Droit immobilier

Constructibilité en zone verte, une interprétation de la Cour administrative à la lumière des principes constitutionnels

Constructibilité en zone verte, une interprétation de la Cour administrative à la lumière des principes constitutionnels

 

Introduction


La réalisation de travaux en « zone verte » (rénovation, transformation, agrandissement, ou encore nouvelles constructions) a toujours été – et l’est de plus en plus – un sujet mettant en tension les préoccupations relatives au droit de propriété, à la liberté de commerce, d’industrie, et du travail agricole d’une part, et celles tenant à la conservation aussi intacte que possible des terrains situés hors « périmètre d’agglomération », d’autre part.

 

Si l’interdiction – acquise de longue date – de la réalisation de nouvelles constructions destinées à l’habitation ne soulève guère de contradictions, en revanche, la rénovation de maisons existantes, voire l’agrandissement et la transformation de maisons existantes (via l’ajout d’annexes, rehaussement de la toiture, etc.) a toujours fait l’objet de plus vives discussions.

 

Alors que la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles a restreint encore d’avantage la constructibilité en zone verte, la question de la rénovation des maisons des exploitants agricoles – une fois que ces derniers ont cessés l’exploitation – vient de trouver une réponse pleine de bon sens, de la part de la Cour administrative.

 

L’enjeu était le suivant : une fois que les exploitants (habitants d’une maison sise en zone verte et jadis considérée comme accessoire à l’exploitation agricole) ont cessés leurs activités agricoles, sont-ils encore admis à transformer leur habitant en se prévalant de cette affectation agricole ?

 

Rappel de quelques principes

 

Contrairement aux terrains situés en zone urbanisée ou destinée à être urbanisée sur lesquels le propriétaire peut construire « tout sauf ce qui est interdit », la zone verte répond à une logique inverse : tout est en principe interdit, sauf ce qui est permis. Ce principe implique comme corollaire une interprétation stricte des exceptions légalement prévues par la loi du 18 juillet 2018.

 

Ainsi, la loi précitée énonce en son article 7(2), les conditions restrictives dans lesquelles la rénovation ou la transformation matérielle des constructions légalement existantes peut être envisagée.

 

La construction légalement existante en zone verte ne peut être rénovée ou transformée matériellement qu’en vertu d’une autorisation du ministre de l’Environnement et son affectation doit être maintenue ou alors être compatible avec l’affectation prévue à l’article 6 de la loi précitée.

 

Dès lors, une transformation plus importante, une démolition-reconstruction partielle n’est autorisable que si la construction concernée correspond aux affectations prévues comme étant compatibles avec la zone verte, « green friendly », en quelque sorte.

 

En vertu de l’article susmentionné, « sont conformes à l’affectation de la zone verte, des constructions ayant un lien certain et durable avec des activités d’exploitation qui sont agricoles, horticoles, maraichères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel.


Seules sont autorisables les constructions indispensables à ces activités d’exploitation, il appartient au requérant de démontrer le besoin réel de la nouvelle construction en zone verte. ».

 

L’article 6 (2) de la loi expose plus particulièrement concernant le sujet qui nous occupe : « Une construction servant à l’habitation ayant un lien fonctionnel direct avec les activités d’exploitation agricole exercées à titre principal peut être autorisée en zone verte, pour autant que la construction est nécessaire à l’activité agricole. Un lien fonctionnel direct entre une construction servant à l’habitation et une exploitation agricole est donné lorsque l’activité agricole nécessite la présence rapprochée et permanente du chef d’exploitation. La construction servant à l’habitation est alors considérée comme construction agricole et faisant partie intégrante de l’exploitation. Une seule construction servant à l’habitation est autorisée par exploitation agricole. Cette construction servant à l’habitation peut comprendre un logement intégré faisant partie de la construction et appartenant au même propriétaire, à condition de n’être destiné qu’au logement en faveur d’un membre de la famille participant à l’exploitation ou du personnel de l’exploitation. Un règlement grand-ducal détermine les dispositions relatives aux dimensions, à la durabilité et à l’intégration des constructions servant à l’habitation. ».

 

Dans l’affaire soumise aux juridictions administratives, que nous allons commenter, c’est justement la question de l’appréciation de l’exigence d’un lien fonctionnel direct entre les activités d’exploitation agricole et l’habitation de l’exploitant, qui était centrale.

 

Les faits et rétroactes


Un couple d’exploitants agricoles retraités, avaient introduit, en date du 27 octobre 2016, une demande d’autorisation de transformation et de reconstruction partielle d’une construction légalement érigée et dûment autorisée en zone verte, dont ils étaient propriétaires.

 

Par un courrier du 21 novembre 2016, leur demande d’autorisation de transformation a été rejetée par la ministre de l’Environnement.

 

Des plans détaillés ont ensuite été transmis au ministre le 13 janvier 2017.

 

La fille des consorts propriétaires a introduit un recours gracieux contre la décision du ministre pour l’inviter à reconsidérer sa position et lui exposer la situation du projet de transformation de la maison habitée par sa mère.

 

Par un courrier du 25 août 2017, le ministre a maintenu sa position antérieure.

 

Le 27 novembre 2017, un recours en réformation sinon en annulation contre la demande litigieuse a été introduit par la requérante et sa fille.

 

Par un jugement du 15 juillet 2019, le tribunal administratif a déclaré non-fondé le recours en réformation des requérantes considérant non suffisamment établi le lien certain et durable entre l’affectation de logement et l’activité des anciens exploitants agricoles. En substance, les premiers juges ont considéré que dès lors que l’activité agricole avait cessé, « le refus d’accorder l’autorisation sollicitée se trouvait justifié au regard des dispositions de la loi du 18 juillet 2018 dans la mesure où l’affectation envisagée, à savoir l’habitation, n’était pas conforme aux exigences posées par son article 7, paragraphe (3), à défaut  d’exercice  actuel  d’une  activité  agricole ».

 

Les requérantes ont interjeté appel du jugement précité devant la Cour administrative.

 

Par un arrêt du 9 janvier 2020 inscrit au n° 43470C du rôle, la Cour administrative a admis, pour sa part, l’existence d’un lien certain et durable entre l’habitation et les activités d’exploitation agricole, pour des exploitants agricoles aujourd’hui retraités.

 

L’approche pragmatique de la Cour administrative

 

Dans son arrêt précité, la Cour a estimé que la lecture littérale des textes de loi, telle qu’opérée par le tribunal, impliquerait de considérer comme inexistant le lien fonctionnel certain et durable avec l’activité d’exploitation agricole, dès la cession de l’activité des  exploitants agricoles ayant vécu dans leur maison d’habitation, voire y étant nés.

 

La Cour administrative a souligné que le caractère durable du lien avec l’activité agricole d’exploitants retraités  ne saurait sérieusement être remis en cause.

 

En effet, la Cour administrative considère que l’interprétation des premiers juges conduirait à perdre toute possibilité d’adapter utilement le logement dans lequel un exploitant agricole a résidé pendant des décennies dès qu’il atteint «le grand âge » ou dès que des infirmités lui sont diagnostiquées.

 

Dès lors, la Cour administrative a reconnu comme étant d’un niveau supérieur à la loi, le droit, également pour un ancien exploitant agricole, de pouvoir rester dans les lieux qu’il a habité pendant des décennies, sans que pour autant la personne ne veuille ou ne puisse quitter son logement pour rejoindre une institution publique ou privée pour personnes âgées.

 

Une telle considération s’appuie sur l’article 11 paragraphe 1er de la Constitution, lequel dispose que l’Etat garantit les droits naturels de la personne humaine et de la famille ainsi que sur le paragraphe 5 dudit article, lequel garantit l’intégration sociale des citoyens atteints d’un handicap.

 

En outre, la Cour administrative a affirmé que « le principe fondamental de la dignité humaine ne sous-tend non seulement les droits dits naturels de la personne humaine pris isolément et collectivement au sein de sa famille, ainsi que ceux de sa collectivité familiale, mais sous-tend encore l’ensemble des droits et libertés fondamentales à garantir par l’Etat dans un Etat de droit».

 

Il en résulte que la Cour administrative admet l’enracinement de l’être humain dans son territoire et dans son contexte familial et social comme un droit naturel relevant du principe fondamental de la dignité humaine.

 

Ce droit au maintien dans son lieu d’habitation est d’autant plus vérifié lorsque l’une des activités énoncées à l’article 6 paragraphe 1 de la loi précitée a été exercée pendant une période conséquente par rapport ou à partir des lieux ayant servis de maison d’habitation à la personne concernée, même si elle ne l’exerce plus au moment de la demande d’autorisation.

 

La Cour administrative a alors été amenée à examiner les articles 6 paragraphe 1 et 7 paragraphe 3 de la loi du 18 juillet 2018 à la lumière des paragraphes 1 et 5 de l’article 11 de la Constitution.

 

Après une lecture combinée des dispositions précitées, la Cour administrative a jugé que : « le lien certain et durable avec l’activité agricole se trouve vérifié dans le cas d’espèce dans le chef de Madame [ancienne exploitante agricole avec son défunt mari] du fait de son activité  agricole  de  longue  date  dans  les  lieux,  même  si  elle  ne l’exerce plus activement à l’heure actuelle et qu’en tant que membre proche de sa famille, sa fille, même si elle n’est pas exploitante agricole, ni ne l’a été antérieurement,  doit  être  également  positivement  prise  en  considération  du moment  que  c’est  elle  qui  rend  possible  le  maintien  dans  les lieux  de sa  mère en  exécution d’obligations naturelles de la famille faisant le reflet des droits naturels tels qu’inscrits à l’article 11, paragraphe (1),de la Constitution, à garantir par l’Etat ».

 

Partant, au regard des dispositions précitées, la Cour administrative a réformé le jugement entrepris estimant que le lien certain et durable avec l’activité agricole était suffisamment établi pour voir autoriser un agrandissement, respectivement une transformation de la maison des anciens exploitants agricoles.

 

Conclusions sur l’arrêt du 9 janvier 2020


L’arrêt précité constitue un signal important pour toutes les familles d’anciens exploitants agricoles, lesquels pourront en principe se maintenir dans leur maison, tout en cohabitant avec leurs enfants, et ce même si ces derniers ne sont pas eux-mêmes agriculteurs.

 

Ceci étant dit, les conditions fixées par la loi demeureront d’interprétation stricte.

 

Ceci d’autant plus que les juridictions administratives devraient – on peut le regretter pour le justiciable – disposer d’une marge de manœuvre moins importante à l’avenir alors que l’introduction d’un recours en réformation n’est plus possible dans le cadre de la loi du 18 juillet 2018 dans la mesure où seuls les recours en annulation sont ouverts en vertu de l’article 68 de la loi susmentionnée.

 

 

Me Sébastien COUVREUR – Avocat à la Cour

Emilie WALTER - Juriste

 

 

           

           

           

 

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