de l’administration compétente d’inscrire, de modifier ou de retirer un site du registre.

 

Ce registre comprendrait un cadastre des sites pour lesquels la validation ou le retrait des informations dans le cadre de la présente loi n’a pas encore eu lieu, un cadastre des sites potentiellement pollués, un cadastre des sites ayant fait l’objet d’une étude de pollution de sol et d’une décision et un cadastre des sites ayant un certificat de contrôle du sol valide.

 

Il serait obligatoire de consulter le registre dans les cas suivants :

 

- Avant le début des travaux impliquant l’excavation de terres de plus de 100 m3 ou avant un changement du mode d’affectation résultant d’un changement du type d’usage du terrain (l’usage naturel, l’usage agricole, l’usage résidentiel ou récréatif et l’usage commercial ou industriel).

- Avant l’entrée en procédure des plans d’occupation du sol, des plans d’aménagement général, ou des plans d’aménagement particulier ainsi que dans le cadre de leur mise à jour. A cet égard, l’article en projet influe sur l’application de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain et sur la loi du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire, mais la loi en projet n’insère cependant aucune disposition ad hoc dans les lois en question.

 

4.      Obligation de reprendre, sous peine de nullité, dans tout acte de vente, respectivement tout compromis de vente, une section relative à la pollution du sol du terrain concerné.

 

L’article 12 du projet de loi imposerait pour tout terrain faisant l’objet d’un acte ou compromis de vente différentes obligations.

 

Le but de cette disposition est d’informer le nouveau propriétaire afin que les éventuels travaux nécessaires pour la remise en conformité du terrain soient connus.

 

5.      Renforcement du principe du pollueur-payeur.


L’article 14 identifie les titulaires des obligations en matière de gestion des sites pollués ou potentiellement pollués (à savoir une étude diagnostique ;  le cas échéant, une étude approfondie ; le cas échéant, un assainissement).  Par ordre de priorité ces titulaires sont : le volontaire, l’auteur ou l’auteur présumé de la pollution du sol, le propriétaire ou nu-propriétaire du terrain et finalement l’Etat. Il s’agit d’une hiérarchie alternative de sorte que le ou les propriétaires du ou des terrains concernés par les sites ne pourront être désignés qu’en l’absence totale d’auteur de la pollution.

 

Il faut noter que l’exploitant d’un établissement à risque de polluer le sol est présumé être l’auteur de la pollution du sol dans la mesure où les polluants identifiés dans le sol sont des polluants susceptibles d’avoir été libérés par l’établissement exploité.

 

Dans l’hypothèse où les qualités se confondent, rien n’interdit à l’autorité compétente de désigner un titulaire déjà volontaire. Ce dernier perdra alors sa qualité de titulaire volontaire ainsi que les avantages y relatifs.

 

Par ailleurs, il peut y avoir plusieurs titulaires à la fois pour une même obligation. Dans ce cas, l’obligation est commune à ces titulaires.

 

Il faut relever qu’il existe plusieurs possibilités d’exonération des obligations précitées :

 

- le titulaire qui démontre qu’un tiers s’est substitué à lui (article 15). Cela permet à un titulaire de convenir des engagements contractuels avec un tiers (reprenant par exemple l’activité, ou désirant développer le terrain) de s’exonérer entièrement des obligations qui lui reviennent.

 

- l’auteur ou l’auteur présumé de la pollution du sol qui démontre se trouver dans l’un des cas suivants : la pollution du sol est due au fait d’un tiers, un certificat de contrôle du sol valide a été délivré (article 16).

 

- le propriétaire ou nu-propriétaire qui démontre que la présence des polluants est la résultante d’une migration en provenance de l’extérieur (la pollution n’émane pas de son terrain) ou qu’un certificat de contrôle du sol valide a été délivré (article 17).

 

On peut constater que les possibilités d’exonération du propriétaire du terrain pollué seraient  assez limitées, cela s’expliquant, d’après le commentaire des articles du projet de loi, par le fait que le propriétaire va pour finir profiter de la plus-value de son terrain et que sinon les assainissements reviendraient systématiquement à charge de l’Etat. Le cas échéant, le propriétaire pourrait cependant profiter de l’aide financière prévue à l’article 51du projet de loi.

 

Cette exonération poursuit une procédure prévue par l’article 18 du projet.

 

6.      Investigations et mesures relatives à l'assainissement des sites pollués

 

La réalisation des obligations en matière de gestion des sites pollués ou potentiellement pollués peut résulter d’une démarche volontaire (article 19), d’une décision du ministre (article 20) ou lorsqu’une cessation définitive d’activité pour un établissement classé en vertu de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés et constituant un établissement à risque de polluer le sol est déclarée ou constatée (article 21).

 

Les obligations précitées sont les suivantes :

 

-         Etude diagnostique : vérification de la présence éventuelle d’une pollution du sol et première description de l’ampleur de cette pollution (article 22).

 

-         Etude approfondie : détail de la nature, la distribution spatiale et le niveau de la pollution et détermination de la nécessité d’assainir ainsi que des délais dans lesquels l’assainissement doit être réalisé (article 26).

 

-         Assainissement des sites :

 

Si la pollution est nouvelle, un assainissement est requis si les valeurs de déclenchement visées à l’article 41 sont dépassées pour au moins un des paramètres analysés et que les concentrations mesurées ne sont pas des concentrations de fond (article 31).

 

Si la pollution est historique, un assainissement est requis si les valeurs de déclenchement visées à l’article 41 sont dépassées pour au moins un des paramètres analysés, les concentrations mesurées ne sont pas des concentrations de fond et que les résultats de l’étude approfondie montrent que la pollution du sol constitue une menace concrète (article 32).

 

Si les deux types de pollution ne peuvent être distingués, les dispositions relatives à la pollution nouvelle s’appliquent (article 33).

 

7.      Le certificat de contrôle du sol

 

Il s’agit du certificat émis par le ministre sur base des résultats d’une étude de pollution de sol. Il peut recommander des limitations d’usage et imposer des mesures de sauvegarde ou de suivi du site. Le certificat mentionne le ou les responsables des mesures de sauvegarde et de suivi.

 

La durée de validité du certificat de contrôle du sol est illimitée sauf pour les établissements à risque de polluer le sol en cours d’exploitation pour lesquels la validité est de trois ans (article 42).

 

Dans le cadre du renouvellement du certificat pour les établissements à risque de polluer le sol la question se pose de savoir si la procédure devra être recommencée alors qu’il s’agirait d’une contrainte administrative et financière considérable pour les entreprises concernées.

 

8.      Recours à l’encontre des décision prises en vertu du présent projet de loi

 

Un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif. Ce dernier doit être interjeté sous peine de déchéance dans le délai de quarante jours.

 

 

***

 

Pour terminer, il y a lieu de constater que les procédures d’autorisations environnementales se multiplient alors qu’à l’heure de la simplification administrative, il y aurait plutôt lieu de limiter les charges administratives et les coûts financiers liés aux procédures.

 

Dans cette optique, la chambre des métiers proposa, dans son avis du 24 aout 2018 d’introduire notamment une procédure allégée en cas d’obligation de renouvellement du certificat de contrôle du sol.

 

Par ailleurs, les grands absents de ce projet sont les règlements grand-ducaux afférents à l’exécution du projet de loi qui n’ont pas été présentés conjointement au projet de loi. Sans ces derniers, il est difficile d’évaluer la portée exacte de la loi projetée. Nous pensons notamment au règlement grand-ducal comprenant la liste des établissements considérés comme présentant un risque de polluer le sol ou d’avoir pollué le sol (article 43).

 

Il y aura lieu de rester attentif aux éventuels amendements apportés à la loi suite aux avis émis dans le cadre du projet de loi.

 

 

Me Raffaela FERRANDINO - avocat

Me Sébastien COUVREUR - avocat à la Cour

 

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