Droit immobilier

L’expropriation pour cause d’utilité publique

L’expropriation pour cause d’utilité publique

 

 

Mécanisme nécessaire aux pouvoirs publics dans le cadre de la mise en œuvre de projets jugés d’utilité publique, l’expropriation confronte des intérêts divergents, à savoir le droit de propriété privée d’une part, et l’intérêt de la collectivité d’autre part.

 

A l’aube de grands travaux d’infrastructures requis pour garantir une mobilité efficace demeurant favorable à l’essor de l’activité économique du pays et d’une volonté affichée d’un plus grand interventionnisme de l’Etat pour pallier à des problèmes politiques jugés prioritaires (tel l’accès au marché du logement), il nous a paru utile d’esquisser les principales étapes et caractéristiques de la procédure d’expropriation.

 

La réalisation du tram, de nouvelles infrastructures routières (contournements notamment) et ferroviaires, implique en effet la nécessité pour l’Etat d’acquérir un certain nombre de terrains auprès de propriétaires privés.

 

Cette acquisition se fait, si un accord peut être trouvé entre les parties, de gré à gré, pour un prix convenu, voire sur base d’un échange de terrains. A défaut d’accord, une procédure d’expropriation peut être entamée, à la demande de l’Etat, d’une commune, d’un établissement public ou d’utilité publique, voire même d’un particulier si son intérêt peut être qualifié d’utilité publique.

 

Pour bien comprendre l’expropriation pour cause d’utilité publique, il faut tout d’abord appréhender la notion « d’utilité publique ».

 

 

La notion d’utilité publique

 

 

Cette notion d’une importance capitale est reprise à l’article 16 de notre Constitution[1], elle est reprise à l’article 1er du premier protocole en annexe à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme[2]. L’utilité publique n’est définie ni dans la Constitution ni dans la Convention européenne ; elle est de l’appréciation souveraine de l’exécutif, sous le contrôle des juges administratifs. Elle est soumise à l’avis du Conseil d’Etat qui est appelé à s’exprimer si l’une ou l’autre action publique visant une expropriation est d’utilité publique ou non.

 

 

 

La procédure d’expropriation et la juste indemnité

 

 

La loi modifiée du 15 mars 1979 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique reprend les différentes étapes de la procédure qui sont (en substance) les suivantes:

 

La loi impose au titre des opérations préalables, l’établissement d’un plan parcellaire et d’un tableau des emprises comprenant les références des immeubles concernés par l’expropriation ainsi que les propriétaires desdits immeubles.

 

Le plan parcellaire et le tableau des emprises, qui déterminent les parcelles ou parties de parcelles à exproprier doivent être publiés pendant 20 jours par voie d’affiche apposées dans la commune de la manière usuelle et faire l’objet d’un avis dans au moins quatre journaux publiés et imprimés au Luxembourg. Les propriétaires sont quant à eux informés par courrier recommandé.

 

Durant ce délai de 20 jours, les personnes intéressées peuvent présenter leurs observations relatives à la procédure d’expropriation et aux documents y relatifs.

 

Le dossier est ensuite transmis au Ministère des travaux publics pour examen et après examen et décision du gouvernement en conseil, le dossier complet est transmis au Conseil d’Etat pour avis obligatoire.

 

Finalement, un arrêté grand-ducal déclare l’utilité publique, si cela n’a pas encore été fait par le biais d’une loi, approuve le plan parcellaire et le tableau des emprises et autorise le pouvoir expropriant à poursuivre l’acquisition ou l’expropriation des terrains concernés.

 

En ce qui concerne les délais, il faut relever que nonobstant le délai fixe de publicité de 20 jours concernant le tableau des emprises et plan parcellaire, la loi ne prévoit pas de délai spécifique dans le cadre de la phase préliminaire.

 

Ainsi il arrive fréquemment que la procédure d’enquête publique soit entamée par l’Etat, tout en continuant parallèlement les négociations avec les propriétaires concernés en vue de l’acquisition à l’amiable des terrains nécessaires aux travaux jugés d’utilité publique.

 

Il arrive dès lors que l’arrêté grand-ducal soit publié au Mémorial plusieurs mois voire années après l’entame des négociations d’acquisition, respectivement de la procédure pré-décrite.

 

Il est loisible d’introduire un recours en annulation à l’encontre de l’arrêté grand-ducal devant le tribunal administratif dans un délai de 3 mois de sa publication, respectivement dans un délai de 3 mois de la connaissance de cet acte administratif. La jurisprudence des juridictions administratives[3] admet en effet qu’il ne peut être reproché à un administré de ne pas avoir introduit de recours à l’encontre d’un arrêté grand-ducal d’expropriation dans un délai de trois mois de sa publication au Mémorial s’il se dégage par ailleurs des éléments du dossier que l’absence de connaissance de cette publication était légitime, notamment sur base des actes du pouvoir expropriant (par exemple, s’il négocie l’acquisition du terrain en taisant le fait que l’arrêté d’expropriation aurait été publié).

 

 

 

***

 

 

En cas d’accord des propriétaires avec la cession demandée, il est passé un acte de vente. A défaut d'accord, débute alors la phase judiciaire par  le dépôt de l'arrêté grand-ducal, du plan des parcelles et du tableau des emprises au greffe du tribunal d'arrondissement de la situation des biens par l’expropriant, où les parties intéressées pourront en prendre connaissance jusqu'à la fixation définitive de l'indemnité.

 

Les propriétaires et usufruitiers se voient signifier une assignation en expropriation. Ces derniers sont à leur tour tenus de mettre en intervention d’éventuels tiers intéressés (locataires, titulaires d’un droit d’usage ou d’habitation).

 

Les juridictions civiles, après expertise, détermineront la juste indemnité à verser par le pouvoir expropriant.

 

Cette indemnité ne constitue pas le prix de vente du terrain, la valeur du bien exproprié mais la réparation intégrale du préjudice subit par l’exproprié.

 

En effet, l’indemnité doit couvrir toutes les conséquences dommageables découlant de l’expropriation et réparer la perte subie de la manière la plus équitable et la plus objective possible.

 

Il faut également relever que depuis la loi du 24 octobre 2007 portant révision de l’article 16 de la Constitution, l’indemnité ne doit plus être préalable.

 

 

Par Me Sébastien COUVREUR

 

Pour aller plus loin :

 

- Georges KRIEGER, « L’expropriation pour cause d’utilité publique », Livre intitulé « Le droit de propriété face à l’urbanisme », Luxembourg, Editions Portalis, 2016, pp. 146 à 173.

- Article du blog : « Parlons expropriation »

 - Article du blog : Arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 octobre 2013

 

 



[1] « Nul  ne  peut  être  privé  de  sa  propriété  que  pour  cause  d’utilité  publique  et  moyennant  juste  indemnité,  dans  les  cas  et  de  la  manière établis par la loi .»

 

[2] « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété

que  pour  cause  d'utilité publique  et  dans  les  conditions  prévues par  la  loi  et  les  principes généraux du

droit international.

 

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les  lois  qu'ils  jugent  nécessaires  pour  réglementer  l'usage  des  biens  conformément  à  l'intérêt  général  ou

pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».

[3] Voir not. T.A., 12 janvier 2017, n° 35832 du rôle

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